LAURENT Augustin

Par Justinien Raymond

Né le 9 septembre 1896 à Wahagnies (Nord), mort le 1er octobre 1990 à Lille ; ouvrier mineur ; secrétaire de mairie ; élu socialiste du Nord, député et ministre.

Augustin Laurent à vingt ans
Augustin Laurent à vingt ans

Inscrit à l’état civil sous le nom de sa mère, fille aînée des neuf enfants d’Augustin Lemarre, maçon, et de sa femme Sophie, le jeune Augustin ne fut légitimé qu’au retour du service militaire de son père Arthur Laurent. Petit-fils d’un maçon déjà gagné à la cause socialiste du côté maternel, il est aussi petit-fils et fils de mineur de Wahagnies du côté paternel. Après de bonnes études élémentaires jusqu’au Certificat d’études primaires avec mention, il exerça des petits métiers successifs avant de descendre au fond de la mine de quatorze à dix-huit ans.

Il embrassa la cause socialiste par tradition familiale : son père, Arthur Laurent, fut maire de Wahagnies ; son frère Marceau Laurent, le sera après la Seconde Guerre mondiale. Augustin Laurent adhéra, en 1912, à la section de Wahagnies du Parti socialiste SFIO. Pacifiste mais patriote à la manière d’Édouard Vaillant, il s’engagea en août 1914 au 43e régiment d’infanterie. Versé au 3e régiment de zouaves, il reçut le baptême du feu sur l’Yser en août 1915 et passa 46 mois sur le front d’où il revint avec la Croix de guerre. Jusqu’à la victoire, il pensa que les socialistes devaient soutenir l’effort de guerre du pays. Il redoutait, en cas de victoire allemande, l’annexion du Nord de la France qui l’aurait chassé de sa terre natale et, s’il condamnait la paix séparée signée par le gouvernement bolchevik à Brest-Litovsk en 1917, ce n’était pas seulement parce qu’elle confortait l’Allemagne contre la France mais aussi parce que, en cas de victoire à l’Ouest, l’Allemagne pouvait, par une volte-face à l’Est, écraser la Révolution russe.

Démobilisé en 1919, Augustin Laurent se vit confier le secrétariat de la section socialiste de Wahagnies, qu’il assura jusqu’en 1925. Il contribua largement au succès socialiste lors des élections municipales du 30 novembre 1919 qui firent de son père le maire de Wahagnies. Il devint secrétaire de mairie. Augustin Laurent se prononça résolument contre l’affiliation à la IIIe Internationale. Dans le combat qu’il mena dans le Nord et dans le Pas-de-Calais, il s’appuyait sur les positions de K. Kautsky, d’Émile Vandervelde, leader belge de la IIe Internationale, et surtout de Rosa Luxembourg qui, après avoir combattu la politique de guerre de la social-démocratie allemande, dénonçait les dangers d’un régime politique coercitif, policier, sans démocratie, par le maintien d’une dictature permanente, fût-elle dite « de classe ». Grâce à un travail d’organisation dont Laurent fut un des artisans, la Fédération socialiste du Nord, d’abord très éprouvée par la scission de Tours (décembre 1920), ne tarda pas à reconquérir, contre le Parti communiste, une large audience ouvrière qui pesa d’un grand poids dans la vie du Parti socialiste. Tout naturellement, il ne tarda pas à en prendre la tête. En 1927, à la demande de J.-B. Lebas et de R. Salengro, il laissa la mairie de Wahagnies pour le secrétariat administratif de la Fédération du Nord : son action fut désormais centrée sur la capitale flamande et, en 1929, il s’installa près de Lille, à Fretin. Sous son impulsion, la section socialiste locale donna à son combat une forte orientation culturelle. Après un échec en 1927, Laurent remporta en 1931 son premier succès électoral : élu conseiller général du canton de Pont-à-Marcq, il conserva ce mandat pendant trente-six ans. Aux élections législatives de 1932, dans la 2e circonscription de Douai (Nord), il rassembla 3 096 voix sur 24 172 inscrits. Son désistement assura l’élection du communiste Arthur Ramette avec lequel il tint, à Hellemmes, le 7 juillet 1934, le premier meeting de Rassemblement populaire dans le Nord. En 1935, il conduisit une liste socialiste à la conquête de la mairie de Fretin : il fut seul élu.

Aux élections législatives de 1936, la Fédération du Nord présenta Augustin Laurent dans la 6e circonscription de Lille (canton de Pont-à-Marcq, de Seclin et de Cysoing). En tête au premier tour, il obtint 8 750 voix sur 23 477 inscrits, devant le député sortant Desprez, gauche radicale (7 666), Durot, PC (3 372) et Roussel, démocrate-populaire (1132). Au second tour, Laurent battit Desprez par 11 989 voix contre 9 169. Préoccupé avant tout de problèmes sociaux, il siégea aux commissions de la Législation civile, du Travail, des Assurances et de la Prévoyance sociale. Il fit ses débuts à la tribune de l’Assemblée au lendemain de la grève générale du 30 novembre 1938 en dénonçant la politique de réaction sociale et la fausse politique de paix du gouvernement Daladier. Le 10 juillet 1940, il ne put assister à l’Assemblée nationale de Vichy mais il fit savoir sur-le-champ que, présent, il aurait, avec les quatre-vingts opposants, refusé les pleins pouvoirs au maréchal Pétain : ceux qui le connaissaient n’en pouvaient douter.

Il fut un résistant de la première heure, actif et courageux, dans un réseau dont son fils était agent de liaison. Il créa successivement deux journaux clandestins, L’Homme libre et La IVe République. Dans la « zone interdite », la plus durement soumise à la botte de l’occupant, il travailla à la reconstitution du Parti socialiste et il appartint à son comité exécutif. A la fin de 1941, il renoua les liens internationaux en organisant, sous le couvert d’une conférence archéologique, à Bouillon-sur-Meuse, en Belgique, une rencontre entre délégués socialistes belges, français et hollandais à laquelle il participa avec Victor Provo, Just Évrard, Albert Van Wolput, Florimond Lecomte et André Pantigny. Les Belges avaient délégué Piot, Arthur Hauleau et Vanderbeken. Augustin Laurent soumit à ses compagnons un manifeste aux travailleurs européens qu’il avait rédigé avec Jean Piat. Cette réunion eut des suites, à Lille puis à Roubaix. Mais cette activité était périlleuse. Prévenu par les Renseignements généraux de Lille qu’il allait être arrêté, Laurent franchit les lignes de démarcation et, en zone non occupée, s’enrôla dans le réseau Brutus d’Eugène Thomas. A Lyon, en 1942, il siégea au comité politique de « Libération-Sud » puis, après l’arrestation d’Eugène Thomas, il prit la tête du réseau « La France au combat ». Pour se consacrer à sa région, il renonça en 1943 à représenter le Parti socialiste au Conseil National de la Résistance (CNR) au bénéfice d’André Le Troquer.

Au cours de va-et-vient de la zone non occupée à la zone interdite du Nord, au travers de la zone occupée, Laurent assura liaisons, transmissions d’ordres, renseignements, tout en participant à la rédaction, au tirage et à la diffusion de journaux clandestins. A dater de janvier 1944, il resta dans la région lilloise, porta une barbe drue et changea souvent de domicile. La mise à prix de sa tête ne l’intimida pas : il prit une part prépondérante aux travaux du comité départemental de Libération dont il était président depuis la fin de 1943. A l’heure de la victoire, à la tête des FFI, il prit possession de l’hôtel de la préfecture au nom de la République. C’est sous son impulsion que, au jour de la Libération, le journal démocrate socialiste Nord-Matin sortit des presses du Réveil du Nord condamné à disparaître pour fait de collaboration. Augustin Laurent allait bientôt, pour un temps, accéder à des fonctions à l’échelle nationale, mais sans renoncer à sa ville de Lille et à sa région du Nord.

En 1944, à la Libération, Augustin Laurent prit en main la Fédération socialiste du Nord. C’est volontairement qu’il abandonna en 1967 la fonction de secrétaire général, en acceptant, jusqu’en 1972, le titre, créé pour lui, de président. En septembre 1944, il devint ministre des PTT dans le gouvernement du général de Gaulle. En 1946, il fut ministre dans le gouvernement de Léon Blum. Devenu en 1945 président du conseil général du Nord, il réalisa l’alimentation en eau potable de plus de 400 communes. En 1967, il renonça à présider l’assemblée départementale en prévision de la création de la Communauté urbaine de Lille (89 communes) à la présidence de laquelle le Parti socialiste le destinait et qu’il occupa jusqu’en 1971, date à laquelle lui succéda Arthur Notebart. Il siégea au Comité directeur du Parti socialiste, à l’Assemblée nationale, élu aux deux Constituantes et à la première assemblée de la IVe République. En 1951, il renonça volontairement à la vie parlementaire, malgré les offres de candidature que ses camarades socialistes lui firent par la suite.

Augustin Laurent passa près de vingt ans à la tête de la mairie de Lille : il la conquit en 1955 et la conserva après une belle victoire sur la liste UDR de François-Xavier Ortoli. Il administra Lille avec une majorité de « 3e force ». S’il siégea au conseil municipal jusqu’en mars 1977, il déposa volontairement son écharpe de maire en 1973. « A un certain âge, il faut savoir s’arrêter et laisser la place aux plus jeunes », déclara-t-il le 8 janvier, en annonçant sa démission. Il laissait la mairie à Pierre Mauroy. Au congrès d’Épinay (1971), Augustin Laurent prit une part décisive au choix du nouveau Parti socialiste en apportant les voix de la Fédération du Nord à François Mitterrand, adhérant ainsi à la stratégie d’Union de la gauche. Il était très représentatif de ce socialisme du Nord, de tradition guesdiste, qui a nourri dans les luttes fratricides vécues depuis 1920 un anticommunisme sans concession mais qui, pour lui, ne devait jamais conduire à déserter le camp des défenseurs de la classe ouvrière. Il l’avait montré éloquemment le 23 novembre 1948 à la tribune de la Chambre des députés, à propos des grèves dans les Charbonnages du Nord et de la répression qu’elle suscita de la part d’un gouvernement à participation socialiste : il dénonça les « responsables de la CGT » et les « staliniens du PC » mais prit la défense des revendications des mineurs.

Dans la vie intérieure du Parti socialiste SFIO, Augustin Laurent savait à l’occasion s’ériger en arbitre. Quand, en 1946, un fort courant enleva le secrétariat général à Daniel Mayer et ébranla le magister intellectuel de Léon Blum, il soutint ces derniers contre Guy Mollet. Il ne refusa pas son appui à ce dernier parvenu contre lui-même au secrétariat général du parti (16 voix contre 14, au Comité directeur). C’est l’étroite collaboration entre ces deux hommes et les deux fédérations du Nord et du Pas-de-Calais qui fut à l’origine cette politique « molletiste » faite de « principes révolutionnaires » toujours affirmés en théorie et de « pratique réformiste constante ». En 1953, Laurent, s’appuyant sur une décision du parti réuni en congrès, se prononça, avec une minorité du groupe parlementaire socialiste (50) pour une Communauté européenne de défense (CED) alors qu’une majorité (53) se comptait parmi les opposants : après le vote, il s’appliqua à panser les plaies et à préserver l’unité. Mais il sut aussi dire non : non à Guy Mollet, lors de l’affaire de Suez, non à Gaston Defferre dont il combattit le projet de « grande fédération » en 1965, au nom de l’unité du Parti socialiste. « Nous n’avons pas le goût de l’aventure » s’exclama-t-il.

Augustin Laurent apparait comme « l’antiportrait du politicien traditionnel » qui vise mandat après mandat, fait le vide autour de lui, ne songeant qu’à écarter les successeurs possibles. Ministre, il a préféré s’occuper de la Fédération socialiste du Nord. Député lillois, il a voulu, dans l’intérêt du parti, laisser son siège à un roubaisien. Président du conseil général, il a cédé son canton pour mieux mettre en place la Communauté urbaine de Lille. Maire de Lille, il « n’a pas voulu attendre que ses forces s’endorment sous le beffroi et, pour assurer l’avenir », il a fait appel à un jeune dauphin venu d’ailleurs. La vie d’Augustin Laurent est une belle revanche sur la naissance et l’inégalité sociale. Lui, qui a connu Jean Jaurès et Jules Guesde, qui fut le continuateur de Delory, Lebas et Salengro, ne s’est jamais départi d’une réserve et d’une modestie naturelles.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article116356, notice LAURENT Augustin par Justinien Raymond, version mise en ligne le 24 novembre 2010, dernière modification le 8 octobre 2018.

Par Justinien Raymond

Augustin Laurent à vingt ans
Augustin Laurent à vingt ans
Augustin Laurent à la tribune
Augustin Laurent à la tribune

SOURCES : Arch. Ass. Nat., dossier biographique. — J. Jolly, Dictionnaire des parlementaires, tome VI, p. 2155. — G. Lachapelle, Les élections législatives de 1932 et de 1936.Le Nouvel observateur, 27 mai 1965. — Le Monde, 29 juin 1967 et 10 janvier 1973. — 25 ans au service de la population du canton de Pont-à-Marcq, brochure, 1954. — Juin 1953-janvier 1959 : bilan municipal de Lille.Gens du Nord, ceci vous intéresse ; bilan des réalisations du conseil général, 1964. — Bernard Vanneste, Augustin Laurent ou toute une vie pour le socialisme, Lille, 1983. — Enquête auprès d’Augustin Laurent en 1977. — Augustin Laurent. Le défenseur de l’unité du parti socialiste, Nord demain, supplément au n° 180, octobre 1991.

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