LANDRIEU Philippe, Émile, Stéphane

Par Justinien Raymond

Né le 15 mai 1873 au Havre (Seine-Inférieure), mort le 18 avril 1926 à Paris ; chimiste ; militant socialiste ; coopérateur ; administrateur de l’Humanité.

Philippe Landrieu naquit d’un père négociant dans une famille bourgeoise, protestante et républicaine. Après avoir conquis son baccalauréat au lycée du Havre, il vint à Paris poursuivre ses études à l’Institut agronomique, puis à la faculté de médecine, et finalement s’orienta vers la physique et surtout vers la chimie. Il occupa jusqu’à la fin de sa vie le poste de préparateur au Collège de France où il travailla aux côtés de maîtres tels que Berthelot, Charles Moureu et Paul Langevin.

Au lycée du Havre déjà, il avait été gagné par les idées socialistes. À Paris, en 1894, il fut un des promoteurs du groupe des étudiants collectivistes. Avec quatre camarades venus comme lui du lycée du Havre, dont Georges Fouquet, il constitua un petit groupe communautaire que leurs amis appelaient le « Phalanstère ». (J. Longuet, op. cit., p. 210) et qui fut, comme la cellule-mère du groupe, des étudiants collectivistes. Les orateurs et conférenciers que ce dernier appelait à la salle de la rue d’Arras, puis aux Sociétés savantes : Jean Jaurès, Lafargue, Vandervelde et bien d’autres, étaient invités à la table du Phalanstère.

Aucun impératif social n’avait pu cependant conduire au socialisme ce jeune fils de la bourgeoisie à qui ses origines et de brillantes études réservaient un avenir tranquille. À aucun moment de sa vie, jusqu’à l’heure de son choix, il n’avait été mis en contact avec la classe ouvrière. Mais, naturellement ouvert aux aspirations démocratiques par ses origines républicaines, il alla jusqu’au socialisme, force nouvelle et jeune comme lui, entraîné, lui, protestant et intellectuel, par des impératifs moraux et les appels de l’idéal. Avec quelques proches amis, comme mû par une réaction de jeune bourgeois contre le monde qu’il rejetait, et par un besoin de justification d’intellectuel, il adhéra au POSR, c’est-à-dire à la secte « ouvriériste » du mouvement socialiste, au parti qui n’accueillait qu’avec méfiance ceux qui n’étaient pas des travailleurs manuels et les tenait toujours en haleine par la suspicion qu’il faisait peser sur eux. À point nommé, comme pour le confirmer dans la voie choisie, éclata l’Affaire Dreyfus, lutte politique et sociale certes, mais sublimée en une bataille d’idées, de principes, où le protestant, l’intellectuel socialiste qu’était Landrieu reçut comme le baptême du feu. Jeune alors, il combattit dans l’ombre, mais on devine combien dut le fasciner, au premier rang, Jean Jaurès, auquel plus tard le lia une longue et étroite collaboration. Cette première bataille allait être gagnée lorsque, le 15 janvier 1899, Ph. Landrieu s’associa à une autre entreprise d’intellectuels socialistes, le lancement de la revue Le Mouvement socialiste. Sous la direction d’H. Lagardelle qu’il avait connu aux Étudiants collectivistes, Landrieu en fut non seulement un des collaborateurs les plus assidus, mais aussi l’administrateur avisé, donnant pour la première fois la mesure de ses qualités d’organisateur.

Cet intellectuel, cet homme de science avait, en effet, dans la vie, le sens du réel, le goût des réalisations concrètes. Il en témoigna dans le mouvement coopératif. Il s’y donna, au début du siècle, avec d’autant plus d’ardeur qu’il y trouvait un dérivatif aux luttes, aux polémiques pour lesquelles il n’avait aucun goût et qui, alors, dressaient l’un contre l’autre le Parti socialiste de France et le Parti socialiste français, avec lequel marchait sans s’y absorber son parti, le POSR. Landrieu se fit un théoricien du mouvement coopératif auquel il attribuait, comme à l’action syndicale et à la mutualité, une grande importance dans la préparation d’une société nouvelle. À cette époque de désunion socialiste, il le voulut politiquement neutre, indépendant des partis. Mais il fut aussi un coopérateur militant. Il collabora à la fondation d’une « Boulangerie socialiste », c’est-à-dire coopérative. Militant de la Confédération des coopératives socialistes et ouvrières de France, il travailla à mettre sur pied, en septembre 1906, leur Magasin de Gros dont la création avait été décidée au congrès de Nantes, en 1905. Dans ce milieu aussi, Landrieu rejetait la division et il fut un des artisans de l’unité coopérative réalisée en 1912 dans la Fédération nationale des Coopératives de consommation, par la fusion des coopératives socialistes et de l’Union coopérative de France.

Il appartenait alors depuis sept ans au Parti socialiste SFIO et s’il souhaitait toujours l’autonomie des deux mouvements, il ne redoutait pas leurs contacts, maintenant que, tous deux unifiés, ils lui semblaient majeurs. Dès avril 1904, c’est-à-dire dès la naissance de l’organe socialiste de Jean Jaurès, Philippe Landrieu assura, avec Marcel Mauss, la chronique coopérative à l’Humanité. Une très grande part lui en revint. Il fit de cette chronique le reflet fidèle d’un mouvement en expansion. Il rendait compte des congrès des coopérateurs en France et à l’étranger, il était attentif à toutes les formes de la coopération, coopératives de consommation de toute nature, pharmacies et meuneries coopératives, etc.

Soucieux de l’indépendance financière et de la probité de son journal, après l’expérience fâcheuse de La Petite République où finit par s’abriter un bazar plus ou moins louche, Jean Jaurès souhaitait un administrateur averti qui fût aussi un militant et qui lui assurât un organe indépendant des puissances financières, mais fidèle expression du parti : il avait choisi Jean Donier qui mourut avant d’avoir pu occuper ce poste de confiance. Philippe Landrieu y fut appelé. Il fit vivre le journal, le sauva de graves périls financiers et contribua, pour une large part, à en faire l’organe qu’il était à la veille de la Première Guerre mondiale. Il fut, pendant dix ans, le collaborateur assidu de Jean Jaurès aux côtés duquel il se trouvait au soir tragique du 31 juillet 1914. Il passait la matinée à son laboratoire ; l’après-midi, et souvent tard dans la nuit, il assurait la vie administrative du quotidien socialiste.

C’est que Landrieu était resté fidèle aux exigences de conscience de sa jeunesse militante. Il détestait les politiciens arrivistes. Dans un mouvement qui n’en manquait pas, il se refusa à faire figure d’un intellectuel en quête de mandats. Jamais il n’accepta une candidature quelconque, jusqu’en 1919 où il figura, sans chance de succès parce que inconnu du grand public et au dixième rang, sur la liste de quatorze candidats socialistes dans la 3e circonscription de la Seine (rive gauche et XVIe arr.). Néanmoins, avec 42 074 voix sur 254 182 inscrits et 186 015 suffrages exprimés, il dépassa la moyenne de sa liste (41 863) et n’était qu’à 21 voix du dernier de ses trois élus.

Membre du Comité pour la reconstruction de l’Internationale, signataire du Manifeste paru dans la presse avant le congrès de Tours (décembre 1920), il adhéra avec la majorité à la IIIe Internationale. Le 22 janvier 1921, à l’assemblée générale des actionnaires de L’Humanité, Landrieu, qui détenait les actions appartenant au Parti social-démocrate allemand, vota pour le passage du journal au parti majoritaire et resta administrateur du journal. Il abandonna rapidement cette responsabilité mais fut un temps administrateur de L’Internationale. L’Humanité du 18 janvier 1923 annonça l’exclusion par le Comité directeur de 86 signataires de la déclaration du Comité de défense communiste, dont Philippe Landrieu.

La nécrologie parue dans Informations internationales rappela, non sans amertume, que son choix de janvier 1921 avait fait perdre L’Humanité au Parti socialiste SFIO.

L’Humanité du 2 février 1922 avait annoncé le décès de son frère, Marcel, médecin, directeur de l’Institut d’hygiène de Metz : « Bien qu’il n’appartînt pas au parti, il avait conservé toutes les idées de sa jeunesse du temps où il était membre du groupe des Étudiants collectivistes dont il fut un moment le secrétaire et où il participa à la fondation du Mouvement socialiste. »

Des malheurs privés s’étaient ajoutés à l’isolement dans lequel il se trouvait au début des années vingt et dont souffrit cette « âme douloureuse et tourmentée » que cachaient l’« apparence froide et railleuse », le ton volontiers « rabelaisien » (J. Longuet, op. cit., p. 213) de ce Normand d’apparence robuste et qui, pourtant, allait disparaître prématurément et volontairement.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article115732, notice LANDRIEU Philippe, Émile, Stéphane par Justinien Raymond, version mise en ligne le 24 novembre 2010, dernière modification le 2 février 2019.

Par Justinien Raymond

ŒUVRE : Ph. Landrieu collabora au Mouvement socialiste et à L’Humanité de 1904 à 1923.

SOURCES : Hubert-Rouger, La France socialiste, op. cit., p. 155 et Les Fédérations socialistes III, op. cit., p. 156. — Pierre Renaudel, La Vie socialiste, 15 avril 1926. — Jean Longuet, « Philippe Landrieu » in La Nouvelle Revue socialiste, 1re année, n° 6, 15 mai-15 juin 1926, pp. 209 à 213. — L’Humanité, passim, notamment 31 octobre et 12 décembre 1904, 14 février 1905. Arch. PPo., novembre 1921, non classé. — L’Humanité, 1921-1922. — Informations internationales, n° 19, 13 mai 1926. — Notes de M. Dreyfus et Jacques Girault.

ICONOGRAPHIE : Encyclopédie socialiste, op. cit.

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