Par Yves Le Maner
Né le 1er janvier 1885 à Tourcoing (Nord), mort le 30 août 1963 à Paris (XIVe arr.) ; fonctionnaire municipal, puis journaliste ; militant radical, puis socialiste, puis communiste du Nord ; secrétaire général (1920-1921) puis secrétaire (1922) de l’Union départementale CGT du Nord ; exclu du PC en 1923, militant à partir de 1926 d’organisations fascistes.
Fils d’un ouvrier rattacheur de textile, Henri Lauridan fréquenta l’école primaire du Calvaire à Tourcoing puis le lycée de cette ville, mais dut interrompre ses études l’année du baccalauréat pour venir en aide à sa nombreuse famille. Après avoir été apprenti boulanger, puis peintre en bâtiment, il décida de s’engager dans l’armée lorsqu’il fut appelé pour son service militaire. A l’expiration de son engagement, le 5 septembre 1909, il reprit son métier de peintre-décorateur, mais décida de poursuivre ses études grâce aux cours du soir. En 1910, il entra comme employé aux Archives du Nord, sur concours, puis, en 1912, il fut nommé bibliothécaire-archiviste à la ville de Tourcoing et participa peu après à la fondation du syndicat des travailleurs et fonctionnaires municipaux de cette commune. Sans être militant, il appartenait alors au Parti radical.
Mobilisé le 3 août 1914, Henri Lauridan passa près de cinquante-deux mois au front. Blessé à plusieurs reprises, cité, il fut déféré trois fois devant le conseil de guerre pour « propagande pacifiste » et cassé de ses grades acquis au feu. Libéré le 20 mars 1919 avec de simples galons de caporal et la Croix de guerre, il adhéra immédiatement au Parti socialiste SFIO et s’engagea intensément dans l’action militante. Élu secrétaire de la section socialiste d’Halluin (Nord), il entra au conseil municipal de cette localité ouvrière lors des élections de mai 1919 et fut nommé adjoint au maire, son mandat électif l’obligeant à démissionner de son emploi de bibliothécaire à la ville de Tourcoing. Remarqué pour ses qualité d’orateur et d’organisateur, il fut choisi comme secrétaire de la Bourse du Travail d’Halluin le 1er juillet 1919. Quelques jours plus tard, sortait le premier numéro du Réveil Socialiste, organe des sections socialistes de Tourcoing, Halluin, Roncq, Mouvaux et Bondues, dont il devint l’animateur, fournissant en tant que secrétaire de rédaction l’essentiel des articles. Ce journal soutint immédiatement la thèse de l’adhésion du Parti SFIO et de la CGT à la IIIe Internationale et son secrétaire de rédaction montra l’exemple dès le 19 juillet 1919 par un article au titre sans équivoque : « Tu seras bolcheviste. » La réplique des partisans du maintien au sein de la IIe Internationale fut immédiate : sur l’initiative de Roger Salengro et de J.-B. Lebas naissait Le Cri du Nord, organe officiel de la Fédération socialiste du Nord, dont le premier numéro fut diffusé le 28 juillet 1919. Lauridan refusa d’en être le correspondant pour Tourcoing, trouvant le journal « trop peu révolutionnaire » à son goût et entamant une vive polémique personnelle avec Salengro.
Délégué de la Bourse du Travail d’Halluin au congrès-conférence de la CGT réuni à Lyon en septembre 1919, Lauridan se plaça parmi les 324 minoritaires. L’année 1920 allait le porter au devant de la scène régionale avec la scission ouvrière. Un violent discours antimilitariste à l’occasion du 1er Mai le conduisit devant la cour d’assises de Douai et, quelques semaines plus tard, un arrêté préfectoral l’obligea à démissionner de son poste d’adjoint au maire d’Halluin. Cette affaire ne fit qu’accroître sa popularité et ce fut en leader des minoritaires qu’il se présenta au IVe congrès de l’Union départementale des syndicats du Nord, réuni à Dunkerque les 1er et 2 août 1920. Candidat à la succession de Saint-Venant, élu député, au poste de secrétaire général de l’UD, il devança, à la surprise générale, le candidat majoritaire, Désiré Bondues. Arrivé en tête au premier tour avec 64 voix contre 63 à son adversaire, Lauridan l’emportait au second avec 73 suffrages contre 64 après avoir bénéficié du report d’une part importante des 23 abstentions du premier tour. Ce succès très serré s’expliquait davantage par des données personnelles que par des options idéologiques. En effet, Lauridan avait profité indirectement de l’hostilité de certains majoritaires à la personnalité de Désiré Bondues. La position du nouveau secrétaire général était donc très délicate : minoritaire, il se trouvait à la tête de la deuxième UD de France par ses effectifs (près de 150 000 adhérents), flanqué d’une commission administrative restée aux mains des majoritaires et secondé au bureau par trois de ces derniers : Raux (secrétaire adjoint), Flament (trésorier) et Decock (trésorier adjoint).
Il prit officiellement ses fonctions le 1er septembre, abandonnant la direction du Réveil Socialiste qui cessa de paraître en octobre 1920. Évoluant avec une marge de manœuvre très réduite, Lauridan chercha tout d’abord à faire ses preuves d’administrateur en renforçant les structures de l’UD et notamment les caisses de grève. Lors du congrès extraordinaire de l’UD qui se tint à Lille le 12 décembre 1920 dans le but de modifier les statuts, il parvint à faire accepter la représentation proportionnelle des syndicats mais échoua dans sa tentative d’affiliation directe à l’ISR. A l’issue de cette réunion, les majoritaires lancèrent une campagne visant à discréditer Lauridan en le présentant comme un arriviste et en s’appuyant dans ce but sur des critiques émises par certains communistes dont Pierpont. En effet, ce dernier avait accusé Lauridan d’opportunisme politique dans un article paru dans Le Cri du Norddu 10 octobre 1920 et dans Le Prolétaire du 17 octobre, un autre dirigeant communiste, Guy Jerram avait rectifié plusieurs affirmations et prises de position du secrétaire général de l’UD. Ces attaques émises à la fois par les communistes et par les partisans du maintien de la « Vieille maison » étaient la conséquence du jeu subtil que menait alors Lauridan pour faire progresser les thèses minoritaires dans les syndicats du Nord et qui le conduisait à développer un véritable nuage de fumée idéologique. Ainsi, en janvier 1921, il fit l’objet d’un procès en règle au sein de la section communiste d’Halluin nouvellement créée : à Desmettre qui le taxait d’anarchisme il répondit en se définissant comme « syndicaliste anarchiste, plaçant le syndicalisme avant l’action politique et ne ralliant le communisme que sous bénéfice d’inventaire ». Cette irritation des amis politiques de Lauridan était consécutive au refus de l’intéressé d’appliquer les consignes de pénétration au sein des syndicats prônées par l’Internationale communiste. Mais les attaques les plus sérieuses provenaient de la direction de la Fédération socialiste : sous le pseudonyme d’Adrien Leblon, Roger Salengro prenait violemment Lauridan à partie dans Le Cri du Norddu 15 janvier 1921, dénonçant son « instabilité politique » et son rôle lors de la scission. Dans sa réponse publiée par Le Cri le 18 janvier, Lauridan tentait de sauver ses positions à la direction de l’UD ; il déclarait en effet souhaiter : « ...surveiller étroitement les « politiciens » qui depuis quelques mois sont venus empoisonner l’atmosphère communiste ». Mais, Salengro ne désarma pas et, dans Le Cri du Nord du 28 février 1921, il accusa son adversaire d’utiliser « illégalement » son titre de secrétaire général de l’UD dans des articles publiés par Le Réveil Social (hebdomadaire communiste de Maubeuge, dirigé par O. Sarot) et par l’Humanité. Les événements se précipitèrent alors avec la constitution accélérée des Comités syndicalistes révolutionnaires dans les principaux centres anciens du département du Nord. Le 15 juin 1921, au cours d’une réunion préparatoire au congrès annuel, le CA de l’UD vota un blâme au secrétaire général qui avait participé ouvertement à une manifestation du CSR de Roubaix. Les jours de Lauridan à la tête de l’UD étaient dès lors comptés. Le congrès, réuni à Lille le 26 juin 1921, s’acheva par un petit succès des majoritaires, mais le secrétaire général était parvenu à sauver provisoirement sa place en réaffirmant sa volonté de respecter le principe d’autonomie syndicale. Mais, le soir même du congrès, Le Prolétaire publiait un article de Lauridan, intitulé « Ma Poubelle » dans lequel ce dernier s’élevait contre les pratiques des majoritaires et accusait quelques-uns des dirigeants réformistes, dont Marpagès, d’être des indicateurs de police, pimentant ses attaques de quelques détails personnels. Il s’agissait d’une véritable provocation : les majoritaires décidèrent d’avancer au 7 juillet la réunion de la CA, initialement prévue pour le 16 juillet. Celle-ci vota un second blâme par 11 voix contre 5 et contraignit Lauridan à démissionner de son poste de secrétaire général de l’UD au soir du 6 juillet 1921, le majoritaire Raux étant chargé de l’intérim ; ce dernier céda sa place à Huyghe le 26 août.
Devenu dès lors l’animateur des CSR de la région lilloise aux côtés de Van den Nest, Lauridan entreprit de structurer la tendance minoritaire à la base. Élu au comité de grève du grand mouvement du Textile de Lille-Roubaix-Tourcoing qui paralysa l’agglomération nordiste du 1er août au 1er novembre 1921, il proposa, au nom des CSR, une grève révolutionnaire en opposition aux grèves corporatives préconisées par les majoritaires. Devant l’impossibilité de concilier ces deux positions, Lauridan tenta un coup de force : à partir du solide noyau de minoritaires du syndicat du Bâtiment de Tourcoing dont il était le délégué, il parvint à se faire élire secrétaire de la Bourse du Travail de Tourcoing le 31 octobre 1921. La réaction des majoritaires fut brutale. En effet, le 6 novembre, la CA de l’UD excluait en bloc la Bourse du Travail de Tourcoing, pour « indiscipline » (voir Delobelle). Ce rejet, qui touchait l’une des plus puissantes Bourses du Travail de l’UD (environ 19 000 adhérents) fut suivi d’une série d’exclusions de syndicats transformés en CSR et préluda à la scission définitive. Ce fut d’ailleurs à partir de la Bourse du Travail de Tourcoing que fut créée l’Union départementale CGTU du Nord, le 3 janvier 1922, dont Lauridan fut nommé secrétaire provisoire. L’intéressé avait alors ouvert un commerce de bonneterie à Tourcoing, mais il se consacrait en réalité entièrement à la propagande unitaire et communiste dans le Nord. Il ne conserva la direction de l’UD que pendant quelques mois et devint secrétaire de rédaction du Prolétaire devenu organe officiel de la Fédération communiste du Nord (voir Delourme Clotaire). Il y écrivit de nombreux articles sous son non ou sous le pseudonyme de Lamydan. Toujours en 1922, il demanda un passeport pour l’Allemagne, « pour affaires commerciales », le but réel étant une tournée de propagande dans ce pays, projetée par la Fédération du Nord. Il obtint par contre ce même document pour assister au congrès de l’Internationale communiste à Moscou en 1922 et en rapporta un reportage qui fut publié par Le Prolétaire à partir du 3 février 1923 sous le titre de « La Russie rouge ». Avant son retour en France, Lauridan avait participé, le 5 janvier 1923, à une réunion de militants syndicalistes communistes à Essen (Allemagne) destinée à étudier les mesures de résistances à une éventuelle occupation de la Ruhr par les troupes françaises, qui devait d’ailleurs se déclencher peu après, le 11 janvier 1923.
Ainsi, au début de l’année 1923, Lauridan apparaissait comme l’un des principaux leaders du PC et semblait promis à une carrière nationale. Or, quelques semaines après son retour, L’Enchaîné annonçait son exclusion du PC, sans précision. Il fallut attendre le numéro de L’Enchaînédu 21 août 1926 pour apprendre que l’ancien secrétaire de l’UD unitaire du Nord avait été exclu du PC « ...pour attaches suspectes avec la police et en particulier avec le chef de la police spéciale de la Préfecture du Nord ». L’étude attentive de la presse du Nord dans les années qui séparent la scission ouvrière de l’exclusion de Lauridan permet de reconstituer de façon assez sûre le mécanisme qui déclencha cette mesure apparemment surprenante. Déjà, dans un article paru dans Le Progrès du Nord du 22 juillet 1921, Mullier, l’un des participants au congrès de la Fédération des Transports réuni à Lille, avait accusé l’ex-secrétaire général de l’UD d’être un agent de la préfecture. Après une intervention de ce dernier, Mullier avait été exclu du congrès. Cette thèse fut reprise par plusieurs dirigeants majoritaires, et notamment par Dhondt qui l’accusa en outre de complicité avec le Consortium du Textile lors de la grève d’août-novembre 1921. Lauridan eut alors beau jeu de réduire ces attaques à des manœuvres déloyales visant à le discréditer personnellement pour porter atteinte aux thèses des minoritaires. Après l’échec du mouvement, le procès fut repris par La Bataille Ouvrière, journal de la section socialiste de Roubaix, qui voyait en Lauridan un agent provocateur. Cette thèse fut aussi rapportée, en détail, dans une brochure intitulée « La grève du textile dans le Nord, son historique, ses documents, ses conséquences », rédigée par Gaston Guiraud, Eugène Morel et Georges Dumoulin.
D’abord restreinte aux milieux socialistes, la mise en accusation de Lauridan trouva bientôt écho parmi les communistes ainsi que l’atteste la publication dans Le Prolétaire du 18 février 1921 d’une lettre de Joseph Huyghe, secrétaire général de l’UD confédérée, adressée à Peyer, directeur du journal communiste.
Reprenant les accusations antérieures quant aux liaisons de l’intéressé à la police spéciale et au Consortium, Huyghe faisait état de malhonnêtetés relevant du droit commun qui auraient été la cause véritable de sa démission de la mairie de Tourcoing en 1919 ; il concluait, prophétiquement, « ...ce parti (le PC), il le trahira comme il a toujours fait ». L’explication des liens étroits que Lauridan entretint très vraisemblablement avec la police spéciale se trouve peut-être dans un rapport de 1921 du sous-préfet de Douai au préfet du Nord (Arch. Dép. Nord, B 2928) qui faisait état d’une accusation grave.
Après son exclusion du PC, Henri Lauridan travailla pendant quelques mois à la rédaction du Réveil du Nord. A la fin de l’année 1923, il créa le « comité départemental des Ouvriers et des Paysans » qui se proposait de combattre certaines personnalités « sectaires » du Parti SFIO et du PC. Ce mouvement, éphémère, devait cependant fournir les premières fondations de la Fédération socialiste-communiste du Nord (voir Sarot Oscar). L’année 1924 vit la dernière tentative de Lauridan pour se maintenir sur la scène militante du Nord. Il posa sa candidature au poste de trésorier de l’UD unitaire du Textile en se présentant comme « anarchiste syndicaliste », mais ne fut pas retenu après une intervention de Vandewattyne.
Lauridan quitta le Nord et s’installa à Paris où il semblerait qu’il ait alors collaboré au Nouveau Siècle, signant XXX. Il ne s’agissait là que du premier pas d’un passage rapide au fascisme. En effet, en 1926, il adhéra à l’organisation corporative du « Faisceau », fondé par Georges Valois le 11 novembre 1925 et, peu après, il devint membre du conseil supérieur de ce groupement. Trois ans plus tard, il militait sous le pseudonyme de Robert Jourdan à la Solidarité Française ; en 1936, il fut élu président de la « Confédération générale autonome », fondée sur l’initiative des ex-dirigeants de la Solidarité Française. Deux ans plus tard, il adhéra au Parti social français. Dans cette période de l’avant-guerre, Henri Lauridan vivait de sa plume facile : membre de la « Société des gens de lettres », il écrivit notamment deux romans policiers, Panique au cinéma et Le Fantôme aux Bijoux qui furent publiés sous forme de feuilleton dans La République.
Rallié avec enthousiasme au régime de Vichy, il rejoignit l’association « Le Feu », créé par Maurice Delaunay, tout en collaborant à son organe, La Tempête, « ... qui vécut de janvier à juillet 1941, avec les six millions versés par l’ambassade nazie à Paris » (Histoire de la Presse de R. de Livoir, Paris, 1965). De 1942 à la Libération de Paris, il travailla comme comptable aux « Magasins Généraux » d’Aubervilliers et il semblerait qu’il ait à cette époque limité son activité au sein des groupements fascistes. Arrêté le 22 décembre 1944 à la suite d’une dénonciation l’accusant d’avoir appartenu au cabinet de De Brinon (ce qui fut reconnu inexact par la suite), Lauridan fut détenu à Fresnes jusqu’au 26 août 1945. A sa libération, il cessa toute activité politique et vécut de sa plume. Sous différents pseudonymes (Jean Copart, Arista, etc...), l’ancien pionnier du communisme dans le département du Nord exerça jusqu’à sa mort la profession d’astrologue. notamment dans Points de Vue - Images du Monde et France-Dimanche. Il fut également l’auteur de quelques ouvrages dont Le Bonheur de la femme par l’astrologie.
Par Yves Le Maner
SOURCES : Arch. Nat. F7/13610. — Arch. Dép. Nord, M 37/76C, M 154/191, M 154/195B et C, M 595/38A et B et M 595/44. — Arch. Jean Maitron. — Le Réveil socialiste (1919-1920). — Le Progrès du Nord (année 1921). — Le Prolétaire (années 1921 et 1922). — Le Cri du Nord (années 1920 et 1921). — C. Wanquet, L’évolution sociale et politique d’Halluin, DES, Lille, 1960. — C. Lefebvre-Houte et E. Leveugle, Biographies..., Mémoire de Maîtrise, Lille III, 1972, op. cit. — M. Demouveau, « La scission de la CGT à Lille-Roubaix-Tourcoing (1920-1922) », in Revue du Nord, n° 210, juillet-septembre 1971, pp. 459-494. — Z. Sternhell, « Le Faisceau de Georges Valois », in Revue Française de Sciences Politiques, février 1976. — État civil de la mairie de Tourcoing.