Par Maurice Moissonnier et Laurent Gonon
Né le 7 février 1882 à Lyon (IIIe arr.), mort le 6 octobre 1960 à Paris (VIIe arr.) ; ouvrier typographe et correcteur ; secrétaire de l’UD-CGT du Rhône (1913-1920) ; libraire de la coopérative lyonnaise « l’Avenir Régional » ; directeur du journal le Peuple ; secrétaire de la CGT (1923-1936) ; attaché au cabinet de R. Belin sous l’Occupation.
Fils d’un employé, Francis Million, avant de venir se fixer à Lyon, habita Saint-Étienne (Loire). Il fut ouvrier papetier (1896-1897) puis typographe (1908). Il demeura 24 montée Saint-Sébastien à Lyon en 1897, 46 rue Dugesclin en 1908, 169 avenue de Saxe en 1913. Très jeune, en octobre 1896 et mars 1897 il siégea à l’Union des syndicats de la 6e catégorie de la prud’homie. Devenu typographe, en 1908 et 1913, il fut syndic de la Chambre syndicale typographique lyonnaise. En mars 1913, 1914, 1920 il fut délégué du syndicat à la commission mixte de la profession qui coordonnait les actions des diverses organisations de la profession.
De janvier 1913 à décembre 1920, il fut l’un des secrétaires de l’Union départementale CGT du Rhône, du moins nominalement. De 1913 jusqu’au 1er février 1915, il exerça cette fonction avec Royer* puis jusqu’en mars 1919, il fut appelé sous les drapeaux et éloigné d’un poste qu’il conservait théoriquement, tandis qu’il était suppléé par Henri Bécirard*. Il avait été membre du Parti socialiste révolutionnaire (blanquiste) et, dans le mouvement syndical, faisait figure d’antimilitariste et de propagandiste de la grève générale. Inscrit sur le carnet B, il fut envoyé au Maroc après sa mobilisation et, de sa garnison de Rabat, il expédiait à l’Union départementale du Rhône des correspondances surveillées par la police. Il se classa parmi les minoritaires de la CGT et suivit l’évolution de A. Merrheim. F. Million assista au XVIIIe congrès national corporatif — 12e de la CGT — tenu au Havre du 16 au 23 septembre 1912. Il y parla en faveur d’un antimilitarisme actif par le développement de l’oeuvre du Sou du soldat et par la création de sections de Pupilles et de groupes de Jeunesses syndicalistes (cf. c. rendu, p. 185).
Le 23 décembre 1914, il avait écrit à Monatte qui venait de démissionner du Comité confédéral pour lui exprimer son « entière confiance », dénoncer « le courant de folie sanguinaire » et l’inciter à reprendre place au CC : « Ta présence au Comité confédéral est plus que jamais utile si l’on veut empêcher notre CGT de se discréditer davantage aux yeux des sincères qui ne veulent pas transiger avec leurs convictions, surtout aux heures de danger. »
De retour à Lyon en mars 1919, il reprit son poste au secrétariat de l’Union des syndicats CGT du Rhône et milita avec ardeur, contre l’intervention en Russie soviétique, qualifiant Clemenceau de « roi des assassins » au cours d’un meeting tenu à Lyon le 4 juin 1919. Dans le même discours, il exprimait l’espoir que la grève générale aboutisse à une révolution dont il annonçait l’arrivée « à grands pas ».
Il fut élu à la commission de propagande de la CGT et organisa en 1919 le congrès confédéral de Lyon. En juillet 1919, il fut délégué à la conférence internationale syndicale d’Amsterdam. Il ne se représenta pas au secrétariat de l’UD-CGT du Rhône : son évolution qui le rapprochait de Jouhaux et de la majorité confédérale contredisait celle de l’UD qui inclinait de plus en plus en faveur de l’opposition révolutionnaire. Pour le remplacer, on choisit le secrétaire du syndicat des scieries mécaniques, un anarcho-syndicaliste militant, signataire du « pacte », Henri Fourcade. Million prit alors la gérance de la librairie coopérative rattachée à l’Avenir régional de Lyon exerçant toujours, par des contacts individuels avec des militants, une influence certaine.
Son nom fut avancé, en septembre 1922 pour remplacer le secrétaire administratif de la CGT, Michel Laurent, démissionnaire. Appelé à Paris, Francis Million fut secrétaire confédéral de 1923 à 1936 et prit la direction du journal le Peuple, organe de la CGT de 1933 à 1936. A cette date, son réformisme l’opposa au sein de la Confédération réunifiée aux éléments issus de la CGTU et à leurs sympathisants. René Belin* dira « qu’il se refusa à cohabiter avec les communistes et qu’il ne voulait pas tenir un emploi dans la tragi-comédie qui se préparait » (op. cit., p. 32). Il devint président du conseil d’administration de l’Institut supérieur ouvrier et représentant de la CGT au Conseil économique. Il fut membre du Conseil national économique de 1925 à 1940.
Après la défaite de 1940, Million rallia les syndicalistes séduits par le régime de Vichy et la Charte du Travail. Nommé conseiller d’État, secrétaire général de la main-d’oeuvre et des assurances sociales par décret du 13 août 1940 ; conseiller maître à la cour des comptes par décret du chef de l’État, 30 octobre 1941 (nomination annulée le 14 février 1945) ; directeur du cabinet du secrétaire d’État René Belin au ministère du Travail, à Paris par arrêté du 22 novembre 1941, avec le titre de Secrétaire général au travail et Président du conseil d’administration de l’Institut national d’action sanitaire des assurances sociales par arrêté du 1er juin 1942 (Lagardelle). Le même jour, Ivan Martin fut nommé directeur du cabinet de Lagardelle.
Pour cette raison, il fut, après la Libération, exclu à vie de toutes les organisations syndicales. Pierre Monatte* a expliqué ainsi cette attitude : « C’est par réformisme et en vertu des avantages de la politique de la présence que Belin et Million ont trahi le syndicalisme et glissé à la collaboration avec Vichy. »
Si Belin était laudatif sur ce dirigeant syndical « précis, franc, ouvert », Delmas, tout en le présentant comme un militant « cultivé, pondéré et courtois, de jugement sûr », ne tirait pas un bilan positif de son passage à la direction du Peuple, journal « techniquement bien fait, mais à peu près sans intérêt ».
Par Maurice Moissonnier et Laurent Gonon
SOURCES : Arch. PPo. Ba/1686. — Arch. Dép. Rhône, PP 4 M 4/534, 10M242, 10M244, 10M298. - Bibliothèque municipale de Lyon, archives du syndicat du Livre de Lyon. — Archives de l’UD-CGT du Rhône. — La CGT, op. cit. - Fédération Française des Travailleurs du Livre (FFTL), Les Associations ouvrières typographiques, Imprimerie Nationale, 1900. — Syndicalisme révolutionnaire et communisme. Les archives de Pierre Monatte*, Maspéro, 1968. — La Lutte syndicale, Maspéro, pp. 163-164 et 254. — Où va la CGT, 1946. — A. Delmas, Mémoires d’un instituteur syndicaliste, Albatros, 1979. — R. Belin, Du secrétariat de la CGT au gouvernement de Vichy, Albatros, 1978. - Notes de Laurent Gonon.