LEFEBVRE Raymond

Par Nicole Racine

Né le 24 avril 1891 à Vire (Calvados), disparu en mer au large de Mourmansk à l’automne 1920. Écrivain, journaliste. Membre du Parti socialiste SFIO (1916-1920) ; membre du comité directeur du mouvement Clarté (1919-1920) ; membre du Comité de la IIIe Internationale (1919-1920) ; créateur de l’ARAC ; journaliste au Populaire, au Journal du Peuple, à L’Humanité, à Clarté.

Jules Lepetit, Raymond Lefebvre et Marcel Vergeat vont, en compagnie de Racovski, visiter les organisations ouvrières de Karkow (Ukraine). ("Les Précurseurs", carte postale, Librairie du Travail, octobre 1921)

La destinée de Raymond Lefebvre, disparu en mer Blanche à l’automne 1920 à l’âge de vingt-neuf ans, au retour d’un voyage en Russie soviétique — où il avait assisté au IIe congrès de l’IC — frappa ses contemporains. Raymond Lefebvre devint, au lendemain de sa mort tragique, une figure héroïque et légendaire du communisme naissant. Pour l’historien, il personnifie la fraction de la génération que la révolte physique et morale contre la guerre conduisit au pacifisme, à l’internationalisme puis au communisme.

Raymond Lefebvre naquit dans une famille protestante ; son père, inspecteur divisionnaire d’assurance, descendait d’industriels protestants de Mulhouse, les Dollfus. Sa mère était la fille d’un professeur également protestant. L’enfant passa son enfance et sa jeunesse à Bayeux, puis à Paris. Il reçut une éducation traditionnelle et resta toute sa vie marqué par sa foi religieuse même lorsqu’il se sépara de l’Église. D’après son biographe Shaul Ginsburg, il aurait été influencé par l’aile libérale du protestantisme (le pasteur W. Monod était un familier de sa famille). Le pacifisme, l’internationalisme, le communisme auxquels Raymond Lefebvre se rallia par la suite, restèrent largement d’essence morale ou religieuse. Raymond Lefebvre se lia à partir de la classe de seconde au lycée Janson-de-Sailly à Paris, dans le XVIe arr., avec le jeune Paul Vaillant-Couturier ; avec Guy de la Batut et Jean d’Espouy, ils formèrent un petit groupe réuni par les goûts littéraires, la curiosité pour la culture française ou étrangère. À un moment, Raymond Lefebvre fut attiré par l’Action Française, son nationalisme et certaines de ses idées antibourgeoises (il participa à une manifestation organisée par les Camelots du Roi le 9 décembre 1909 pour protester contre la nomination de Lyon-Caen au poste de doyen de la faculté de droit, mais ce fut dans un esprit de défense de la liberté de l’enseignement). On trouve aussi Raymond Lefebvre à la manifestation que la CGT et la SFIO avaient organisée le 13 octobre 1909 pour protester contre l’exécution de l’anarchiste espagnol Francesco Ferrer.

Après avoir obtenu son baccalauréat (philo), Raymond Lefebvre prépara une licence d’histoire-géographie à la Sorbonne (achevée en 1912), le diplôme de l’École libre des sciences politiques, école qui fut pour lui une ouverture sur le monde contemporain. Il se lia avec Drieu la Rochelle qui traça de lui un brillant portrait dans Mesure de la France ; d’après le témoignage de ce dernier, il subit vers 1912 l’influence du pacifisme tolstoïen. Il commença à fréquenter les milieux d’extrême gauche, il participa pour la première fois en 1912 à la manifestation du 1er Mai et alla entendre Jean Jaurès au Pré-Saint-Gervais. Il s’intéressa au syndicalisme révolutionnaire, s’abonna à la Vie ouvrière, et en 1913 assista aux réunions du groupe, 96, quai Jemmapes. Lefebvre fit circuler des pétitions au moment de la campagne contre les trois ans. À partir de 1912, il commença son service militaire dans le service auxiliaire (il fut infirmier dans un hôpital sur les frontières de l’Est) et fut libéré deux mois avant la déclaration de la guerre.

Affecté en août 1914 comme auxiliaire infirmier à l’hôpital Saint-Martin (il avait vingt-trois ans), il prit parti dès cet instant contre la guerre, ne se privant pas de se livrer à une propagande pacifiste auprès des blessés dont il avait la charge (témoignage d’Henri Guilbeaux qui le rencontra à ce moment ; ce dernier écrivit dans Du Kremlin au Cherche-Midi que si Lefebvre ne fut pas arrêté à ce moment, ce fut parce qu’il donnait l’impression d’être un jeune homme religieux, un peu fanatique et illuminé). À l’automne 1914, Raymond Lefebvre participa aux réunions de la Vie ouvrière, où se retrouvaient des militants syndicalistes comme Alphonse Merrheim, Pierre Monatte, Rosmer. Sans rallier encore les thèses du pacifisme révolutionnaire, il prit conscience de l’insuffisance d’un pacifisme tolstoïen : « J’ai été contre la guerre et la Défense nationale dès le 2 août, mais j’étais cela pour des raisons plus sentimentales que doctrinales, et un soir à la Vie ouvrière, j’ai discuté quelques instants avec un Slave au ton cassant et pétillant d’esprit, qui je crois, était Trotsky. Son marxisme implacable m’était alors resté hermétique » (le Populaire, 15 juin 1920). Que Raymond Lefebvre ne s’intéressât point alors au marxisme est confirmé par une anecdote rapportée par Henri Guilbeaux dans Du Kremlin au Cherche-Midi, p. 142. Dans son livre L’Éponge de vinaigre Raymond Lefebvre a évoqué les réunions au début de 1915 du groupe de la Vie ouvrière où « on se bornait à tisonner tristement les restes refroidis de l’Internationale ; (...) à entrevoir avec une clairvoyance inutile, la longueur d’une lutte d’usure où seule serait vaincue la civilisation ».

À la fin octobre 1914, Raymond Lefebvre, réformé pour faiblesse organique générale et bronchite ancienne, était de nouveau versé dans le service armé en mai 1915 et affecté à la 22e section d’infirmiers militaires ; il se porta volontaire au front et s’en expliqua plus tard au congrès du Parti socialiste à Strasbourg le 27 février 1920, en ces termes : « J’ai demandé à partir pour le front. Pourquoi ? C’était pour, si j’en revenais, si j’en pouvais revenir, saboter la gloire avec toute l’autorité de celui qui aurait été là-bas ! Voilà pourquoi je l’ai fait ! » Affecté comme brancardier au groupe de brancardiers divisionnaires de la 17e division, il participa à la troisième bataille d’Artois. Il commença à écrire des contes pacifistes dont certains mettaient en scène des épisodes de révolte aux armées (des pages que l’auteur avait confiées à Henri Guilbeaux furent lues par Romain Rolland qui en désapprouva la violence).

En novembre 1915, Raymond Lefebvre décida d’adhérer au Parti socialiste. À la fin 1915, il fut de nouveau envoyé au front, puis en qualité d’infirmier-major d’ambulance, dirigé sur Verdun. En mai 1916, ébranlé par une commotion cérébrale due à l’explosion près de lui de deux obus de 210 au sud de la cote 304 Verdun rive gauche, il fut évacué à l’hôpital de Lyon du 15 mai au 7 juillet 1916, après avoir perdu quelque temps la parole et la mémoire. Il écrivit des contes pour l’Humanité, le Journal du peuple, le Populaire. Ce fut aussi durant sa convalescence qu’il s’inscrivit à la 16e section du Parti socialiste à Paris, pour combattre les thèses majoritaires. Il s’en expliqua clairement au moment de son adhésion : « Je ne fais pas de difficultés à dire que c’est la guerre qui me fait entrer dans le Parti socialiste. Depuis longtemps sans doute, les idées et les doctrines socialistes me sollicitent toujours davantage ; mais j’étais dans cette égoïste période de l’absorption. La vie active était encore loin de moi, sans que je fusse pressé de la voir venir : elle est venue et la plus hideuse. J’ai souffert : j’ai vu souffrir plus encore. C’est notre devoir d’agir, et dès maintenant » (déclaration devant la 16e section du Parti socialiste, rapportée dans Clarté, 15 décembre 1923). Paul Vaillant-Couturier rappelait dans l’Humanité, le 1er novembre 1921, un an après la mort de son ami : « Il avait jusque-là répugné à militer personnellement dans les rangs d’un parti. Ce fut la honte et l’abdication du Parti socialiste qui l’engagea à s’y enrôler. Il fallait le rendre à sa véritable tâche, lui faire prendre en mains l’œuvre de paix révolutionnaire. Il s’inscrivit à la 16e section. Le front l’attirait. Il croyait en une révolution partie des lignes. » En mai 1917, Raymond Lefebvre fut réformé définitivement en raison de l’état de ses poumons. Durant tout la guerre, il resta plus proche de Jean Longuet et des minoritaires socialistes que des « zimmerwaldiens ». Il salua la Révolution russe, accueillit avec enthousiasme le programme wilsonien (auquel il devait rester fidèle jusqu’en 1919), mais surtout, depuis 1916, il songeait à des entreprises de nature à resserrer les liens entre les victimes de la guerre et à exprimer la haine de la guerre. Ainsi prirent naissance les projets auxquels il rallia Henri Barbusse et qui furent à l’origine de Clarté et de l’ARAC.

Avec P. Vaillant-Couturier, P. Roubille, il signa au dernier trimestre 1916, un premier projet d’appel à Romain Rolland, W. Foerster, H.G. Wells, aux intellectuels européens pour leur demander d’entreprendre par des œuvres littéraires une description de la guerre. En décembre 1916, Henri Barbusse contacté par Raymond Lefebvre dit son intérêt pour cette proposition, mais substitua à l’idée d’éditions séparées, celle d’une revue internationale. Au début 1917, un projet de revue fut mis sur pied. H. Barbusse chercha à obtenir le concours de personnalités (Anatole France, Charles Richet). Le 27 février 1917 le manifeste définitif fut prêt (mais il ne fut publié qu’après la guerre — le 17 janvier 1919 — dans le Populaire), et Henri Barbusse chargea Romain Lefebvre et Paul Vaillant-Couturier de trouver des signatures importantes. En août 1917, Raymond Lefebvre rendit visite en Suisse à Romain Rolland et l’entretint du projet de revue. R. Rolland nota dans son journal l’impression que lui fit R. Lefebvre et les réserves qu’il exprima à ce dernier au sujet de la liste des personnalités envisagées pour patronner la revue. « Tantôt — écrit R. Rolland dans son Journal des années de guerre — il étale une violence dangereuse, il souhaite et voudrait provoquer une insurrection des troupes, il regrette de ne s’être pas trouvé à Noyon, lors de la dernière révolte, pour les lancer sur Paris. Tantôt, voulant fonder une revue internationale (projet déjà ancien, dont il a été question dans ces notes) il parle de la mettre sous le patronage d’académiciens comme Rostand (accolés à Anatole France). » Lorsque R. Rolland lança le 15 mars 1918 son manifeste « Pour l’Internationale de l’esprit » (suivie le 26 juin 1919 d’une « Déclaration de l’Indépendance de l’esprit » — Raymond Lefebvre signa les deux manifestes), il écrivit : « Je sais que dans les deux camps, dès le lendemain de la paix, se fonderont des revues et des publications internationales. J’ai eu connaissance de tels de ces projets dont les initiateurs (et les plus pénétrés de l’esprit européen) sont de jeunes écrivains, soldats au front. De ma génération, nous sommes quelques-uns qui donneront à leurs cadets leur concours absolu. »

Raymond Lefebvre appuya la fondation du « Groupe Clarté » ou Internationale de la pensée (annoncée officiellement par Henri Barbusse dans l’Humanité du 10 mai 1919, sous le patronage d’Anatole France). Il fit partie du premier comité directeur international de « Clarté ». Il fut chargé du secrétariat pour la réunion du premier congrès pour une Internationale des intellectuels prévu à Berne en mai 1920 (le congrès ne se réunit pas, en partie à cause de divergences avec Romain Rolland). Il collabora au journal Clarté où il fit partie de la tendance internationaliste acquise au communisme. Il collabora à l’Hommage à la République socialiste fédérative des Soviets de Russie à l’occasion du 2e anniversaire (avec une contribution intitulée : « La plus longue révolution du monde ») paru en 1919 à la Librairie du Populaire. Il lança en 1919 une rubrique, « Chroniques de la vie intellectuelle en France », qui voulait être une critique révolutionnaire de la culture bourgeoise. Après sa mort, les jeunes fondateurs de la revue Clarté, voulant créer une revue de culture révolutionnaire revendiquèrent le patronage de R. Lefebvre, en se rattachant à ce qu’ils appelèrent la « tradition blasphématrice » de Raymond Lefebvre.

Rassembler les victimes de guerre et les anciens combattants pour traduire de façon éclatante la haine de la guerre était également l’un des projets qui tenait le plus à cœur à Raymond Lefebvre. L’origine de l’Association républicaine des anciens combattants (ARAC) remonte en effet à l’année 1916, date à laquelle Raymond Lefebvre convertit à ses projets son ami Paul Vaillant-Couturier et un ouvrier, Georges Bruyère. « À cette époque écrit Henri Guilbeaux dans Du Kremlin au Cherche-Midi, il nourrissait de grands projets dont il fit part, plus tard, à Henri Barbusse. Ce fut l’idée première de l’Internationale des anciens combattants, qui, fondée au lendemain de la guerre, s’effondra d’une façon si lamentable. Par l’affiche et par le film — il y revint plus tard dans les lettres qu’il m’écrivit — Raymond Lefebvre rêvait de faire, sitôt la paix conclue, une propagande intense et quotidienne contre la guerre. Il voulait dégoûter le peuple de la guerre et l’exciter contre les responsables en lui montrant par une série d’images, toutes les laideurs, toutes les horreurs. Des moignons sanglants, des poitrines défoncées, des crânes écrabouillés, des débris sanglants, voilà ce qu’il voyait projeté sur des milliers d’écrans dans l’univers entier. En exposant son projet il s’agitait, s’exaltait, se grisait. » Raymond Lefebvre s’était adressé à H. Barbusse, qui, après le Feu, s’était tourné plusieurs fois vers les anciens combattants. En novembre 1917, H. Barbusse, R. Lefebvre, Paul Vaillant-Couturier, Louis Reinhold, Georges Bruyère fondèrent officiellement l’Association républicaine des anciens combattants (ARAC). La maladie allait l’éloigner de la vie politique active jusqu’à l’été 1919, mais il n’en abandonna pas pour autant ses tâches de propagandiste. Parti soigner sa tuberculose dans les Pyrénées-Orientales où il séjourna de juillet 1918 à juin 1919, il encouragea la création de sections socialistes, entra en contact avec les ouvriers des centres miniers et collabora au Cri catalan du socialiste minoritaire Jean Payra.

En 1919, Raymond Lefebvre lança une brochure, L’Ancien Soldat, sorte de manifeste et de programme d’action : les anciens combattants ne pouvaient se satisfaire des revendications professionnelles, mais devaient prétendre à un rôle politique pour empêcher toute guerre. Lefebvre faisait encore confiance aux idées et propositions wilsoniennes, à l’action pacifique de la SDN. Peu après, il écrivit une seconde brochure, L’Ancien soldat en 1920. Dédiée à Paul Vaillant-Couturier qui portait en exergue : « En me relisant, je suis effrayé de la violence de haine qui se dégage de ceci. En vérité, cette haine n’est pas dans mon cœur. Elle est dans l’esprit même de ce siècle, elle s’impose à l’homme. »

En 1919, les positions de Lefebvre prirent une orientation plus révolutionnaire ; d’après Shaul Ginsburg, en juillet 1919 il serait arrivé au seuil du communisme. À l’automne 1919, il accepta d’être candidat du Parti socialiste aux élections législatives dans le premier secteur de la Seine ; il se présenta comme candidat de l’extrême gauche et comme le porte-parole des thèses de l’ARAC. Il axa sa campagne sur la dénonciation de la droite du parti, la défense de la Révolution russe, la nécessité et l’espérance d’une révolution. Battu aux élections, il continua sa lutte contre la droite du parti et en faveur de la IIIe Internationale, notamment dans le cadre de l’ARAC dont il était l’un des meilleurs propagandistes. Au début de 1920, Raymond Lefebvre fit campagne pour la convocation d’un congrès international des anciens combattants ; il multiplia les déclarations antimilitaristes dont l’une à Enghien, le 14 février, attaquant Poincaré lui valut d’être inculpé. Il rédigea La Révolution ou la mort.

Raymond Lefebvre adhéra en août 1919 au Comité de la IIIe Internationale, dirigé par Fernand Loriot, et se lança dans la propagande en faveur de l’adhésion de la SFIO à la IIIe Internationale. En septembre 1919, il publia une brochure pour La Vie ouvrière, L’Internationale des Soviets, dans laquelle il opposait la doctrine de la IIe Internationale (la démocratie parlementaire) à celle de la IIIe (le « soviétisme ») qui seule était révolutionnaire, antiguerrière, antiparlementaire. Lefebvre engagea une lutte passionnée contre les anciens majoritaires du PS. Un des moments les plus spectaculaires fut son intervention au XVIIe congrès de ce parti à Strasbourg en février 1920 (Raymond Lefebvre put y intervenir — il n’avait pas les cinq ans de présence réglementaire dans le parti — grâce à l’intervention de Jean Longuet qui obtint pour lui le droit à la parole, en raison des circonstances particulières dues à la guerre). Lefebvre, qui se présenta comme le porte-parole de la « génération massacrée », mit violemment en cause les dirigeants d’Union sacrée et la politique de défense nationale, se prononçant pour la répudiation de la politique nationale en régime capitaliste ; sans préconiser encore la scission, il réclama l’épuration du parti.

Il suivit les grèves du printemps 1920 avec l’espoir qu’elles étaient le signal d’une période prérévolutionnaire. Après l’échec des grèves de mai-juin 1920, il critiqua le légalisme de la CGT et du PS. Il en tira la conclusion de l’impérieuse nécessité d’une doctrine, d’une tactique et d’une organisation révolutionnaires. Le problème de l’organisation révolutionnaire devint son souci principal. L’absence d’une élite communiste que les grèves de mai révélèrent lui parut l’obstacle principal à une révolution en France. Cette vision pessimiste était tempérée par une vision héroïque de la Révolution russe et de l’expérience soviétique. Ce fut dans cet esprit que Lefebvre partit pour Moscou comme délégué du Comité de la IIIe Internationale pour assister au IIe congrès de l’Internationale communiste qui allait se tenir du 19 juillet au 7 août 1920. N’ayant pas obtenu de passeport du gouvernement français, il quitta clandestinement la France, le 7 ou 8 juillet, pour atteindre la Russie par la mer du Nord et la Baltique, en même temps que l’ouvrier métallurgiste Marcel Vergeat et l’ouvrier terrassier Jules Lepetit, délégués des syndicats minoritaires de la Seine. Lefebvre prit la parole à la tribune du congrès de l’Internationale communiste. Il brossa un tableau très critique du PS et de la CGT, mettant en garde contre l’admission dans l’Internationale communiste, sans épuration, ni rupture avec le réformisme et l’opportunisme. Dans la lettre qu’il envoya en septembre 1920 de Russie (publiée dans le Bulletin communiste du 7 octobre 1920 sous le titre « Je reviens d’un long voyage éblouissant ») Lefebvre réclamait la transformation du Parti socialiste en parti révolutionnaire. « Nous devons presque tout commencer par le commencement et sans nous dissimuler l’immensité de la tâche, ses aspérités. Ah ! quel écart entre l’inquiète modestie qu’un révolutionnaire français se sent au cœur ici, au spectacle de tout ce que suppose d’ordre et de génie une Révolution sociale (...). Le voyage en Russie, seul, peut faire entrevoir à un révolutionnaire de chez nous, l’énormité de notre insuffisance actuelle et l’obligation où nous sommes de laisser là, sans délai, une tradition de phraséologie sonore et biaiseuse, pour inaugurer une ère d’action et de préparation à l’action. » Le congrès de l’Internationale terminé, Lefebvre se rendit en Ukraine en compagnie de Lepetit et Jacques Sadoul. Les témoignages de Victor Serge et Henri Guilbeaux relèvent l’enthousiasme de Raymond Lefebvre à ce moment. En septembre 1920, Lefebvre, Lepetit et Vergeat se retrouvèrent à Petrograd où Victor Serge les accompagna durant huit jours. Aux premiers jours d’octobre les « Trois » s’embarquèrent sur un bateau de pêche à Vaïda Gouba, sur les bords de l’océan Arctique afin de gagner la Norvège. Craignant d’être arrêtés à Vardoï, ils décidèrent de gagner Bergen en canot automobile. On ne devait plus les revoir. Le 20 décembre 1920, le secrétaire de l’Exécutif de l’IC publiait à Moscou la déclaration annonçant la disparition de Lefebvre, Jules Lepetit et Marcel Vergeat à la suite de la tempête qui avait éclaté après leur départ. Les conditions de la disparition de Raymond Lefebvre et de ses camarades ne furent jamais totalement éclaircies, non plus que n’est réellement connu l’état d’esprit qui était le leur à la fin de leur voyage. Des éléments sont fournis par les lettres de Lepetit publiées après sa mort, en décembre 1920, par le Libertaire, qui critiquaient l’insuffisance de la participation ouvrière en Russie soviétique. Rien n’atteste que Lefebvre partageait les réactions de l’anarcho-syndicaliste Lepetit. Dès que fut connu le drame de la disparition des trois Français, des polémiques éclatèrent : la grande presse se fit l’écho d’allégations imputant aux bolcheviques la responsabilité criminelle de la disparition des « Trois ». Le point des connaissances actuelles sur la question de la disparition de Lefebvre, Lepetit et Vergeat a été fait par Annie Kriegel dans le second tome d’Aux origines du communisme français, 1914-1920 (pp. 772-787).

Les amis et les camarades de Raymond Lefebvre saluèrent en lui une victime du blocus, un héros de la révolution. « Comme Jaurès à la fin d’une époque, Raymond Lefebvre était tombé au seuil des temps nouveaux » rappelait, en 1922, Paul Vaillant-Couturier ; Romain Rolland, dans l’hommage publié par l’Humanité le 15 décembre 1920 écrivait : « Que son image demeure dans l’avenir le symbole de la jeunesse du vieux monde qui s’offre aux nouvelles croisades. »

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article117117, notice LEFEBVRE Raymond par Nicole Racine, version mise en ligne le 24 novembre 2010, dernière modification le 10 octobre 2022.

Par Nicole Racine

Jules Lepetit, Raymond Lefebvre et Marcel Vergeat vont, en compagnie de Racovski, visiter les organisations ouvrières de Karkow (Ukraine). ("Les Précurseurs", carte postale, Librairie du Travail, octobre 1921)
Portrait de Raymond Lefebvre par Mela Muter, reproduit sur une carte postale du journal Clarté.

ŒUVRE : Une liste exhaustive des articles de Raymond Lefebvre publiés de son vivant ainsi que celle de ses articles posthumes a été établie par Shaul Ginsburg dans la bibliographie de son ouvrage R. Lefebvre et les origines du communisme français, Paris, Éd. Tête de Feuilles, 1975, X-261 p.
On peut citer les livres et brochures suivants : L’Internationale des Soviets, La Vie ouvrière, 1919, 14 p. — La Révolution ou la Mort, Éd. Clarté, 1920, 43 p. — Préface à Lettres à mes amis 1918-1919 de P. Vaillant-Couturier, Flammarion, 1920, 219 p. — Avec P. Vaillant-Couturier, La Guerre des soldats, préface de Henri Barbusse, Flammarion, 1919, 272 p. — L’Ancien Soldat, Imp. La Productrice, 1918, 16 p. —L’Ancien soldat en 1920, 1919, 32 p. — H. Barbusse et alii, Hommage à la République socialiste et fédérative des Soviets de Russie, Éd. Clarté, 1919. —Le Sacrifice d’Abraham, Flammarion, 1920, 267 p. — Esquisse du Mouvement communiste en France (discours au IIe congrès de l’Internationale communiste), préf. de P. Vaillant-Couturier, Éd. Clarté, 1921, 128 p. — L’Éponge de vinaigre, id., 1921, 79 p.
On peut se reporter également aux textes suivants de Raymond Lefebvre : Discours au congrès national du Parti socialiste tenu à Strasbourg du 25 au 29 février 1920 dans le compte rendu sténographique du XVIIe congrès national du PS (p. 250-266 et 436-438). — « Lettre de Russie, Moscou, septembre 1920 », Bulletin communiste, 7 octobre 1920 (et Clarté, 15 octobre 1925). — « La mort de Jaurès et de l’internationalisme jauressien », Clarté, 15 novembre 1922. — « Discours sur le combattant de 1916 », id., 15 mars 1924. — Notes sur Le Feu, id., 1er novembre 1924.

SOURCES : Arch. PPo. dossier R. Lefebvre F/a 1147. — Jean Maxe, De Zimmerwald au Bolchevisme, ou le triomphe du marxisme pangermaniste. Essai sur les menées internationalistes pendant la guerre, 1914-1920, Paris, Bossard, 1920, 240 p. —L’Anthologie des défaitistes, id., 1925, 2 vol., XV-1154 p. — P. Vaillant-Couturier « Raymond Lefebvre », L’Humanité, 1er novembre 1921. — Jean Bernier, « L’œuvre littéraire de R. Lefebvre », Clarté, n° 1, 19 novembre 1921. — P. Drieu la Rochelle, Mesure de la France, Grasset, 1922, 163 p. — J. Maxe, L’Anthologie des défaitistes, Bossard, 1925, 1154 p. — Marcel Fourrier, « De "Clarté" à "La Guerre civile » », Clarté, n° 79, décembre 1925-janvier 1926. — H. Guilbeaux, Du Kremlin au Cherche-Midi, Gallimard, 1933, 271 p. — P. Vaillant-Couturier, « La fondation de l’ARAC », Monde, 12 septembre 1935. — Enfance, souvenirs d’enfance et de jeunesse, Éd. sociales internationales, 1938, 255 p. — Léon Moussinac, « Romain Rolland, Henri Barbusse, Raymond Lefebvre et Paul Vaillant-Couturier », La Nouvelle Critique, février 1961, p. 35-50. — R. Rolland, Journal des années de guerre, 1914-1919, Albin Michel, 1962, 1913 p. — Robert Wohl, « La Révolution ou la mort : R. Lefebvre and the formation of the French communist party », International Review of Social History, VII, 1962, part. 2, pp. 177-202. — Vladimir Brett, H. Barbusse, sa marche vers la clarté, son mouvement « Clarté », Prague, Édit. de l’Académie tchécoslovaque des sciences, 1963, 376 p. — Nicole Racine, Les écrivains communistes en France, 1920-1936, Paris, 1963, VII-446 ff. dactyl. (thèse Fondation nationale des sciences politiques). — Correspondance H. Barbusse-R. Lefebvre, Le Mouvement social, janv.-mars 1963, pp. 117-135. — Annie Kriegel, Aux origines du communisme français (1914-1920), Paris, La Haye, Mouton, 1964, 2 vol., 996 p. — Robert Wohl, French Communism in the making, 1914-1924, Stanford Univ. Press, 1966, 530 p. — Nicole Racine, « Une revue d’intellectuels communistes dans les années vingt : "Clarté" (1921-1928) », Revue française de science politique, juin 1967, pp. 484-519. — Shaul Ginsburg, « Raymond Lefebvre et le mouvement "Clarté » », Le Mouvement social, juil.-sept. 1967, pp. 45-76 ; « La jeunesse de R. Lefebvre : un itinéraire 1891-1914 », id., janv.-mars 1973, pp. 83-102  ; Raymond Lefebvre et les origines du communisme français, préf. d’E. Labrousse, Paris, Édit. Tête de Feuilles, 1975, X-261 p. — Michel Cadé, « Le séjour de Raymond Lefebvre dans les Pyrénées-Orientales (juillet 1918-juin 1919) », Cahiers de l’Institut Maurice Thorez, n° 32-33, Paris, 1979.

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