MARTEL Charles

Par Pierre Broué

Né le 9 avril 1889 à La Côte-Saint-André (Isère), mort le 16 avril 1975 à La Tronche (Isère) ; employé, cultivateur ; militant du Parti communiste et de la Confédération générale des Paysans travailleurs, puis militant trotskyste.

Photo de Charles Martel pour la liste noire du PC, mai 1934.

Charles Martel était le dernier des cinq enfants d’un cultivateur qui émigra en 1894 en Argentine, laissant sa famille qui s’installa à Crolles (Isère). Il étudia d’abord au petit séminaire du Rondeau, puis au lycée de Grenoble, et adhéra aux Jeunesses laïques et républicaines et à la Ligue de l’enseignement. Il effectua son service militaire de 1911 à 1912, se maria et adhéra aux Enfants du peuple, association culturelle grenobloise animée par des militants socialistes. En 1913, il trouva un emploi de comptable à Toulon (Var), s’y installa et adhéra simultanément à la SFIO et au syndicat CGT des employés de commerce.

En août 1914, considérant le vote des crédits de guerre par les députés socialistes comme une trahison, il démissionna du Parti socialiste. Incorporé à Lyon, envoyé au front en 1915, il fut blessé en juin sur la Somme. Sa femme mourut au mois d’août dans la misère, n’ayant pu percevoir la moindre allocation, et cette tragédie acheva de le convaincre de la nécessité de lutter contre la guerre. Soigné dans un hôpital militaire de l’Ain, et en passe d’être réformé, il pavoisa le bâtiment de drapeaux rouges le 1er mai 1916. Il fut alors envoyé à Charmes (Ardèche) où il était chargé de la garde de prisonniers de guerre allemands. En 1917, inspiré par l’exemple russe, il édita clandestinement, avec quelques autres soldats, un petit journal illégal titré Sous le Voile. Mais la découverte d’un exemplaire au cours d’une perquisition chez Sébastien Faure permit à la police de remonter la filière. Martel, arrêté et mis au secret, ne nia rien, fut transféré de prison en prison, à Roanne, Lyon et finalement Grenoble où il réussit à faire prévenir le député Raffin-Dugens qui obtint le droit de lui rendre visite. Craignant peut-être d’être compromis — car Martel prévint Raffin-Dugens qu’il "avouerait" devant le conseil de guerre avoir agi à l’instigation des députés socialistes de l’Isère et avec leur aide matérielle — , les parlementaires socialistes de l’Isère intercédèrent en sa faveur : il ne fut donc pas traduit en conseil de guerre, mais simplement affecté jusqu’à la fin des hostilités dans un bataillon disciplinaire à Saint-Jean-Pied-de-Port (Basses-Pyrénées).

Sa santé était toujours fragile et, sur les conseils des médecins, il s’installa comme cultivateur au hameau du Mûrier à Saint-Martin-d’Hères (Isère). Il refusa de redonner son adhésion à la SFIO. Mais les instituteurs R. Faure et Meunier le convainquirent d’adhérer à l’ARAC qu’ils étaient en train de fonder. Il y retrouva le milieu militant auquel il aspirait, et, avec ses camarades du noyau de l’ARAC, adhéra au Parti socialiste et, en même temps, au Comité pour la IIIe Internationale. Au lendemain du congrès de Tours il obtint de sa section de Gières le vote d’un blâme contre Mistral qu’il accusait d’avoir trahi à Tours le mandat que lui avait donné le congrès fédéral. Il s’en prit également à Chastanet dont il affirmait qu’il aurait fallu l’exclure dès le 1er août 1914.

En février 1921, pour avoir distribué des tracts de l’ARAC à des conscrits dans le train Grenoble-Valence, avec son camarade, le tourneur Didelot, ils furent inculpés de "provocation de militaires à désobéissance". Défendus par Henri Torrès, les deux hommes furent acquittés, mais l’affaire valut à Martel son inscription au carnet B. Toujours cultivateur au Mûrier, il partageait son activité militante entre l’ARAC et le Parti communiste, collaborant notamment à la "chronique paysanne" du Travailleur de l’Isère. En mars 1922, il fut élu secrétaire fédéral de l’ARAC, devint membre de son comité central au congrès de Limoges (août 1922), reconduit à celui de Clermont-Ferrand (juillet 1923), et organisa la manifestation du 11 novembre 1923. Mais son activité le poussait de plus en plus vers le cadre proprement politique. Candidat du Bloc ouvrier et paysan aux législatives de 1924, il obtint 9 042 voix et fut obligé de laisser le secrétariat de l’ARAC où se manifestait un courant "apolitique" qui lui reprochait de marquer politiquement l’association par sa candidature. C’est peu après qu’il remplaça Ferrier au secrétariat fédéral de l’Isère.

Il fut dans l’Isère, — en étroite collaboration avec Suzanne Girault — , "l’homme de la bolchevisation" et prit une part importante à l’exclusion de son vieux camarade et ami Raffin-Dugens. Il fut le premier secrétaire de la région des Alpes du Parti communiste et laissa alors sa ferme, en janvier 1925, pour devenir permanent. Mais il cumulait cette responsabilité avec celle de secrétaire du comité paysan régional fondé en septembre 1924 et était de plus en plus sollicité par les questions d’organisation du parti chez les paysans. En juin 1925, il fut sur sa demande remplacé au secrétariat régional par Eugène Verna, et se consacra à la propagande parmi les petits paysans de la région, menant campagne en août 1925, contre un Rothschild dans une élection cantonale des Hautes-Alpes. Au moment où le comité central, sur demande de Verna et de lui-même, envoyait à Grenoble le roubaisien Rybroek, il fut appelé à Paris comme rédacteur en chef de la Voix paysanne, qui était l’organe de la section française de l’Internationale paysanne rouge. Installé à Aulnay-sous-Bois, avec son fils qu’il élevait depuis son retour de l’armée, il partageait son temps entre les tournées de propagande et la rédaction du journal où il était en conflit presque permanent avec le directeur politique, Renaud Jean. Il consacra beaucoup d’efforts à la constitution de la Confédération générale des paysans travailleurs dont il fut le premier secrétaire. Il militait également au Secours rouge international, à l’association des Amis de l’Union soviétique, et conservait des rapports épisodiques avec les anciens de l’Isère fixés dans la région parisienne, Guibbert, Fernand Meunier et Rybroek.

En juillet 1930, il fut appelé à Moscou pour remplacer, à la tête de la section pour les pays latins de l’Internationale paysanne rouge, le militant italien Di Vittorio.Il y fut très vite déçu, non pas tant par les difficultés matérielles, considérables à l’époque, que par l’atmosphère de suspicion qui régnait parmi les communistes étrangers, et l’absence totale d’intérêt du travail qui lui était demandé. Il avait des contacts épisodiques avec les militants français de passage, comme Marcel Cachin, qu’il connaissait depuis des années, et Waldeck Rochet, qui y suivit les cours de l’école léniniste. Il connaissait Radek, qu’il appréciait, et se sentait plus proche d’ Henri Barbé que de Maurice Thorez. Prenant soin de dissimuler ses désaccords politiques grandissants, il invoqua des raisons de santé pour revenir en France, et y fut autorisé en février 1931. Il n’était plus permanent, et, après presque une année entière au chômage, il revint à Grenoble où il travailla de 1932 à 1934 comme gardien dans un garage, abandonnant toute activité militante. Il fut surpris, en 1934, d’apprendre son exclusion du PC et son remplacement, à des fonctions à la Voix paysanne qu’il n’exerçait plus depuis des années. Licencié, il retourna dans la région parisienne, tenta d’y organiser les chômeurs, rédigea, imprima et diffusa à la criée, à l’aide de son seul fils, un petit journal intitulé Paris-Chômeurs, puis réussit à trouver de l’embauche comme correcteur d’imprimerie. En 1935, avec une poignée de camarades, il lança, géra et publia un périodique éphémère, l’Étincelle, qui se présentait avec quelque exagération comme l’"organe du parti ouvrier français". Mais il perdit de nouveau son emploi. Violemment hostile à la politique de Front populaire, accablé de difficultés matérielles, très atteint par la séparation d’avec son fils, parti au service militaire, il connut une longue dépression et fut hospitalisé de 1938 à 1943, se liant pendant ce séjour avec le futur écrivain Hervé Bazin. Le Parti communiste l’avt fait figurer sur sa liste noire dès de mai 1934, avec photographie.

Rétabli, il revint à Grenoble où il travailla quelque temps comme ouvrier agricole. Il renoua avec Raffin-Dugens qui, entre-temps, avait été réintégré au sein du Parti communiste en 1937, mais qui en fut exclu une nouvelle fois en 1945. C’est par son intermédiaire qu’il fit la connaissance de Laurent Schwartz, professeur à la faculté des sciences et dirigeant à Grenoble du Parti communiste internationaliste (trotskyste). Avec l’aide de ce dernier, Martel, Raffin-Dugens, et un autre vétéran du PC, Horace Martin, rédigèrent un manifeste expliquant les raisons de leur adhésion à la IVe Internationale. Ils furent candidats du PCI aux élections législatives de 1946. Après la mort de Raffin-Dugens, Martel fut une seconde fois candidat du PCI en 1947. La même année, il repartit comme ouvrier agricole, cette fois à Moirans (Isère), dans l’exploitation d’une de ses parentes. Il revint à Grenoble en 1957 et y fut l’un des animateurs de la société locale de la Libre pensée, participant à ses congrès nationaux. En 1970, âgé de quatre-vingt-un ans, il donna, par une lettre publique, son adhésion à l’Alliance des jeunes pour le socialisme.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article120440, notice MARTEL Charles par Pierre Broué, version mise en ligne le 30 novembre 2010, dernière modification le 31 mai 2019.

Par Pierre Broué

Photo de Charles Martel pour la liste noire du PC, mai 1934.

ŒUVRE : La Loi du bonheur (L’Égalité. Le problème et sa solution. A bas le travail !). Imprimé à compte d’auteur, 1934, 32 p.

SOURCES : Arch. Dép. Isère, 52 M 69, 77 M 1 et 2. — G. Bouchet, Le PC dans l’Isère 1923-1925, TER Grenoble, 1972. — Éliane Juquel, Biographies de militants, TER Grenoble, 1972. — M. Lazar, Origine d’une organisation du mouvement ouvrier : l’ARAC, Mémoire de Maîtrise, Paris-I.

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