MARION Jacques, Paul

Par Éric Nadaud

Né le 24 juin 1903 à Paris (XIVe arr.), mort le 17 juillet 1976 à Paris (XVe arr.) ; artiste musicien ; secrétaire de l’UD CGT des Alpes-Maritimes ; secrétaire général puis président de la Fédération nationale CGT du Spectacle ; secrétaire de la CGT (1948-1955) ; directeur du Peuple (1948-1955) ; membre du comité directeur du Parti socialiste unitaire.

Fils d’Auguste Marie Marion et de Gabrielle Marie Baffert, Jacques Marion vécut jusqu’à l’âge de vingt-trois ans à Paris, avant de s’établir auprès de sa famille à Menton, dans les Alpes-Maritimes, en 1926. Après de bonnes études secondaires, il épousa la profession d’artiste musicien exécutant (contrebassiste) et compositeur de musique, qu’il délaissa progressivement pour se consacrer à l’action syndicale et politique.

Son militantisme fut d’abord syndical et associatif. Il adhéra en 1923 au syndicat des artistes musiciens affilié à la CGT, et en 1928 à la Société des auteurs et compositeurs de musique. Il gravit rapidement, jusqu’à la guerre, les différents échelons de l’organisation confédérée des Alpes-Maritimes, où il exerça successivement les fonctions de délégué d’orchestre, secrétaire du syndicat des musiciens de Nice, secrétaire en 1930 de l’Union locale des syndicats ouvriers confédérés de Menton, dont il fut le fondateur, secrétaire administratif de la Bourse du travail de Nice à partir de 1933, et membre de la commission administrative de l’Union départementale CGT des Alpes-Maritimes, dont il devint secrétaire à partir de 1933, puis secrétaire général adjoint. En mars 1936, il prit part, comme délégué, au congrès d’unité que la CGT tint à Toulouse. La même année, il fut l’un des animateurs des grandes grèves de juin à Nice, Cannes et Menton. À la suite de l’institution des congés payés, il créa le comité des loisirs du canton de Menton, qui contribua au développement du tourisme populaire dans la région. Il s’impliqua aussi dans les luttes de tendances au sein de la CGT. Pour défendre l’indépendance du syndicalisme, à laquelle il était très attaché, il devint le secrétaire du groupe niçois des « Amis de Syndicats », le journal qui, sous l’impulsion de René Belin, combattait la « colonisation » des syndicats par les communistes. Le 13 juin 1937, alors qu’il venait d’être élu premier secrétaire général adjoint par le congrès annuel de l’UD des Alpes-Maritimes, il se démit de ce mandat, sans quitter, toutefois, la commission administrative, par solidarité envers le secrétaire général sortant Ange Felce, que les communistes avaient évincé du bureau pour prendre le contrôle de l’union départementale.

S’il ne s’engagea que dans un second temps sur le terrain politique, ce fut pour y déployer un activisme similaire. Il adhéra le 1er janvier 1929 ou 1930 à la fédération socialiste SFIO des Alpes-Maritimes, dont il anima la section de Menton, et en 1930 à la Ligue des droits de l’Homme. En 1932, il fut élu conseiller municipal socialiste de Menton sur la liste cartelliste dite « démocratique » qui l’emporta. Il se distingua durant son mandat par ses interventions en faveur des salariés, et par ses prises de position critiques sur le dossier du casino de Menton, dont il soutint la construction, mais dont il fut le seul à refuser le cahier des charges, trop propice d’après lui à l’affairisme. Aussi la municipalité sortante ne le fit-elle pas figurer sur la liste qu’elle constitua pour les élections municipales du 5 mai 1935. Aux élections cantonales d’octobre 1937, il représenta la SFIO dans le canton de Menton, mais n’obtint que 629 voix sur 3 442 suffrages exprimés au premier tour, et se désista en faveur de son concurrent communiste, qui n’eut pas plus de réussite. Il fut élu membre de la commission administrative et secrétaire adjoint de la fédération socialiste en janvier 1938, et reçut la responsabilité de la rubrique syndicale de L’Alerte socialiste, l’organe fédéral, début 1939. Il fit preuve dans la SFIO de la même méfiance envers le communisme qu’à la CGT. Tout en protestant de son attachement à l’unité politique de la classe ouvrière, il déclara en 1937 avoir des difficultés à la concevoir avec un parti désireux de tendre la main aux chrétiens. Aussi présenta-t-il pour le conseil fédéral du 20 mars 1938 une motion distincte de celles des tendances de gauche, lors des discussions qu’eurent les socialistes sur le sort du Front populaire, pour rejeter tant l’idée d’un gouvernement strictement radical que celle d’une union nationale « de Thorez à Reynaud », et réclamer un gouvernement de composition uniquement socialiste.

Engagé volontaire en 1923, il fut de nouveau mobilisé en 1939 et 1940 pour la guerre contre l’Allemagne. Pendant l’Occupation, il servit la Résistance, en transmettant des renseignements aux réseaux avec lesquels il était en relation, et favorisa le passage dans la clandestinité de nombreux résistants français et étrangers. On peut penser que ce fut à cette époque qu’il prit le pseudonyme de « Guy », que lui prête sans précision de date une fiche de police.

À la Libération, il s’établit de nouveau dans la capitale. Son activité syndicale prit désormais une dimension nationale. D’abord membre du conseil du Syndicat des artistes musiciens de Paris, de 1945 à 1952, il entra à la direction du Syndicat national des artistes musiciens dès sa constitution en 1956, et fut rédacteur en chef de l’organe des deux groupements, L’Artiste musicien, dans les années 1960. Il devint également la figure dominante de la Fédération nationale CGT du Spectacle. Après en avoir été le secrétaire de la section « Musique » dans les mois qui suivirent la Libération, il en fut le secrétaire général de mai 1945 à 1949, le président de 1949 à 1953, le vice-président de 1953 jusqu’à sa retraite en 1966, et pour finir le président d’honneur, jusqu’à son décès. Il exerça aussi les fonctions d’administrateur de la Caisse nationale de retraite des artistes du Spectacle (CANRAS).

En outre, il accéda à la direction de la CGT elle-même à la faveur de la scission de Force ouvrière (FO). Il manifesta publiquement son hostilité au courant FO dès le congrès confédéral d’avril 1946, en s’opposant vigoureusement à son camarade de la Fédération du Spectacle Raymond Le Bourre*. La CGT s’en souvint au lendemain de la scission, lorsqu’elle chercha à remplacer ses responsables démissionnaires par des militants non communistes fidèles. Le 5 janvier 1948, il fut porté au bureau confédéral pour occuper l’un des sièges de secrétaire devenus vacants et, peu après, à la commission administrative (CA), à la direction du Peuple, l’organe officiel de la confédération, et au conseil général de la Fédération syndicale mondiale (FSM), comme membre suppléant, puis titulaire dès l’année suivante. Il demeura secrétaire de la CGT et directeur du Peuple jusqu’en mai 1955, date à laquelle il se retira de sa propre initiative pour participer plus activement à la direction de la Fédération du Spectacle, dont le secrétaire général était défaillant. Il resta en revanche membre de la CA jusqu’en 1966. Par ailleurs, il siégea au Conseil économique et social de 1948 à 1958, au titre des travailleurs CGT, et appartint au Conseil central de la radiodiffusion.

Parallèlement, il poursuivit son combat pour le socialisme, mais en se situant désormais sur un axe bien plus à gauche qu’avant la guerre. Inscrit à la Libération à la section socialiste de Vincennes, il jugea que la SFIO s’éloignait de ses principes fondateurs, soutint durant l’été 1947 la tendance Bataille socialiste qui réclamait un redressement, puis donna sa démission du parti à titre individuel le 21 novembre 1947, en expliquant qu’il entendait par là dénoncer à la fois la livraison par le gouvernement Blum* du cinéma français aux trusts américains, la politique « anti-ouvrière » du gouvernement Ramadier, et le non-respect par le secrétaire général Guy Mollet des décisions prises en congrès national. En 1948, il rejoignit les dirigeants de la Bataille socialiste, qui venaient à leur tour de faire scission, au sein du Parti socialiste unitaire, rebaptisé Parti socialiste de gauche en novembre 1954, qui rassembla durant une dizaine d’années des socialistes « compagnons de route » du Parti communiste (PCF). Il siégea sans discontinuer au comité directeur de ce groupement de 1948 à 1955, et à son bureau politique à partir de 1954. Il appartint également à la commission exécutive de l’Union progressiste constituée en décembre 1950 avec la participation des socialistes unitaires. En 1958, il adhéra au Parti socialiste autonome.

Au rebours de ses positions d’avant la guerre, il suivit à la CGT comme au PS unitaire une ligne très proche de celle du PCF. Il exerça des tâches de représentation ou de direction dans des associations influencées par celui-ci, comme le Mouvement contre le racisme, l’antisémitisme et pour la paix (MRAP), l’association France-Tchécoslovaquie, qui le fit entrer en 1952 dans son comité d’honneur, et le Comité national de défense des intérêts culturels français en matière de radiodiffusion, dont il fut l’un des fondateurs, en mars 1948. Il porta régulièrement sa signature au bas d’appels destinés à appuyer les campagnes communistes, par exemple contre l’exécution d’otages en Grèce en mai 1948, pour la signature de l’appel de Stockholm contre l’arme atomique en 1950, ou pour la libération immédiate d’Henri Martin* en juin 1951. Il prit une part particulièrement active, en tant que professionnel du Spectacle, à la « bataille culturelle » que le PCF anima pendant la guerre froide. Il célébra avec un enthousiasme sans nuances les vertus de l’URSS, notamment au retour du voyage qu’il y fit en mai 1951, et dénonça le colonialisme français, en particulier en 1952 à l’issue d’une mission d’information pour le compte de la FSM en Tunisie. Il servit les intérêts des leaders communistes de la CGT en s’opposant avec constance aux tentatives visant à interdire aux responsables confédéraux l’exercice de fonctions dirigeantes à la tête d’un parti. Lors des crises les plus sensibles, son alignement fut sans ambiguïté. En 1950, il condamna avec force Tito et ses partisans, qu’il qualifia dans Le Peuple de « Tito-fascistes ». Fin 1956, il légitima sans réserves apparentes l’intervention soviétique en Hongrie.

Il réaffirma toutefois sa différence à l’extrême fin de sa carrière syndicale, à la suite des incidents qui conduisirent Pierre Le Brun à se démettre de son mandat de secrétaire de la CGT, en janvier 1966. Il y réagit vivement en donnant sa propre démission de la CA confédérale, le 20 janvier. Il entendait par là exprimer sa solidarité envers Pierre Le Brun, que l’Humanité avait mis en cause pour son soutien au général de Gaulle lors de l’élection présidentielle de décembre 1965, et que ses collègues de la direction confédérale n’avaient pas soutenu. Mais il s’agissait aussi, sur un plan plus général, de défendre l’indépendance du syndicalisme vis-à-vis des partis, et d’affirmer le droit pour tous les membres de la CGT de professer les opinions politiques de leur choix.

Il avait épousé Élise Aude, originaire des Hautes-Alpes, le 30 mars 1948.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article120276, notice MARION Jacques, Paul par Éric Nadaud, version mise en ligne le 30 novembre 2010, dernière modification le 20 juin 2021.

Par Éric Nadaud

SOURCES : État civil de Paris (XIVe arr.) – Arch. PPo., RG, GA/C30, dossier Fédération CGT du spectacle n° 64 508/0. – L’Effort syndicaliste des Alpes-Maritimes, 1934-1935. – L’Alerte socialiste, 1935-1939. – Le Petit Niçois, 1935, 1937. – L’Artiste musicien, 1945-1976. – Bulletin de la Fédération syndicale mondiale, 1947-1948. — La Bataille socialiste, 1948-1950. — Le Spectacle, 1953. — Le Peuple, 1948-1955 ; 1er au 15 juin 1963 ; 1er au 15 septembre 1976. — Le Monde, 25 janvier 1966. – J. Maitron, Cl. Pennetier, DBMOF, t. 35, p. 323.

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