MATTON César, Olivier

Par Antoine Olivesi

Né et mort à Marseille (Bouches-du-Rhône) : 1er janvier 1889-26 mars 1968 ; ouvrier de l’État ; militant syndicaliste révolutionnaire puis communiste ; secrétaire de l’Union régionale CGTU des Bouches-du-Rhône. Conseiller général de Marseille.

César Matton, fils d’Auguste Matton, sellier, et de Thérèse Leux, travaillait en 1911 comme imprimeur à Marseille. Il devint ensuite manutentionnaire aux établissements civils de la guerre dans le quartier d’Endoume où il résidait, affecté aux services de l’intendance et de l’habillement. Militant dès l’âge de quinze ans à la Bourse du Travail, il apprit l’espéranto et participa au théâtre social. Le 1er Mai 1906, il se battit contre la police pour défendre les trois huit. Matton, attiré d’abord par l’anarcho-individualisme, fut influencé par Sébastien Faure, Jean Grave, Kropotkine et Hervé. Mais après son service militaire, il se rallia aux syndicalistes révolutionnaires au sein de la CGT. Il fréquenta Yvetot, qui venait souvent à Marseille, Monmousseau, Racamond, Monatte, et diffusa des brochures et des livres anarchistes, dans les syndicats. Il collabora à la Bataille syndicaliste et à la Voix du peuple. A l’image des syndicalistes de l’époque, il se sentait révolutionnaire d’instinct, antimilitariste, défiant à l’égard de certains politiciens SFIO

Réformé dès les débuts de la Grande Guerre, il continua son action syndicale en tant que secrétaire du syndicat local des personnels civils de la défense nationale qu’il dirigea pendant une vingtaine d’années et rejoignit rapidement, au sein de la CGT, la fraction la plus révolutionnaire. Matton fut présent en mars 1918 au congrès minoritaire de Saint-Étienne et combattit Merrheim. Peu après, à Marseille, il participa au meeting du 1er Mai 1918, et déclara au cours d’une réunion, en décembre : « Le bolchevisme, c’est le socialisme intégral. » A l’automne 1919, il fut candidat aux élections législatives sur la liste syndicaliste dans la première circonscription des Bouches-du-Rhône. Il obtint 1 071 voix sur 84 054 votants et 126 846 inscrits. En prévision des élections municipales du 30 novembre 1919, Matton fut présenté pour figurer sur une liste uniquement composée de socialistes unifiés et de syndicalistes mais cette liste ne fut finalement pas constituée. Il fut également l’un des principaux animateurs des grandes grèves de 1919 dans la région marseillaise. Il fut chargé de l’organisation de comités syndicalistes de quartier, ces derniers étant soigneusement délimités dans la perspective des grèves de masse.

Matton participa au congrès national de la CGT à Orléans en 1920, où il s’abstint, puis au congrès de Lille en 1921 où il vota pour la minorité. En mars 1922, il fit partie du premier bureau de l’UD-CGTU des Bouches-du-Rhône. En juillet 1922, il fut élu secrétaire général par le Ier congrès de la Fédération CGTU des personnels civils des magasins et services administratifs de la guerre et des pensions (voir Michel et Vial). En 1923, il appartenait à la tendance des comités syndicalistes révolutionnaires animée par Lartigue , et fut en 1924 secrétaire national de la Fédération CGTU du personnel civil et des services de la guerre. Au cours de la même année, il se rendit avec Monmousseau à Moscou pour le IIIe congrès de l’Internationale syndicale rouge. Il demanda à Trotsky de visiter librement les arsenaux et usines de guerre soviétiques, ce qui lui fut accordé (rapport de police du 25 août 1924). A la suite de ce congrès, il fut nommé par le Comité international de propagande des employés et fonctionnaires pour diriger cet organisme en France et dans les pays latins, au sein de la 17e UR de propagande. Il n’était pas encore membre du Parti communiste mais il y adhéra peu après Monmousseau, Richetta et Dudilleux dans le courant de cette année 1924. Effectivement, un rapport de police du 6 septembre 1924 indique que Matton « paraît être revenu de Moscou entièrement gagné aux idées communistes ». Il fit une conférence le 14 à la Bourse du Travail, parlant pendant plus de trois heures de son voyage en URSS de façon apologétique, ce qui lui valut d’être conspué par les anarchistes présents à cette réunion. D’autres polémiques l’opposèrent par la suite aux libertaires, notamment en octobre 1927, avec Clot, à propos de l’affaire Lazarevitch.

De 1925 à 1934, César Matton fut membre du bureau du PC pour la région marseillaise. Sur le plan syndical, il fut, à trois reprises, et notamment en 1926-1928, secrétaire de la 8e Union régionale de la CGTU, et son activité s’exerçait également sur le plan national. Il tint à éviter, cependant, tout carriérisme syndical. En 1925, il fit partie de l’Union locale d’unité qui, à la Bourse du Travail de Marseille, regroupa momentanément la CGT et la CGTU. Entré au PC, Matton, à partir de 1925, participa aux manifestations contre Castelnau et Millerand, en février-mars, contre la guerre du Maroc, au mois d’août (il prit la parole le jour du grand meeting du 23), à la campagne d’agit-prop de septembre 1926, au soutien à la Chine révolutionnaire, en novembre, etc... Il avait été élu membre du comité régional au congrès de Beaucaire le 13 juin 1926 et faisait partie, en septembre, du comité du rayon unique de Marseille.

Mais ce fut au sein de la CGTU que son action fut la plus importante. Il y manifesta d’ailleurs une certaine indépendance à l’égard de la direction régionale du PC puisqu’en juin 1925 il entra en conflit avec Roque qui invita la commission exécutive du parti à voter un blâme à Matton et à Bonnet en raison des mauvais rapports entre l’UD unitaire et le bureau fédéral et de l’insuffisance du recrutement parmi les travailleurs immigrés (MOE). Matton, en accord avec Bonnet, fit appel à Monmousseau, sur le plan national, et le comité directeur du parti envoya Arrighi à Marseille pour arbitrer ce différend.

Quoi qu’il en soit, lorsque la 8e Union régionale unitaire fut constituée à la fin de février 1926, Matton en devint le secrétaire à l’issue du congrès régional. Il organisa la journée d’action du 7 novembre de la même année qui fut loin d’être une réussite à Marseille. L’année suivante, en octobre, il fut surveillé par la police, en raison de son voyage en URSS pour le 10e anniversaire de la Révolution russe. Toujours en 1927, Matton fut de nouveau en désaccord avec le bureau régional du PC auquel il reprocha de se désintéresser des questions syndicales à l’Union locale de Marseille, déclarant le 27 février, en présence de Pierre Semard venu assister à un conseil de comité régional élargi que « le travail syndical est à peu près nul dans le parti ».

Au tournant des années trente, il organisa dans les Bouches-du-Rhône, en relation avec H. Barbusse, le mouvement Amsterdam-Pleyel contre la guerre et le fascisme et, en 1934, il fut secrétaire du comité marseillais antifasciste, puis, en 1936, membre du comité fédéral du SRI Il fut aussi l’un des fondateurs dans les Bouches-du-Rhône du mouvement Paix et Liberté. En 1932, il était toujours ouvrier manutentionnaire et fier de l’être, puis en 1934, il fut mis à la retraite à l’âge de quarante-cinq ans. Il travailla alors de nouveau comme imprimeur en 1935-1936, avant de devenir permanent. Il accueillit successivement Nédelec et Billoux, lors de leur arrivée à Marseille, et fut leur mentor, sur le plan local, lorsqu’ils furent chargés de réorganiser la CGTU et le PC. Il fut également l’un des principaux créateurs de l’Université ouvrière de Marseille, à partir de 1934-1935, université qui devait fonctionner jusqu’à la guerre.

César Matton fut le candidat du PC en 1931 aux élections pour le conseil général dans le 11e canton de Marseille, celui d’Endoume, contre le socialiste Taddei. Il obtint 431 voix sur 11 596 inscrits. L’année suivante, il se présenta aux élections législatives à la fois contre Sabiani et Ferri-Pisani, dans la 3e circonscription et recueillit 1 196 suffrages sur 17 143 inscrits. En 1935, il conduisit la liste communiste dans le 1er secteur, celui d’Henri Tasso, aux élections municipales. Il fut de nouveau le concurrent — sans espoir — de Tasso dans la 1re circonscription de Marseille aux élections législatives de 1936 et rassembla 2 727 suffrages sur son nom, soit 13 % des électeurs inscrits. Le Petit Provençal de l’époque le présente comme « une belle figure du syndicalisme et un orateur de talent ».

Jean Cristofol ayant été élu député abandonna son siège de conseiller d’arrondissement du 5e canton, et César Matton fut élu à sa place le 26 juillet 1936, lors d’un scrutin partiel, avec 7 173 voix. L’année suivante, en octobre, aux élections pour le conseil général dans le même canton, Matton fut candidat et l’emporta avec 7 814 voix au premier tour et 9 232 au second contre le socialiste Ambrosini*, sur 21 511 inscrits. Il devint secrétaire du conseil général.

En tant que conseiller, il écrivit au maire Henri Tasso au nom des élus du PC, une lettre datée du 25 octobre 1937 dans laquelle il dénonçait le retard scandaleux dans la construction des HBM de la banlieue de Saint-Joseph, et adressa une copie de cette lettre au préfet, avec une note mettant en cause un conseiller municipal SFIO. Le 27 novembre 1937, il signa avec Billoux, une autre lettre adressée au préfet protestant contre les manœuvres frauduleuses qui auraient entaché l’élection cantonale du 9e canton, cette protestation mettant en cause certains élus socialistes d’une part et Fernand Bouisson de l’autre. En novembre 1938, au nom des élus communistes, César Matton critiqua le budget départemental qu’il assimila au budget national « de misère et de réaction » du style Reynaud-Daladier et déclara que les communistes s’abstiendraient au cours du vote. Le 11 août 1939, il fut blessé en manifestant contre les licenciements des travailleurs municipaux.
_César Matton s’était marié et était père de deux enfants. Il se partageait entre son appartement de Marseille et la villa qu’il possédait à Allauch, dans la grande banlieue de la ville.
À la déclaration de guerre en 1939, César Matton, qui était inscrit sur le carnet B, fit l’objet de pressions de la part du préfet des Bouches-du-Rhône, qui, le 6 septembre, l’engageaà faire un acte public de répudiation de son parti. Matton ne donna pas suite à cette invitation. Le 2 octobre, sa correspondance fut saisie, comme celle de tous les militants communistes suspects et quelques jours plus tard, les scellés furent posés sur son bureau de conseiller général, à la préfecture, où en tant que secrétaire parlementaire de Billoux, Matton détenait des papiers. Le 4 novembre, Matton fut arrêté à son domicile où des documents furent saisis. Sa libération fut demandée le lendemain au siège de l’UD-CGT par Tomasini, mais ce dernier ne rencontra aucune approbation et même on entendit, dans la salle, quelqu’un crier : « Matton au poteau ! » Il fut interné au fort Saint-Nicolas. Le 12 janvier 1940, il écrivit une lettre au préfet que ce dernier qualifia de « peu explicite » en la transmettant au ministre, le 22. Dans cette lettre, Matton déclarait qu’il avait cessé toute activité politique avant le décret du 26 septembre 1939 et qu’il avait invité chacun à faire l’union contre l’agression hitlérienne et, qu’au début octobre, il avait confirmé son choix par son attitude à la CGT « J’ai répudié, ajouta-t-il, effectivement toute participation aux organismes visés et aux activités interdites par ce décret. J’ai rompu toute attache avec le Parti communiste et la IIIe Internationale dans lesquels j’avais toujours cru pouvoir, jusqu’en septembre 1939, concilier mon idéal d’une société parfaite et mes sentiments de Français. » Il invoqua enfin un non-lieu, décidé, après instruction par la justice militaire, le 20 novembre, pour prouver qu’il était irréprochable.

A partir du 20 janvier, les journaux de droite marseillais, le Petit Marseillais et Marseille-Matin, citant le Temps du 18, annoncèrent sa démission et son désaveu du PC mais le préfet ne confirma pas ces informations qui ne coincidaient pas avec celles - vraisemblablement fausses - qui lui parvenaient de la police spéciale. D’après elle, il participait à la reconstitution du PC et serait membre de sa direction régionale. D’après un rapport du 16 février 1940, il aurait donné l’ordre de regrouper « les forces éparses du parti communiste » et serait en liaison avec François Vittori*. Matton qui avait été, entre temps, déchu de son mandat de conseiller général par décret du 25 janvier 1940, fut jugé le 8 février par le tribunal militaire de Marseille qui le condamna à quatre ans de prison, 2 000 francs d’amende et cinq ans de privation de ses droits civiques, pour détention de tracts et propagande d’inspiration étrangère. Ces tracts, journaux et affiches du Front de la paix faisaient l’apologie du Pacte germano-soviétique et avaient été trouvés à la Maison du Peuple d’Endoume dont Matton était président d’honneur mais dans laquelle, avait-il écrit dans la lettre, il ne se rendait pratiquement jamais, le seul motif de son inculpation et de sa détention, étant selon lui, la saisie de ces documents. Marseille-Matin, évoquant le procès, rapporte, le 9 février, que Matton « n’avait pas, à l’audience, l’allure avantageuse ».

Deux mois plus tard, le 18 avril 1940, le tribunal militaire de cassation de Lyon annula la sentence du tribunal de Marseille pour vice de forme, et César Matton fut donc acquitté en appel le 16 avril suivant, les journaux saisis n’ayant pas été reconnus assimilables à des tracts subversifs. Cependant la police proposa son internement administratif. Un arrêté fut signé le 6 juin 1940. Il devait être interné à Saint-Angeau (Cantal). Il protesta de cette décision le 10 juin dans une lettre aux autorités dans laquelle il confirmait qu’il avait rompu avec le parti et ses organisations satellites dès la dissolution, qu’il avait assuré le préfet de son "désir de collaborer à la défense du Pays", qu’il était intervenu dans ce sens publiquement le 20 octobre 1939 à l’occasion de l’assemblée générale de la section du syndicat confédéré des ouvriers des établissements administratifs du ministère de la Guerre. Il rappelait qu’il avait fait début janvier 1940 une déclaration écrite "reproduite par la presse de Paris et de Marseille" où il déclarait avoir "satisfait absolument aux prescriptions du décret du 26 septembre 1939". Il fut pourtant arrêté le 19 octobre 1940 dans le cadre de la rafle de militants du parti clandestin (affaire Raymond Barbé alias Laffaurie). Il fut envoyé au camp de Chibron (commune de Signes, Var) où ses anciens camarades le tinrent à l’écart. En effet, son nom figurait dans la liste noire diffusée par le parti clandestin en octobre 1940. Elle précisait : « s’est comporté d’un façon ignoble lors de ses procès » et a adhéré dans l’intervalle au parti socialiste. Une autre liste noire qui circulait en septembre 1942 indiquait qu’il s’était « dégonflé » lors de ses procès et qu’il avait demandé à adhérer au parti socialiste au début de la guerre. Il avait été acquitté par le tribunal militaire de Marseille en mars 1941. Il fut sans doute libéré de l’internement peu après.
Comment évaluer son comportement ? Matton lui-même a déclaré, au cours d’un entretien, avoir dirigé personnellement la propagande antimilitariste dans les casernes de la région marseillaise. Selon le témoignage de plusieurs militants communistes, il aurait réellement « flanché » et renié son parti. D’autres comme Pierre Gabrielli, plus nuancé, tout en regrettant son attitude en 1939-1940, ont mis au premier plan, le rôle important qu’il avait joué dans l’histoire du mouvement ouvrier marseillais pendant une trentaine d’années, et, plus particulièrement, dans la formation de nombreux militants.

Après la guerre, César Matton resta à l’écart de toute activité politique et syndicale et s’occupa jusqu’à sa mort, d’une agence immobilière à Marseille.

Son fils, Maurice fut membre des Jeunesses communistes en 1936 et secrétaire des jeunes des PTT à la CGT réunifiée. Déjà, en septembre 1935, il avait représenté les jeunes de la CGTU à un rassemblement des Jeunes (cf. Rouge-Midi, 29 septembre). Il milita, après la guerre, à la Convention des institutions républicaines puis au nouveau Parti socialiste à Marseille où il fut élu conseiller municipal en 1971.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article121112, notice MATTON César, Olivier par Antoine Olivesi, version mise en ligne le 30 novembre 2010, dernière modification le 8 octobre 2022.

Par Antoine Olivesi

SOURCES : Arch. Nat. F7/13050. — Arch. Dép. Bouches-du-Rhône, II M 3/54, 58, 59, 60 et 61 ; III M/53 et 56 ; V M 2/245, M 6/10801, V M 2/282, 283 et 289 ; M 6/10802-10806, 10808-10809, 10793, 10823, 10933, 11249, 11379 ; XIV M 24/55, 24/60, 24/61 et 24/62, 5 W 200 (dossier d’internement) et 150 W 115. — Arch. Dép. Var, 4 M 291. — Arch. Com. Marseille. — G. Lachapelle, Les élections législatives, op. cit.Le Petit Provençal, 1918-1937, 21 avril 1936 (photo). — Le Petit Marseillais et Marseille Matin,1940. — Marseille-Matin, 1940. — L’Humanité du Midi, 25 août 1925. — Rouge-Midi, 1934, 8 mars 1936, 20 novembre 1938 (photo), 15 août 1939. — Le Midi syndicaliste, 1er mars 1936 (pour Maurice Matton). — Marcel-Pierre Bernard, Les communistes dans la Résistance, Marseille et sa région, Université de Provence (Aix-Marseille I), thèse 3e cycle Histoire, 1982, 2 vol., 315 et 158 p. — D. Moulinard, Le Parti communiste à Marseille..., op. cit. — Témoignage de Pierre Gabrielli. — Entretien avec César Matton. — Notes de Jean-Marie Guillon.

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