LAMENDIN Arthur

Par Justinien Raymond

Né le 2 mars 1852 à Lourches (Nord), mort le 3 novembre 1920 à Neuville-sur-Escaut (Nord) ; ouvrier mineur ; militant syndicaliste et socialiste ; député du Pas-de-Calais.

Arthur Lamendin naquit dans une famille ouvrière qui s’installa à Liévin (Pas-de-Calais), alors qu’il était enfant. De 1862 à 1884, il mena la vie des travailleurs de la mine. Galibot à dix ans, il aidait au service des voies dans les galeries des mines ; il fut ensuite mineur, enfin porion, c’est-à-dire contremaître.

Plus de deux ans avant la loi de 1884 qui en autorisa la formation, il travailla à la création de syndicats ouvriers. Aussi fut-il traqué par les représentants des compagnies minières et, un temps, obligé de s’improviser représentant de commerce pour vivre. Lors de la grande grève du bassin d’Anzin (21 février-17 avril 1884) dont les conséquences s’étendirent au Pas-de-Calais, Lamendin, alors secrétaire du syndicat des mineurs de Liévin, fut une victime toute désignée des licenciements massifs que pratiquèrent les compagnies décidées à tuer dans l’œuf l’organisation syndicale naissante et à empêcher la classe ouvrière de mettre à profit, avant longtemps, la loi de mars 1884. L’année suivante, il fut porté au secrétariat général du syndicat des mineurs du Pas-de-Calais auquel il consacra désormais toute son activité, multipliant les sections syndicales, participant à leur vie intérieure, assurant des réunions publiques. Il représentait le cas, assez exceptionnel, d’un porion promu à de hautes fonctions syndicales, les militants se recrutant surtout parmi les piqueurs du fond. En 1890, à la suite du vote de la loi du 8 juillet qui instituait les délégués à la sécurité des mines, les mineurs de Liévin lui confièrent ce poste de responsabilité. Réélu en 1893, il ne renonça à cette fonction que pour remplir son mandat parlementaire. Depuis 1892, il était en outre le représentant du syndicat des ouvriers des mines, carrières et salines au Conseil supérieur du Travail, siégeant auprès du ministère du Commerce et de l’Industrie, fonction qu’il exerça jusqu’aux approches de la Grande Guerre.

Lamendin, militant ouvrier, ne se départit jamais d’une attitude réformiste. Cette conception ne fut pas le résultat de son accession à de hautes responsabilités ni de sa longue carrière parlementaire qui auraient émoussé la combativité d’une « gueule noire ». Le syndicat des mineurs du Pas-de-Calais, dont il se disait et dont il était effectivement le « fondateur » (Arch. Ass. Nat.), affichait hautement ce réformisme dans ses statuts : un article l’engageait à faire « tous ses efforts pour prévenir les grèves générales ou partielles en proposant aux patrons la création d’un tribunal d’arbitrage composé moitié d’ouvriers et moitié de patrons » (M. Gillet, op. cit., p. 7). En 1891, à la veille d’un 1er mai qui s’annonçait bruyant et qui fut, par endroits, sanglant, Lamendin s’attacha à maintenir le calme dans le bassin houiller, à diluer la protestation ouvrière en la décomposant dans des réunions locales pour éviter les vastes rassemblements propices aux entraînements collectifs. Quelques mois plus tard, il s’opposa, avec Basly, sans y réussir, à la volonté des mineurs de soutenir par une cessation générale du travail la grève languissante déclenchée à Marles le 23 octobre. La grève se déroula du 16 novembre au 1er décembre. Du moins Lamendin concourut-il à lui conserver une allure calme et disciplinée et, si elle n’arracha pas une augmentation des salaires, elle imposa l’organisation syndicale comme interlocutrice du patronat qui dut, avec elle, signer une convention à la préfecture d’Arras les 27 et 29 novembre. Les contestations qu’entraîna son application conduisirent à de nouvelles grèves en 1893 que Lamendin canalisa plus qu’il ne les fomenta et d’où le syndicalisme sortit, cette fois, très affaibli.

Toute la conduite de Lamendin atteste qu’il n’attendait de l’action syndicale qu’une amélioration des conditions de vie des travailleurs. Il l’attendait d’abord des services bienfaisants qu’elles dispensent : soutien des chômeurs et des grévistes, entraide mutuelle devant la maladie et la mort, formation professionnelle. S’il comptait aussi sur la résistance, la lutte du syndicat, jamais il n’a vu dans ce dernier un moyen de transformation révolutionnaire de la société. Il lui assignait la conquête de salaires plus substantiels pour un temps de travail réduit, accompli dans des conditions d’hygiène, de sécurité, de dignité sans cesse améliorées. Cette conception de l’action syndicale lui dictait le choix des moyens et méthodes d’action : ne recourir à la grève qu’à la dernière extrémité, quand tout espoir de conciliation est perdu, lorsque sont réunies toutes les conditions du succès, et la mener pacifiquement ; par contre, utiliser au maximum les institutions légales, les ressources de la législation du travail, pratiquer le politique de présence, s’infiltrer dans les rouages de l’État, l’attirer dans son jeu. N’est-ce pas la menace des pouvoirs publics de retirer les troupes du bassin qui obligea les compagnies à négocier en 1891 ? Ainsi entendue, l’action syndicale débouchait sur l’action politique et Lamendin s’y engagea.

Il la mena dans la même perspective réformiste qu’il avait conduit l’action syndicale. Pourtant, il l’aborda sous l’égide du PO auquel il adhéra dès sa formation. Mais il n’employa jamais sa phraséologie révolutionnaire et, si sa conception du syndicalisme s’accordait assez bien avec celle du guesdisme, à la différence de ce dernier il ne donnait pas davantage d’objectifs révolutionnaires à l’action du parti socialiste. Après la scission survenue au 2e congrès général des organisations ouvrières à Paris (salle Wagram), en 1900, Lamendin se sépara du POF et, avec Basly, fut le promoteur de la fédération autonome du Nord et du Pas-de-Calais qui marcha dans le sillage de Jean Jaurès et de Briand. En 1905, après cinq ans de vives rivalités, les deux fédérations fusionnèrent et adhérèrent à la SFIO. Mais, sous ces étiquettes successives, Lamendin garda la même conception d’un socialisme réformiste, ne comptant que sur l’action politique dans le cadre de la légalité. Dans les congrès socialistes où d’ailleurs il figurait très rarement, à Toulouse (1908), Nîmes (1910), Saint-Quentin (1911), il ne fut jamais l’homme des débats doctrinaux. Il n’en porta jamais non plus les échos dans les assemblées où il siégea, préoccupé seulement d’action pragmatique.

Son premier acte politique fut de briguer un siège au conseil municipal de Liévin. Il y fut élu en 1891. Nommé maire en 1892, il se récusa, fut battu avec la liste socialiste en 1896, et ne ceignit l’écharpe qu’en 1905. Il la conserva jusqu’à l’échec de 1912, la majorité du conseil municipal où il était personnellement réélu ayant échappé au Parti socialiste. En 1907, par 7 649 voix, il fut élu au conseil général du canton de Lens-Ouest : il siégea à l’assemblée départementale jusqu’en 1919, date à laquelle il ne sollicita pas le renouvellement de son mandat.

Aux élections législatives, jamais il ne connut d’échecs. Le 6 mars 1892, à l’occasion d’une élection complémentaire dans la 2e circonscription de Béthune, il fut élu député, au second tour de scrutin, par 8 731 voix sur 22 345 inscrits et 16 122 votants ; il en avait recueilli, le 21 février, 6 083. Désormais, il sera toujours réélu au premier tour de scrutin, en 1893 (12 242 voix sur 23 141 inscrits et 18 310 votants) et en 1898 (11 940 sur 25 898 et 21 372). À partir de 1902, il représenta la 3e circonscription de Béthune, formée par le canton de Cambrin, détaché de la 2e circonscription, et par le canton de Lens-Ouest. Il y fut réélu, en 1902 (10 932 sur 17 698 et 13 134), en 1906, (11 200 sur 20 168 et 15 271), en 1910 (12 404 sur 23 606 et 18 278) et en 1914 (14 131 sur 25 617 et 19 835). En 1919, il renonça à son mandat, pour raison de santé, comme il en informa le président de la Chambre des Députés par lettre du 5 septembre.

Les professions de foi de Lamendin sont très révélatrices du ton de ses campagnes électorales. Cet ouvrier mineur, animateur de syndicat, candidat du PO, ne prononça pas le mot de socialisme dans ses appels de 1893 et de 1898, terminés au cri de « vive la République ! ». En 1893, sa déclaration rendit un son à coup sûr insolite parmi celles de ses camarades de parti : « Je suis partisan du maintien de la paix et opposé aux guerres coloniales ; mais, ajoutait-il, je veux la France forte et respectée en Europe. Bien que l’entretien de notre armée soit une lourde charge, il ne faut pas songer présentement à la réduire... » (Arch. Ass. Nat.). En 1902, il en appela « aux électeurs vraiment républicains et socialistes » pour « une République démocratique et sociale. » Son ton se haussa quelque peu en 1906, contre « le parti clérical » et les « factions anarchistes » ; il conviait toujours, ensemble, « tous les vrais républicains », « tous les socialistes de France », à « manifester [...] hautement leur volonté d’émancipation sociale, leur foi et leur amour en la République démocratique... » (ibid). Mais il était loin de se conformer aux prescriptions du parti socialiste SFIO qui avait enjoint à ses candidats, dont il était, de poser hardiment le problème de la propriété. Il ne commettait aucun acte caractérisé d’indiscipline, mais fort de sa situation locale inexpugnable, il n’empruntait pas ses thèmes de propagande au parti socialiste. Il ne concevait pas ce dernier comme un parti de classe en opposition avec tous les autres. Il voyait dans le socialisme une création continue de l’action républicaine à laquelle coopèrent tous les partis démocratiques, le Parti socialiste étant l’un d’entre eux. Cette conception découlait pour une large part de la fraternité maçonnique sans que le rôle de Lamendin puisse être précisé en ce domaine. « Convaincu que la paix sociale ne peut résulter que de l’affranchissement complet du travail, mais ennemi de l’action directe et de la politique du « tout ou rien », j’ai lutté et lutterai pour toutes les réformes en faveur des travailleurs et du progrès social », proclama-t-il en 1910. Il ajouta : « J’ai toujours servi la République et le socialisme qui sont inséparables » (ibid.). Il reprit la même formule en 1914, convaincu, disait-il en parlant de la classe ouvrière, que « c’est par le développement de l’instruction et de l’éducation du peuple, par des lois d’assistance et de solidarité sociale que lui sera ouverte la voie qui la conduira vers l’émancipation intégrale » (ibid.), formules traditionnelles du radicalisme plus que du socialisme révolutionnaire.

L’action du député Lamendin fut à l’image des promesses du candidat. Après avoir appartenu, à ses débuts, à quelques commissions secondaires, il siégea pendant les huitième et neuvième législatures à celles de l’Amnistie et du Travail, et durant les dixième et onzième à la commission des Mines. Son souci fut toujours de réalisations immédiates, de réformes pratiques. Sa sollicitude allait aux syndicats, aux ouvriers et d’abord à ses mandants directs, les travailleurs de la mine. Presque tous ses actes législatifs les concernent, hormis une intervention en faveur des bouilleurs de cru, le 27 février 1906. Il déposa ses principales propositions de loi en collaboration avec Basly. Le 29 mars 1892, il suggéra d’étendre la compétence des délégués à la sécurité des ouvriers mineurs. Le 21 décembre 1895, il proposa une modification de la loi du 29 juin 1894 sur les caisses de secours et de retraites des ouvriers mineurs dans le but d’améliorer l’institution et d’accroître les responsabilités des intéressés. Le 12 novembre 1895, il proposa d’assouplir les modalités administratives et répressives prévues par la loi du 21 mars 1884 sur les syndicats. Le 3 décembre 1902, il rapporta en faveur de l’amnistie pour faits de grève. Les 9 juin 1894, 19 décembre 1895, 5 novembre 1905 et 25 janvier 1906, il intervint dans les débats sur les caisses de secours et de retraites des mineurs ; les 13 mars et 28 octobre 1897, 23 mai et 3 juin 1901 sur les accidents du travail, le rôle des délégués des mineurs à la sécurité et les responsabilités que doit encourir l’employeur. Le 21 janvier 1902, il plaida pour la diminution de la durée du travail dans les mines.

Pendant la guerre, Lamendin soutint jusqu’au bout la politique d’union sacrée inaugurée par le Parti socialiste en août 1914, alors même que celui-ci s’en éloignait. Il ne devait pas survivre longtemps à la guerre et à la fin de sa vie politique.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article115630, notice LAMENDIN Arthur par Justinien Raymond, version mise en ligne le 24 novembre 2010, dernière modification le 1er février 2019.

Par Justinien Raymond

SOURCES : Arch. Ass. Nat., dossier biographique. — Hubert-Rouger, La France socialiste, op. cit., p. 366 et Les Fédérations socialistes II, op. cit., pp. 428 à 453, passim. — Christian Gras, Fourmies, DES, Paris, 1956, 150 p. (p. 2). — Marcel Gillet, « L’affrontement des syndicalismes ouvrier et patronal dans le bassin houiller du Nord et du Pas-de-Calais de 1884 à 1891 » (Communication devant la Société d’Histoire Moderne, séance du 7 avril 1957, suivie d’une discussion : in Bulletin de la Société d’Histoire Moderne, 56e année, 12e série, n° 2, mars-avril 1957, pp. 7 à 10. — Enquête à la mairie de Liévin et auprès de M. le député maire de la ville.

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