Par Nicole Racine
Né le 27 août 1882 à Château-Chinon (Nièvre), mort en 1942 en zone sud. Journaliste ; fondateur du Canard enchaîné en 1915.
Fils de Louis, Émile Maréchal, inspecteur des forêts, Maurice Maréchal, après des études secondaires se lança dans le journalisme. Il collabora avant 1914 à des publications d’extrême-gauche comme la Guerre sociale, le Bonnet rouge. Il était entré au service des informations générales du Matin, un des cinq grands de la presse parisienne et en avait conçu le dégoût d’une certaine conception de l’information, d’après des témoignages recueillis par Roger Fressoz, actuel directeur du Canard enchaîné.
Réformé pour déficience cardiaque, Maurice Maréchal ne fit pas de service militaire. A la déclaration de guerre, il resta fidèle à ses idées d’avant 1914, contrairement à Gustave Hervé qu’il admirait et qui avait répudié son antimilitarisme. C’est pour lutter contre le "bourrage de crâne" et les fausses nouvelles qu’il lança le 4 septembre 1915 le Canard enchaîné avec la collaboration du dessinateur H.-P. Gassier, minoritaire socialiste actif. Le titre en était inspiré par celui que Clemenceau avait donné à son journal l’Homme libre en le baptisant l’Homme enchaîné. Ce premier canard, bien accueilli par les poilus du front, ne fut jamais un journal de tranchée comme on l’a parfois écrit. L’éditorial du premier numéro rédigé par Maréchal et signé "coin ! coin ! coin !" affirmait que le journal s’engageait à ne publier "aucun article stratégique, diplomatique ou économique", mais seulement "des nouvelles rigoureusement inexactes" en opposition avec les "nouvelles implacablement vraies" publiées par la presse française. Les premières cibles en étaient les "embusqués", les "profiteurs", les écrivains comme M. Barrès, L. Daudet, A. Capus. Cependant cette première feuille mourut après son cinquième numéro. Bien que réformé, Maurice Maréchal fut mobilisé quelques semaines dans les services auxiliaires du gouvernement militaire de Paris.
Ce ne fut que le 5 juillet 1916 que le Canard renaquit de ses cendres, tel le "phénix", avec un dessin représentant un canard enchaîné dont les ailes étaient menacées par les ciseaux de la censure. D’après un rapport de police, Maurice Maréchal aurait été, au moment du second lancement du Canard, rédacteur à l’Humanité. A sa reparution, le Canard lança auprès de ses lecteurs un référendum pour "l’élection du grand chef de la tribu des "Bourreurs de crâne"", référendum en tête duquel vinrent G. Hervé et M. Barrès (respectivement par 5 653 et 5 402 voix, le 20 juin 1917). Les journalistes et écrivains patriotes furent les cibles du Canard. Le journal satirique eut rapidement un tirage suffisant pour échapper aux commandites et sauvegarder son indépendance financière. Après avoir connu des difficultés au début des années trente, le Canard prit un grand essor au moment du Front populaire qu’il soutint, période durant laquelle son tirage dépassa 260 000 exemplaires, avant de se stabiliser autour de 180 000, faisant de lui le plus lu des hebdomadaires de gauche. Depuis 1921, il était installé dans les locaux de l’œuvre de G. Téry, dont l’équipe lui fournit certains de ses meilleurs collaborateurs comme Georges de la Fouchardière.
Après l’armistice de 1918, Maurice Maréchal n’écrivit qu’à de rares occasions dans le journal (comme par exemple après la mort de P. Vaillant-Couturier qui avait collaboré au Canard des premières années), mais il continua à diriger l’hebdomadaire. Victor Snell, puis Pierre Bénard à partir de 1936, assumèrent les fonctions de rédacteur en chef. Parmi les collaborateurs du Canard dans les années trente, citons René Buzelin, André Dahl, Rodolphe Bringer, Georges Armand Masson, Jules Rivet chroniqueur littéraire à l’Humanité, Roger Salardenne, Ernest Raynaud (R. Tréno), Pierre Scize, Alexandre Breffort, Henri Jeanson , Jean Galtier-Boissière ; il ne faut pas oublier les caricaturistes qui firent la réputation du journal, H.-P. Gassier, Henri Guillac, Lucien Laforgue, Pol Ferjac, Henri Monier, Cabrol, W.-N. Grove, Jean Effel.
Fidèle à ses principes anticonformistes, Maurice Maréchal mit fin en 1933 à la collaboration de P. Scize qui avait accepté la Légion d’honneur et en février 1934 à celle de G. de La Fouchardière qui avait pris la défense de Chiappe dans l’œuvre. Maurice Maréchal qui n’était pas un homme de parti garda le Canard de toute affiliation partisane. L’hebdomadaire se situait résolument à gauche, il était pacifiste, anticolonialiste. Sa verve satirique impitoyable pour les ministères de droite n’épargnait pas les ministères de gauche, comme on put le voir au moment du Cartel des gauches. Cependant, désireux de ne pas avoir d’ennemi à gauche, Maurice Maréchal et son rédacteur en chef Pierre Bénard, évitèrent dans les années trente toute critique trop explicite de l’URSS et du Parti communiste. C’est cette attitude qui motiva en juillet 1937 le départ définitif de Galtier-Boissière, après avoir eu un de ses articles censuré des lignes qui faisaient référence aux procédés staliniens en Espagne et à la répression contre le POUM. Sans défendre des positions pacifistes intégrales, le Canard restait fidèle à ses origines pacifistes ; il fut munichois sans illusions. Il cessa sa publication en juin 1940.
Maurice Maréchal, qui s’était établi en zone non occupée dans le Bourbonnais, mourut en 1942 des suites d’un cancer. A la Libération, sa veuve Jeanne Maréchal reprit la publication avec P. Bénard comme rédacteur en chef. Si l’hebdomadaire cessa de se confondre avec la vie de son fondateur, il resta marqué par l’empreinte qu’il lui avait donnée en lançant en 1915 son premier « Canard ».
Par Nicole Racine
SOURCES : Arch. Nat. F7/13981. — Claude Estier, La Gauche hebdomadaire 1914-1962, A. Colin, 1962, 288 p. — Alain Schiffres, "L’idéologie du Canard Enchaîné", in Francine Bataillier, Alain Schiffres et Claude Tennery, Analyses de presse, PUF, 1963, p. 91 à 176. — Cinquante ans de Canard. Anthologie du Canard enchaîné. T. 1 : 1916-1966, 1966, 248 p. — Colette Ysmal, "Le Canard enchaîné" ou les pièges de la lucidité", Esprit, février 1971, p. 233-243. — Cl. Bellanger, J. Godechot, P. Guiral, F. Terrou, Histoire générale de la presse française, t. 3. 1871 à 1940, PUF, 1972, 686 p. — Jean Egen, Ces Messieurs du Canard, Stock, 1973, 303 p. — Le Canard enchaîné. Textes choisis et présentés par J. Egen, Seghers, 1978, 187 p. — Marianne Amar, Le Canard enchaîné face aux gouvernements de gauche, Mémoire Institut d’études politiques, Paris, 1979, 130 p. — Notes de Roger Fressoz. — État civil de Château-Chinon : la mention du décès de M. Maréchal ne figure pas sur son acte de naissance.