MISTRAL Paul, Antoine, François

Par Justinien Raymond

Né le 19 septembre 1872 à La Morte (Isère), mort le 17 août 1932 à Grenoble ; employé, puis marchand de vins ; militant socialiste ; maire de Grenoble ; conseiller général et député de l’Isère.

Paul Mistral naquit de travailleurs modestes. Le lopin de terre que détenaient ses parents — sa mère était cultivatrice — ne pouvait suffire aux besoins familiaux auxquels subvenait le travail du père, maçon. Le jeune Mistral dut interrompre ses études secondaires et quitta le collège de La Mure pour aller travailler à Grenoble, d’abord en qualité de dessinateur, puis de comptable dans une industrie mécanique, enfin comme commis d’un marchand de vins en gros. Bientôt, il s’établit à son compte, associé avec son frère, dans la vente du vin en demi-gros. Cette position sociale lui assura une pleine liberté de mouvement dans l’action socialiste qu’il embrassa tout jeune.

En 1893, il adhéra au groupe socialiste grenoblois qui fut l’embryon du POF dans le département de l’Isère où il se constitua en fédération à Grenoble les 13 et 14 février 1897. Mistral fut un des principaux compagnons de Dognin au comité fédéral de neuf membres qui dirigeait la fédération. Celle-ci le délégua au congrès national d’Ivry (1900). Il avait déjà participé au congrès de Marseille (1892). Les origines plébéiennes de ce « grand et robuste gaillard, au visage énergique, calme, osseux... » (L’Humanité, 17 mai 1910), le mettaient de plain-pied avec ses auditoires populaires. « Homme de sang-froid et d’action réfléchie » (ibid.), avisé au point d’être appelé « le renard de La Morte » (Léon Poncet, op. cit.), il devait être en communion avec le tempérament dauphinois s’il est vrai qu’il unisse la finesse au réalisme. Pendant des années, il porta la parole socialiste dans tout le département et collabora régulièrement à l’organe fédéral Le Droit du Peuple dont il fut le rédacteur en chef de mars 1903 à 1910. Le 27 novembre 1901, il comparut en cour d’assises pour un article où il rendait les méthodes disciplinaires du 2e régiment d’artillerie responsables du suicide d’un jeune soldat. Il fut acquitté.

Cette année 1901, il fut élu conseiller général dans le canton de Grenoble-Est par 1 572 voix. En 1902, il se dressa contre Zévaès et son organisation socialiste dissidente. Il redoubla d’activité et fut souvent son adversaire direct dans les réunions publiques comme dans les joutes électorales. Le 8e congrès fédéral tenu à Grenoble (5-6 septembre 1903) décida de l’opposer à Zévaès dans la 1re circonscription rendue libre par le passage de son député au sénat. Il ne put empêcher Zévaès, battu en 1902, de retrouver un siège. Cet échec « ne diminue en rien notre foi en le socialisme », déclara-t-il en remerciant ses 868 électeurs et, confiant, il ajoutait : « Les événements ne tarderont pas [...] à dissiper l’équivoque » (Les Fédérations socialistes II, p. 240). Moins de deux ans après, le gros de la fédération autonome, abandonnant Zévaès, fusionna avec la fédération guesdiste, celle de Mistral, dans la SFIO. En cette année 1905, Mistral représenta l’Isère socialiste, salle du Globe à Paris, aux dernières assises du Parti socialiste de France (21 avril) et au congrès de l’unité (23-24-25 avril). Le 20 mai, il devint trésorier de la section de Grenoble, unifiée avant le congrès fédéral de fusion des 29 et 30 juillet 1905, salle de la Chenoise à Grenoble, qui le porta au bureau de la Fédération socialiste SFIO. En 1906, Mistral défendit son drapeau aux élections législatives dans l’arr. de Saint-Marcellin. Il rassembla 3 182 voix sur plus de 19 000 votants et se retira en faveur du député radical sortant. L’année suivante, tombé à 745 voix, il perdit son siège de conseiller général et ne le reconquit pas en 1913 malgré ses 1 327 suffrages et son titre de député.

En 1910, avec 4 247 voix, il avait devancé Zévaès (2 990) dans la 2e circonscription de Grenoble et avait été élu au second tour par 11 737 voix contre 10 076 au candidat de droite. Il ne quittera plus le Parlement. Il fut réélu en 1914, au second tour, par 11 485 électeurs sur 21 000 votants. En 1919, septième sur la liste SFIO composée selon l’ordre alphabétique, il vint en tête des huit candidats socialistes avec 30 551 voix et fut réélu. Il était déjà rentré au conseil général à Grenoble-Est avec 1 320 suffrages. Il avait conquis la mairie de Grenoble en tête de vingt-quatre élus socialistes qui en firent le maire de la ville. Il l’était encore à sa mort et si, en 1931, il perdit son siège de conseiller général à Grenoble, il en retrouva un, peu après, dans son canton natal de Valbonnais. En 1928, avec 11 344 voix sur 22 093 votants, il reprit la 2e circonscription de Grenoble, bénéficiant du désistement du candidat radical qu’il avait largement dépassé au premier tour par 8 403 suffrages contre 2 294. En 1932, malgré le maintien du candidat communiste, malgré le retrait du candidat modéré en faveur du démocrate-populaire Perrot qu’il devançait de quelques voix, mais qui, militant syndicaliste, vainqueur de Mistral en 1931 aux élections cantonales, avait plus de chances de triompher, Mistral battit ce dernier par 12 917 voix contre 9 685.

Sa position politique pendant la guerre et au congrès de Tours, son action municipale à Grenoble l’avaient mis en vedette. Il ne cessa d’être un militant, mêlé plus étroitement que jamais à la vie nationale et internationale du socialisme. Il avait représenté sa fédération à plusieurs congrès nationaux d’avant-guerre : à Chalon-sur-Saône (octobre 1905), Limoges (1906), Toulouse (1908), Paris (juillet 1910), Saint-Quentin (1911), Lyon (1912), Brest (1913) et à Amiens (1914). Il continua à siéger au comité fédéral de l’Isère et entra à la CAP nationale en décembre 1915. Il participa activement aux controverses idéologiques et tactiques soulevées par la guerre, puis révéla, à la mairie de Grenoble, un aspect jusqu’ici inconnu de sa personnalité, celui de l’administrateur, du réalisateur. Mistral avait toujours occupé des positions avancées dans le Parti socialiste. Le 2 mai 1905, au conseil général, il dénonça « l’alliance [...] avec le tsarisme assassin et tortionnaire [...], honte pour un pays républicain » (P. Barral, op. cit., p. 558). Avant 1914, il combattit la municipalité de Grenoble passée sous l’empire des milieux d’affaires et dirigée par le cimentier Cormier. Lorsque celui-ci voulut créer un casino, il se heurta aux socialistes et aux catholiques : Mistral l’emporta en faisant voter par la Chambre des députés la disposition interdisant les jeux dans les villes universitaires (J O, 19 mai 1913, p. 1453).

La guerre venue, il soutint d’abord, avec l’unanimité du Parti socialiste, la politique de défense nationale, confiant dans la cause du pays. « Aujourd’hui, comme en 1792, écrivit-il le 7 août 1914 dans Le Droit du Peuple, l’esprit qui anime la nation française n’est point un esprit de conquête. » Mais, sans abandonner le principe de la défense nationale, sans aller jusqu’au défaitisme de son collègue et compatriote Raffin-Dugens, il suivit le mouvement minoritaire pacifiste, devint un de ses chefs de file alors que la plupart des militants d’origine guesdiste comme lui comptaient dans la majorité. Au conseil national de la SFIO (14-15 juillet 1915), il soutint le point de vue nouveau de la fédération de la Haute-Vienne, mais se rallia finalement aux textes d’unanimité. Au congrès de décembre, il adopta la même attitude, mais entra avec six autres minoritaires à la CAP À partir d’octobre 1915, date de la constitution du cabinet Briand, il combattit la participation ministérielle des socialistes. Aux conseils nationaux d’août 1916 et de mars 1917, la minorité réclama, sur des résolutions de Paul Mistral, la reprise des relations internationales et la participation des socialistes maximalistes italiens à la conférence de Paris. À cette conférence des socialistes des pays alliés (15 mars), Mistral représenta la minorité ainsi qu’à celles de Londres en août 1917 et en février 1918, comme au congrès national de Bordeaux (6-9 octobre 1917). À la veille du congrès de 1916 (24-29 décembre), il avait signé le manifeste de la minorité organisée en Comité pour la défense du socialisme international, se refusant « à laisser prolonger en guerre de conquête la guerre de défense nationale » (Les Fédérations socialistes III, p. 547). Le 7 décembre 1916, à la Chambre des députés, il avait énuméré les buts de guerre qui lui semblaient justes : « la libération, l’indépendance politique et économique des territoires français, de la Belgique et de la Serbie » et le libre choix des Alsaciens-Lorrains. Mais il avait dénoncé les traités secrets avec la Russie et proposé « l’institution d’un organisme international de juridiction et de sanction destiné à régler les conflits entre États » (J O, 7 décembre 1916). Ce fut Paul Mistral qui expliqua le vote hostile au traité de Versailles du groupe parlementaire socialiste. « Ce traité proclama-t-il, est malheureusement un démenti aux principes pour lesquels nos soldats sont morts [...]. Dans presque toutes ses clauses il y a des germes de conflits, pouvant conduire à des guerres nouvelles » et, en conclusion, il condamna « le régime capitaliste, cause des guerres » (J O, 4 et 10 septembre 1919).

La Révolution russe qu’il avait accueillie avec allégresse en mars lui posa un cas de conscience, comme à tous les socialistes, par ses développements d’octobre. Le 8 décembre 1917, avec l’ensemble du groupe parlementaire, en un appel dont il fut un des trois rédacteurs, il adjura les socialistes de Russie de ne pas séparer leur cause de celle d’une paix générale « juste, rapide et durable » (ibid., p. 573), par une paix séparée. Mais en cette fin d’année 1917, il leur gardait sa sympathie et déclarait : « Nous devons faire confiance à la Révolution russe » (J O, 27 décembre 1917). Au congrès historique de Tours, (25-30 décembre 1920), où il représentait la fédération de l’Isère avec Raffin-Dugens, P. Mistral joua un rôle de premier plan et apparut comme le leader du « centre ». Si, adhérer à la IIIe Internationale, c’est seulement mieux servir la Révolution russe, nous sommes avec vous, déclara-t-il en substance à la majorité, « mais il y a une équivoque énorme, il faut la dissiper [...]. Il y a la pensée [...] exprimée par Frossard que nous acceptons, et il y a cette autre pensée qui nous a été apportée par le télégramme d’hier... » (Compte-rendu du congrès, pp. 440-441). Le mercredi 29 décembre au matin, Mistral déposa cette simple motion : « Le congrès, en présence du télégramme du Comité exécutif de la IIIe Internationale, déclare se refuser à procéder aux exclusions demandées par ce télégramme, et proclame sa volonté de maintenir l’unité actuelle du Parti » (ibid., p. 437). Elle recueillit 1 398 mandats contre 3 247 à une motion de Daniel Renoult* au cours de la séance de nuit, et son rejet signifia la scission du Parti socialiste.

Mistral n’avait entraîné que treize mandats de sa fédération, trente-huit allant à la IIIe Internationale. La plupart des militants en vue l’avaient suivi ; sa position resta forte dans l’Isère et ses réélections comme député furent relativement faciles. Mais dans cette dernière phase de sa vie, son action municipale l’emporta sur son rôle parlementaire. À l’Hôtel de Ville il resta le socialiste militant, laissa arborer le drapeau rouge au 1er mai 1920, proscrivit les sonneries de cloches, refusa d’obtempérer en 1921 à l’ordre de la préfecture d’interdire les manifestations de rue où il réussit d’ailleurs, en personne, à ramener le calme. Au théâtre de Grenoble, le 16 mars 1921, il présida une conférence retentissante de Joseph Caillaux dont il avait défendu l’action pendant la guerre et qui vint à Grenoble sur l’invitation du Parti socialiste. La journée se termina par des tumultes où s’opposèrent, dans les rues de la ville, camelots du Roy et socialistes ; elle eut son épilogue à la Chambre des députés le 24 mars, où P. Mistral fit face aux attaques de Léon Daudet. Mais il s’attacha à faciliter l’essor d’une ville gonflée par le développement industriel du département. Sans formation juridique ni formation financière, armé d’un solide bon sens et d’une ténacité de montagnard, il sut s’entourer d’hommes compétents et s’imposa aux milieux d’affaires « par ses qualités positives » (P. Barral, p. 796). Il orienta le développement de la ville vers le Sud, délogea l’armée et les fortifications, non sans rencontrer une vive résistance qui l’amena à dénoncer l’inertie de l’administration du Génie à laquelle il attribuait « toutes les qualités du mulet : l’entêtement et la stérilité » (J O, 29 novembre 1928, p. 2889). Pour hâter les expropriations, il organisa l’Exposition de 1925 qui laissa à la ville le parc qui porte aujourd’hui le nom de Paul Mistral. Il élabora un plan d’aménagement, d’embellissement et d’extension qu’il mena à bien dans ses grandes lignes, mais dont la réalisation se prolongea après sa mort. Des cités poussèrent sur l’emplacement de taudis abattus. Les quartiers des Abattoirs, de la Bajatière, de la Capuche et du Rondeau doivent leur aspect avenant à ces travaux. L’enseignement en bénéficia largement. Sept groupes scolaires s’élevèrent dans les quartiers périphériques, le collège Vaucanson dans l’ancien petit séminaire du Rondeau, une École Hôtelière le compléta et la ville coopéra à l’extension des bâtiments de l’Université. Elle édifia un Hôtel des Administrations et une Bourse du Travail. Aux sportifs et aux touristes, elle offrit un stade, un téléférique et un aéroport. La municipalité de Paul Mistral organisa les Pompes funèbres en régie municipale et défraya un moment la chronique par l’abolition du système de la prostitution réglementée. Jusqu’au lendemain des bouleversements que la Seconde Guerre mondiale et ses suites lui ont apportés, la ville de Grenoble garda le visage que lui modela Paul Mistral. Cette politique ne lui valut cependant pas que des éloges. Un scandale dans les services du rationnement en 1920 fut exploité par l’opposition de droite. Des gaspillages et des spéculations furent dénoncés aux HBM. Mais l’honnêteté personnelle du maire de Grenoble ne fut pas mise en doute et le corps électoral lui garda sa confiance. C’est que sur le plan local, comme à l’échelle du département, habile tacticien et « caractère amène » (P. Barral, p. 637), sans rien abandonner de ses convictions, il maintint l’union avec les radicaux, arbitres de la situation malgré leur faiblesse relative.

Paul Mistral a symbolisé le socialisme dans l’Isère, au point que son apogée coïncide avec sa fortune politique personnelle. Il fut, avec Dognin, le principal organisateur d’un parti auquel l’essor industriel né de l’exploitation de la houille blanche apporta des adhérents et des électeurs. S’il bénéficia de cette conjoncture, le prestige personnel, la popularité qu’il sut acquérir, assurèrent au Parti socialiste des positions électorales qui dépassaient ses forces réelles. La place qu’il occupait se mesura au vide que laissa sa mort : la SFIO perdit son siège de député en 1932 et, en 1935, perdit la mairie.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article122500, notice MISTRAL Paul, Antoine, François par Justinien Raymond, version mise en ligne le 30 novembre 2010, dernière modification le 4 février 2022.

Par Justinien Raymond

ŒUVRE : Paul Mistral a collaboré aux journaux suivants : Le Droit du Peuple, organe du socialisme dans l’Isère, mensuel en août 1897, peu après hebdomadaire, quotidien à partir du 2 octobre 1900 et alors seul quotidien appartenant à l’organisation socialiste. De juin 1902 à mars 1903, il passa au dissident Zévaès. Les socialistes l’ayant repris, P. Mistral en fut le rédacteur en chef jusqu’à son élection comme député en 1910. — Le Socialiste de l’Isère, organe de la fédération de l’Isère privée du Droit du Peuple, du 3 août 1902 au 25 avril 1903. — L’Avenir, revue du socialisme, fondée et dirigée par J.-B. Séverac, le 15 avril 1916, et qui survécut à la guerre.

SOURCES : État civil de la commune de la Morte (Isère) et renseignements oraux recueillis sur place. — Arch. Ass. Nat. dossier biographique. — L’Humanité, 17 mai 1910. — Hubert-Rouger, La France socialiste, op. cit., pp. 372-373 et Les Fédérations socialistes II, op. cit., pp. 225-260, passim, Les Fédérations socialistes III, op. cit., pp. 274 à 589, passim. — Comptes rendus des congrès nationaux du Parti socialiste. — Parti socialiste SFIO 18e congrès national tenu à Tours les 25, 26, 27, 28, 29 et 30 décembre 1920. Compte rendu, Paris, 1921, 604 p. (pp. 85, 89, 90, 91, 322, 390, 437, 465, 474, 475, 493, 512. — Fernand Bouisson, Éloge funèbre de Paul Mistral à la Chambre des députés (J O Ch. des dép., séance du 16 septembre 1932). — L.-O. Frossard, De Jaurès à Léon Blum*, Paris, 1943 (pp. 47 à 57, sur le rôle de Mistral minoritaire pendant la guerre). — Louis Jacquenet, La Municipalité de Grenoble et la crise du logement (Grenoble et sa région), Grenoble, 1925, pp. 89-108. — Léon Poncet, Souvenirs d’un demi-siècle de journalisme, 1940, 212 p. (pp. 145 et ss) : cet ouvrage, resté dactylographié, est signalé par Pierre Barral, thèse : Le Département de l’Isère sous la IIIe République — Histoire sociale et Histoire politique 1870-1940, Paris, A. Colin, 1962 (Les pages indiquées dans la biographie ci-dessus sont celles de l’exemplaire dactylographié de la Sorbonne, plus complet que l’exemplaire imprimé). — Jean-François Parent, Jean-Louis Schwartzbrod, Deux hommes, une ville. Paul Mistral, Hubert Dubedout, Grenoble, La Pensée sauvage, 1995.

ICONOGRAPHIE : La France socialiste, op. cit., p. 373.

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