LEROY Léon, Joseph, Amédée, dit LORRIS Jean

Par Justinien Raymond et Madeleine Rebérioux

Né le 13 mars 1879 à La Colombe (Loir-et-Cher), mort le 16 septembre 1932 à Paris ; publiciste ; directeur de l’Encyclopédie socialiste, syndicale et coopérative.

Jean Lorris
Jean Lorris

Fils d’un directeur d’école de La Colombe, Jean Lorris fit ses études aux lycées de Blois et d’Auxerre et devint bachelier ès lettres. Il était l’ami de Maxence Roldes et celui-ci l’aida, dès 1900, à entrer à la rédaction du journal radical d’Auxerre, L’Yonne, de Gallot : Lorris avait vingt et un ans et, depuis un an déjà, il avait adhéré aux Jeunesses socialistes d’Auxerre. C’est dans l’Yonne qu’il allait, jusqu’en 1906, passer toute la première partie de sa vie militante, c’est là aussi qu’il se maria le 16 avril 1903.

Dès 1900, il commença à parcourir le département, multipliant les réunions de propagande et enseignant l’ABC du collectivisme. Il est possible que ce souci pédagogique ainsi que sa formation intellectuelle secondaire l’aient assez rapidement rapproché des guesdistes. Le « Carnet d’un prolétaire », où il relate ses tournées de propagandiste et qu’il publie à partir du 15 septembre 1900 dans le jeune Travailleur socialiste de l’Yonne, nous permet de suivre son évolution. Celle-ci resta pourtant assez personnelle. Certes, Lorris combattit vivement le ministérialisme dans la fédération de l’Yonne qui avait adhéré au Parti socialiste français et il porta avec vigueur la contradiction à Viviani le 19 novembre 1903 au théâtre municipal de Joigny ; mais il serait faux de ne voir que son action dans la rupture de la fédération avec le PS français en 1903 ; et lorsque, en accord d’ailleurs avec Hervé*, il voulut la pousser à adhérer au Parti socialiste de France, il essuya un échec complet. Très marqué par l’antimilitarisme du milieu dans lequel il militait, il entendait en même temps le faire servir à la doctrine collectiviste : c’est dans cet esprit qu’il accepta des responsabilités, en 1904, dans le Pioupiou de l’Yonne, « deuxième » (et, à vrai dire, assez ennuyeuse) manière et que, poursuivi en novembre 1904, il fut, comme la chose était devenue traditionnelle, acquitté par la cour d’assises de l’Yonne. Au début de 1905, il devint secrétaire de la Bourse du Travail d’Auxerre, bourse régionale, chargée entre autres d’organiser le « Sou du Soldat », qui s’était fondée en septembre 1904 — voir Achille Billon*, Mathonat J.* et Darde* qui furent secrétaires de la Bourse. Voir également Alf. Barbier*, Dubarry R.* et Pluyaud G.* qui assistèrent Leroy au secrétariat. Il était au même moment secrétaire du groupe socialiste de la ville qui se transforma en section au moment de l’unité.

L’année 1905-1906 marqua un tournant dans la pratique militante de Lorris. Délégué de la fédération autonome au congrès du Globe et au congrès de Chalon, il ne défendit pas, loin de là, les positions officielles des guesdistes. Il préconisa, au congrès fédéral de juin 1905, l’alliance de la République et du socialisme et son attitude lors de l’élection partielle de la 1re circonscription d’Auxerre, en juillet 1905, souleva l’inquiétude et le mécontentement de ceux qui le considéraient comme un « révolutionnaire » : il appela à voter pour le candidat radical, Philippe, et, lorsqu’un peu plus tard il fut question de sa candidature dans l’Avallonnais pour 1906, il s’arrangea pour éviter cette circonscription où l’échec était certain. Le mécontentement fut tel qu’il offrit, le 5 septembre, sa démission — d’ailleurs refusée — de secrétaire de la section d’Auxerre. Finalement, celle-ci le choisit comme son porte-parole en avril-mai 1906. Cette attitude ambiguë lui a peut-être été l’occasion de clarifier ses idées. En tout cas, il lui dut d’avoir perdu la confiance des allemanistes de la fédération, même si, en février 1906, il les avait loyalement et habilement aidés dans l’affaire de l’Affiche antimilitariste. On s’en rendra compte lors du vif échange qui l’opposera à Jobert au congrès de Toulouse en octobre 1908.

Lorris, au lendemain des élections, quitta Auxerre. Il regagna son département natal de Loir-et-Cher, et y commença une deuxième carrière d’organisateur et de propagandiste. Depuis le départ de Rozier pour Paris, le mouvement socialiste languissait dans ce département peu industriel, et son organe, Le Progrès de Loir-et-Cher, dépérissait.

Son arrivée « allait complètement modifier la situation » (cf. Dupeux, op. cit., p. 600). Nommé rédacteur en chef du Progrès, Lorris s’attacha à une double tâche : répandre les idées socialistes et amener la fédération à adhérer à l’unité. « Conférencier infatigable » (ibid.), il parcourut tour à tour le Vendômois (septembre 1906), le Blésois (octobre), la vallée du Cher (novembre) et, en décembre, la Beauce que la propagande socialiste n’avait encore jamais touchée. Il redonna vie aux groupes transformés en sections socialistes, à Blois, à Vendôme, en créa de nouvelles à Seur et à Romorantin. Le 2 décembre 1906, à son appel, le congrès fédéral décida l’adhésion à la SFIO et le nomma secrétaire fédéral. La fédération le déléguera aux congrès nationaux de Nancy (1907), Toulouse (1908), Saint-Étienne (1909), Nîmes (février 1910) et Paris (juillet 1910). Si les élections municipales de 1908 apportèrent quelques déboires dans les campagnes et les bourgs, la section de Blois présenta une liste socialiste complète qui recueillit de 407 à 542 voix sur 6 170 inscrits, Lorris venant en tête. Une succession de grèves en 1909 et 1910 attesta d’un réveil de la combativité ouvrière, à laquelle sa propagande n’était pas étrangère. Il avait aidé à l’organisation du syndicat départemental des bûcherons et du syndicat des employés des tramways. Il soutint les salariés en lutte sans jamais pouvoir les conduire à un franc succès.

Sur ce terrain, Lorris et ses amis s’opposèrent vivement aux radicaux, et une profonde coupure sépara les socialistes en deux tendances, ceux qui, avec Jean Lorris, préconisaient un socialisme révolutionnaire dressé contre la bourgeoisie, et ceux qui le concevaient comme un combat républicain d’avant-garde, essentiellement mené avec les radicaux contre le cléricalisme. La faiblesse même du mouvement socialiste, la structure sociale du département qui l’expliquait, le poids de la paysannerie propriétaire firent pencher la balance du côté des adversaires de Lorris. Les actionnaires, propriétaires du Progrès, l’évincèrent de la direction (août 1909). Le congrès fédéral extraordinaire qu’il réunit fut boudé par la section de Vendôme. L’organe qu’il mit sur pied, Le Travailleur du Centre, végéta et mourut le 15 mars 1910. La fédération ne présenta aucun candidat aux élections législatives de 1910.

Lorris avait déjà abandonné la partie localement. Il se battit dans la 1re circonscription de Saint-Étienne contre Aristide Briand* et rassembla sur son nom 2 504 électeurs. Désormais, la vie militante de Jean Lorris va prendre un cours nouveau. Il ne renonça ni à la propagande, ni aux batailles électorales, ni à l’œuvre d’organisation interne du parti, ni à la presse socialiste. Il représenta la fédération du Gard au congrès de Lyon (1912). Aux élections législatives de 1914 dans la 2e circonscription de Villefranche (Rhône), il recueillit 4 304 suffrages et approcha du succès contre M. Bonnevay. Au lendemain de la guerre, qu’il avait faite comme officier d’administration avant d’être détaché aux Archives de l’Armée, il travailla comme membre des premières commissions exécutives et, pendant quelques mois, en qualité de secrétaire de la commission de propagande, à la renaissance de la fédération socialiste de la Seine durement atteinte par la scission. Il lança, avec Paul-Boncour, Floréal, hebdomadaire du monde du travail. Mais il s’attacha à de nouvelles formes de propagande. Dès 1910, il s’était attelé sur le plan technique et commercial à la réalisation de l’Encyclopédie socialiste, syndicale et coopérative qu’il mènera à bien comme directeur-propagateur de 1912 à 1921. Il fonda en 1922 une firme de radio : la Science nouvelle et ses applications pratiques, et la mit au service de l’action ouvrière et de la culture populaire. En 1929, il lança la Voix des Nôtres sous l’égide du Parti socialiste, la Voix du Travail sous le couvert de la CGT et les Chants du Monde du Travail. Il enregistra les voix des grands orateurs socialistes, syndicalistes, coopérateurs, de Firmin Gémier et d’autres comédiens.

Une mort prématurée vint interrompre cette tâche.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article118129, notice LEROY Léon, Joseph, Amédée, dit LORRIS Jean par Justinien Raymond et Madeleine Rebérioux, version mise en ligne le 24 novembre 2010, dernière modification le 7 octobre 2022.

Par Justinien Raymond et Madeleine Rebérioux

Jean Lorris
Jean Lorris

ŒUVRE : Journaux auxquels collabora Lorris ; L’Yonne (J. Lorris fut attaché quelque temps à la rédaction de ce quotidien radical), Le Pioupiou, Le Paysan, lancé par les fédérations de l’Yonne et du Loiret, Le Travailleur socialiste, Le Progrès de Loir-et-Cher, Le Travailleur du Centre. Lorris fut également secrétaire général de Floréal, hebdomadaire illustré du monde du travail, dirigé par Paul-Boncour (n° 1 : 3 janvier 1920 ; n° 26 : 25 juin 1921).
_ Les Vérités de Pierre Mathurin, ouvrier et paysan : Villeneuve-Saint-Georges, 1908, 32 p. (IFHS : B. 729). — Petit Pierre sera socialiste, complété par un ABC du Socialiste : écrit en collaboration avec P. Grados. Préface de Bracke : Paris, 1913, 440 p.

SOURCES : Arch. Nat. F7/13 567 et F7/13 623. — Comptes rendus sténographiques des congrès du Parti socialiste SFIO. — Hubert-Rouger : Les Fédérations socialistes, t. II (pp. 351-353-508) et t. III (pp. 108-116, passim). — Léon Osmin : « Jean Lorris » : in Figures de jadis : (pp. 197-205) avec photographie. — G. Dupeux : Aspects de l’histoire sociale et politique de Loir-et-Cher. 1848-1914, thèse, Paris, 1962, 631 p. (pp. 600-605). — Enquête auprès de Mme Lorris.

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