MARTIN Léon, Achille

Par Justinien Raymond

Né le 20 décembre 1873 à Saint-Martin-de-Clelles (Isère), mort le 24 juin 1967 à Grenoble (Isère) ; docteur en médecine et en pharmacie ; militant socialiste ; maire de Grenoble (1932-1935 ; 1945-1959) ; député (1936-1940).

Léon Martin naquit dans une famille d’exploitants agricoles. Après l’école primaire, il fit ses études secondaires au collège de La Mure et devint bachelier. Il poursuivit ensuite des études médicales à Grenoble puis à Lyon, fut interne des hôpitaux puis docteur. Au doctorat en médecine, il ajouta le doctorat en pharmacie. En 1899, il s’installa à Grenoble. Nommé professeur de chimie et de toxicologie à l’école de médecine et de pharmacie de la ville, il y exerça pendant trente ans, cumulant bientôt ses fonctions professorales avec celles de directeur de l’école. Il se serait engagé dans l’armée, mais atteint d’une maladie pulmonaire, aurait été réformé en 1909. Sa carrière connut une interruption, celle de la Première Guerre mondiale : mobilisé en août 1914 et dispensé d’obligations militaires, il s’engagea volontairement en septembre, après la bataille de la Marne, passa cinquante-deux mois au front et fut démobilisé le 19 janvier 1919 avec trois citations et la Légion d’honneur.

Il reprit à Grenoble sa vie professionnelle et aussi l’action politique dans laquelle il s’était engagé jeune étudiant. Au cours de ses années d’internat à Lyon, de 1894 à 1899, il avait participé au combat dreyfusard qui le marqua profondément et adhéré à la Ligue des droits de l’Homme et du citoyen en 1894 et, la même année, à un groupement socialiste. Quand il s’installa à Grenoble, il était donc prêt à rejoindre une Fédération socialiste, liée au Parti ouvrier, que le succès d’Alexandre Zévaès aux élections législatives de 1898 avait rendue dynamique. Mais la défaite de Zévaès aux élections législatives de 1902 provoqua des dissensions internes et le divorce entre Zévaès et une partie des militants. Zévaès s’empara de l’organe fédéral le Droit du Peuple et organisa une Fédération autonome qui entraîna d’abord le gros de militants et parmi eux le docteur Léon Martin. Entre les deux groupes, ce fut une lutte sans merci pendant plusieurs années. Mais l’équivoque se dissipa bientôt : il apparut aux fidèles de Zévaès que celui-ci poursuivait une politique personnelle et le docteur Martin fut le chef de file de ceux qui s’opposèrent à ses ambitions et préparèrent les retrouvailles socialistes. En vue des élections cantonales de l’automne 1904, un congrès des groupes du canton de Grenoble-sud, vit s’affronter Zévaès et le docteur Martin qui eurent chacun huit voix au premier tour. Au second tour, Martin fut désigné avec 11 voix contre 5. Zévaès ne s’inclina pas, manœuvra avec les radicaux, se présenta et le docteur Martin fut battu. Mais cette première scission dans les rangs de la Fédération, autonome allait conduire à d’autres défections et, le 6 mars 1905, Zévaès fut exclu. La voie était libre pour l’unité qui se préparait à l’échelle nationale depuis le congrès international d’Amsterdam (1904). Les 29 et 30 juillet 1905 naquit au congrès de Grenoble, la Fédération socialiste SFIO de l’Isère : le docteur Martin devait en être pendant plus de cinquante ans l’une de ses figures de proue par son ardeur au travail, ses compétences, ses convictions socialistes d’une fermeté à toute épreuve comme il allait en donner maintes preuves.

Au lendemain de la Première Guerre mondiale, il ne pouvait cependant prétendre jouer les premiers rôles tant que le prestigieux Paul Mistral était là. C’est à ses côtés qu’il travailla à la reconstruction de la Fédération socialiste SFIO au lendemain de la scission de Tours (décembre 1920). En 1922 il fut élu conseiller général dans le canton de Grenoble-sud contre le conseiller sortant passé au communisme. En 1925, il entra à l’hôtel de ville de Grenoble et, dans la municipalité de Paul Mistral, fut adjoint chargé de l’instruction publique et de l’hygiène. En 1932, succédant à Paul Mistral décédé, le docteur Martin devint maire de Grenoble. Tout naturellement, la Fédération socialiste de l’Isère le chargea de conserver son siège de député en octobre 1932 : il n’y parvint pas. Au premier tour du scrutin, Léon Martin, en tête avec 7 403 voix, devançait le colonel Brocard, républicain indépendant (6 538), le candidat radical-socialiste Barbe (3 248) et le communiste Campighia (1 487). La lutte fut acharnée pour le second tour et eut des retentissements dans tout le sud-est de la France. Le radicalisme grenoblois évoluant vers des positions toujours plus conservatrices crut le moment venu d’ébranler les positions socialistes à la faveur de la disparition de Paul Mistral ; son candidat se retira sans enthousiasme par "discipline républicaine". Malgré le maintien du candidat communiste, le docteur Martin pouvait bénéficier d’un transfert de ses voix en sa faveur : Campighia tomba, en effet, de 1 487 à 587 voix. Un événement insolite fut sans doute déterminant dans l’échec, à 67 voix, du docteur Martin devant le colonel Brocard (10 399 contre 10 466) : ce fut la ferme prise de position du grand journal d’information prétendu neutre de Grenoble, le Petit Dauphinois, contre Léon Martin, présenté comme un socialiste extrémiste et sectaire auquel il fallait barrer la route.

Léon Martin s’attacha à l’hôtel de ville à la poursuite de l’œuvre d’administration et de transformation de Paul Mistral. Président de l’Office des HLM, il fit construire des logements populaires autour de la ville et à proximité des grands groupes scolaires. Il fit raser la dernière ceinture de fortifications de Vauban, allant de l’Isère au Drac et obtint la création d’une régie foncière pour réaliser ces travaux et assurer le développement de la ville. Il créa l’Amicale laïque qu’il présida pendant trente ans et organisa des fêtes annuelles de la Jeunesse qui connurent la faveur du public. Il soutint l’enseignement à tous les degrés et assura une promotion de l’enseignement technique en créant une école hôtelière rattachée au collège technique. Il fit édifier un grand stade ouvert à toutes les compétitions et un parc des sports. En 1935, malgré cette œuvre qui plaidait en sa faveur, Léon Martin fut chassé de la mairie par une coalition ouverte des radicaux et de la droite.

Les élections législatives de 1936 dans l’euphorie du Front populaire lui apportèrent, dans la 2e circonscription de Grenoble, une belle revanche sur 1932 et 1935. Sur 31 092 inscrits, il rassembla 10 761 voix devant le député sortant de La Tour-du-Pin, Louis Chastanet, transfuge de la SFIO et, sous l’étiquette républicain indépendant, candidat de droite (9 428), devant Campighia, communiste (2 585) et Bouvreuil, radical-socialiste (1 453). Bénéficiant du désistement de ces deux derniers candidats, Léon Martin l’emporta sur Chastanet par 14 247 voix contre 10 865. Comme à l’ordinaire, il n’avait pas mis son drapeau dans sa poche en affirmant dans sa profession de foi que "l’émancipation complète des travailleurs ne sera possible que par la transformation de la propriété capitaliste en propriété sociale" mais que "le Parti socialiste veut (...) par un effort incessant améliorer le sort (des travailleurs)." Il se déclara "pour l’unité ouvrière aussi bien dans les partis politiques que dans les syndicats." Au Parlement, il s’intéressa surtout à l’enseignement et singulièrement à l’enseignement artistique, ainsi qu’à l’hygiène et à la santé publique.

Le 10 juillet 1940, devant l’Assemblée nationale de Vichy, fidèle à son passé, Léon Martin vota contre l’octroi des pouvoirs constituants au maréchal Pétain. Sous l’Occupation, il fut un des créateurs et animateurs du réseau "Franc-tireur", travailla à la distribution de journaux et de tracts vers les Hautes-Alpes et les deux départements savoyards, à l’évasion des requis du STO (Service du travail obligatoire en Allemagne) vers les régions montagneuses et boisées de la Chartreuse, d’Allevard, de l’Oisans, du Trièves et du Vercors. Le 4 avril 1943, il fut arrêté par les troupes italiennes d’occupation et enfermé au fort de l’Esseillon, dans le Mont-Cenis. Le 9 septembre 1943, Léon Martin, put s’évader, comme tous ses compagnons de captivité, à la faveur de l’armistice signé par le gouvernement italien de Badoglio. Il gagna le centre de la France, notamment le département de la Creuse, sous le nom de "Michon". Il revint à Grenoble libérée le 15 septembre 1944.

Léon Martin refusa toute candidature aux deux Constituantes, à l’Assemblée nationale ainsi qu’aux élections cantonales. Ce n’est que sous la pression des militants qu’il reprit la lutte sur le plan municipal ; il fut élu maire le 6 mai 1945, réélu en 1946, 1947, 1949 et 1953. Il quitta la vie politique en abandonnant le fauteuil de maire en 1959. Pendant quatorze nouvelles années il avait présidé à l’essor de Grenoble dans tous les domaines : l’école et l’Université, l’enseignement technique et la houille blanche, le tourisme et l’industrie. Sous son administration, la surface de la ville de Grenoble a doublé.

Chevalier de la Légion d’honneur à titre militaire, décoré de la médaille de la Résistance et la médaille des 80, Léon Martin fut fait commandeur de la Légion d’honneur en 1955. Il devait survivre huit ans à sa retraite et s’éteindre à l’âge de 94 ans. Il avait eu un fils, Georges, docteur comme lui.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article120592, notice MARTIN Léon, Achille par Justinien Raymond, version mise en ligne le 30 novembre 2010, dernière modification le 30 novembre 2010.

Par Justinien Raymond

SOURCES : Arch. Ass. Nat., dossier biographique. — J. Jolly, Dictionnaire des Parlementaires, op. cit., t. VII, pp. 2386-2387. — Hubert Rouger, Les Fédérations socialistes, t. II, pp. 242 et sq. — Pierre Barral, Le Département de l’Isère sous la IIIe République : 1870-1940, Thèse, Paris, Colin, 1962 (passim). — G. Lachapelle, Les Élections législatives de 1936. — Le Petit Dauphinois, octobre 1932. — Le Monde, 27 juin 1967. — Arch. Ass. Nat., 202. — Le Livre d’Or des 80. — Le Vétéran socialiste, n° 21, avril 1963. — Notes de Gilles Morin. — Enquête auprès du docteur Léon Martin (avril 1957).

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