MANOT Abel [MANOT Baptistin dit Abel en fait MANNO Jean-Baptistin]

Par Antoine Olivesi, Michel Pigenet

Né le 13 mars 1867 à Marseille (Bouches-du-Rhône) ; dirigeant syndicaliste des dockers de Marseille (Bouches-du-Rhône).

Concernant l’identification exacte de Manot, des recherches incitent à conclure que son prénom n’était pas Abel mais Baptistin comme l’indique un rapport sur le syndicat des dockers de Marseille en 1919 et 1920.
Selon les dossiers des Arch. Nat. F7/13053, il s’appelait Manno Jean-Baptistin, Augustin, né le 13 mars 1867 à Marseille de père inconnu et d’une italienne, Marie-Madeleine Manno. Devenu français par recrutement, il se fit alors appeler Manot. Il avait d’abord été lutteur, puis de 1891 à 1896 avait travaillé pour une entreprise de bois de construction, avant d’être embauché, fin 1896 à comme docker pour la maison "Savon".

Manot fut, à cette époque, président puis secrétaire de l’Union des syndicats ouvriers des Ports et Docks de Marseille où il demeurait. Or on trouve, dès 1901, une signature B. Manot dans un dossier d’archives et, en 1909, un Baptistin Manot, des dockers, intervint dans les élections prud’homales. Par ailleurs, la même année, selon un autre rapport, un Manno Charles, Baptistin dirigeait l’Ouvrier des ports.

Après vérification dans les listes électorales de 1909, il apparaît que Charles Manno déclarait être né le 5 septembre 1868 à Marseille et y demeurait. La même orthographe et la même adresse se retrouvent sur les listes de 1933. Il s’agit vraisemblablement du même militant dont le nom a été volontairement francisé par l’intéressé lui-même. Or, nous savons qu’il est né le 13 mars 1867 à Marseille (Bouches-du-Rhône). A moins qu’il y ait deux personnages.

Il est fait pour la première fois mention de Manot lors de la grève des dockers de Marseille qui dura du 27 février au 9 avril 1901 (cf. Le Petit Provençal, 4 avril, et Arch. Dép. Bouches-du-Rhône, XIV M 25 / 20). Il appartenait alors au syndicat international du port dont Rey était le principal dirigeant. Cette grève se termina par un échec. Cet échec et des dissensions internes entraînèrent une plainte pour mauvaise gestion des fonds de grève qui fit condamner Rey et Manot à un mois de prison (Arch. Dép. M 6 / 2 037).

En 1903, Manot, secrétaire du syndicat des ouvriers des ports et docks, dirigea la grève qui dura du 1er avril au 5 mai. Dès les premiers jours de mars, il avait organisé un référendum sur les quais pour consulter les dockers, et, le 5 mars, en avait adressé le résultat au syndicat des entrepreneurs en même temps que les revendications des dockers, notamment la journée de neuf heures, été comme hiver. Devant le refus patronal, les dockers ne firent que neuf heures à partir du 1er avril et, sur le conseil de Manot, s’embauchèrent à la demi-journée pour éviter d’être sanctionnés et percevoir ainsi un demi-salaire. Le 6 avril, à la Bourse du Travail de Marseille, Griffuelhes venu de Paris félicita le syndicat marseillais d’avoir adopté cette tactique (Le Petit Provençal, 6 avril 1903). Un accord fut conclu le 5 mai pour la journée de neuf heures à 6 f et le travail reprit le lendemain sur les bases de cette convention signée pour cinq ans.

Manot, qui travaillait alors comme ensacheur à la Compagnie des docks, avait été en 1902 l’un des promoteurs de la chambre syndicale des ouvriers des ports, docks et parties similaires de Marseille créée à l’occasion du congrès national de la Fédération nationale des ouvriers des ports et docks tenu à Marseille du 23 au 25 mai ; il fut nommé secrétaire général du syndicat. Celui-ci, divisé en quatorze sections, adhérant à l’UCSO (Union des chambres syndicales ouvrières) des Bouches-du-Rhône, avait son journal, L’Ouvrier des ports, sa bibliothèque, sa caisse de secours. Il succédait au syndicat international qui avait fait des mécontents en raison du nombre excessif d’adhérents d’origine italienne. Mais Manot, tout en souhaitant une réglementation de la main-d’œuvre étrangère, était hostile au "syndicat français", au syndicat jaune, qualifié de patronal, qui avait combattu la grève de 1901.

L’apogée du syndicat se situe en 1903 après le succès de la grève ; il groupait alors 12 000 cotisants à 1 f, appartenant à toutes les corporations travaillant sur les quais. Mais l’union était fragile et on pouvait noter des actes d’indiscipline. C’est ainsi que Manot déplorait dans le Petit Provençal du 15 juillet 1904 des arrêts de travail décidés sans consultation de la direction syndicale.

En août-septembre 1904, la contre-offensive patronale entraîna un lock-out. Manot se prononça, avec d’autres délégués, pour l’arbitrage du préfet et déclara qu’il fallait, par tactique, accepter quelque temps "une muselière" (cf. rapport de police du 7 septembre 1904, Arch. Dép. M 6 / 3 855). Manot ne fut pas suivi et démissionna. Le syndicat ne survécut pas à cette crise et Manot fit voter, en novembre 1904, la dissolution de l’union syndicale des ouvriers des ports, docks et parties similaires (Le Petit Provençal, 27 novembre). Des syndicats distincts se reformèrent dont celui des ports et docks.

En 1907, Manot fut réélu par acclamation secrétaire général du syndicat reconstitué "avec pleins pouvoirs pour choisir son conseil et le laver de toutes les injustes calomnies" (Le Petit Provençal, 28 janvier 1907). Après avoir refusé deux fois, Manot accepta, mais préconisa prudence et modération ; son refus de participer à la journée du 1er mai 1907 entraîna l’exclusion du syndicat des dockers de l’UCSO. Manot démissionnera plus tard, laissant la place à son ami Filliol.

En septembre 1908, Manot se prononça pour une action de solidarité avec les dockers grévistes de Cette (Le Petit Provençal, 25 septembre). Dans L’Ouvrier syndiqué d’avril 1910, il s’éleva contre l’ingérence des politiciens dans le syndicalisme. Cette même année, il manifesta sa solidarité avec les cheminots en grève (Arch. Dép. M 6 / 10 824) ; il se prononça pour l’éducation syndicale des ouvriers étrangers tout en protestant contre "l’importation" d’une main-d’œuvre kabyle qualifiée de "brise-grève" (Arch. Dép. M 6 / 10 830, rapport du 12 mai 1910).

Les querelles de personnes (Manot-Rivelli, Manot-Yvetot) et de tendances continuèrent entre 1910 et 1913 dans un syndicat des dockers qui semblait en difficultés. Finalement, Manot rompit les relations avec la CGT en mai 1911 (cf. M 6 / 10 828).

Ses efforts en vue de l’unité dans un sens réformiste se heurtèrent à beaucoup d’hostilité et, en 1913, les syndicalistes révolutionnaires l’accusèrent ainsi que Filliol "d’accointances avec les patrons" (cf. M 6 / 10 825, rapport du 30 avril 1913). Il conservait cependant beaucoup d’influence parmi les dockers.

Au lendemain de la guerre, en 1919, il était secrétaire général du syndicat des ports et docks puis de la subdivision méditerranéenne. Il fut mandaté par les dockers de Marseille le 4 août 1919 pour réclamer un salaire de 20 f pour une journée de huit heures. À l’issue d’une grève votée le 24 août et qui entraîna une grève générale dans la ville, les dockers obtinrent, le 16 octobre, 18 f au lieu de 14.

En février 1932, Manot, toujours actif comme militant CGT, écrivait un article dans le Midi syndicaliste, organe mensuel de la Confédération, au nom du syndicat des dockers, charbonniers, camionneurs et ensacheurs, pour répondre aux attaques de la CGTU ainsi que des sabianistes Gavaldini, Nazzi et autres, dont il dénonçait le train de vie luxueux. Il agissait en accord avec Ferri-Pisani, socialiste, dirigeant le syndicat des Inscrits maritimes. Trésorier de la Fédération nationale des ports et docks et similaires, Manot démissionna du Conseil supérieur du Travail où il était délégué ouvrier depuis dix ans, démission motivée par un conflit survenu à propos de l’application du régime des assurances sociales à Nice (cf. Midi syndicaliste, 15 novembre 1934). Accusé par les "unitaires" de compromissions avec le gouvernement et le patronat, Manot fut désavoué par la base au moment de l’unité syndicale de 1936. Il fut exclu du syndicat, bien que membre du conseil fédéral de la CGT, et les dockers refusèrent de le réintégrer au cours d’un meeting le 8 août 1936, malgré les exhortations de Tillon et autres militants de la CGTU qui insistaient sur la nécessité de l’union.

Voir Marck Ch.

Complément de Michel Pigenet :

En décembre 1935, Manot, contesté à Marseille, bénéficia, au Havre, où se tenait le congrès de réunification des organisations portuaires, des solidarités de tendances et des nécessités du compromis. Dès avant les assises, une commission mixte avait retenu sa candidature pour le poste de trésorier de la nouvelle Fédération. Mécontents de faire les frais du non respect, par les délégués, des propositions de la commission, les unitaires s’estimèrent déliés de leurs engagements antérieurs et opposèrent Baudin à Manot. Ce dernier l’emporta toutefois haut la main par 283 voix contre 61 à son adversaire.

Désavoué par les dockers marseillais, Manot fut dans l’impossibilité, par ailleurs, de faire face aux problèmes immenses que posait l’élan de syndicalisation qui accompagna les grèves de 1936. Aussi bien la commission exécutive fédérale coopta-t-elle Piquemal pour le suppléer avec le titre de secrétaire adjoint permanent. S’il assista au congrès fédéral de janvier 1938, il n’y intervint que pour saluer le discours de Jouhaux – « le plus grand cerveau de France » - et ne fut pas reconduit dans les instances dirigeantes. À l’occasion de son départ, le bureau fédéral organisa cependant une « manifestation de sympathie » au cours de laquelle le syndicaliste communiste Philippe rendit hommage au « père Manot ».

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article119875, notice MANOT Abel [MANOT Baptistin dit Abel en fait MANNO Jean-Baptistin] par Antoine Olivesi, Michel Pigenet, version mise en ligne le 30 novembre 2010, dernière modification le 18 avril 2016.

Par Antoine Olivesi, Michel Pigenet

SOURCES : Arch. Nat. F7/13053 (note de Rolf Dupuy). — Arch. Dép. Bouches-du-Rhône, XIV M 25/20, rapports des 19 février, 4 et 27 avril 1901 ; XIV M 24/44, avril 1919 et février 1920 ; M 6/4476 (pour 1909). — Arch. Com. Marseille. — Le Petit Provençal, 18 février 1909. — La CGT, op. cit., p. 412. — Mireille Lartigue-Vecchié, "Les grèves des dockers à Marseille de 1890 à 1903", in Provence historique, avril-juin 1960, pp. 146 à 179. — Complément aux sources par Michel Pigenet : Le Réveil des Ports d’avril-mai 1938. — Congrès de fusion des syndicats Autonomes, Confédérés et Unitaires, Le Havre, 13-15 décembre 1935, Imp. de l’Union, Le Havre. — Congrès de la Fédération nationale des Ports et Docks, les 27-29 janvier 1938, Nantes.

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