LAUZE Jules

Par Claude Pennetier

Né le 9 avril 1874 à Marseille (Bouches-du-Rhône), mort le 22 février 1950 à Villetaneuse (Seine) ; typographe, employé puis marchand de ferrailles ; militant communiste puis socialiste-communiste enfin proche de Jacques Doriot ; conseiller général du canton de Saint-Denis (1925-1944) et maire de Villetaneuse (1919-1935 ; 1940-1944).

Louis Lauze, le père de Jules, originaire de Vallérargues (Gard), vint s’installer dans le quartier de la Belle de Mai à Marseille (Bouches-du-Rhône). Responsable d’une famille qui compta neuf enfants, il se déclara « journalier » sur l’acte de naissance de Jules. Celui-ci était encore enfant lorsque son père alla travailler comme ouvrier forgeron-mécanicien dans la Loire. A dix ans, Jules quitta Firminy pour la région parisienne (Pierrefitte précisément) et fit son apprentissage de typographe. Lauze milita à la Fédération CGT du Livre puis, plus tard, à l’USTICA. Une occasion lui permit d’entrer comme employé à la mairie de Saint-Denis (service de l’état civil), mais, avant la Première Guerre mondiale, il s’établit comme tenancier d’un café-hôtel à Montmorency (Seine-et-Oise). C’est au retour de la Première Guerre mondiale qu’il prit la succession de son père comme brocanteur-marchand de ferrailles à Villetaneuse.

Militant du courant « blanquiste » dès l’âge de seize ans, secrétaire des Jeunesses socialistes de Saint-Denis à dix-huit ans, il milita au Parti socialiste après l’unité de 1905 puis au Parti communiste après le congrès de Tours (décembre 1920). La section socialiste de Villetaneuse comptait 51 membres en décembre 1919, elle tomba à 40 en 1920 mais tous rejoignirent le Parti communiste et il fallut attendre 1936 pour qu’une section socialiste SFIO se reconstituât.

Il fut mobilisé pendant la Première Guerre mondiale et appartint, dans les années trente, au groupe des Anciens combattants du conseil général.

Lauze était maire de Villetaneuse, petite ville de la banlieue nord, depuis décembre 1919. Le préfet de la Seine le suspendit de ses fonction en 1920 pour avoir refusé de célébrer la fête du 14 juillet. Réélu aisément en mai 1925 (sa liste obtint trois fois plus de voix que la liste concurrente) et en mai 1929, il était un des spécialistes des problèmes municipaux. Le Parti communiste lui demanda de faire des cours à son École municipale en 1927 et le chargea en 1929 d’écrire une brochure sur Les régies municipales : le régime de distribution du gaz dans la banlieue parisienne. Conseiller général de la 1e circonscription de Saint-Denis depuis 1925, il fut candidat aux élections législatives des 22 et 29 avril 1928, en Seine-et-Oise, dans la deuxième circonscription de Versailles (Maisons-Laffitte, Meulan, Poissy). Au premier tour, 3 832 suffrages se portèrent sur son nom, sur 21 241 inscrits et 18 024 votants. Il conserva 3 201 voix au second tour.

Jacques Duclos, recherché par la police, avait vécu clandestinement chez le maire de Villetaneuse pendant quelques semaines, au début de l’année 1928. Ses Mémoires témoignent du bon souvenir qu’il en garda : Lauze « me fit l’effet d’un brave homme serviable. Commerçant en ferrailles, ses fils travaillaient avec lui et les rapports familiaux existant entre les jeunes et le patriarche faisaient de celui-ci une sorte de chef de tribu, d’une tribu ordonnée, laborieuse, avec ses préséances et ses rites. Je me sentais très bien dans cette famille, et je fus peiné lorsque par la suite Lauze se rangea derrière Doriot » (t. 1, p. 278). En fait, l’évolution politique de celui-ci est beaucoup plus complexe. Les deux conseillers généraux du canton de Saint-Denis, Louis Laporte et Lauze, accompagnés de Louis Duteil, avaient accepté de participer en septembre 1929 à un voyage d’études organisé par le conseil général de la Seine à Budapest. Émotion réélle ou prétexte pour se séparer d’élus peu sûrs ? Le Parti communiste condamna les trois « pélerins de Budapest » qui acceptaient de visiter la Hongrie fasciste. Lauze affirma que le Parti leur avait donné l’autorisation et, comme ses collègues, refusa de remettre ses mandats électoraux.

Abandonné par Jacques Doriot dont il avait espéré un soutien, exclu (cette sanction préparait, en novembre, l’exclusion de six conseillers parisiens, voir Jean Garchery), Jules Lauze entraîna la majorité de son conseil municipal dans son sillage mais sept élus restèrent au Parti communiste : Maurice Boudier, Étienne Demarez, Claudius Demouron, Auguste Despoisses, Émile Foucray, Edmond Lepan et Maurice Simoens. Les tensions lors du vote du budget 1931 conduisirent la préfecture à prononcer la dissolution de la municipalité et à provoquer des élections partielles le 29 novembre 1931. Lauze, tête de la liste du Parti d’unité prolétarienne, l’emporta facilement en obtenant personnellement 416 voix sur 673 inscrits et 568 votants ; le mieux placé des communistes, Claudius Demouron, n’en recueillait que 129. Doriot, soucieux de faire porter la responsabilité de la situation à ses adversaires au sein du Parti, écrivit dans L’Émancipation du 12 décembre 1931 : « Lorsque Lauze a été exclu du Parti par la direction de la Région parisienne, puis par celle du Parti, l’immense majorité des travailleurs organisés dans le Parti, l’ARAC et le SRI, à Villetaneuse, n’approuvèrent pas cette décision. Même les camarades qui restèrent fidèles au Parti, d’accord pour condamner le fameux voyage à Budapest, ne demandaient pas à Lauze de rendre ses mandats. » (cité par J.-P. Brunet, op. cit.). En dépit de ce geste, Doriot fut dans une situation difficile lorsqu’il connut lui-même l’exclusion en juin 1934. Ainsi lorsqu’il fit un compte rendu de son mandat, début juillet, à Villetaneuse, dut-il subir les sarcasmes de Lauze qui lui rappela que parmi les doriotistes figuraient les artisans de son exclusion. De son côté, le PC admit, dans Les Cahiers du Bolchevisme du 15 septembre 1934, que l’exclusion de Charles Auffray, du maire de Villetaneuse et des six conseillers de Paris avait été réalisée « sans tenir compte des intérêts du Parti et de la classe ouvrière ». Le Groupe ouvrier et paysan de Villetaneuse animé par Lauze esquissa même un rapprochement avec le Parti communiste en demandant,le 3 novembre 1934, la réintégration des militants qui avaient été écartés du PC en 1929. Cette démarche servit dans un premier temps Maurice Thorez mais elle resta sans suite. Doriot réussit à améliorer ses rapports avec Lauze. Sa réélection à l’assemblée départementale fut assurée en mai 1935, avec le soutien du « rayon de Saint-Denis » (majorité doriotiste). Au sein du conseil général il voisinait avec le doriotiste Marschall dans le groupe d’Unité ouvrière et tous deux réussirent, jusqu’en juin 1935, à voter en commun avec les groupes socialistes et communistes. C’est ainsi qu’il fut lui même élu vice-président du conseil. Mais, à partir des élections sénatoriales du 20 octobre 1935, Villetaneuse semble suivre Pierrefitte et Saint-Denis dans le camp doriotiste.

Faut-il mettre sur le compte de divergences politiques dans le conseil le refus de la première magistrature municipale au profit d’Émile Maurel après les élections de mai 1935 ? Lauze élu maire par le conseil s’était récusé « amicalement » et n’avait accepté que le titre honorifique de maire honoraire. Officiellement, seule la volonté de prendre du repos l’avait conduit à renoncer à la première magistrature municipale. En fait, dès 1936, Maurel rejoignit le Parti socialiste SFIO et constitua une section de soixante-dix membres. Quant à Lauze, son évolution est incertaine. On doit lire avec prudence ces quelques lignes du Journal de Saint-Denis (26 mars 1938) : « A Villetaneuse, voici que Le Combat social révèle que le citoyen Lauze, inscrit au Parti SFIO, tractait avec le Parti populaire français de Jacques Doriot et qu’il aidait celui-ci de son mieux. » Rien ne confirme l’appartenance de Lauze au Parti socialiste ni d’ailleurs au PPF. Il resta un élu indépendant, plutôt hostile au Front populaire, et lié par l’intermédiaire de Marschall à la clientèle de Jacques Doriot.

Émile Maurel, maire de Villetaneuse, ayant été révoqué pour absence de sa commune à la date du 15 juin 1940, Lauze fut nommé maire et le resta pendant toute la guerre. Les désaccords entre les deux hommes réflétaient vraisemblablement des tensions d’avant guerre : dans une lettre du 24 janvier 1943 à Pierre Laval, Maurel affirmait avoir, aux côtés de Marcel Déat, soutenu Laval, notamment en décembre 1940, tout en bataillant contre les « Doriotistes-Lauzistes ». A ses demandes répétées pour reprendre son écharpe, l’administration préfectorale opposa un refus en affirmant que la nomination de Lauze avait été « bien accueillie par la population locale ». Le maire de Villetaneuse, affaibli par une attaque cérébrale qui l’avait un temps privé de la parole, semble être resté à l’écart des milieux collaborateurs parisiens.

Resté à Villetaneuse après la Libération, il y mourut en février 1950. Son acte de décès indique comme profession « gérant de société » et comme état matrimonial « veuf ». Il était père de trois enfants.

Les témoins présentent Jules Lauze comme un homme de caractère, autoritaire, dur pour les autres et pour lui-même, un meneur d’homme aidé par des qualités d’organisateur et d’orateur. C’était un élu local dévoué, efficace, désintéressé, plus qu’un homme d’appareil ou de parti. Son nom ne figure d’ailleurs dans aucun organisme de direction. Sa popularité à Villetaneuse lui permit de surmonter un temps le choc de son exclusion, sans renier ses idées et son passé. Mais, extérieur aux partis de gauche, privé de son écharpe de maire, il subit la pression doriotiste à partir de 1936.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article116460, notice LAUZE Jules par Claude Pennetier, version mise en ligne le 24 novembre 2010, dernière modification le 24 novembre 2010.

Par Claude Pennetier

SOURCES : Arch. Nat. F7/13127. — Arch. Dép. Seine, DM3 ; versement 10451/76/1 ; versement 10441/64/2 n° 31 et n° 64, listes électorales et nominatives. — L’Émancipation, n° spécial, mai 1929, mai 1935, 19 décembre 1925. — Journal de Saint-Denis, 4 août 1934, 18 mai et 25 mai 1935, 8 juin 1935, 26 mars 1938. — L’Humanité, 4 mai 1925 et 26 mai 1929. — Cahiers du Bolchevisme, 15 septembre 1934. — G. Lachapelle, Les élections législatives des 22 et 29 avril 1928, op. cit. — Jean-Paul Brunet, Une banlieue ouvrière : Saint-Denis (1890-1939), Thèse d’État, op. cit. — Jean-Paul Brunet, Jacques Doriot, op. cit. — J. Duclos, Mémoires, op. cit., t. I, p. 278. — Le Conseil municipal : nos édiles, op. cit. — État civil de Marseille, Saint-Denis et Villetaneuse. — Renseignements recueillis par Michèle Rault et Nathalie Viet-Depaule.

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