Par Jean Maitron, Claude Geslin
Né le 13 novembre 1882 à Locmiquélic-en-Riantec (Morbihan) ; mort le 20 juin 1945 au retour de déportation. Ouvrier chaudronnier ; militant anarchiste et syndicaliste ; secrétaire du syndicat des travailleurs réunis du port de Lorient (Morbihan) de 1922 à 1935 ; secrétaire général de l’Union départementale (1929-1939).
Entré vers 1900 comme apprenti chaudronnier à l’Arsenal de Lorient (Morbihan), François Le Levé fit, en 1901, son service militaire. À son retour, il milita activement et, vers 1910, devint secrétaire adjoint du syndicat des travailleurs réunis du port de Lorient.
Inscrit au Carnet B, Le Levé appartenait, en 1911, au conseil d’administration de la Bourse du Travail de Lorient. Il animait également un « groupe des Temps nouveaux » qui travaillait en liaison avec celui de l’Arsenal de Brest. En 1913, il était secrétaire adjoint de l’Union départementale des syndicats.
François Le Levé, fidèle au courant libertaire et au mutuellisme des Bourses du Travail, écrivait dans les Temps Nouveaux et c’est par l’intermédiaire de ce journal qu’il entra en contact avec Émile Masson. Il collabora avec lui pour la création de la revue Brug (bruyères), revue de propagande socialiste en milieu paysan, en breton et en français.
Il fut l’un des signataires du Manifeste des Seize qui, publié dans la Bataille du 14 mars 1916, traduisait en quelque sorte le ralliement d’une importante fraction des leaders anarchistes à la défense nationale. Le Levé et ses camarades s’exprimèrent alors dans la Libre Fédération que le docteur Jean Wintsch fit paraître à Lausanne de 1915 à 1919, puis dans les Temps nouveaux, revue internationale des idées communistes (libertaires) publiée de 1919 à 1921 à Paris par le docteur Marc Pierrot et Jacques Reclus. Comme Jean Grave, il fut mis à l’écart dans le mouvement anarchiste, pour sa prise de position en 1916, mais resta très lié avec Jules Le Gall.
Militant responsable du syndicat des travailleurs réunis du Port de Lorient avant 1914, François Le Levé en fut le secrétaire général en 1918-1919, puis de 1922 à 1935. Violemment hostile aux unitaires, il fut souvent pris à partie par eux dans leurs réunions. Secrétaire adjoint de l’Union départementale CGT jusqu’en 1929, il en devint à cette date secrétaire général à la mort de Trévennec et le resta jusqu’en 1939. En 1929, aussi, il avait été sollicité pour remplacer Trévennec comme secrétaire de la Bourse du Travail de Lorient mais il avait refusé préférant garder son poste de secrétaire du syndicat de l’Arsenal. Il était alors assisté de Joseph Pichodo, secrétaire adjoint, de François Raoul, trésorier et de Baptiste Horel, trésorier adjoint. Le nombre des syndiqués CGT qui avait été de 550 en 1925, de 650 en 1927, s’élevait alors à 750 pour 3 000 ouvriers.
François Le Levé ne fut pourtant élu qu’en seconde position, comme délégué ouvrier à la marine en 1930. Deux autres syndiqués CGTU étaient élus : J. Maurice et L. Gueguen (l’Humanité, 3 octobre 1930). En 1935, retraité de l’Arsenal, il continua à jouer un rôle de conseiller dans le syndicat réunifié et cumula désormais les postes de secrétaire de l’Union départementale et de l’Union locale de Lorient. Il fit partie des nombreux comités du Front populaire et fut le gérant de l’Action syndicale, organe du syndicat de l’Arsenal, de 1935 à 1939. Il participa également, en mai 1938, à la création du Prolétaire breton journal de l’UD réunifiée.
L’occupation du pays par l’armée allemande devait mettre un terme à son intense activité syndicale légale. Toutefois, il garda son poste de membre du conseil d’administration de la Caisse régionale des Assurances sociales, qu’il détenait depuis 1930. C’est à ce titre qu’il pouvait se rendre tous les mois à Paris où il rencontrait habituellement son ami Oreste Capocci.
En janvier 1943, il fut contraint, comme la grande majorité de la population, de quitter Lorient, en raison de l’intensification des bombardements alliés. Il s’installa à Vannes (Morbihan), au moment où dans cette ville de longues négociations étaient menées dans les milieux de la Résistance. C’est à cette occasion que François Tanguy-Prigent fit accepter la représentation du mouvement syndical au sein du comité départemental de Libération clandestin. Ce fut François Le Levé qui en assuma la charge. Le comité départemental de Libération fut installé officiellement le 7 mars 1944. Malheureusement la police allemande en fut informée. Elle procéda dès le 18 mars à l’arrestation de trois membres du comité, puis à celles de François Le Levé et de Joseph Rollo.
Successivement interné aux prisons de Vannes et de Rennes (Ille-et-Vilaine) puis au camp de Royallieu à Compiègne (Oise), déporté le 31 juillet au camp de Neuengamme, il y fut enregistré sous le matricule 39 879. Déjà âgé de soixante-trois ans, il mourut d’épuisement, le 20 juin 1945, au cours du voyage de retour en France.
Une rue de son village natal, une rue de Lorient et une rue de Queven (Morbihan) portent son nom.
Par Jean Maitron, Claude Geslin
SOURCES : Arch. Nat. F7/13567, 13608, 13641 et 13637. — Arch. Dép. Morbihan, série M. — Le Rappel du Morbihan. — Le Prolétaire breton, 1912 et 1932. — L’Action syndicale, 1935-1939. — La CGT, op. cit. — Le Rappel, journal de la Fédération socialiste du Morbihan, 14 et 21 décembre 1978. — Roger Leroux, Le Morbihan en guerre 1939-1945, 1978, édité par Joseph Floch à Mayenne. — R. Bianco, Un siècle de presse anarchiste, op. cit. — R. Lochu, Libertaires, mes compagnons de Brest ou d’ailleurs, Quimperlé, La Digitale. — Témoignage de Madame Aubry, secrétaire de l’Amicale des Déportés du Camp de Neuengamme. — Témoignages de militants syndicalistes, compagnons de F. Le Levé, recueillis par Louis Bonnel. — État-civil de Locmiquélic-en-Riantec.