Par Justinien Raymond
Né le 28 mai 1857 à Limoges (Haute-Vienne), mort le 22 juin 1918 à Paris ; ouvrier céramiste devenu plus tard ouvrier des PTT ; militant syndicaliste et socialiste ; franc-maçon ; député de Paris pendant quatre ans.
Jean-Baptiste Lavaud, fils d’un ouvrier porcelainier, quitta l’école primaire à dix ans et demi pour gagner son pain, dans sa ville natale d’abord, comme ouvrier peintre sur porcelaine. Venu à Paris en 1874 dans le XXe arr., il travailla de dix-sept à vingt ans chez le même patron, rue de Paradis, Xe arr. En 1877, il entra à la maison Jacquet, faubourg Saint-Martin. Pour participation à une grève, il fut congédié en 1881, vécut de tâches occasionnelles pendant dix-huit mois, puis travailla dans différentes maisons comme graveur à l’eau-forte.
Jean-Baptiste Lavaud entra dans le mouvement ouvrier, syndical et socialiste, dès sa résurrection après la Commune. Il y occupa des postes de responsabilité sans jamais en vivre, si ce n’est quand il fut, pour quatre ans, député de Paris. Il se faisait une conception exigeante de la vie militante. Ce révolutionnaire qui aimait les fleurs et ne négligeait jamais d’en orner sa boutonnière, était, « malgré son bon sourire, son regard doux » (Léon Osmin, op. cit., pp. 38-39), un gardien farouche du règlement et de la discipline quand il avait mission d’en assurer le respect. Opposé à toute compromission avec l’État et avec le patronat, il combattit le syndicalisme modéré de tendance dite « barberettiste ». Aux côtés de Farjat à qui le lia une amitié constante malgré leurs divergences politiques, il fut un des animateurs du congrès des syndicats ouvriers tenu à Lyon en 1886. Avec la majorité, 74 voix contre 29 et 7 abstentions, il rejeta la loi de 1884 et demanda pour les syndicats une pleine liberté avec la seule obligation de déclarer leur constitution à la mairie. À ce même congrès, Lavaud contribua à la première création d’une organisation corporative nationale. Par 90 voix contre 15 et 4 abstentions fut décidée la mise sur pied d’une Fédération nationale des syndicats et groupes corporatifs de France qui se déclara « sœur de toutes les fédérations socialistes existantes » (J.-B. Séverac, op. cit., p. 51). Lavaud assista à la plupart de ses congrès tenus jusqu’en 1895, date à laquelle elle fit place à la CGT. Il se donna à l’organisation de la Bourse du Travail de Paris et à la conjonction de la Fédération des Bourses et de la Fédération des syndicats de métiers. En 1893, il représenta les céramistes à leur congrès mixte de la salle du Commerce à Paris et il contribua, en septembre 1895, au congrès de Limoges, à la formation de la CGT. Il représenta longtemps la Bourse du Travail de Boulogne-sur-Mer à la Fédération des Bourses puis au comité confédéral de la CGT.
Parallèlement, Lavaud participa à la renaissance du mouvement socialiste. Il entra dans les groupes parisiens du PO peu avant la scission qui l’affecta au congrès de Saint-Étienne septembre 1882. Il demeura alors avec la majorité « possibiliste » qui constitua la FTSF dont il fut membre du Comité national, Lavaud compta au nombre des militants syndicalistes qui lui conservèrent pendant quelques années un étroit contact avec les organisations ouvrières et lui assurèrent à ses débuts, parmi les groupes rivaux, la plus large audience dans Paris. Il s’associa à toutes les formes de son action politique. Il participa à son congrès de Paris en 1883, comme délégué du Xe arr., et à la Conférence ouvrière internationale qui le suivit et qui débattit de la législation du travail du 29 octobre au 3 novembre, salle Favié, rue de Belleville. Trois ans plus tard, il assista à une semblable conférence à l’ordre du jour élargi à la formation professionnelle, aux coalitions ouvrières et aux sociétés coopératives, salle de la Redoute, rue J.-J. Rousseau (23-29 octobre 1886). En juillet 1889, il siégea au congrès socialiste international réuni par la FTSF et qui discuta de la journée de huit heures et de l’entente internationale des travailleurs, salle de l’Union du Commerce et de l’Industrie, rue de Lancry, tandis qu’un congrès d’inspiration guesdiste siégeait salle Pétrelle. Pendant ces années, avec son parti et ses alliés républicains, Lavaud lutta contre le boulangisme.
Bientôt, un dissentiment profond opposa les élus, les intellectuels de la FTSF, derrière Brousse, aux militants ouvriers du rang comme Lavaud. Ces derniers trouvaient qu’on allait trop loin dans le sens du « possibilisme » et de l’électoralisme. Au congrès de Châtellerault (1890) où allait se vider la querelle et se consommer la scission, Lavaud représenta les socialistes du quartier du Combat (Xe arr.) et le groupement parisien des socialistes originaires des Ardennes. Avec la très grande majorité de l’Union fédérative du centre, c’est-à-dire la fédération de la région parisienne, Lavaud suivit Allemane au POSR. Dans un parti à sa mesure, « ouvriériste », préoccupé d’action syndicale, Lavaud joua un rôle de premier plan. De Paris partit le mouvement de regroupement dans le POSR. Lavaud alla dans les Ardennes suppléer J.-B. Clément condamné à deux ans de prison après le 1er mai 1891. C’est l’invalidation des délégués ardennais à Châtellerault qui avait été l’occasion de la scission. Aussi ce département y fut particulièrement sensible et, relativement industrialisé, devint un des bastions du POSR. Lavaud en jeta les bases, suivi par la quasi-totalité de la fédération. Au premier congrès national à Paris (21-29 juin 1891), où il rapporta sur la lutte de classe, Lavaud représentait les groupes de Charleville, Neufmanil et Nouzon. À Charleville, il lança et anima l’Émancipateur, la feuille socialiste locale, l’Émancipation ayant été ruinée en avril par un procès. Peu après son arrivée, des grèves désordonnées et stériles éclatèrent dans la vallée industrielle de la Meuse. Les efforts de Lavaud pour discipliner la classe ouvrière et empêcher les mouvements inconsidérés lui valurent d’aigres critiques du journal anarchiste Le Père Peinard. Accusé de trahir les ouvriers parce qu’il n’était pas des leurs, il riposta en exhibant dans l’Émancipateur son curriculum vitae de salarié. À partir de 1893, il laissa la direction locale du parti allemaniste à J.-B. Clément, sans rompre totalement avec les Ardennes. Il continua à collaborer à l’Émancipateur, assura des réunions publiques comme à Vrigne-au-Bois, le 18 mars 1894, pour l’anniversaire de la Commune. Le 24 mars 1895, au nom du POSR, il vint installer Albert Poulain, futur député des Ardennes, dans ses fonctions de délégué du parti et de rédacteur de l’organe fédéral.
Mais, tout en restant à l’échelle nationale, l’activité de Lavaud était désormais centrée sur Paris. Jusqu’en 1905, il assura le secrétariat général du POSR et le secrétariat de l’Union fédérative du Centre, l’une des six fédérations régionales du PO depuis 1879, qui, à l’issue des scissions répétées, était devenue une organisation essentiellement allemaniste. Tous les mardis, rue Pastourelle, Lavaud animait les réunions de l’organisme directeur du POSR. En 1896, il se montra inflexible devant les élus qui rechignaient à payer leurs cotisations, et utilisa les démissions en blanc qu’il détenait signées des conseillers municipaux Berthaut et Faillet et des députés Dejeante et Groussier. Les députés Toussaint et Fabérot, cotisants disciplinés de 1896, ayant été battus en mai 1898 et ayant demandé à être exonérés de la moitié de leur cotisation de mai, Lavaud, règlement en main, considérant que leur mandat n’expirait qu’au 1er juin, estima qu’elle était due en entier et fut intraitable.
Avec le POSR et ses troupes de choc, Jean-Baptiste Lavaud mena pour la révision du procès Dreyfus un combat dont l’ardeur contrastait avec la réserve de quelques écoles socialistes et que certains de ses propres amis, tel Fabérot, trouvaient intempestif, compromettant pour les alliances auxquelles il conduisait. Lavaud riposta et entraîna l’Union fédérative du Centre à la séance du 6 septembre 1898. Dans Le Parti ouvrier du 10 septembre 1898, il exalta la conduite de son parti, la sienne ; il l’opposa, avec une sévérité peut-être excessive, à celle de ses voisins : « Nous laissons la responsabilité au POF de sa défection, écrivit-il, nous laissons également aux blanquistes le soin d’attendre, du haut de leur tour d’ivoire, d’où vient le vent. Pour nous, il souffle à la tempête. Donc nous sommes du mouvement qui se prépare. En attendant, que les révolutionnaires se montrent et que les politiciens continuent à se cacher : c’est tout ce que nous désirons. » En 1899, à l’issue de la victoire dreyfusarde, Lavaud fut un des responsables de l’organisation du premier congrès général des socialistes français, salle Japy ; c’est comme tel qu’il prit part aux débats, mais il représentait la Fédération des travailleurs socialistes adhérente du POSR de Couches-les-Mines (Saône-et-Loire). Au cours des péripéties ultérieures de l’unification socialiste, après le congrès de Lyon (1901) auquel il fut délégué par l’Aveyron et la Seine, il se rangea du côté du Parti socialiste français, tout en conservant à son POSR une vie autonome. Ce dernier, réduit à l’état de secte, avait toujours Lavaud pour secrétaire général quand il se fondit dans la SFIO en 1905.
Lavaud assurait aussi ses relations extérieures. Au congrès international de Londres (1896), contre les guesdistes et contre Jean Jaurès, il défendit, avec Allemane, l’admission de délégués de groupements corporatifs suspects d’opinions anarchistes. « Faut-il, protesta Lavaud, qu’un syndicat, pour être représenté à un congrès, soit tenu de penser comme M. Guesde ? À ce compte, ajouta-t-il, la Fédération des Bourses du Travail ne serait pas représentée, puisque son délégué est anarchiste (c’était F. Pelloutier), pas plus que le syndicat des chemins de fer dont le mandataire est antiparlementaire » (M. Charnay, op. cit., p. 84). Au congrès d’Amsterdam (août 1904), préface à l’unité socialiste en France, à côté des délégués du Parti socialiste de France et du Parti socialiste français, Lavaud représenta le POSR avec Allemane et Willm.
À son retour, il collabora activement à la fusion définitive. Il fit partie de la commission d’unification de vingt-huit membres créée au début d’avril 1905, participa au congrès d’unité de la salle du Globe (23-25 avril) au premier rang, comme responsable d’une des organisations contractantes. Il y fut élu à la première CAP. Le 28 avril, cet organisme directeur, où il devait siéger jusqu’en 1911, l’appela au bureau du parti socialiste SFIO comme trésorier adjoint à Camélinat. Il joua un rôle semblable à l’échelon départemental, appartint à la première commission exécutive de la fédération unifiée de la Seine, en fut le premier secrétaire général et occupa à deux reprises ce mandat pendant plusieurs années. Jusqu’à sa mort, Lavaud appartint à la XIe section de la Seine, et il représenta la fédération de la Seine aux congrès nationaux de Chalon-sur-Saône (1905), Limoges (1906), Nancy (1907), Toulouse (1908), Nîmes (février 1910), Paris (juillet 1910). Contrairement à son ami Allemane qui resta toujours en quelque manière un franc-tireur, entra parfois en dissidence, Lavaud fut l’homme de l’unité après avoir été celui d’un des partis socialistes, de tous le plus jaloux de son indépendance, le plus soucieux de sa personnalité. Différence de tempérament sans doute, mais aussi de situation. Dans un parti plus puissant, Lavaud retrouvait sa place habituelle aux postes de responsabilité, tandis que Allemane, chef de file incontesté dans le POSR, pouvait, dans l’organisation nouvelle, se sentir écrasé par les Vaillant, les Guesde, les Jaurès.
C’est sous l’égide du Parti unifié que Lavaud remporta son seul succès électoral. Sa longue vie militante lui imposa cependant maintes candidatures, toutes à Paris, hormis une campagne aux élections législatives de 1898 à Autun. Il fut candidat de la FTS en 1884 dans le quartier de la Porte-Saint-Martin où il obtint 3,1 %. En 1894, à l’époque de prospérité du POSR à Paris, Lavaud fut un des sept candidats socialistes à une élection partielle au conseil municipal dans le quartier de Saint-Fargeau (XXe arr.). Le 21 octobre, avec 241 voix sur 2 321 inscrits et 1 552 votants, il les devança tous sauf Archain venu en tête avec 322 voix. Mais celui-ci, ancien boulangiste et ami de Rochefort, n’était reconnu par aucune organisation socialiste. Néanmoins, soutenu par La Petite République, il bénéficia de beaucoup de suffrages des cinq autres socialistes, et Lavaud fut battu avec 533 voix contre 569 à Archain, élu, et 237 au républicain Riboulet. En 1900, dans le quartier du Pont-de-Flandre (XIXe arr.), sur 3 177 inscrits et 2 563 votants, Lavaud ne réunit que 171 voix, deux autres candidats socialistes arrivant à 153 et 152. Pendant longtemps, il ne fut pas plus heureux aux élections législatives. En 1885, quinzième sur la liste de trente-huit candidats de la FTSF, il recueillit 17 010 voix sur 564 338 inscrits et 433 990 votants, et en 1889, 1819 sur 13 871 votants, dans la 1re circonscription du Xe arr. Dans la 2e circonscription du XIe arr., il s’éleva en 1906 à 4 497 voix sur 14 884 votants et y fut élu en remplacement de Lockroy, au second tour, en 1910 par 7 284 sur 13 938, le premier tour lui en ayant apporté 5 224 sur 14 722. En 1914, bien placé par 5 957 voix sur 13 930 votants, mais combattu par les radicaux qu’il n’avait pas ménagés, il fut battu de justesse au second tour avec 6 482 voix contre 6 507.
Bien que Lavaud ait survécu à la Première Guerre mondiale, cet échec marqua la fin de sa brève carrière parlementaire. Il reprit son modeste emploi d’ouvrier des PTT auquel il était parvenu avant son élection et continua son action syndicale et socialiste.
Par Justinien Raymond
SOURCES : Arch. Ass. Nat., dossier biographique. — Hubert-Rouger, La France socialiste, op. cit., pp. 367-368 et Les Fédérations socialistes III, op. cit., pp. 132 à 177, passim ; pp. 205-206. — Maurice Charnay, Les Allemanistes, passim. — Jean Verlhac, La Formation de l’Unité socialiste, 1898-1905, DES, Paris, passim. — Claude Renault, Le Mouvement socialiste parisien de 1881 à 1885, DES, Paris, passim. — L’Émancipateur, 26 juillet et 30 août 1891. — Léon Osmin, Figures de jadis, 1934, pp. 37 à 43. — J.-B. Séverac. Le Mouvement syndical in Encycl. soc., synd. et coop. de l’Intern. ouv. publiée sous la direction de Compère-Morel, Paris, 1913, 455 p. (pp. 50 à 72). — Congrès général des organisations socialistes françaises tenu à Paris du 3 au 8 décembre 1899. Compte rendu sténographique, Paris, 1900, 502 p. (pp. 128-222). — Jean Maitron, Histoire du Mouvement anarchiste..., op. cit. (Lavaud défenseur de Pelloutier). — M. Dommanget, La Chevalerie du Travail française, op. cit. — Comptes rendus des congrès du Parti socialiste. — Michel Offerlé, Les socialistes et Paris, 1881-1900. Des communards aux conseillers municipaux, thèse de doctorat d’État en science politique, Paris 1, 1979