MANGUINE Edgar [pseudonymes dans la Résistance : Lemonnier, Nicolas]

Par Antoine Olivesi, Jean-Marie Guillon

Né le 30 avril 1907 à Houplines (Nord), mort le 8 décembre 1994 à Marseille ; dessinateur industriel et ajusteur ; militant anarchiste puis communiste ; responsable de la Fédération sportive et gymnique du travail (FSGT) à Marseille (Bouches-du-Rhône) ; volontaire en Espagne républicaine ; membre de l’Organisation spéciale (OS), des Francs-Tireurs et Partisans et d’un réseau de renseignement soviétique.

Né dans une famille d’opinions révolutionnaires - son père, Louis Manguine, était préposé des douanes et de tendance anarcho-syndicaliste et sa mère, née Marguerite Fabre sans profession —, Edgar Manguine était le frère cadet de Louis Manguine*, dont il suivit l’itinéraire politique, passant lui aussi de l’anarcho-syndicalisme au communisme. Son frère, militant communiste et syndicaliste dans le Nord, épousa Martha Desrumeaux*, tandis que leur sœur Gisèle se maria avec Charles Nédélec*, militant communiste et dirigeant syndical des Bouches-du-Rhône.
Célibataire, vivant chez son père à Marseille, groupe Ambrosini au Canet, bd Sardou, ayant une double formation de dessinateur industriel et d’ajusteur, Edgar Manguine milita activement tant au PC qu’à la FSGT, dont il était, en 1935-1936, secrétaire du comité de Provence. Il écrivait des articles sportifs dans Rouge-Midi. Il participa au travail antimilitariste à Toulon au début des années trente, au temps des Strack*, le docteur et son fils, et avoir milité avec Gabriel Diné*. Dès le début de la guerre civile en Espagne, il participa à l’aide au parti communiste espagnol. Il disait avoir fait partie de l’équipage du premier transport d’armes sur une tartane partie de l’Étang de Thau jusqu’en Catalogne, d’abord à La Esquerra, où elle n’avait pas trouvé de comité de réception, puis à Rosas où elle fut accueillie par des anarchistes. Ce voyage avait été préparé par la Fédération communiste des Bouches-du-Rhône et eut lieu en septembre 1936 (le 4 ou le 16). Il séjourna en Espagne du 4 octobre 1936 au 5 février 1939. Il y était délégué à la réception du matériel et des armes destinées aux Brigades internationales à Barcelone en 1937. Un agent du cagoulard Henri Dupré, devenu l’homme de confiance d’André Marty* et intendant de la base d’Albacete, avait été infiltré auprès de lui. En mars 1938, Rouge-Midi publia un de ses articles, adressé depuis le front républicain espagnol. En mars 1939, il avait les fonctions de commissaire politique sur le Lézardieux qui évacua à Valence six cents républicains qui tentaient d’échapper aux franquistes et qui furent conduits à Oran. Il y rencontra Franck Boujard*, représentant la compagnie France-Navigation et chargé de les réceptionner.C’est probablement en liaison avec ses activités qu’il fut l’objet d’un mandat d’amener d’un juge de Béziers (Hérault), le 4 avril 1939, pour recel et qu’il fut condamné en juin 1939 par tribunal correctionnel de Saint-Pons (Hérault) à 8 mois de prison, condamnation dont il fit appel.
Mobilisé en 1939 au 15e Génie, section 624, il combattit en Alsace. Fait prisonnier le 18 juin 1940 à Vermandois (Doubs), interné à Besançon, il s’évada le 20 septembre suivant alors qu’il était hospitalisé. Il arriva à Marseille le 27 et fut démobilisé en octobre.
Il participa aussitôt à la reconstitution du PC clandestin en relation avec Fernand Vigne* et Jean Andreani*, mais fut interné au camp de Chibron (commune de Signes, Var) par un arrêté du 2 novembre 1940. Il s’en évada avec l’accord de la direction régionale du parti (Fernand Vigne*) dès le 26 novembre avec Fernand Rossillol* et Georges Ques. Il fut hébergé dans une famille d’agriculteurs de La Cadière (Var), les Vercellino, où il connut sa future épouse. Cette adresse avait été donnée par Baptistin Étienne*. Raymond Latarget* lui fournit la fausse identité d’André Brenot et Vigne l’envoya à Nice pour reconstituer le PC. Grâce à l’informateur qu’elle avait au sein de la direction régionale clandestine, la police spéciale fut au courant de cette mission dès le 27 décembre 1940 et put le repérer à son arrivée à Nice avec le jeune René Moreu, chargé, lui, de la Jeunesse communiste. Arrêté avec lui à Cannes (Alpes-Maritimes) le 24 janvier 1941, il n’avoua rien lors des deux interrogatoires qui suivirent, prétendant être venu chercher du travail après son évasion de Chibron. Or il avait été filé et la police savait qu’il avait déposé du matériel (machine à écrire, papier, etc.) dans un salon de coiffure et qu’il avait contacté plusieurs militants dont Joseph Giribaldi*, ancien brigadiste international. Elle avait saisi dans sa chambre un carnet avec notes, des projets de lettres pour des militants et des internés de Chibron, un exemplaire de L’Humanité ronéotypé et un de L’Avant-Garde imprimé, plusieurs tracts et circulaires et des coupures de journaux sur la propagande communiste.
Ses faux papiers portaient le tampon de la commune d’Esperaza (Aude), d’où la circulaire signée par l’amiral Darlan de mars 1941 mettant en garde ses services les titres d’identité en provenant. Manguine fut condamné le 16 avril 1941 par le tribunal correctionnel de Nice à deux ans de prison par défaut car il avait pu s’évader du commissariat central de Nice où il était gardé.
Parti à Lyon (Rhône), il fut chargé de responsabilités dans cette ville et à Doullens par Fernand Vigne et Jean Chaintron*, responsable du PC pour la zone non occupée, mais son informateur marseillais ayant permis à la police de remonter jusqu’à eux, Chaintron eut le temps de lui dire de partir et il revint sa cacher à La Cadière. Après avoir été laissé quatre ou cinq mois au vert, il fut chargé d’organiser l’OS dans le Var et peut-être dans l’ensemble de la région, avec des militants dont les noms lui étaient fournis par la direction clandestine du PC. Il semble être resté à La Cadière jusqu’à l’arrivée des Allemands en novembre 1942. À partir de ce moment, il fut basé à La Ciotat (Bouches-du-Rhône), avant de changer d’implantation à plusieurs reprises pour des raisons de sécurité, mais, encore au début des années 1980, il se refusait à évoquer ses activités clandestines entre 1943 et 1944, comme si cela lui était interdit. On ne peut que faire quelques hypothèses à partir d’éléments d’informations glanés ça et là. Avec les pseudonymes de Nicolas ou Lemonnier, il aurait joué un rôle important dans la mise en place du réseau de renseignement soviétique installé dans le secteur Aix-en-Provence-La Ciotat, connu sous les noms de code de Coopératif puis Thermopyles, et peut-être lié au départ à l’organisation de Léopold Trepper*. Probablement, en assurait-il la sécurité avec les six hommes qu’à ses dires, il commandait. Pour certains de ses camarades comme Louis Minetti*, il appartenait à un réseau britannique. Il est possible qu’il y ait eu soit échanges d’informations (contre argent et armes), soit entrisme avec ce réseau. Sans doute s’agissait-il non d’un réseau britannique, mais du réseau de renseignement américain dirigé par Fred Brown et infiltré par des militants communistes. Manguine nous dit seulement qu’à La Ciotat, il était protégé par les gendarmes impressionnés par les cigarettes anglaises et les armes dont il disposait et qu’il s’était rendu à Paris en 1944. Il se trouvait à Marseille en août 1944 et participa aux combats de la Libération à la tête de son groupe. Il assura la garde d’un dépôt de farine pour en empêcher le pillage durant la nuit. Il fut démobilisé en septembre 1944. Il fut dénoncé dans une « Mise en garde » publiée dans Rouge-Midi, le 3 août 1945, qui recommandait aux militants de l’éconduire s’il venait les solliciter avec Sébastianelli pour fournir des renseignements. La « mise en garde » précisait qu’ils n’avaient rien de commun avec le parti communiste, celui-ci « n’ayant à avoir aucun contact avec un service de renseignement ». Il semblerait donc que Manguine ait continué à servir, au moins un certain temps, sur la lancée de son activité clandestine. Il aurait aidé aussitôt après à la création de maquis antifranquistes sur la frontière espagnole.
Marié après guerre à La Cadière, il tint avec son épouse un hôtel-restaurant dans la commune voisine du Beausset (Var), au moins jusqu’en 1978. Le couple se retira à Évenos (Var), petit village proche, mais assez isolé, où vinrent également s’établir son frère Louis et Martha Desrumeaux. Il était membre de l’AVER, section Sud-Est.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article119855, notice MANGUINE Edgar [pseudonymes dans la Résistance : Lemonnier, Nicolas] par Antoine Olivesi, Jean-Marie Guillon, version mise en ligne le 30 novembre 2010, dernière modification le 1er avril 2022.

Par Antoine Olivesi, Jean-Marie Guillon

SOURCES : Arch. Dép. Bouches-du-Rhône 76 W 160, 3 W 186, 5 W 198. — Arch. Dép. Var 4 M 291. — Arch. AVER. — Rouge-Midi, 29 septembre 1935, 7 et 10 mars 1936, 29 mars 1938, 3 août 1945. — Marcel-Pierre Bernard, Les communistes dans la Résistance, Marseille et sa région, Université de Provence (Aix-Marseille I), thèse 3e cycle Histoire, 1982, 2 vol. — Max Burlando, Le Parti communiste et ses militants dans la Résistance des Alpes-Maritimes, La Trinité, Parti communiste français, Fédération des Alpes-Maritimes, 1974. — Dominique Grisoni et Gilles Hertzog, Les Brigades de la mer, Paris, Grasset, 1979 (erreur sur le prénom : Eugène). — Jean Jérôme, La part des hommes, Paris, Acropole, 1983, p. 252. — Témoignage de l’intéressé. — témoignage d’Henri Peyrot.

rebonds ?
Les rebonds proposent trois biographies choisies aléatoirement en fonction de similarités thématiques (dictionnaires), chronologiques (périodes), géographiques (département) et socioprofessionnelles.
fiches auteur-e-s
Version imprimable