MARTINET Gilles, Henry, Auguste, dit Arval

Par Gilles Morin

Né le 8 août 1916 à Paris (XIVe arr.), mort le 29 mars 2006 à Paris (Xe arr.) ; journaliste et écrivain ; directeur de l’AFP, puis de France-Observateur ; socialiste et résistant ; secrétaire de l’Union progressiste ; secrétaire national de l’UGS (1958-1960) ; secrétaire national adjoint du PSU ; membre du secrétariat national du PS (1975-1979) ; ambassadeur de France en Italie.

Gilles Martinet et Pierre Bérégovoy
Gilles Martinet et Pierre Bérégovoy
Fondation Jean Jaurès

Gilles Martinet naquit dans un milieu bourgeois, d’origine paysanne pour ses deux bisaïeuls paternels et maternels. Son père, Henri Martinet, fils d’un jardinier d’Azay-le-Rideau en Touraine, était devenu architecte-paysagiste grâce aux bourses de la IIIe République. Ayant perdu un fils dans les débuts de la Grande guerre, il avait voulu, à cinquante ans, un second fils. Radical-socialiste et franc-maçon, sa réussite lui avait permis d’acquérir un hôtel à Hendaye où il aménageait les plages, mais il fut ruiné par la crise de 1929. À sa mort, en 1936, Gilles Martinet dut refuser l’héritage, le passif l’emportant sur l’actif.

Élève au lycée Carnot, Gilles Martinet qui obtint le baccalauréat à seize ans, puis une licence d’histoire à la Sorbonne, souhaitait préparer l’agrégation. Mais il fut obligé d’arrêter ses études pour travailler, afin de subvenir à ses besoins et à ceux de sa mère (née Colette Valvein). Il entra en juillet 1937 à l’agence Havas-Information, en qualité de rédacteur au service étranger. Tout en travaillant, il obtint un diplôme d’études supérieures pour un mémoire sur La politique française en Italie pendant la campagne de Bonaparte : 1796-1797.

Gilles Martinet fut attiré par le mouvement révolutionnaire dès le lycée, rêvant de devenir un bolchevik, après avoir brièvement été tenté par le pacifisme (il avait assisté à l’enterrement d’Aristide Briand). Il adhéra en 1933 aux Jeunesses communistes où l’avait accueilli Paul Nizan. Il fut, en 1936-1937, secrétaire du groupe des étudiants communistes de Paris, participant aux manifestations et bagarres du Quartier latin contre les ligues et conduisit à la fin de l’année 1936 une délégation internationale d’étudiants en Espagne républicaine (mais il ne fut pas membre des Brigades internationales contrairement à des approximations parues après son décès). Entré au Parti communiste en 1935, il participa en 1937 au congrès d’Arles du PCF. Ayant quitté le monde étudiant, il milita dans la cellule de l’agence Havas en 1938. Mais, profondément troublé par les procès de Moscou et par les méthodes de l’URSS dans la révolution espagnole, il ne reprit pas sa carte au parti en 1939. Il ne prit pas part aux oppositions et dissidences et, tout en comprenant intellectuellement les raisons du Pacte germano-soviétique, fut indigné de la subordination des intérêts du mouvement ouvrier français à ceux de l’URSS.

Gilles Martinet s’était marié le 7 juillet 1938 à Paris (XVIIIe arr.), avec Adriana Buozzi, née le 7 décembre 1916 à Turin, la fille de Bruno Buozzi, secrétaire général de la Confederazione generale dei Lavoratori (CGL). Ancien leader des métallurgistes au moment des grandes grèves de 1919-1920 et futur réunificateur dans la clandestinité des courants socialiste, communiste et chrétien (avant d’être arrêté et fusillé par les Allemands), Buozzi était alors une grande figure du mouvement ouvrier italien. C’est par son intermédiaire que Gilles Martinet connut, avant la guerre, la plupart des dirigeants de l’antifascisme.

Mobilisé en septembre 1939 dans un peloton d’élèves-officiers, puis démobilisé en juillet 1940, il eut une réaction patriotique après la défaite. Hostile à Vichy, il reprochait au général de Gaulle son attitude à propos de Mers El-Kébir. Démobilisé à Clermont-Ferrand, chef du service de nuit de l’agence de l’Office français d’information qui succéda à l’agence Havas en 1942, il fut écarté en raison de son passé politique. Il travailla aux services du ravitaillement général du Puy-de-Dôme tout en s’engageant très tôt dans l’action de la Résistance. Les premiers contacts le mirent en rapport avec « Libération sud ». Gilles Martinet créa en 1942 avec un groupe de syndicalistes clermontois le Bulletin ouvrier. Au début de 1943 il rejoignit, par l’intermédiaire de Pierre Stibbe avec lequel il devait rester lié longtemps, l’équipe de l’Insurgé, journal fondé en 1941 par d’anciens militants lyonnais du Parti socialiste ouvrier et paysan. Il en devint très vite l’éditorialiste. En 1944, l’Insurgé se rapprocha de deux autres publications de tendance socialiste révolutionnaire Libérer et Fédérer à Toulouse et Libertés à Paris. Objet d’un mandat d’arrêt, Gilles Martinet était passé dans la clandestinité au milieu de l’année 1943, devenant permanent clandestin. Il revint à Paris début 1944 et fit partie du réseau "AID" qui préparait la prise de contrôle des principaux organes d’information. Dès le premier jour de l’insurrection parisienne, en août 1944, il dirigea l’occupation des locaux de l’Office français d’information (bientôt transformé en Agence France Presse) et y prit le poste de rédacteur en chef, à vingt-huit ans.

De 1944 à 1947, Gilles Martinet se consacra essentiellement à ses tâches professionnelles. Ne croyant pas à un rétablissement durable de la démocratie bourgeoise, mais estimant inévitable un choix entre fascisme et socialisme, il fonda en 1945 avec Pierre Naville, Charles Bettelheim, Gérard Rosenthal, Théo Bernard, David Rousset, Maurice Nadeau et Pierre Bessaignet La Revue internationale, publication marxiste indépendante. Il en assura la direction avec Naville jusqu’en 1950, année marquée à la fois par la disparition de la revue et le lancement de l’Observateur. Cherchant à fournir des analyses marxistes, il se situait alors dans la mouvance « progressiste », des compagnons de route du PCF, espérant voir se transformer le PC et contribuer à l’orienter vers la démocratie.

En 1947, un conflit éclata à l’agence France presse à propos de la première guerre du Vietnam. En tant que rédacteur en chef, Gilles Martinet refusa de censurer les informations venant d’Indochine et notamment les communiqués du Vietminh. Le gouvernement de l’époque imposa son départ. Le personnel se solidarisa avec lui par des pétitions et des arrêts de travail. Finalement le gouvernement accepta de le réintégrer, mais à un autre poste. Martinet fut alors élu secrétaire du comité d’entreprise sur la liste CGT.

À la fin de la même année 1947, un groupe de militants appartenant à la tendance « Bataille socialiste » (Élie Bloncourt, Jean Guignebert, Jean-Maurice Hermann, Marcel Fourrier, Maurice Pressouyre, Andrée Marty-Capgras, Pierre Stibbe, etc.) quitta la SFIO et fonda le Parti socialiste unitaire. Gilles Martinet et Pierre Naville lui donnèrent leur adhésion. Martinet était membre du Comité directeur et du bureau permanent du Parti socialiste unitaire en septembre 1949. La crise titiste l’amena à prendre une position progressivement plus critique vis-à-vis de Moscou et du PCF. Avec Naville, ils furent les principaux rédacteurs de la plate-forme du parti dont l’adoption provoqua une réaction très hostile du Parti communiste, qui considérait jusque-là le 1er PSU comme une organisation satellite. En 1949, la direction du PCF revint à la charge en exigeant du PSU la condamnation de la Yougoslavie de Tito. Martinet, Stibbe et Naville s’y opposèrent mais ils furent, cette fois, mis en minorité. Ils quittèrent le PSU. Martinet et Stibbe participant alors à la création du comité de liaison des mouvements progressistes (qui se transforma en Union progressiste). En 1951, Gilles Martinet figura en deuxième place sur la liste de « l’Union socialiste et progressiste et d’action neutraliste », conduite par le professeur Paul Rivet dans la première circonscription de la Seine (Paris rive gauche). L’échec de cette liste et de celle conduite par Claude Bourdet (Paris rive droite) le détourna, pour un temps, de l’action purement militante. Martinet se trouvait ainsi à la charnière des neutralistes et des progressistes. Il s’était démarqué du PCF mais restait dans son orbite et figurait encore dans divers organismes de mouvements para-communistes, étant par exemple vice-président de la fédération de la Seine du Secours populaire en 1954.

Depuis avril 1950, l’activité principale de Gilles Martinet s’était reportée sur l’hebdomadaire l’Observateur (bientôt France-Observateur) créé par une équipe qui comprenait Claude Bourdet, Roger Stéphane*, Hector de Galard, Jacques Charrière, Maurice Nadeau. De 1950 à 1964, Gilles Martinet fut le rédacteur en chef, puis le co-directeur de cette publication qui devait jouer un rôle déterminant dans les luttes anticolonialistes et dans la reconstruction des nouvelles gauches.

Dès 1954, Gilles Martinet donna son appui à l’initiative de la Nouvelle gauche dont Claude Bourdet* était le principal animateur. Il appartint au Comité d’action des gauches indépendantes (CAGI) et intervint aux journées d’études du CAGI des 29 et 30 mai 1954, puis à la journée nationale de la Nouvelle gauche du 4 décembre 1954. Il entra dans les instances dirigeante de ce cartel, appartenant à la commission exécutive des groupements unis de la Nouvelle gauche, désignée le 22 mai 1955, puis appartint au conseil national de la Nouvelle gauche élu au congrès de novembre 1955, en devint membre de la commission exécutive en mai 1956 et du bureau politique en janvier 1957. En décembre 1957, la Nouvelle gauche fusionna avec le Mouvement de libération du peuple et la majorité de la Jeune République pour former l’Union de la gauche socialiste. Gilles Martinet siégea au 1er comité politique de l’UGS, puis fut élu secrétaire général du bureau national en remplacement de Claude Bourdet, le 6 octobre 1958, jusqu’en avril 1960. C’est à ce titre qu’il participa en 1958 au lancement de l’Union des forces démocratiques aux côtés de Pierre Mendès France*, d’Édouard Depreux, de François Mitterrand* et de Daniel Mayer et il fut membre du bureau national de l’UFD en août 1958. Il milita pour le rapprochement des courants proprement socialistes, mais contre la transformation de l’UFD en parti. En 1960, l’UGS se joignit au Parti socialiste autonome (né d’une scission de la SFIO) et au petit groupe Tribune du communisme, pour constituer le Parti socialiste unifié (PSU) dont Gilles Martinet devint le secrétaire général adjoint, ainsi que Henri Longeot.

Son activisme journalistique et anticolonialiste lui valut de subir en ces années de guerre d’Algérie la répression et des attentats. En 1954 il fut inculpé d’atteinte à la sécurité de l’État dans l’affaire des fuites (il bénéficia d’un non-lieu en novembre 1962 seulement) ; France-Observateur fut saisi à seize reprises durant la guerre d’Algérie, et marqua fortement l’évolution de la gauche française. Il fut de nouveau inculpé, avec Claude Bourdet et Robert Barrat*, de « participation à une tentative de démoralisation de l’armée », en septembre 1959, pour avoir laissé paraître des articles et lettres de lecteurs protestant contre la torture en Algérie. En 1962, son appartement, boulevard Flandrin, fut plastiqué.

De 1960 à 1967, Gilles Martinet, secrétaire national adjoint du PSU l’année de sa fondation, fut avec Édouard Depreux le principal animateur du PSU. Ils dirigeaient la tendance majoritaire qui chercha à lier la stratégie du "Front socialiste" à un grand effort de renouveau doctrinal. Le combat pour la paix en Algérie offrait un terrain de rencontre avec le PCF, la CFTC, la Fédération de l’éducation nationale et l’UNEF. Mais il ne fut pas facile de maintenir cette alliance après 1962, c’est-à-dire après la fin de la guerre d’Algérie. Après avoir dû faire face l’année précédente à une minorité interne regroupant principalement des anciens radicaux mendésistes (Charles Hernu, Pierre Bassan, Léon Hovnanian, Paul Anxionnaz), mais aussi d’autres fondateurs du PSA (Pierre Bérégovoy, André Seurat*), membre du bureau national à partir de 1961, il fut au centre de la majorité qui conserva la direction face à l’offensive de Jean Poperen*, appuyé par Claude Bourdet. La direction fut renouvelée durant quelques mois en 1963, après un congrès mouvementé qui vit l’élection d’une direction provisoire. Le PSU s’attacha alors à mieux définir les thèmes du « renouveau socialiste », en multipliant les rencontres à gauche et Martinet fut délégué du PSU à la réunion préparatoire des colloques socialistes organisés par Georges Brutelle les 7-8 décembre 1963, puis participa au colloque socialiste des 22 et 23 mai 1964, où il intervint sur le rapport Savary. Lui qui avait toujours été réservé par rapport à François Mitterrand, et surtout ne lui pardonna jamais l’affaire de l’Observatoire, tenta de susciter, en vain, une autre candidature à l’élection présidentielle de 1965, mettant en cause dans la presse du parti le candidat « de la SFIO », sous entendu de Guy Mollet.

Gilles Martinet, persuadé de la nécessité d’un ancrage provincial, milita pendant plusieurs années dans la fédération de la Drôme où il fut candidat pour le PSU aux élections législatives de 1962 et 1967. Lorsque France-Observateur toujours en déficit fut transformé en Nouvel-Observateur en 1964 par la fusion avec une équipe venue de L’Express avec Jean Daniel, il appartint à son conseil d’administration et continua d’y écrire des articles, mais il se consacrait essentiellement au PSU désormais.

La réalisation autour de François Mitterrand de la première version de l’Union de la Gauche durant la campagne présidentielle, puis de la Fédération de la gauche démocratique et socialiste, restreignit le champ d’action du PSU, qui se trouva pris en tenaille entre le PCF et la Fédération de la gauche démocrate et socialiste. Gilles Martinet, de nouveau secrétaire national adjoint du parti, devait, avec l’accord de celui-ci, succéder à Depreux qui souhaitait quitter la direction en 1967. Il proposait de renforcer le « courant moderniste » que représentait principalement mais non uniquement le PSU. Avec la direction du parti, et notamment Michel Rocard* son futur adversaire au congrès de 1967, et ses amis qui prônaient une « rénovation socialiste », ils organisèrent avec des clubs le colloque de Grenoble puis des colloques régionaux (1966) autour de Pierre Mendès France et de la CFDT pour contrer la FGDS. La dynamique unitaire l’emportant, il proposa de réinvestir ce capital politique à un niveau plus élevé en adhérant à la FGDS. Au congrès national de 1967, la majorité du PSU refusa de suivre Gilles Martinet (allié cette fois à Jean Poperen et Pierre Bérégovoy) : sa motion fut repoussée par 393 mandats contre 174. Michel Rocard* devint secrétaire général à la tête d’une majorité « autonomiste » et Gilles Martinet fut alors éliminé du secrétariat général, du bureau et même du comité politique national. Martinet demeura au PSU mais fonda alors en octobre 1967 « l’Association pour un pouvoir socialiste », avec quatre anciens membres du bureau national (Harris Puisais*, Henri Longeot*, Jacques Raynaud, Maurice Combes*) et 18 membres de la minorité siégeant au CPN, ainsi que des minoritaires du SNES. Ils publiaient Pouvoir socialiste qui permettait de conserver une tribune indépendante citée par la grande presse. Désormais représentant de la « droite du parti », ses relations avec la direction étaient parfois difficiles, surtout du fait des militants les plus radicaux. Il fut traduit devant la commission nationale des conflits (CNC) en janvier 1969 pour un article dans le Nouvel Observateur du 18 novembre 1968 où il mettait en cause Jacques Sauvageot*, la politique de la direction de l’UNEF et la distinction entre “science bourgeoise” et “science prolétarienne”. Le bureau national refusa de s’associer à la plainte et la CNC décida de ne prendre aucune sanction.

Gilles Martinet, qui avait organisé des réunions avec la CIR en 1968, se lia après Mai 1968, avec la petite minorité que constituait, au sein de la SFIO, le CERES (Jean-Pierre Chevènement, Georges Sarre*, Didier Motchane*, Pierre Guidoni) et avec des éléments de la gauche chrétienne (Robert Buron, Francis Jeanson, Gérard Fuchs). En avril 1969, contrairement à la direction du PSU qui prônait le vote blanc ou nul, il se prononça pour le vote « non » au référendum qui devait conduire au départ du général de Gaulle après son échec et le congrès PSU de Dijon ratifia cette position. En octobre 1971, il rédigea un manifeste intitulé « Le socialisme pour aujourd’hui », contresigné par de nombreux militants. Il participa encore au congrès de 1971 du PSU, mais il donna sa démission en février 1972 pour adhérer avec au moins 200 militants au nouveau Parti socialiste issu du congrès d’Épinay. Il rejoignit le CERES et anima avec ses responsables la revue Frontière, issu de la fusion de Socialisme aujourd’hui, que dirigeait Martinet (avec Georges Gontcharoff, Pietri, Pontich, Rioux, Jean Rous et Yves Tavernier) et les Cahiers du CERES. Il fut intégré au bureau de l’Union de la gauche socialiste et démocrate, coalition électorale du PS et des radicaux de gauche en novembre 1972, mais ne fut pas investi candidat pour les élections législatives de mars 1973.

Signataire de la motion du CERES pour le congrès de Grenoble de juin 1973, Martinet fut désigné secrétaire général du CERES, en remplacement de Didier Motchane. À ce congrès, il entra au comité exécutif du PS et fut désigné délégué général du PS, chargé des recherches idéologiques sur le socialisme. Il était par ailleurs directeur-fondateur de l’ISER (Institut socialiste d’études et de recherches), créé en janvier 1974, qui menait des travaux théoriques et multipliait les colloques qui permettaient au PS d’approfondir sa réflexion et d’élargir ses réseaux intellectuels et associatifs. Poursuivant une réflexion personnelle sur le marxisme, jalonnée par de nombreux ouvrages, proche de François Furet et de Jacques et Mona Ozouf et désormais dialoguant avec Raymond Aron, à l’heure de la publication de l’Archipel du Goulag et de la rupture de l’Union de la gauche, il se faisait de plus en plus critique vis-à-vis de l’URSS et du PCF, ne croyant plus à une possibilité d’évolution du communisme. En octobre 1973, l’Humanité dénonça dans un article « un fois de plus l’anticommunisme » ses prises de positions en faveur de Soljenitsyne, demandant même au PS de le désavouer. Sur ce plan il s’éloignait du CERES toujours aussi unitaire, même s’il se revendiquait toujours de l’autogestion. Désormais, il ne ménageait plus ses critiques envers le « stalinisme » et fut par exemple en 1977 membre du comité international de soutien à la Charte 77 en Tchécoslovaquie et il publia avec le communiste italien Guisseppe Bossa Dialogue sur le stalinisme.

Gilles Martinet favorisa, en 1974, l’arrivée au Parti socialiste de Michel Rocard, de responsables de la CFDT et de la « troisième composante ». La rupture avec le CERES fut alors consommée brutalement. Il quitta la direction du CERES en juillet 1974, puis intégra la majorité en février 1975. Il exclut le CERES des locaux qui avaient appartenus à Frontière et aux éditions du Coq Héron, SARL dont il était gérant et fonda une nouvelle revue, Faire, qui se voulait au début ouverte à tous les courants. Les divergences sur la révolution portugaise accentuèrent la fracture, Martinet dénonçant le populisme militaire.

Au congrès de Pau (1975), un « amendement Martinet » au texte Mitterrand (15 % des mandats) permit aux militants entrés lors des Assises du socialisme de s’intégrer à la majorité tout en marquant leurs différences. Il accéda alors au secrétariat national du parti, toujours chargé des Études du PS et fut reconduit au congrès de Nantes. Au cours de cette même année 1975, Gilles Martinet fut le rapporteur des quinze thèses sur l’autogestion adoptées par le Parti socialiste. Membre du conseil d’administration du Matin, il dirigea la commission Justice et Liberté, au sein du PS de 1976 à 1978.

Après l’échec de la gauche aux législatives de 1978, il fut l’un des premiers à parler de la succession à venir de François Mitterrand et à appuyer la tendance Rocard en cours de formation. En mai 1978, les partisans de Mitterrand se retirèrent de ce fait de la direction de la revue Faire. En 1979, au congrès de Metz, il fut l’un des porte-parole de la minorité rocardienne et siégea dans la commission de résolution au nom de la motion C (Rocard). Cette minorité ayant été écartée du secrétariat, Gilles Martinet, qui n’était pas parvenu à se faire élire dans l’Oise en 1978, se présenta en 1979 aux élections européennes. Élu, il siégea pendant deux ans au Parlement de Strasbourg. Il tenta de faire un pont entre Mitterrand et Rocard, prônant en vain un « ticket » des deux hommes pour l’élection présidentielle de 1981.

Après la victoire de la gauche en mai-juin 1981, Gilles Martinet ne fut pas appelé au gouvernement mais Pierre Mauroy*, devenu Premier Ministre, lui proposa l’ambassade de France en Italie. Il remplit cette mission de 1981 à la fin de l’année 1984. Le gouvernement lui conféra alors la dignité d’Ambassadeur de France.

À partir de son retour en France, Gilles Martinet occupa une fonction de « vieux sage » du mouvement socialiste, publiant régulièrement des ouvrages de réflexion et de mémoire. Martinet reprit à la demande de Jean-François Perthuis une activité journalistique en 1986-1987 en donnant au Matin de Paris une chronique hebdomadaire de politique internationale. En 1988, il participa au cabinet de Michel Rocard, premier ministre et il présida l’Institut Édouard Depreux. Très malade, devenu progressivement invalide, il se montra jusqu’au bout passionné par la politique et un analyste et un témoin incomparable de la longue période politique qu’il avait traversée du Front populaire au début du XXIe siècle.

Père de deux enfants, il était le beau-père d’Alain Krivine.

Ses archives ont été déposées au Centre d’histoire de Sciences Po à Paris.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article120679, notice MARTINET Gilles, Henry, Auguste, dit Arval par Gilles Morin, version mise en ligne le 26 novembre 2013, dernière modification le 2 octobre 2020.

Par Gilles Morin

Gilles Martinet et Pierre Bérégovoy
Gilles Martinet et Pierre Bérégovoy
Fondation Jean Jaurès

ŒUVRE : Avec Charles Bettelheim et Pierre Naville, La Crise française ; essais et documents, Paris, Éditions du Pavois, 1945. — Le Marxisme de notre temps, Julliard, 1962. — La Conquête des pouvoirs, Le Seuil, 1968. — Les Cinq communismes, Le Seuil, 1971. — Le Système Pompidou, Seuil, 1973. — L’Avenir depuis vingt ans, 1975. — Dialogue sur le stalinisme, Stock, 1977. — Sept syndicalismes, Grande-Bretagne, RFA, Suède, Italie, France, États-Unis, Japon, Seuil, 1979. — Cassandre et les tueurs, cinquante ans d’une histoire française, Grasset, 1986. — Les Italiens, Grasset, 1990. — Réveil des nationalismes français, 1994. — Une certaine idée de la gauche 1936-1997, Odile Jacob, 1998. — Le Reflux américain, décadence ou renouveau des États-Unis ?, Seuil, 2001. — Les clés de la Ve République, Le Seuil, 2002. — L’observateur engagé, Lattès, 2004.

SOURCES : Arch. Nat., F/1cII/125/A. — Arch. IHTP, 79-1, fonds Closon, note Dubois. — Le Libérateur, 1954-1955. — Bulletin du Mouvement uni de la Nouvelle gauche, 15 mai 1956, 10 février 1957. — Comptes rendus du Comité politique de l’UGS. — Tribune du Peuple, 23 octobre 1958. — Courrier de l’UGS, décembre 1958. — Tribune socialiste, 2 février 1963, 16 novembre 1963, 14 décembre 1963. — Marc Heurgon, Histoire du PSU, Paris, édition de la Découverte, 1994, t. 1, 444 p. — Thierry Pfister, Les socialistes, Albin Michel, 1975. — Jean-François Kesler, De la gauche dissidente au nouveau parti socialiste, Toulouse, Bibliothèque historique Privat, 1991. — Témoignages écrits. — Entretiens avec Jean Maitron et notice de celui-ci dans le DBMOF. — État civil.

rebonds ?
Les rebonds proposent trois biographies choisies aléatoirement en fonction de similarités thématiques (dictionnaires), chronologiques (périodes), géographiques (département) et socioprofessionnelles.
Version imprimable