LAURENT Pierre, François. Pseudonyme : Pierre-Laurent DARNAR

Par Guillaume Bourgeois

Né le 31 mai 1901 à Fontenay-le-Comte (Vendée), mort le 25 mai 1979 à Paris (XIIIe arr) ; professeur d’histoire-géographie ; membre des Jeunesses communistes (Lyon), dirigeant communiste dans les Vosges puis dans la région lyonnaise ; journaliste, secrétaire général et rédacteur en chef adjoint de l’Humanité (1931-1939) ; rompt avec le PCF pendant son internement sous l’Occupation ; résistant ; directeur politique du Dauphiné libéré.

Pierre Laurent naquit dans une famille d’enseignants. Son père, Théophile Laurent, était un homme d’origine modeste qui avait réussi à devenir professeur d’histoire-géographie puis principal de collège. Il avait rencontré son épouse, Lucienne Morlan, fille d’un inspecteur principal du primaire, tandis qu’ils enseignaient tous deux à Fontenay-le-Comte. Leur fils Pierre y vit le jour avant de suivre ses parents au gré de leurs affectations : dans la Vienne à Civray, puis dans la Haute-Marne à Wassy. Enfant, il fut blessé par un porte-plume à l’école et perdit l’usage de son œil droit.

Étudiant en histoire-géographie à la faculté des lettres de Lyon, il adhéra aux Jeunesses communistes, ce qui le brouilla pour un temps avec son père, haut dignitaire franc-maçon, qui désapprouvait cet engagement. Il devint, en 1921, professeur à l’école La Martinière de la ville de Lyon, avant d’enseigner à l’annexe Saint-Rambert du lycée Ampère de 1922 à 1924. C’est sans doute à Saint-Claude (Jura), où son père était devenu principal de collège, que le jeune homme fut définitivement acquis aux idées révolutionnaires : la Fédération socialiste du Jura jouait en effet un rôle pivot pour la réunification du socialisme français et l’unité d’action socialiste-communiste autour d’hommes comme Victor Bonnand ou René Nicod. Pierre Laurent contribuait à leur hebdomadaire, le Jura socialiste par de petites notes d’histoire et de géographie violemment anti-capitalistes signées « Laurian ».

Nommé professeur suppléant au lycée d’Épinal (Vosges), Pierre Laurent anima à partir de 1925 la cellule de Thaon-les-Vosges, prit la tête du rayon d’Épinal, s’imposa comme le dirigeant du PC du département et fonda l’organe régional communiste, La Lorraine ouvrière et paysanne, dans lequel il signa dès le n° 1 (4 décembre 1926) des papiers sous le pseudonyme de « Darnar », nom d’un parent de sa mère. Il prononça le 23 février 1927 un discours antimilitariste à l’occasion des obsèques d’un militant communiste et fut déplacé d’office à Saintes (Charente-Inférieure).

Il refusa cette mutation, décida de se consacrer exclusivement à l’action politique en s’installant à Nancy où il entra au secrétariat régional du PCF aux côtés de Vuillemin et devint gérant de l’hebdomadaire régional à la place d’ Antoine Tinette. Pierre Laurent écrivait déjà dans un style incendiaire qui attirait les poursuites judiciaires. Condamné en octobre 1928 à la prison et à une amende par le tribunal de Montmédy (Meuse) pour « provocation de militaires à la désobéissance dans un but de propagande anarchiste », il fut contraint de se réfugier dans l’illégalité et s’installa à Lyon où il joua un rôle prépondérant à la rédaction de l’organe communiste local Travail et renforça la direction locale du PC. Toujours rédacteur en chef de La Lorraine ouvrière et paysanne et candidat de principe lors des élections cantonales dans la région, Pierre Laurent fut arrêté chez un militant communiste de Saint-Étienne (Loire), le 31 juillet 1929, au cours des perquisitions qui précédèrent la journée d’action contre la guerre impérialiste du 1er août. Il passa le 20 août 1929 devant le tribunal correctionnel de Nancy et fut condamné le 27 suivant à un an de prison. La Lorraine ouvrière et paysanne organisa une longue campagne contre sa détention, publiant chaque semaine à la une un appel à son sujet, insistant sur son état de santé précaire : il était, en effet, affecté d’une infection ganglionnaire.

Son incarcération à la prison Charles-III de Nancy joua un rôle essentiel dans l’ascension du cadre communiste Darnar. Il y rencontra Maurice Thorez, arrêté quelques semaines plus tôt à l’occasion de la réunion du Comité central à Achères (Seine-et-Oise) et les deux hommes se lièrent d’une amitié sincère tout en assurant l’éducation doctrinale de leur codétenus du quartier politique (cf. P. Robrieux, op. cit., pp. 112-117). Maurice Thorez admirait en lui l’intellectuel militant, complétait ses connaissances historiques et partageait ses réflexions sur la vie du parti. Darnar l’incita à payer, le 16 avril 1930, l’amende de 500 F qui devait lui permettre de recouvrer la liberté et reprendre pied dans la direction du PC : Maurice Thorez engagea de son côté Darnar à venir le rejoindre à Paris dès sa sortie de prison. Les mois suivants allaient être des plus favorables : les directives de L’Internationale propulsaient, en juillet 1930, Thorez au secrétariat ; Darnar gagnait Paris comme convenu en septembre pour être coopté à l’Agit-prop centrale.

Darnar écrivit d’abord des articles théoriques dans les Cahiers du Bolchevisme puis entra à l’Humanité au début de 1931 en tant que rédacteur social puis parlementaire. Il remplaça de fait F. Bonte dès son départ en juillet 1931. Secrétaire général de la rédaction à partir de 1933, chef du service politique en 1935, il devint en 1937 rédacteur en chef adjoint, conjointement avec Lucien Sampaix. Il avait mis d’emblée ses talents au service du style nouveau voulu par son rédacteur en chef, Paul Vaillant-Couturier. Polémiste remarquablement informé, professionnel du journalisme, il devint bientôt l’une des signatures de la presse parisienne. Georges Cogniot, successeur de Paul Vaillant-Couturier, a dit de Darnar qu’il « écrivait bien, même brillamment, les papiers qu’il signait, mais ceux-là seulement, et il négligeait complètement l’obscure et anonyme « cuisine » du journal (op. cit., p. 396). Reste que l’Humanité gagna de nombreux lecteurs grâce aux tollés que soulevèrent les enquêtes de Darnar, au succès des brochures qui en furent extraites (celle consacrée, en 1934, à Tardieu, dépassa en trois semaines le chiffre record de 100 000 exemplaires)... Darnar fut aussi le premier grand reporter communiste et voyagea sur tous les continents : parti, par exemple, en mai 1938 pour les États-Unis, il y interviewa Roosevelt avant de gagner le Tonkin, le Siam, la Chine où il rencontra Jiang Jieshi... et revint à Marseille en octobre par le djebel druze.

À l’écart des obligations de représentation du PC depuis les élections législatives de 1932 (il avait été battu dans la 9e circonscription de Saint-Denis), Darnar vivait à l’écoute du Bureau politique, exprimait quotidiennement la ligne de sa plume au vitriol, non sans un rien de hauteur face aux événements et, peut être déjà une certaine distance vis-à-vis des hommes. De taille moyenne, le regard vif derrière des lunettes cerclées, volontiers dilettante quoique profondément rigide, il étonnait par son intelligence et sa retenue toute ecclésiastique.

La tâche lui incomba d’expliquer l’événement qui secoua le plus fortement le PCF dans tout son histoire : le Pacte germano-soviétique du 23 août 1939. Il dut faire contre-feu, seul parmi d’introuvables dirigeants, à la réaction qui soulevait le monde politique et l’opinion publique, et qui aboutit trois jours plus tard à la suspension du quotidien communiste (Cf. son témoignage in Tasca, op. cit.). Darnar se fit ensuite plus discret pour tenter, avec Gabriel Péri, de défendre les positions du PC face aux grandes évolutions de la politique mondiale dans des organes comme La Vie ouvrière ou Regards, largement censurée puis interdits... Il rencontra Maurice Thorez dans son cantonnement à la mi-septembre afin de définir une nouvelle politique de publication : le PC devant être dissous peu après, on se replia vers une presse clandestine. Victor Michaut a expliqué dans le n° 11 des Cahiers d’histoire de l’Institut Maurice Thorez (1975) comment Sampaix, Péri, Darnar et lui-même élaborèrent le contenu des premières Humanité ronéotypées à Montreuil.

Clandestin lui-même et confronté aux défaillances d’un appareil désorganisé, Darnar se réfugia à Versailles où des amitiés à l’Éducation nationale lui avaient procuré un poste à l’École d’arts et métiers Jules-Ferry, sous un nom tronqué. Il fut arrêté et transféré dès le 19 décembre 1939 à la maison de repos des travailleurs de Baillet (Seine-et-Oise) où étaient internés la plupart des militants communistes de la région parisienne dont Racamond, Jean Duclos, Raynaud, Renaud Jean. Les prisonniers de Baillet furent évacués au printemps 1940 et certains, dont Darnar, transférés à l’île d’Yeu où il fut gravement blessé au ventre à coups de crosse et où il reçut une balle dans le genou. Darnar fut livré en août 1940 par les Allemands à la police française qui le transféra à la prison de la Santé avec d’autres camarades dont Raymond Gardette. Il fut ensuite conduit au camp d’Aincourt (Seine-et-Oise) dans un état d’extrême faiblesse : il y retrouva six-cents internés, presque tous communistes.

Bien intégré dans la vie du camp et dans l’activité quotidienne de cours et de conférences aux prisonniers, Darnar se trouva isolé après qu’une centaine de cadres communistes furent transférés vers Fontevraud, Clairvaux et Châteaubriant. Il garda un contact cordial avec [Auguste Delaune, alors placé à la tête du Parti à Aincourt, mais se réfugia dans son quant à soi. Le commissaire Andrey, directeur du camp, notait en février 1941 à ce propos : « Darnar s’est détaché de la masse depuis qu’il doit la subir. » Séduit par sa personnalité, Andrey entreprit alors de le protéger en vertu de relations qui l’unissaient au père de Darnar. Lorsque Pierre Ginsburger/Villon arriva à Aincourt, Darnar travaillait au bureau d’accueil et bénéficiait d’un régime alimentaire de faveur en raison de sa santé fragile. La rupture de Darnar avec le Parti communiste prit alors la forme d’une brouille entre les deux hommes. Villon a affirmé dans ses mémoires (op. cit., p. 56) que l’ancien rédacteur en chef de l’Humanité s’était rallié aux partisans de Marcel Gitton : les sources indiquent, au contraire, qu’il se tint à distance des membres du POPF et qu’il fit la sourde oreille à leurs propositions de faciliter sa libération.

Darnar fut contraint par une note de service du 25 juillet 1941 à se rendre quotidiennement à la direction du camp pour copier les communiqués officiels. Il réalisa un journal mural et prit part aux débats qui éclatèrent dès les premiers attentats et les premières exécutions de l’été. Il désapprouvait le sacrifice des cadres du PCF dont certains avaient été ses très proches collaborateurs à l’Humanité. La presse clandestine du parti affirma, le 5 décembre 1941, que Darnar avait « écrit une lettre au journal du traître Déat, non pour s’élever contre les crimes de von Stülpnagel, mais pour désapprouver les actes commis contre les nazis » On ne trouve aucune trace de cette lettre dans l’Œuvre.

Darnar fut libéré le 8 février 1942 en compagnie d’un interné avec lequel il s’était lié, le député du Gard Auguste Béchard, et d’un troisième homme qui fut au dernier moment retenu par les autorités allemandes pour un motif technique, Alfred Vetter. Vetter et Darnar furent appelés le lendemain par la Gestapo pour entrer au quartier des otages : Vetter fut fusillé, Darnar en réchappa... Il pesait alors 38 kg, était en état de quasi-cachexie et presque aveugle. La procédure employée pour sa libération fut suivie par de nombreux militants : elle avait été inspiré par Henri Barbé, alors dégagé de toute appartenance politique, et avait reçu l’assentiment de Pucheu, ministre de l’Intérieur de Vichy. C’est sans doute Capron qui inspira la visite que Darnar et Henri Barbé rendirent à Marcel Cachin en Bretagne. Darnar a écrit à ce sujet : « Je suis allé voir Cachin en Bretagne avec de faux papiers fournis par les services secrets anglais pour le mettre au courant d’une nouvelle machination. Il fut d’ailleurs mis à l’abri quelques instants après... » (voir Cachin et Marcelle Hertzog, op. cit., pp. 236 et sq.). Ajoutons que l’Humanité du 7 décembre 1974 publia une réplique de Mmes Jacquier, Hertzog et de Charles Cachin, tous trois enfants du sénateur communiste, au ministre Poniatowski. Ils mettaient pêle-mêle en cause Barbé, Darnar, Capron et Clamamus et les accusaient d’avoir fabriqué une affiche par laquelle Cachin semblait apporter une caution morale aux autorités d’occupation. L’Humanité de janvier 1975 publia un démenti signé Darnar à propos de cette affaire.

Retiré à Ingré (Loiret) au domicile de ses parents, Darnar vécut sous haute surveillance jusqu’à son rétablissement puis retourna à Paris où il fut embauché dans un magazine. Il rejoignit en avril 1944 le réseau de résistance NNB (Nord-Normandie-Bretagne) rattaché à l’O.S. américain et auquel appartenaient déjà d’anciens communistes comme Vassart et Jerram. A la Libération, le PCF l’inclut sur une liste « d’espions », considéré comme traître depuis 1939 » et comme le « désorganisateur de la Résistance au camp d’Aincourt », Darnar échappa de justesse à l’exécution sommaire en août 1944 par des FTP parisiens.

Directeur de l’Annuaire diplomatique en 1945, rédacteur attaché à la direction de Paris-Matin et de Samedi-Soir (1945-1951), collaborateur de divers journaux (Images du monde, Cavalcade,...) secrétaire général de l’Intransigeant de 1947 à 1948, Darnar retrouva une fonction de premier plan en devenant rédacteur en chef du Dauphiné libéré en 1951, puis directeur politique et éditorialiste du quotidien grenoblois à partie de 1956. Il avait totalement quitté la scène politique et se contentait de conseiller au Mouvement européen des amis rencontrés dans la Résistance.

Pierre Laurent « Darnar » avait épousé, le 26 novembre 1925, Marie Lamy-Quique, s’était remarié le 12 juillet 1948 avec Jacqueline Dereix dont il divorça le 24 septembre 1958 pour épouser un mois plus tard Nicole Magnette. Il se consacra surtout à la critique littéraire après avoir marqué la presse de son temps. Il pourvoyait en livres les habitants de la petite ville de l’Oise où il s’était retiré. Sa santé faiblit dans le courant de l’année 1978, Il mourut à Paris le 25 mai 1979.

La bibliothèque d’Orry-la-ville port aujourd’hui le nom de Pierre Laurent-Darnar.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article116401, notice LAURENT Pierre, François. Pseudonyme : Pierre-Laurent DARNAR par Guillaume Bourgeois, version mise en ligne le 24 novembre 2010, dernière modification le 4 juin 2021.

Par Guillaume Bourgeois

ŒUVRE : Outre sa collaboration aux organes communistes cités, Darnar écrivit une demi-douzaine d’articles théoriques dans les Cahiers du Bolchevisme, et d’innombrables éditoriaux dans l’Humanité. Il est l’auteur de brochures : Ceux qui ont tué Doumer : La vérité sur l’affaire Gorgulov (Sous le pseudonyme d’Henry Franklin Marquet), La Constitution du Sacré collège, Tardieu (1934), Chiappe, un chef de bandits, toutes publiées aux éditions du Parti communiste. Il laisse un manuscrit inédit : Communiste à vingt ans.

SOURCES : Arch. Nat. F7/13117, rapport du 18 mars 1929. — Arch. PPo Jean Maitron. — Arch. Dép. Meurthe-et-Moselle 1 M 651. — Le Jura socialiste (1923-1924). — La Lorraine ouvrière et paysanne (1926-1930). — Travail, Lyon (1928-1930). — L’Humanité clandestine, n° 140 du 5 décembre 1941. — P. Robrieux, Thorez, vie secrète et vie publique, Fayard, 1975. — G. Cogniot, Parti pris, tome 1, Éditions sociales, 1976. — A. Tasca, Archives de guerre, Feltrinelli/CNRS, 1986. — P. Villon, Résistant de la première heure, Éditions sociales, 1983. — N. Ténine-Michel, « Le Camp d’Aincourt (Seine-et-Oise) », in Les communistes français de Munich à Châteaubriand (1938-1941), Presses FNSP, 1987. — État civil de Fontenay-le-Comte. — Papiers Darnar. — Renseignements recueillis auprès de l’intéressé et des témoins par G. Bourgeois.

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