LEFEBVRE Henri [textile]

Par Justinien Raymond

Né à Wattrelos (Nord) le 27 janvier 1874 ; mort à Roubaix (Nord) le 4 juillet 1937 ; ouvrier du textile puis cabaretier ; militant du syndicalisme, de la coopération et du socialisme.

Henri Lefebvre entra au tissage à l’âge de onze ans. Deux ans plus tard, la mort de son père en fit, à l’âge de treize ans, le soutien de sa mère et de ses deux jeunes sœurs. Une telle vie, dans un tel milieu, à Roubaix, le conduisit à l’action ouvrière. En 1901, il prit le secrétariat du syndicat du textile de Roubaix. En janvier 1919, il devint secrétaire de la Bourse du Travail dont il avait été un des fondateurs. Malgré sa santé fragile, il assuma de lourdes responsabilités : il dirigea les grèves de 1904 et de 1905 pour la journée de 12 heures, et, en 1910, mena la grande bataille contre la vie chère. Dans l’action syndicale, il se tenait strictement dans la ligne de pensée du guesdisme. Le 3 novembre 1906, il soutint une vive controverse avec Merrheim, secrétaire de l’Union de la Métallurgie. Ce dernier, de tendance syndicaliste révolutionnaire, avait soutenu au congrès de la CGT à Amiens que le syndicalisme se suffisait à lui-même. Henri Lefebvre lui opposa que l’autonomie souhaitable des organisations ouvrières, syndicales, coopératives, politiques ne devait pas empêcher leur coordination dans la lutte pour l’émancipation des travailleurs. Cette conception était celle de Jules Guesde, le maître de Lefebvre, mais aussi celle des ouvriers belges auxquels Lefebvre se mêlait à Roubaix. Son action militante l’obligea à quitter l’usine ; il vendit des journaux puis ouvrit un estaminet, refuge habituel des militants. En septembre 1912, Lefebvre, Henri sans doute, représenta le syndicat du textile de Roubaix au XVIIIe congrès national corporatif — 12e de la CGT — tenu au Havre.

Lefebvre ne négligea aucune des formes de l’action ouvrière. Secrétaire de la Libre Pensée de Roubaix, il ajoutait à ses responsabilités syndicales la fonction de trésorier du comité de propagande de la coopérative ouvrière « La Paix » et il milita activement dans le POF après avoir été quelque temps indépendant. Au POF qu’il rejoignit à l’âge de dix-neuf ans, il fut un des plus actifs militants de Roubaix avec H. Carrette et J. Lebas. En avril 1897, on lui confia le secrétariat de la section roubaisienne du POF. Il fut maintenu à ce poste en 1905 et le conserva jusqu’à sa mort. On le vit, délégué du Nord, dans de nombreux congrès nationaux : aux congrès de Paris, salle Japy (1899) et salle Wagram (1900) ; aux congrès du POF (1899, 1900, 1901, 1903) ; au congrès du PS de F. (1904) ; au congrès international d’Amsterdam (1904) ; au congrès d’unité de Paris, salle du Globe (1905) et aux congrès nationaux de la SFIO à Nancy (1907), et à Saint-Quentin (1911).

En 1904, H. Lefebvre fut élu conseiller municipal de Roubaix. Au nom de la minorité socialiste, il présenta en vain, en 1907 et en 1908, un projet de création d’une colonie de vacances scolaires pour assurer un séjour à l’air pur aux enfants anémiés d’une cité industrielle. En 1913, il fut élu conseiller général dans le canton de Roubaix-Est et réélu en 1919. En 1902, il avait soutenu une candidature de principe aux élections législatives dans la 2e circonscription de La Tour-du-Pin (Isère).

Pendant la Première Guerre mondiale, Henri Lefebvre fut interné au camp de Güströw (1915). Libéré, il participa avec Jean Lebas au regroupement des habitants du Nord réfugiés en région non occupée : il tint maintes réunions dans la région parisienne.

Comme militant socialiste de la section de Roubaix, il combattit les thèses de la IIIe Internationale et, après la scission de Tours, demeura dans la SFIO. S’il continua à siéger, jusqu’à sa mort en 1937 au conseil municipal de Roubaix où il avait été élu en 1908, il abandonna en 1929, à Jean Lebas, le siège de conseiller général du canton de Roubaix-Est où il avait été élu en 1913. Libre penseur convaincu et militant, il fut longtemps secrétaire de la section roubaisienne de la Libre pensée, comme il le fut, jusqu’à sa mort, de la section du Parti socialiste. Coopérateur, il fut administrateur de la coopérative ouvrière locale, "La Paix".

Mais Henri Lefebvre, ouvrier du textile, était d’abord un militant syndicaliste. Il avait pris le secrétariat de son organisation locale en 1902 et il fut un des fondateurs de l’Union locale roubaisienne des syndicats. Guesdiste convaincu, Henri Lefebvre croyait à la nécessaire autonomie des organisations politiques, syndicales et coopératives de la classe ouvrière, mais aussi à la coordination de leurs luttes pour l’émancipation des travailleurs. Le 3 novembre 1906 à Roubaix, il avait soutenu une controverse sur ce sujet avec Alphonse Merrheim, ancien secrétaire du syndicat des chaudronniers de Roubaix et secrétaire de l’Union fédérale de la métallurgie et qui, syndicaliste révolutionnaire affirmait que l’action syndicale se suffit à elle-même. Henri Lefebvre combattit toujours vivement à la CGTU dont les effectifs furent toujours modestes à Roubaix et, en 1935, il accepta sans enthousiasme la fusion CGT-CGTU. Il assura le secrétariat de la Bourse du Travail de Roubaix de 1920 à 1927. Il fut de toutes les luttes contre le consortium textile de Roubaix-Tourcoing, notamment en 1920-1921 pour le relèvement des salaires, en 1930-1931, contre la "prime de fidélité" que le patronat voulait instituer à l’occasion de l’entrée en vigueur de la loi sur les assurances sociales, en 1936, pour obliger le patronat à signer une convention collective à la suite des accords Matignon. Dans ces luttes et dans les discussions avec le patronat, Henri Lefebvre faisait preuve de tenacité, mais aussi de finesse. Il avait la réputation d’un négociateur habile et ferme. Le Journal de Roubaix, organe conservateur qui ne l’a jamais ménagé, le salua, à sa mort, comme "un homme droit, dévoué entièrement à la cause qu’il servait avec zèle et habileté, un homme pondéré mais énergique".

Henri Lefebvre fut délégué aux congrès nationaux de la Fédération du Textile, à Mulhouse, en 1922 et en 1928. Il a été pendant plusieurs années membre de la commission administrative de l’Union départementale des syndicats confédérés du Nord. Il appartint à la commission administrative de la Fédération nationale en 1926 après le congrès de Valence, et en 1928, après le congrès de Paris devant lequel il avait présenté un rapport sur le travail à domicile.

Une rue de Roubaix porte le nom de ce militant ouvrier dont on prétend qu’il a inspiré à l’écrivain Maxence Van de Meersch, le personnage du syndicaliste de son roman, Quand les sirènes se taisent.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article117098, notice LEFEBVRE Henri [textile] par Justinien Raymond, version mise en ligne le 24 novembre 2010, dernière modification le 5 avril 2012.

Par Justinien Raymond

SOURCES : Arch. de l’IISG (Amsterdam). — Arch. Dép. Nord, 154 M 86, M 595/35, 38, 61 et 70. — Arch. Mun. Roubaix, Ii DA OF 17. — L’Ouvrier textile, 1924-1931. — Comptes rendus des congrès socialistes. — L’Égalité de Roubaix-Tourcoing, 5 novembre 1906 et 5 juillet 1937. — Gustave Delory, Aperçu historique de la Fédération socialiste du Nord, op. cit. — Compère-Morel, Grand dictionnaire socialiste, op. cit. — Ibid., Encyclopédie socialiste, op. cit., T. II. — Claude Willard, Les guesdistes, Thèse, Paris, 1965. — François-Xavier Roets, Le mouvement ouvrier à Roubaix de 1919 à la fin de la IVe République, Mémoire de Maîtrise, Lille. — Interviews de Gustave Charlet, secrétaire du syndicat des Métaux CGT de Roubaix et de Laure Dehaene-Lefebvre, fille de Henri Lefebvre. — Renseignements recueillis par J. Piat.

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