LE LAY Yves, Louis, Marie

Par Yves Le Floch

Né le 11 mars 1888 à Avranches (Manche), mort le 22 février 1965 à Rouen (Seine-Maritime) ; professeur de philosophie ; militant syndicaliste, secrétaire général du Syndicat national des professeurs de collège puis secrétaire national du SPES ; militant socialiste des Côtes-du-Nord puis du Loir-et-Cher.

Fils de Yves-Marie Le Lay, maréchal des logis de la gendarmerie, et de Marie Adèle Lesouef, Yves Le Lay effectua ses études secondaires dans un établissement catholique d’Avranches dont il garda un très mauvais souvenir et en conçut un certain anticléricalisme. Il obtint ensuite le baccalauréat en 1906 au lycée de Saint-Brieuc (Côtes-du-Nord, Côtes d’Armor) où il fut initié à la philosophie allemande (Nietzsche) par son professeur Georges Palante. Curieux de connaître la culture germanique, il partit pour l’Allemagne où il dut gagner sa vie pour poursuivre ses études. De 1908 à 1914, élève et assistant du professeur Wundt, inventeur de la « psychologie des peuples », il travailla littérature et philosophie à l’université de Leipzig. Considéré comme « indésirable » civil immédiatement après la déclaration de la guerre en août 1914, il fut interné durant 18 mois au camp de Holzminden, puis, en application d’accords internationaux, interné en Suisse et autorisé à poursuivre ses études à l’université de Genève et à l’institut Jean-Jacques Rousseau d’Édouard Claparède dont il devint l’assistant. C’est à cette époque qu’il fit sans doute la connaissance de Carl Gustav Jung, le fondateur de la psychologie analytique, dont il allait devenir le traducteur en français. Rapatrié en France en 1918 dans un convoi d’internés civils, après avoir obtenu en 1917 l’équivalence d’une licence française lettres-philosophie, il choisit de suivre sa vocation politique et syndicale plutôt que de préparer l’agrégation. Il épousa à Lannion, le 4 août 1925, Jane Clouteau, professeure à l’école primaire supérieure de filles, avec laquelle il eut au moins un fils.

Nommé professeur de philosophie au lycée de Quimper (Finistère) puis au collège de Lannion (Côtes-du-Nord), il eut une grande influence sur ses élèves — parmi lesquels se trouvèrent Marcel Hamon, Pierre Hervé, François Leizour et fonda avec quelques amis en 1924 une société de conférences populaires. Tout au long de cette période de l’entre-deux-guerres, il manifesta son grand intérêt pour la psychanalyse dont il fut un des introducteurs avant-gardiste en France, en traduisant Freud et surtout Jung, et en écrivant des articles dans diverses revues, dont la revue italienne Scientia jusqu’en 1940. Il conjugua son analyse de la psychanalyse comme instrument de libération et de subversion de la morale bourgeoise avec un militantisme syndical et politique à gauche.

Secrétaire du Syndicat des membres de l’enseignement secondaire et supérieur de l’académie de Rennes (Ille-et-Vilaine) affilié à la CGT, créé en 1923, Yves Le Lay fut également, en mai 1922, l’un des principaux artisans de la création à Lannion d’une sous-section de la Fédération des fonctionnaires et il en fut élu président dès sa constitution. Elle se transforma en section d’arrondissement du Cartel départemental des fonctionnaires en 1923, gardant comme président Le Lay qui devint alors, en outre, délégué à la propagande du Cartel. Durant trois années il tint de très nombreuses réunions dans le Lannionais ainsi qu’à Saint-Brieuc où il venait représenter sa section et fut enfin élu, le 14 décembre 1924, secrétaire général du Cartel départemental. Également membre du conseil d’administration du comité de défense laïque des Côtes-du-Nord, il aida à constituer un comité local à Lannion en 1923 et, là aussi, multiplia réunions et conférences.

Dans un article paru en avril 1927 dans L’Eveil breton, il dénonça le scandale de deux prêtres pédophiles dans un collège catholique à Bégard, condamnés à de la prison. Il y apportait des éléments d’explication empruntés aux théories freudiennes : ce fait divers « apprend aussi que la sexualité refoulée conduit au vice » et qu’il est impossible que les prêtres puissent continuellement exercer leur vœu de célibat car « on ne lutte pas ainsi contre l’instinct sexuel, le plus puissant qui soit, le plus impérieux, le plus violent ». Il protestait cependant de son absence de « haine de la religion que nos adversaires nous prêtent et que nous n’avons jamais eue. » Selon le témoignage de son fils, lui et sa femme restèrent en effet tout au long de leur vie, profondément croyants.

Yves Le Lay était aussi membre du Parti SFIO depuis plusieurs années, mais ce ne fut qu’en mai 1923 qu’une section se créa à Lannion dont il fut élu secrétaire. En août, il entreprit, avec Goude (du Finistère) Pasquiou et Ruedel, une tournée de propagande dans le département et, en 1924, commença la très importante série d’articles qu’il devait écrire, jusqu’en 1930, dans L’Éveil breton, organe fédéral. À partir de 1925, son activité au Parti socialiste supplanta totalement celles qu’il menait de front par ailleurs. Élu conseiller municipal en mai 1925, il seconda en juin de la même année Augustin Hamon pour la constitution d’une section à Tréguier et devint, en 1926, suppléant au conseil national, le restant jusqu’en 1935. Désigné par le congrès des sections de l’arrondissement de janvier 1928 comme candidat aux élections législatives — ce choix fut ratifié le 5 février par le congrès fédéral — il se présenta et obtint 7 % des suffrages, soit 1 386 voix venant pour l’essentiel de la région de Tréguier (Côtes-du-Nord). Le 1er avril avait été lancé, pour soutenir sa campagne, un hebdomadaire, le Travailleur du Trégor, dont la création fut violemment attaquée par Brilleaud au congrès fédéral du 13 mai suivant, comme étant une tentative de concurrence à l’Éveil breton. C’était une manifestation de la coupure qui séparait le gros de la Fédération des sections du Trégor marquées par l’influence d’Augustin Hamon. Ce qui devait devenir la tendance Jean Zyromski de la SFIO était largement majoritaire dans l’ensemble des sections de l’arrondissement et Le Lay en était l’un des principaux animateurs. Il prit ainsi position contre la participation ministérielle à la fin de 1929 et, lorsque Augustin Hamon créa La Charrue rouge en juillet 1930, il y publia des articles. En 1932, il effectua un voyage en URSS — pays dont ce journal soutenait l’expérience — et en revint plein de sympathie pour le communisme.

Victime d’une violente campagne de diffamation durant l’été de 1933, il participa très activement aux luttes locales de la gauche socialiste qui marquait alors de nombreux points — notamment sur le plan de l’alliance avec la paysannerie — et devint majoritaire dans la Fédération, une partie de la droite ayant suivi la scission « néo ». Jean Zyromski vint présider le congrès fédéral de février 1934, où fut voté un ordre du jour très dur contre le groupe parlementaire, et Le Lay fut un des deux délégués envoyés au congrès de Toulouse. Son départ pour Blois cette même année devait « décapiter », selon les termes employés par la Charrue rouge, la section locale.

Yves Le Lay fut en effet muté au collège Augustin-Thierry de Blois, ainsi que son épouse à l’EPS de filles. Il était alors devenu secrétaire général du Syndicat national des professeurs de collèges affilié à la FGE-CGT, écrivait donc de nombreux articles dans son organe Collèges, et fut élu membre du Conseil supérieur de l’Instruction publique en 1934 (candidatures uniques des « confédérés » et « unitaires »). Il appartint aussi à partir de 1936 à la commission exécutive de l’union départementale du Loir-et-Cher de la CGT.

Il participa activement, en 1937, à la création du Syndicat du personnel de l’enseignement secondaire, provenant de la fusion de son syndicat avec deux autres syndicats de la FGE (des surveillants et des professeurs adjoints) et les cégétistes du Syndicat autonome des professeurs de lycée et de l’enseignement secondaire féminin. Il en devint tout de suite un des principaux dirigeants, à la fois secrétaire corporatif des professeurs de collège et secrétaire de la commission pédagogique.

À Blois, Yves Le Lay se montra aussi un militant socialiste très actif et fonda avec deux collègues Le Jacobin blésois] qui parut durant l’année 1938. À la rentrée 1938, il obtint sa mutation pour le collège de Falaise (Calvados), tout en restant membre du bureau national du SPES.

Après la guerre, il se consacra essentiellement aux côtés de Roland Cahen à son travail de traduction et de vulgarisation de la psychanalyse, notamment des ouvrages de Jung. Il mourut sans avoir pu achever la traduction de l’autobiographie de Jung, Ma Vie. Longtemps resté ignoré, voire déconsidéré, son rôle de traducteur et de préfacier apparaît aujourd’hui à Florent Serina, historien de la psychologie et de la psychanalyse, comme déterminant et avant-gardiste, sans jamais pourtant s’être rattaché aux courants freudo-marxistes.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article117540, notice LE LAY Yves, Louis, Marie par Yves Le Floch, version mise en ligne le 24 novembre 2010, dernière modification le 20 mai 2021.

Par Yves Le Floch

ŒUVRE : Traductions : le catalogue de la BNF comprend 43 titres dont : Freud, Cinq leçons sur la psychanalyse, traduction en 1920 et 1921 reprise en 1950 avec Samuel Jankélévitch ; Carl Gustav Jung, Essais de psychologie analytiques, Stock, 1931 ; Conflits de l’âme enfantine, en 1935, L’énergétique psychique, en 1956 ; Problèmes de l’âme moderne, Buchet-Chastel, 1961. — Otto Rank, Au-delà du freudisme : la volonté du bonheur, traduction en 1934. — Charles Kerényi, La Religion antique, ses lignes fondamentales, Genève, Georg, 1957.
Articles : « Études et opinions sur Freud et la psychanalyse » dans Le Disque vert, février 1924 ; « Aux confins de la psychologie et de la philosophie » dans Le Disque vert, n° spécial consacré à Jung, 1955.

SOURCES : Arch. Dép. Côtes-du-Nord, série M, Tracts et affiches, réunions syndicales et corporatives, réunions diverses. — Arch. Dép. Loir-et-Cher, Bourse du Travail de Blois. — L’Éveil breton. — La Charrue rouge. — Le Combat, novembre 1934. — Le Solognot puis Le Populaire de Loir-et-Cher. — Arch. IRHSES (Journal Collèges, Bulletin du SPES). — Florent Serina, "Le Lay, Yves, Louis, Marie", in Alain de Mijolla (dir.), Dictionnaire international de la psychanalyse, vol. II, Fayard, coll. "Pluriel", 2013, p. XIV-XV. — Conférence de Florent Serina (université de Lausanne) sur Yves Le Lay, colloque « Parler de Freund et Jung aux XXe et XXIe siècles, Université de Bourgogne, 17 avril 2015, https://mediaserveur.u-bourgogne.fr/videos/yves-le-lay-1888-1965. — Notes biographiques de madame Le Lay. — Lettre de la mairie de Lannion, avril 1975. — Notes d’Alain Dalançon.

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