MAURON Charles, Paul

Par Antoine Olivesi

Né le 27 juin 1899 à Saint-Rémy-de-Provence (Bouches-du-Rhône), mort le 5 décembre 1966 à Saint-Rémy-de-Provence ; ingénieur chimiste, universitaire, écrivain et critique littéraire ; militant socialiste et secrétaire de section avant 1939, maire et conseiller général de Saint-Rémy après la Libération.

Fils de Joseph Mauron et de Madeleine Espigue, tous deux instituteurs, Charles Mauron passa sa première enfance à Saint-Rémy, puis, en 1903, suivit ses parents à Marseille où il fit ses études primaires et secondaires. De 1914 à 1917, il fut élève au grand lycée (actuel lycée Thiers). Ce fut vers la faculté des sciences qu’il se dirigea, alliant déjà ainsi cette double culture littéraire et scientifique qui allait marquer sa pensée et son œuvre. Licencié ès sciences en 1921, titulaire du diplôme d’ingénieur chimiste, il fut nommé assistant de chimie industrielle à la faculté. En 1924, il obtint le diplôme supérieur de sciences physiques avec un mémoire sur la structure cristalline des savons qui lui valut le prix du duc de Villars décerné par l’Académie de Marseille.

À la fin de la même année, en raison de graves accidents de vision qui devaient aboutir en 1940 à sa cécité complète, Charles Mauron dut renoncer à sa carrière scientifique. Revenu à Saint-Rémy, il entreprit de vivre grâce à ses activités de traducteur, de conférencier et de critique littéraire, réalisant simultanément, à partir de la fin des années vingt, une œuvre significative dans trois domaines.

Le premier fut celui de l’Angleterre, et des réflexions sur l’art et la psychologie moderne menées en particulier au sein du célèbre groupe de Bloomsbury, qui lui inspirèrent deux essais, The Nature of Beauty in Art and Literature et A Esthetics and Psychology, publiés à Londres en 1927 et 1935. Il fut aussi le traducteur de nombreux écrivains britanniques contemporains, Virginia Woolf (Orlando, 1931), D.-H. Lawrence, (Fantaisie de l’inconscient, 1932), K. Mansfield (Pension allemande, 1930), T.-E. Lawrence (Les sept piliers de la sagesse, 1936) et surtout E.-M. Forster (Route des Indes, 1927 ; Avec vue sur l’Arno, 1947, etc...)

Son deuxième domaine fut celui de la langue et de la culture provençales. Auteur, par ailleurs, de poèmes français publiés dans les revues Commerce et les Cahiers du Sud (et repris dans le recueil Poèmes en prose, 1930, puis dans l’essai Sagesse de l’eau, 1945), Charles Mauron composa en provençal nombre de textes, chansons familières, poèmes en prose et, surtout, ses Estùdi mistralen (1954) consacrées à l’étude des chefs-d’œuvre de Mistral. Il déploya par ailleurs une activité suivie à l’Escolo dis Aupiho de Saint-Rémy, au Groupement d’études provençales, et surtout en fondant, en 1946, avec Camille Dourguin (voir Dictionnaire, t. 25, p. 303) l’association pédagogique Lou Prouvençau à l’Escolo, destinée à promouvoir l’enseignement du provençal, par un bulletin de liaison à l’intention des maîtres et surtout d’un livre d’initiation, paru en 1952 et qui, constamment réédité, constitue toujours un classique de l’apprentissage du provençal.

Toutefois l’apport le plus marquant de Charles Mauron fut d’avoir été l’inventeur de la psychocritique, méthode étudiant le rôle de l’inconscient dans la création littéraire et artistique, selon une explication psychanalytique de source freudienne, essentiellement, mais intégrant également des conceptions plus récentes telles que celles de M. Klein et de E. Kris. De Mallarmé l’obscur (1941) à L’inconscient dans l’œuvre et la vie de Racine (thèse de doctorat d’université soutenue à Aix-en-Provence en 1954), Charles Mauron édifia une œuvre considérable dont il présenta la synthèse dans ses thèses de doctorat d’État, soutenues en Sorbonne en 1963, Des métaphores obsédantes au mythe personnel et Psychocritique du genre comique. Dans l’ultime ouvrage publié de son vivant, Le dernier Baudelaire (1966), il précisa ses positions par rapport au débat de la « nouvelle critique », en plaidant pour une analyse littéraire fondée sur une psychologie scientifique.

Parallèlement Charles Mauron était venu au socialisme par une double tradition familiale, républicaine, démocratique et laïque. Son grand-oncle maternel Claude Mistral (1850-1937), paysan, écœuré par la répression de la Commune lorsqu’il avait été mobilisé dans l’armée versaillaise en 1871, fut l’un des premiers élus socialistes de Saint-Rémy (conseiller municipal en 1900 et conseiller d’arrondissement du canton de 1901 à 1905). Du côté de son père, Joseph Mauron l’engagement était aussi très actif. Charles Mauron enrichit cet héritage par sa propre réflexion sur le marxisme et l’humanisme ; il possédait une abondante bibliothèque d’ouvrages philosophiques et politiques qui fut détruite en grande partie sous l’Occupation. Il adhéra au Parti socialiste SFIO en 1928, participa en 1932-1933 à la rénovation de la section socialiste de Saint-Rémy dont il fut secrétaire jusqu’en 1940, ainsi qu’à la campagne électorale de 1935 qui vit le succès de la liste conduite par son père. Il assista aux congrès d’Amsterdam-Pleyel et participa aux luttes du Comité de vigilance des intellectuels antifascistes. Il fit également partie des comités locaux d’aide aux Républicains espagnols et du Front populaire, publiant pendant six mois un journal local portant ce nom qui devint, peu après, pour une courte période, le Front républicain. De 1936 à 1939, il collabora à Provence socialiste et participa aux congrès fédéraux. Le 22 mai 1938, il intervint au congrès départemental de la Fédération SFIO des Bouches-du-Rhône, à Marignane, qui préparait le congrès national de Royan : il estima que le conflit provoqué par la Fédération de la Seine était un heurt entre l’autorité et la liberté, et qu’il appartenait au congrès national de se prononcer à ce sujet. Sa section, à l’unanimité, souhaitait « donner cette satisfaction aux camarades qui croiraient à un déni de justice ». A cette occasion, Charles Mauron fit partie, avec Sixte-Quenin, Jean-Baptiste Calvelli et Félix Gouin de la commission des résolutions qui rédigea une « motion d’apaisement » adoptée à l’unanimité à la fin du congrès pour préserver l’union de la Fédération et du parti.

En 1940, malgré une opération, il perdit totalement la vue. Surmontant cette épreuve, il poursuivit sa réflexion philosophique et littéraire, et participa à la Résistance en coordonnant les actions d’un réseau de l’Armée secrète, comme en témoigne sa carte officielle de combattant des FFI pour services effectués du 1er novembre 1943 au 31 août 1944, et hébergea à Saint-Rémy des intellectuels traqués par les Allemands ou la police de Vichy. A cette époque, il participa aux anthologies de Poésie 41 et Poésie 43, réalisées par Pierre Seghers, auxquelles collaboraient également Aragon, Elsa Triolet, Pierre Emmanuel et d’autres, dans l’esprit de la Résistance.

Dès la Libération, en août 1944, il fit partie de la commission municipale et du CDL Aux élections du 30 avril 1945, il fut élu conseiller municipal SFIO, au premier tour et devint maire de cette ville qu’il administra jusqu’en 1959, après avoir été réélu en 1947 et 1953. Secrétaire, jusqu’en 1957, de la section locale SFIO, il laissa le souvenir d’un excellent administrateur, en contacts familiers avec ses concitoyens, soucieux à la fois de l’amélioration matérielle et sociale et de l’image culturelle de sa cité : à ce dernier titre, on lui doit notamment la réalisation du Festival provençal qui, de 1959 à 1963, donna lieu à la lecture des poèmes de Mistral dans le théâtre de Glanum.

Charles Mauron fut également conseiller général du canton de Saint-Rémy, à partir de l’automne 1945. A l’assemblée départementale, dont il fut vice-président, il fit voter les crédits nécessaires à l’organisation du festival Mozart d’Aix-en-Provence et à l’implantation d’un cours de provençal — dont ce fut le premier enseignement officiel — dans les deux écoles normales d’instituteurs d’Aix. Il ne se représenta pas en 1949, non plus qu’aux élections municipales de 1959.

Dans ses publications de caractère politique, on peut citer sa collaboration à des journaux comme Volontés de ceux de la Résistance, en 1945, et surtout une chronique hebdomadaire régulière dans le quotidien régional le Provençal, à partir de 1952 : souvent consacrée à des réflexions sur la politique nationale et internationale, celle-ci s’orienta vers des sujets d’ordre plus général, de 1959 à 1966. En 1953, dans la perspective des élections municipales, Charles Mauron rédigea un opuscule consacré à L’action municipale à Saint-Rémy de 1947 à 1953, bilan des réalisations de son équipe. A un tout autre niveau, il donna en 1947 un essai intitulé L’Homme triple, sous-titré Au-delà de Marx et de Freud, « Mistral, Proudhon et Marx ».

En 1959, Charles Mauron se retira de la vie politique active, tout en demeurant jusqu’à sa mort membre de la section socialiste d’Arles en raison de dissensions survenues à Saint-Rémy. Il se consacra essentiellement alors à l’enseignement de sa méthode psychocritique à la faculté d’Aix-en-Provence, comme chargé de cours complémentaire puis, après la soutenance de sa thèse en 1963 à Paris, comme professeur associé de littérature française. Lauréat du prix Frédéric-Mistral de littérature provençale en 1954, du prix Lemetais-Larivière de l’Académie française en 1960, du Grand prix littéraire de Provence en 1964, Charles Mauron était chevalier de la Légion d’honneur, chevalier des Palmes académiques et officier des Arts et Lettres.

En 1919, il avait épousé Marie Roumanille (1896-1986), institutrice laïque, puis conteuse et romancière réputée ; après leur divorce, en 1949, elle conserva en littérature le nom sous lequel elle était déjà connue : Marie Mauron. Remarié en 1949 avec Alice Thélin (née en 1922), Charles Mauron eut avec elle trois fils, Claude (né en 1950), Nicolas (né en 1952) et Sébastien (1955-1989).

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article121266, notice MAURON Charles, Paul par Antoine Olivesi, version mise en ligne le 30 novembre 2010, dernière modification le 4 décembre 2022.

Par Antoine Olivesi

ŒUVRE CHOISIE : Aux traductions d’auteurs anglais citées dans la biographie, on ajoutera celle de Sterne, Vie et opinions de Tristram Shandy, 1946. — Poèmes et œuvres personnelles en français : Poèmes en prose (1930), Esquisses pour le tombeau d’un peintre (1938), Sagesse de l’eau (1945) et Une source sous un toit (fantaisie radiophonique, 1960). — Poèmes en provençal dans diverses revues : Le Feu, Armana prouvençau, FE, et dans l’anthologie Pouèto prouvençau de vuei (1957).
_ Très nombreux articles et essais sur l’art et la psychanalyse : « La méthode expérimentale et les philosophes », Cahiers de l’Étoile, septembre 1929 ; « On reading Einstein », Criterion, octobre 1930 ; « L’art et la psychanalyse », Psyché, 1952. — Sur la littérature provençale : Estùdi mistralen, 1954, et un ensemble fourni d’études sur la vie et l’œuvre de F. Mistral (regroupées dans un volume à paraître) ; collaboration régulière aux revues de langue, littérature et culture provençales de 1945 à 1966. — Psychocritique : ouvrages sur Mallarmé : Poems of Mallarmé, 1936 ; Mallarmé l’obscur, 1941 ; Introduction à la psychanalyse de Mallarmé, 1950 ; Mallarmé par lui-même, 1964 ; Racine : L’inconscient dans l’œuvre et la vie de Racine, 1957 ; Baudelaire : Le dernier Baudelaire, 1966. — Exposé d’ensemble de la méthode dans Des métaphores obsédantes au mythe personnel, 1963, et Psychocritique du genre comique, 1964. — Cours rédigés et articles regroupés dans des publications posthumes sur Phèdre, 1968, Le théâtre de Giraudoux, 1970, Van Gogh, 1976. — Études particulières sur Nerval : Cahiers du Sud, 1949 ; Victor Hugo : t. II de l’éd. des œuvres complètes, Club français du livre, 1967, « Les origines d’un mythe personnel chez l’écrivain », Colloque Critique sociologique et critique psychanalytique, 1970.

SOURCES : Arch. Dép. Bouches-du-Rhône, III M/57. — Arch. Com. Marseille, listes électorales de 1923. — Le Petit Provençal, 23 mai 1938. — Marseille-Provence socialiste, 1936-1939, notamment le 27 mai 1938. — Le Provençal, La Marseillaise, Rouge-Midi, avril et septembre 1945. — Le Provençal, 6 décembre 1966 (nécrologie). — Hommage à Charles Mauron, publié à Saint-Rémy par Lou Prouvençau à l’Escolo, 1967 (photo). — Marseille, revue municipale, n° 65, octobre-novembre-décembre 1966, p. 103. — Max-Philippe Delavouët, « Héroïsme et sagesse de Charles Mauron », La France latine, janvier-mars 1967, renseignements communiqués par la famille du militant, notamment par son fils aîné, Claude.

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