MENCARELLI Albert, Joseph

Par Jacques Girault, Jean-Marie Guillon

Né à Toulon (Var), le 8 décembre 1916, mort le 2 mars 1990 à Saint-Orens-de-Gameville (Haute-Garonne) ; ouvrier à l’Arsenal maritime de Toulon ; militant communiste ; maquisard de l’Armée secrète (AS).

Fils de Victor Mencarelli, employé à l’usine à gaz, victime de la Première Guerre mondiale, et de Catherine Icardi, Albert Mencarelli, pupille de la Nation, fit des études au collège Rouvière jusqu’au brevet d’enseignement industriel. Apprenti, puis ouvrier à l’Arsenal maritime de Toulon, il travaillait comme armurier à la direction de l’Artillerie navale. Trésorier fédéral des Jeunesses communistes auxquelles il avait adhéré en 1936, responsable du comité des loisirs de la Jeunesse, il devint secrétaire général en 1939 après le départ au service militaire de Jean Corrotti.
Reconnu bon pour le service auxiliaire au printemps 1939, il fut mobilisé le 8 octobre 1939 au dépôt des équipages à Toulon. Souhaitant d’être embarqué, il fut affecté comme matelot sur le « Lorraine » et participa à diverses opérations en Méditerranée (transport de l’or de la Banque de France à Halifax, bombardement de Port-Bardia en Lybie en juin 1940, etc.). Démobilisé le 15 septembre 1940, il participa à la reconstitution clandestine des Jeunesses communistes à Toulon. Contacté par Hyppolite Lambert, responsable du PC clandestin, il accepta d’en assurer la direction et fut mis en relation avec le délégué régional Louis (Pierre George) en novembre 1940. Il constitua un trio de direction avec Régis Dusserre* (technique) et Paul Pelliccia (travail antimilitariste). Après avoir organisé la section de Toulon (dirigée par Roger Scunzani), il lança les bases de celle de La Seyne et créa une section de jeunes filles dont la direction était confiée à l’épouse de Pelliccia. L’interception d’une équipe de la JC prise en train de distribuer des tracts à Toulon fin janvier 1941 le conduisit à se replier à Marseille. La direction régionale du PCF l’intégra à la direction des Jeunesses de la ville. Il fut arrêté le 30 mars 1941 avec de nombreux jeunes communistes, dont le dirigeant régional Jean Mérot. Il fut incarcéré comme ses compagnons d’abord à la prison Chave, puis à la prison maritime de Toulon et dénonça ses camarades. En fait, la police spéciale était très informée sur la reconstitution de l’organisation clandestine dans la région grâce à un indicateur qu’elle avait au sein du bureau régional. Mais les aveux de Mencarelli lui permirent d’élargir ses informations et de couvrir son principal informateur. Trois grands procès se succédèrent devant le Tribunal maritime de Toulon. Pour les deux derniers, le tribunal se transforma en section spéciale. Albert Mencarelli, avec les Toulonnais, fut condamné à 20 ans de travaux forcés, d’interdiction de séjour avec saisie de tous ses biens, le 24 juillet 1941. Les 6 et 7 octobre, il comparut à nouveau avec les Marseillais et fut condamné aux mêmes peines. Mais, le Procureur obtint la confusion, puis la suspension des peines « eu égard à son attitude ». En fait, cette décision s’expliquait par le rôle de dénonciateur qu’il avait joué et qui avait permis le démantèlement de l’appareil clandestin des Jeunesses communistes dans la région méditerranéenne (25 condamnations, une vingtaine de déportations). Le mois suivant, il participait au troisième procès des Marseillais comme témoin à charge. Il figurait sur la liste noire diffusée par le PC en septembre 1942 comme « traitre invétéré », ayant livré Jean Mérot et peut-être parti vers Le Havre. Dans une note confidentielle jointe à une lettre adressée au juge d’instruction près du Tribunal militaire de Lyon qui instruisait son dossier en 1947, il revenait sur son engagement communiste et son revirement, minimisant ses convictions, invoquant ses réticences vis-à-vis de la ligne du PC d’alors (« Ni Pétain, ni De Gaulle, Thorez au pouvoir »), soulignant les imprudences qu’on lui faisait faire en l’envoyant à trois reprises dans le même magasin pour l’achat d’une imprimerie portative. Il affirmait qu’on lui avait enlevé la responsabilité de « l’Organisation-Propagande » qui lui avait d’abord été attribuée lors de son repli à Marseille pour lui confier la préparation des distributions « spectaculaires ». Après son arrestation par la Brigade mobile et la révélation de « faits troublants » par les inspecteurs, il n’aurait pas hésité à se « libérer des entraves qui [le] liaient à cette organisation purement révolutionnaire et antipatriotique » et à permettre « à la Police d’arrêter tous les chefs communistes connus » de lui. Rapidement libéré, il fut sollicité par la Sûreté navale pour partir au Maroc afin d’infiltrer les filières gaullistes passant par Gibraltar, ce qu’il refusa. Il resta caché durant trois mois à Toulon, chez ses parents, puis partit à Vichy où se trouvait le commissaire de police qui avait supervisé son arrestation. Il fut alors intégré à l’EPSM (Établissement-parc du service du matériel) des Gravanches, près de Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme) comme armurier en février 1942 avec mission « de signaler toutes les organisations communistes qui se trouveraient à l’établissement ».
Désigné comme requis d’usine pour l’Allemagne en mars 1943, il entra dans l’illégalité, prit contact avec René Amarger à Saint-Flour (Cantal) qui le fit camoufler comme mécanicien au garage Citroën de Chaudes-Aigues (Cantal). Il adhéra au maquis Revanche de l’AS dès sa création au début octobre 1943. Dans ce maquis à ossature militaire, il prit d’emblée « un ascendant indiscutable sur le groupe » d’après l’un des maquisards et conserva toujours un rôle déterminant dans la cohésion du maquis. Devenu chef du corps franc de ce maquis, il acquit la considération de tous ses camarades. Il se distingua à plusieurs reprises dans l’action, en particulier à partir du moment où, en mai 1944, ce maquis, participant à la concentration autour du Mont Mouchet, devint l’un des éléments importants du centre de résistance de la Truyère. En tant que chef du corps franc, il participa à plusieurs arrestations de suspects ou de collaborateurs, à leur interrogatoire accompagné de sévices, voire, selon les accusations qui seront portées contre lui, de tortures et à une demi douzaine d’exécutions après condamnations à mort par un tribunal de la Résistance. La première exécution à laquelle il aurait participé, le 10 octobre 1943, fut celle d’un indicateur infiltré dans le maquis. Après la dissolution du centre de résistance de La Truyère à la suite de la contre-offensive de la Wehrmacht, il continua le combat dans le même secteur et fut l’un des libérateurs de Saint-Flour. En 1948, il revendiquait dans la lettre adressée au juge d’instruction du Tribunal militaire de Lyon déjà citée sa participation à l’attaque d’un convoi de munitions près de Lacalm (Aveyron), le 1er juin 1944, à celle du 10 juin contre un poste allemand à Rueyres (Aveyron) et contre l’arrière-garde d’un convoi à côté de Pierrefort (Cantal), le commandement le 20 juin d’une colonne de 300 maquisards au moment de la dissolution du centre de résistance, l’embuscade contre un convoi près du viaduc de Garabit en juillet. Après la libération de Saint-Flour, il participa au harcèlement des troupes allemandes en repli jusqu’en Bourgogne. La colonne rapide n°7 dont il était membre fut officiellement intégrée à la 9e DIC de la Ie Armée française le 1er octobre 1944. Officier au 152e régiment d’Infanterie, il participa aux combats en Alsace. Il fut envoyé en stage au Centre d’instruction des officiers des Forces françaises de l’Intérieur de la Iere Armée à Plombières en mars 1945 et en sortit avec le grade de sous-lieutenant de réserve. Soucieux de rester dans l’armée, il fut volontaire pour partir combattre contre le Japon, puis il intégra le corps expéditionnaire français d’Extrême-Orient et partit en Indochine le 11 novembre 1945. Il participa au dégagement de la région de Saïgon, puis, en novembre 1946, à la prise d’Haïphong. Il arguait en 1947 de plusieurs décorations : la croix de guerre avec deux étoiles de bronze (une citation à l’ordre du régiment pour la libération de Saint-Flour et une à l’ordre de la brigade pour les opérations de Cochinchine), la médaille coloniale.
Albert Mencarelli, marié à Saint-Flour le 18 janvier 1945, devint père d’une fille en novembre 1945. Son épouse le rejoignit en Indochine en janvier 1947 et fut embauchée comme dactylo au bureau fédéral de documentation, organisme centralisant tous les renseignements sur l’Indochine. Il fut arrêté à Saïgon le 12 novembre 1947 sur mandat d’arrêt du tribunal militaire de Lyon sur plaintes des familles de deux suspects de collaboration exécutés sous sa responsabilité. Il fut ramené à fond de cale sur "Le Pasteur" et incarcéré au fort de Montluc, à Lyon, jusqu’au 21 mai 1948. La Voix du Peuple, journal communiste de Lyon, publia en septembre 1948 le rapport signé par Jean Mérot, Raymonde Nédélec et Marguerite Badet sur sa trahison de 1941. En janvier 1952, le tribunal militaire se prononça pour un non-lieu dans l’une des affaires, mais l’inculpa dans l’autre affaire « pour castration volontaire de complicité avec des inconnus ». Le procès fut ajourné le 8 février 1952 pour complément d’information, mais Albert Mencarelli fut emprisonné à nouveau. Libéré le 21 mars 1952, il retourna dans sa garnison. Le procès fut repris le 20 mai 1954. Défendu par Me Moro-Giafferi et soutenu par les témoignages à décharge de camarades du maquis, il bénéficia aussi de l’appui de journaux auvergnats qui, selon l’historien Eugène Martres, évoquèrent à son sujet « un homme probe, admiré pour sa conduite dans la clandestinité, puis dans l’armée régulière, enfin en Indochine ». Il fut acquitté et continua sa carrière militaire au Sénégal, puis en Nouvelle-Calédonie. Revenu en France avec le grade de capitaine, il fut affecté à la Section technique de l’Armée de terre à Muret (Haute-Garonne) sous les ordres de l’un de ses anciens chefs de maquis. Il prit sa retraite en septembre 1971 avec le grade de commandant.
Albert Mencarelli refusa toujours de revenir à Toulon, craignant sans doute d’être pris à partie par ses anciens camarades. Ceux-ci qui évoquaient sans aucune réticence sa trahison – ainsi Benjamin Costa, le 26 août 1965, dans le journal communiste La Marseillaise – ne cherchèrent pas, semble-t-il, à se venger de lui. Il ne retourna jamais non plus sur les lieux où il avait participé à la Résistance et coupa les ponts, après sa retraite, avec les anciens du maquis. Son nom fut encore cité par Charles Tillon dans ses souvenirs édités en 1977 On chantait rouge et par sa compagne, Raymonde Tillon-Nédélec, dans le témoignage qu’elle publia en 2002 J’écris ton nom, Liberté.
Albert Mencarelil divorça en avril 1982 à Toulouse (Haute-Garonne).

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article121600, notice MENCARELLI Albert, Joseph par Jacques Girault, Jean-Marie Guillon, version mise en ligne le 30 novembre 2010, dernière modification le 23 août 2022.

Par Jacques Girault, Jean-Marie Guillon

SOURCES : Arch. Dép. Var, 4 M 594 4, 3 Z 4 7, 33, 6.16, Cabinet 862. — RGASPI, 495 270 4720, autobiographies, Toulon 29 octobre 1937 et 8 septembre 1938, classé A. — Raymonde Nédélec, J’écris ton nom, Liberté, Paris, Éditions du Félin, 2002. — Charles Tillon, On chantait rouge, Paris, Robert Laffont, 1977. —Dossier réuni par Gérard Crevon. — Témoignages Marcel Durand, Hyppolite Lambert. — Renseignements fournis par Eugène Martres, Jean Mérot et Raymonde Tillon.

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