Par Claude Pennetier, Gilles Morin
Né le 5 avril 1900 à Blaye-les-Mines (Tarn), mort le 10 avril 1945 au camp de Bergen-Belsen (Allemagne) ; instituteur ; secrétaire de la Fédération socialiste SFIO et député socialiste du Tarn.
Augustin Malroux naquit au début du siècle dans un milieu de mineurs : son père, Jean, Julien Malroux (17 avril 1872-14 décembre 1941) ainsi que ses oncles travaillaient à la mine. Sa mère Rosalie, Augustine Cornu (20 janvier 1875-9 janvier 1923) était blanchisseuse afin de permettre à son fils unique de poursuivre sa scolarité. Son père portait une grande admiration à Jaurès, en exprimant ouvertement ses idées socialistes.
Après avoir fréquenté l’école primaire de son village puis l’école supérieure d’Albi, Augustin Malroux entra à l’École normale d’instituteurs de Toulouse (Haute-Garonne) dans la promotion 1917-1920.
A l’École normale, ses idées politiques socialistes s’affirmèrent. Après son service militaire (1920-1922), il fut nommé à l’école primaire publique de Saint-Pierre-de-Cadix (canton de Valence) puis à Cadix en 1923. De 1922 à 1926, Augustin Malroux se fit remarquer comme capitaine de rugby du Club carmausin. Le 28 août 1923, il épousa une institutrice, Paule Mauriès. De cette union, naquirent deux filles, Josette, Andrée, le 3 septembre 1925 et Anny, Simone, le 19 août 1930. Le 31 décembre 1927 le couple fut nommé à l’école primaire mixte de Lafenasse (Tarn).
Malroux adhéra au Parti socialiste à une date inconnue. Il créa une section à Lafenasse en 1928 dont il assura le secrétariat. Dès lors il fut délégué à tous les congrès fédéraux du Parti socialiste SFIO. Alors que sous l’influence de Louis Fieu et surtout du député-maire d’Albi, Laurent Camboulives, la Fédération socialiste du Tarn s’affirmait de plus en plus réformiste, Malroux fut un des premiers à réagir au nom de la tradition socialiste. Dans le Progrès de l’Aveyron du 16 avril 1932, il publia un article intitulé "l’opinion d’un militant" pour critiquer les parlementaires qui, comme Camboulives ou Paul Ramadier (Aveyron), ne suivaient pas les consignes du groupe parlementaire socialiste. Dans cet article, il demandait la convocation d’un congrès extraordinaire. Le 14 juillet 1933, au congrès de la SFIO tenu à Paris, il prit position avec Léon Blum contre Adrien Marquet. Sa position à la pointe du combat contre les éléments "droitiers" lui valut d’être nommé secrétaire fédéral le 4 février 1934, après la scission des néo-socialistes.
Le choix des militants du Tarn s’avéra judicieux. Le jeune instituteur engagea un combat courageux et difficile contre Camboulives. Une réunion organisée à Albi au début de 1934 marqua un tournant : selon Paule Malroux, femme d’Augustin, elle fit basculer le parti du côté des "purs" : "Malroux épaulé par les Jeunesses socialistes de Toulouse empêcha Marquet, Dechizeaux et Camboulives de tenir meeting et transforma le rassemblement en réunion socialiste"..."c’est à partir de ce moment là que l’importance des néo (...) a baissé et que, par contre, les idées soutenues par le secrétaire fédéral ont gagné tout le département."
En octobre de la même année il fonda avec des camarades du parti l’Éveil ouvrier et paysan et se présenta aux élections du conseil général contre Camboulives qui disposait encore de sérieux atouts. Le député-maire fut élu avec 4 276 voix, Malroux en obtint 2 O82, le candidat de droite 995 et le communiste Augustin 361. En comparant avec les résultats de 1931, on constate que Camboulives cumulait les anciennes voix radicales, plus de la moitié des voix socialistes, l’autre moitié revenant au secrétaire fédéral. Aux élections municipales de mai 1935, il devint maire de Blayes-les-Mines et il présida les réunions du conseil municipal jusqu’au 11 août 1940.
Pour les élections législatives d’avril-mai 1936 dans la première circonscription d’Albi, les chances d’Augustin Malroux paraissaient faibles. Il arriva toutefois en tête au premier tour avec 5 098 voix (27,2 % des inscrits) devant le candidat radical-socialiste le Dr Devoisin (4 247 voix) et le communiste Augustin (973 voix). Il l’emporta au second tour avec 7 853 voix contre 7 599 à son adversaire radical. Dans son programme, il se dépeignait lui-même comme "un homme qui ne pactisera jamais avec la réaction cléricale et nationaliste".
Siégeant à la CAP (motion Zyromski), le nouveau député socialiste déploya une grande activité dans le Tarn, les départements voisins (Aveyron, Hérault, Haute-Garonne) et fit une tournée de propagande en Oranie en avril 1937. Il fut violemment pris à partie par la presse oranaise pour ses positions anti-colonialistes. Selon le Cri des travailleurs du 11 mai 1946, "au Parlement, certains le trouvaient trop intransigeant. Il n’était pas sectaire, il était seulement farouchement fidèle à ses origines, aux principes du socialisme orthodoxe".
Il appartint à plusieurs commissions : administration départementale et cantonale, mines et force motrice, suffrage universel et aéronautique. Malroux, intervint rarement dans les débats de l’Assemblée. Il participa aux discussions sur le budget de l’Éducation nationale et déposa en décembre 1938 une proposition d’exonération des taxes sur le blé vendu à l’Espagne républicaine qui fut l’occasion d’apporter son soutien à ses camarades d’outre-Pyrénées. Dans le Parti socialiste il soutenait alors les thèses de Paul Faure.
Son discours le plus remarquable fut celui du 27 février 1940 où il participa au débat d’interpellation déposée par Léon Blum sur l’organisation et le fonctionnement de la censure. Il dénonça le caractère partial de la censure qui laissait passer des insultes et des appels au meurtre contre Léon Blum et ne tolérait pas des articles de la gauche défendant la laïcité. Exigeant un retour au statu quo en matière laïque, il revendiquait son droit de défendre la laïcité si l’équilibre n’était plus respecté. Son discours suscita de violentes interruptions de la droite et cette apostrophe de Philippe Henriot : "Il vous restera le triste mérite d’avoir le premier pris la parole pendant cette guerre contre l’Union nationale."
Le 10 juillet 1940, Malroux refusa de voter les pleins pouvoirs au maréchal Pétain. Il écrivit le jour même à sa femme et à ses enfants : "Ceci est mon testament politique. Je veux que plus tard vous sachiez qu’en des heures tragiques votre Papa n’a pas eu peur de ses responsabilités et n’a pas voulu — quelles que soient ses craintes — être parjure à tout ce qu’il a appris puis enseigné dans la vie. J’ai été élevé dans l’amour de la République. Aujourd’hui on prétend la crucifier. Je ne m’associe pas à ce geste assassin. Je reste un protestataire. J’espère le rester toute ma vie pour être digne de ceux qui m’ont précédé" (le Cri des travailleurs, 13 octobre 1945). Il rendit plusieurs visites à Largo Caballero, premier ministre en exil de la République espagnole à Trébas (Tarn) en ce mois de juillet 1940.
Malroux chercha une occupation professionnelle lui permettant de circuler et de travailler dans la clandestinité à la réorganisation du Parti socialiste. A Mazamet, il prit contact avec les militants pour essayer de reconstituer la fédération. En septembre 1940, il participa à Paris à la réunion constitutive du Comité d’action socialiste pour la zone nord. Il fut chargé des liaisons avec les départements du Centre et de l’Ouest. Par de fréquentes visites, il tenait régulièrement au courant de ses activités Louis Noguères que le gouvernement de Vichy avait envoyé en résidence forcée à Argentat pour s’être lui aussi opposé au vote des pleins pouvoirs. Son appartement parisien était à la disposition du comité exécutif du Parti socialiste pour ses réunions (le Cri des travailleurs, 13 avril 1946). Le 14 décembre 1940, un arrêté du préfet du Tarn le suspendit de ses fonctions de maire de Blayes-les-Mines pour un mois et il fut définitivement révoqué le 9 juillet 1941 par le gouvernement de Vichy. Henri Noguères définit ainsi son activité résistante : "Malroux s’était, de lui-même, assigné une triple mission et il s’en est acquitté, avec un infatigable courage jusqu’au sacrifice suprême. Constamment en déplacement, se partageant la tâche avec Suzanne Buisson et Froment, il maintenait la liaison avec les parlementaires socialistes qui, pour des raisons diverses, n’étaient plus libres de leurs mouvements, et qui, comme Froment et lui n’avaient pas démérité (...) De plus il effectuait, en dépit de la ligne de démarcation, de fréquentes navettes entre les deux zones, ce qui lui avait permis de compter parmi les quelques "historiques" des deux premiers noyaux des Comités d’action socialiste : CAS-zone nord et CAS-zone sud. Enfin, dès la création du mouvement de résistance "Libération" en zone sud, il avait établi et maintenu, de la même façon, une liaison permanente entre Libé-Sud et Libé-Nord".
Quelques grandes étapes de cette action multiple peuvent être rappelées : en mai 1941, il participa à un congrès du Parti socialiste clandestin à Lyon, en décembre à une autre réunion à Toulouse. En 1942, il fut chargé de constituer un groupe de combat pour Libération Nord et parallèlement il travailla à la réorganisation du Syndicat des instituteurs avec notamment G. Lapierre et René Paty tous deux morts en déportation. Il était aussi membre du réseau Castille.
Ses activités multiples ne pouvaient manquer de le faire repérer. Révoqué le 9 janvier 1941, il fut membre du réseau Confrérie Notre-Dame Castille et de l’OCM (Organisation civile et militaire). En août 1941, il fut arrêté une première fois lors d’un franchissement clandestin de la ligne de démarcation et interné durant une semaine à Toulouse. Le 2 mars 1942, il était arrêté à Paris en même temps que Lapierre et Paty et emprisonné à Fresnes. Le 15 septembre 1943, il était déporté en Allemagne où il devait mourir le 10 avril 1945. Son calvaire l’avait conduit du camp de Neuenkirchen, près de Sarrebruck, à Bergen-Belsen en passant par les prisons de Francfort, Kassel, Halle, Berlin et le commando de Bad-Saarow d’octobre 1943 à février 1945, puis il fut transporté le 6 février à Bergen-Belsen où il mourut.
Jusqu’au bout ses camarades français espérèrent son retour. Le 22 août 1944 un arrêté du préfet du Tarn le désignait comme président de la délégation spéciale de la commune de Carmaux et il fut présenté et élu comme tête de liste SFIO aux élections municipales de Carmaux de mai 1945.
A la Libération, le Parti socialiste rendit hommage au député d’Albi. En avril 1946 une plaque fut posée devant sa maison parisienne qui avait été durant la guerre à la disposition du Comité exécutif clandestin du parti et Robert Verdier prononça un discours. Un monument fut inauguré à Albi en présence de Jean Biondi, une association des Amis de Malroux se forma et dans plusieurs villes du Tarn des rues portent son nom. En 1990, un collège de Blaye-les-Mines a été baptisé Collège Augustin-Malroux, en présence de Lionel Jospin, ministre de l’Éducation nationale.
Par Claude Pennetier, Gilles Morin
SOURCES : Arch. Ass. Nat. (dossier biographique). — Arch. Deixonne (OURS). — Le Progrès de l’Aveyron, 13 mars 1932. — La Voix des travailleurs, 1934. — Le Cri des travailleurs, 1945-1946. — Bulletin de la Société d’études jaurésiennes, n° 97, 1985. — Lettre de Paule Malroux, 19 mai 1975. — Notes de sa fille.