MÉLIN Jeanne

Par Isabelle Vahé

Née le 17 septembre 1877 à Carignan (Ardennes), morte le 18 avril 1964 à Carignan ; propagandiste, fondée de pouvoirs de 1907 à 1927 de la briqueterie familiale, femme de lettres, militante pacifiste, féministe, socialiste puis communiste, dirigeante du groupe ardennais de l’association La Paix et le Désarmement par les Femmes en 1899, membre en 1900 du conseil national de cette association, vice-présidente du groupe pacifiste des Ardennes de 1901 à 1914, vice-présidente de la fédération des Ardennes de la Ligue des droits de l’Homme et du citoyen, responsable de 1912 à 1914 du groupe des Ardennes de l’ Union Française pour le Suffrage des Femmes, présidente du Comité d’Action Suffragiste en 1918, membre du comité exécutif et du conseil consultatif de la Ligue Internationale des Femmes pour la Paix et la Liberté de 1920 à 1927, membre de la commission de propagande de la fédération du Parti communiste des Ardennes de 1922 à 1923, fondatrice du Comité d’Action pour le Suffrage Immédiat en 1925, co-fondatrice avec Cécile Brunschvicg et Juliette François-Raspail du Comité Extraparlementaire pour le Suffrage des Femmes de 1925 à 1928, présidente du Cercle Pax Orient-Occident de 1931 à 1933.

Jeanne Mélin (1921)
Jeanne Mélin (1921)
cc Agence Rol

Née dans une famille d’industriels propriétaires d’une briqueterie et d’une
ferme à Carignan (Ardennes), ayant des sympathies pacifistes, républicaines, Jeanne Mélin connut une jeunesse aisée. Elle fit ses études au Pensionnat Sainte-Catherine de Carignan. Comme les jeunes filles de son milieu, elle suivit des cours de musique et de chant.

Son enfance fut marquée par les récits des atrocités commises autour de
Sedan par les armées prussiennes pendant la guerre de 1870. En août 1898, elle découvrit dans le Petit Ardennais un appel de Sylvie Hugo-Flammarion présentant la Ligue des femmes pour le désarmement international, fondée en 1896 avec la princesse Wisniew. En 1899, Sylvie Hugo-Flammarion créa l’ association La Paix et le Désarmement par les Femmes, prônant un discours construit sur l’esprit “ pacifique, pacifiste et pacificateur ” des femmes (citation de Geneviève Fraisse dans son article Déserter la guerre in Les Femmes et leur histoire, Paris, 1998, p.485). Les mères avaient pour mission d’éduquer les enfants à la paix. Jeanne Mélin devint en 1899 le chef du groupe ardennais de cette ligue et fut membre de son conseil national dès 1900.

En 1901, tout en conservant ses fonctions au sein de l’association La
Paix et le Désarmement par les Femmes, elle rejoignit l’Association de la Paix
par le Droit (APD) militant en faveur du désarmement, de l’arbitrage. Elle assista au premier congrès de l’APD à Nîmes. Jeanne Mélin créa le groupe pacifiste des Ardennes dont elle fut la vice-présidente jusqu’en 1914. Parallèlement, elle milita aussi dès 1902 à la Ligue des droits de l’Homme et du citoyen (LDH) où elle accéda au poste de vice-présidente de la fédération des Ardennes En 1906, elle adhéra au Parti Socialiste.

Elle assista à des congrès pacifistes internationaux (Londres : 1908 ;
Stockholm : 1910 ; Genève : 1912) où elle représenta le groupe pacifiste des Ardennes et la fédération des Ardennes de la LDH. .Le 28 aout 1913, elle assista à l’inauguration du Palais de la Paix de La Haye.Jeanne Mélin fut une propagandiste pacifiste et féministe reconnue en France (où elle effectua une tournée de conférences dans plusieurs régions), aux Pays-Bas et en Belgique : dans ses conférences, de 1908 à 1913, elle préconisa l’arbitrage, refusa la paix armée, vulgarisa et fit connaître la pensée pacifiste souvent discréditée : les pacifistes étaient pour leurs détracteurs des utopistes et des antipatriotes. Elle insista aussi beaucoup sur l’adéquation vote féminin et instauration de la paix.

En 1912, Jeanne Mélin fonda le groupe de l’Union Française pour le
Suffrage des Femmes (UFSF) des Ardennes qu’elle dirigea jusqu’en 1914. Elle ne négligea pas ses engagements pacifistes et socialistes. En février 1911 , elle fut à l’origine d’une grande fête de la paix à Charleville : Émile Arnaud y fit une conférence sur l’ arbitrage systématique et le désarmement simultané. En 1912, Jeanne Mélin invita le militant libre-penseur Hubbard à Carignan pour une conférence sur la libre-pensée et la paix internationale. Les catholiques ardennais n’apprécièrent guère cette initiative.

Jeanne Mélin était aux côtés de Jean Jaurès en visite à Sedan et à
Charleville-Mézières les 29 et 30 novembre 1913 : il s’opposa à la loi des trois ans mise en place pour subvenir aux nécessités d’une politique de conquête coloniale.

Jeanne Mélin était présente à la dernière tentative de paix à Bruxelles
les 30 et 31 juillet 1914. La guerre éclata . Fin août 1914, Jeanne Mélin fuyait les Ardennes pour le Berry où elle travailla dans un hôpital militaire et anima des sociétés de réfugiés ardennais. En 1915, les premières divergences avec l’UFSF et l’APD apparurent. Refusant l’Union sacrée, elle regretta l’absence de l’UFSF au congrès de la Haye auquel elle donna son adhésion. Elle adhéra au Comité international des femmes pour une paix permanente, ancêtre de la Ligue Internationale des Femmes pour la Paix et la Liberté (LIFPL), créé à ce même congrès de la Haye. En 1916, à Paris, elle fut à l’origine des Cuisines Coopératives, assurant le gîte et le couvert aux réfugiés ardennais. En 1918, Jeanne Mélin fonda dans la capitale le Comité d’action suffragiste (CAS) prônant le vote intégral. Elle témoigna au procès Brion. Elle collabora à La Voix des Femmes.

Ce radicalisme l’incita à adhérer au PCF où elle milita de 1920 à 1923
en tant que responsable de la propagande à la fédération des Ardennes. En décembre 1921 elle assista au Congrès de Marseille. Le 30 juin 1923, lors d’un congrès de la fédération communiste des Ardennes, elle refusa d’abandonner ses fonctions à la LIFPL et à la LDH et quitta le PCF. Elle ne renia pas le mouvement ouvrier mais préféra se consacrer au féminisme et au pacifisme.
De 1919 à 1925, elle milita à la LIFPL. Jeanne Mélin parcourut l’Europe pour favoriser le rapprochement franco-allemand, pour refuser les traités de paix de 1919, pour condamner la non-utilisation des quatorze points du président Wilson.
Membre du comité exécutif et du conseil consultatif de la LIFPL, elle
participa à de nombreux congrès internationaux : Londres (congrès contre la famine en Russie en 1919 où elle adressa un message aux femmes russes), Zurich où elle rencontra la délégation allemande (1919), Vienne (1921), La Haye (1922).

En 1923, elle milita contre la militarisation de la Ruhr. Avec Jane
Addams et Catherine Marshall, dirigeantes de la LIFPL,elles formèrent la délégation des Messagères de la Paix qui parcourut les capitales européennes.
Parallèlement, Jeanne Mélin ne négligea pas son engagement féministe.
Contrairement aux autres suffragistes qui, à l’époque, pratiquaient l’action directe contre le Sénat, Jeanne Mélin organisa à partir du dimanche 18 janvier 1925 les Dimanches Suffragistes. Elle chercha à obtenir le vote intégral, créant parallèlement le Comité d’Action pour le Suffrage Immédiat (CASI). Le CASI cherchait à vaincre la résistance des deux Chambres à accorder le droit de vote aux femmes, voulait apporter le soutien régulier de l’opinion publique à l’action des parlementaires favorables à la cause suffragiste. Le CASI, de tendance réformiste, fut dissout en février 1925.

Jeanne Mélin, Cécile Brunschvicg, Juliette François-Raspail, présidente
de l’Union Fraternelle des Femmes, décidèrent alors de créer le Comité Extraparlementaire pour le Suffrage des Femmes, le CEPS. L’objectif du CEPS était d’obtenir du Parlement une loi accordant aux femmes comme aux hommes l’électorat et l’éligibilité en augmentant la propagande suffragiste. Il soutint les parlementaires favorables au suffrage féminin, leur appui étant indispensable. Le CEPS, tenant un discours rassurant insistant sur la complémentarité sexuelle en politique, sur la nécessaire éducation civique des femmes, chercha à obliger les députés et les sénateurs hésitants ou réfractaires à réaliser une réforme ajournée depuis trop longtemps. Le CEPS fut soutenu par l’ensemble des associations réformistes et la LIFPL. Par contre, certains députés le soutinrent officieusement. En mai 1925, aucun parlementaire n’a adhéré au CEPS. Le groupe vivota ensuite pendant deux ans avant d’être sabordé en 1928.

A partir de 1926, la détérioration de l’état de santé de sa mère entraînèrent
un repli progressif de Jeanne Mélin de la scène militante et sa réorientation vers la poésie, la littérature, la réflexion philosophique. Lassée du militantisme, elle se plongea dans l’écriture et souhaita entamer une carrière de femme de lettres en développant une pensée avant-gardiste et utopiste.
Elle écrivit deux romans sous le pseudonyme de Jehanne Thalès : Jean ou
à travers la misère (1927), Marceline en vacances ou à travers l’amour (1929). Dans le premier roman, elle souhaitait par le biais de la fiction faire partager au peuple ses luttes pacifistes, féministes, socialistes menées depuis 1900. Dans le second, elle prôna l’éducation sexuelle, l’amour libre, la libre-maternité, l’indépendance morale et matérielle de la mère. Elle entretint une
correspondance quotidienne philosophique intitulée les Lettres à Thalès
avec Gustave Fabius de Champville, journaliste, membre du Parti Radical, de 1927 à 1930.

Le pacte Briand-Kellog de 1928 puis la conférence du Désarmement en
1932 ravivèrent sa flamme militante. En 1931, malgré de nombreuses désillusions, elle fonda le Cercle Pax Occident-Orient, cherchant une ultime fois à unifier les pacifistes, à militer en faveur du désarmement. Elle milita infatigablement en faveur du rapprochement franco-allemand. Très influencée par Aristide Briand, elle souhaita la création d’une Fédération européenne. Le 11 novembre 1931, elle organisa une manifestation pacifiste au Champ de Mars. Elle se rapprocha des pacifistes intégraux.

Jean Mélin fut mariée de juillet 1934 à juillet 1935 avec l’homme de lettres Marcel Passerat, puis divorcée.

La deuxième partie des années 30 fut difficile pour Jeanne Mélin : elle connut des soucis de santé et sa vie privée fut très difficile. Elle se mit en retrait de la vie militante.

La Deuxième Guerre mondiale fut une fracture considérable.

L’inacceptable- la guerre- contre laquelle elle avait lutté toute sa vie revint avec son cortège d’horreurs. Anéantie, désespérée, aveuglée par son idéologie de pacifiste intégrale, influencée par les éditoriaux de Marcel Déat dans L’Œuvre, Jeanne Mélin accusa les Juifs, la puissance financière, la City londonienne d’être à l’origine du deuxième conflit mondial dans de nombreux poèmes. De 1942 à 1944, elle tint un journal intime sous forme versifiée puis prosée.

Après la guerre, son engagement féministe semble tari après l’obtention du droit de vote par les Françaises en 1944 et sa candidature à la Présidence de la République en 1947. Elle craignait même l’instrumentalisation du vote de certaines femmes n’ayant pas d’ éducation politique.

Domiciliée à Reims de 1948 à 1956 puis à Carignan de 1956 à 1964, elle
y développa un discours pacifiste complexe dans ses mémoires et dans un journal intime poursuivi de 1944 à 1964 et élabora des programmes sans cesse réactivés à l’échelle de l’Humanité pour aboutir à une paix durable. Elle se rapprocha des thèses des socialistes utopiques en prônant l’abolition du salariat, le partage équitables des richesses. Découvrant les théories de l’économie distributive, elle soutint le Mouvement pour l’abondance de Jacques Duboin et y adhéra en 1948. Vivant dans l’isolement moral et matériel le plus total, elle mourut d’une attaque de paralysie le 18 avril 1964.

Principales féministes dans le Maitron

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article121523, notice MÉLIN Jeanne par Isabelle Vahé, version mise en ligne le 30 novembre 2010, dernière modification le 6 novembre 2022.

Par Isabelle Vahé

Jeanne Mélin (1921)
Jeanne Mélin (1921)
cc Agence Rol

ŒUVRE : ŒUVRE : articles dans Le Petit Ardennais, Le Socialiste Ardennais, La Voix des Femmes, le Bulletin Mensuel de la Ligue Internationale des Femmes pour la Paix et la Liberté. — Jean ou à travers la misère, roman social en vers libre ; Paris : Fonséque et Métivier , 1927, 82p. . — Marceline en vacances ou à travers l’amour ; Paris : Fonsèque et Métivier , 1929, 117p. . — Brochure Le Suffrage des Femmes, Paris, Henri Durville, 1926, 6p.

SOURCES : Arch. Nat. F 7 13266, Fonds Brion, 14 AS 183 (4). — Arch. PPo. Ba 1775.-Bibl. Hist. Ville de Paris, fonds Bouglé, fonds Mélin boîtes 1 à 47.- Bibl. Marguerite Durand, dossier Paix et Désarmement par les Femmes.-Bibl. Doc. Intern. Contemp., fonds Duchêne. — Arch.Dép.Ardennes, collection Mélin 15 J 1 à 15 J 15. — Notice biographique de Jeanne Mélin in Maité Albistur, Catalogue des archives Marie-Louise Bouglé, thèse, Université de Paris VII, 1982, 684 p : pp.58-60. — Christine Bard, Les Féminismes en France. Vers l’intégration des femmes dans la cité (1914-1940), thèse sous la direction de Michelle Perrot, Université de Paris VII, 1993, 1214 p. — Geneviève Fraisse, Les Femmes et leur histoire, Paris, 1998, p.485. —Dictionnaire Biographique du mouvement ouvrier français, Notice par Justinien Raymond.- Isabelle Vahé, Jeanne Mélin (1877-1964), un parcours singulier dans la mouvance féministe et pacifiste en France au XXe siècle, DEA sous la direction de Yannick Ripa, 1998, 95 p..- Isabelle Vahé, Jeanne Mélin (1877-1964), un parcours singulier dans la mouvance féministe et pacifiste en France au XXe siècle, doctorat d’histoire.

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