MITTERRAND Jacques

Par Emmanuel Naquet

Né le 10 juin 1908 à Bourges (Cher), mort le 5 juin 1991 à Paris (XIIIe arr.) ; administrateur civil ; membre du Parti radical (1931-1945), conseiller de l’Union française au titre du groupe des Républicains progressistes (1947-1958), puis grand-maître du Grand Orient de France (1962-1964 et 1969-1971).

Fred Zeller et Jacques Mitterrand

Jacques Mitterrand est issu d’une famille berrichonne profondément républicaine, son arrière grand-père siégea au conseil municipal de Bourges aux côtés d’Eugène Brisson. Son père, Armand Mitterrand avait appartenu très tôt au Parti radical-socialiste et présidé dans le XVIIe arr. l’un des premiers comités de Front populaire. Jacques Mitterrand était aussi fils de franc-maçon du Grand Orient de France : son père fut l’un des premiers membres de la loge de Bourges, « Travail et Fraternité », créée en 1903.

Jacques Mitterrand fit ses études au lycée Charlemagne, puis au lycée Louis-le-Grand à Paris, avant de s’inscrire à la faculté de droit. il adhéra tout d’abord à la Ligue d’action universitaire républicaine et socialiste (LAURS) en 1926 pour défendre contre l’Action française et les Jeunesses patriotes, au quartier latin, avec Pierre Mendès France, les valeurs de la gauche républicaine. Membre du comité directeur de la section parisienne, collaborateur régulier de son organe, l’Université républicaine, il milita également à la Ligue des droits de l’Homme (LDH), dont il devint l’un des conférenciers (1931-1937).

En 1931, Jacques Mitterrand s’inscrivit au Parti radical-socialiste et se présenta sous son étiquette à Paris, aux élections législatives de 1936 ; il se désista en faveur du candidat communiste, Prosper Môquet. Président de la Fédération de la Seine des Jeunesses radicales-socialistes, il appartint, dans la seconde moitié des années trente, au mouvement des « Jeunes Turcs », et participa à l’organe du mouvement jeune-radical, le Jacobin, dont il fut rédacteur en chef, et dans lequel il dénonça violemment les activités de la Cagoule. Situé à l’extrême gauche du parti de la rue de Valois, Jacques Mitterrand prit de même nettement position pour l’intervention en Espagne, puis s’opposa aux accords de Munich et rompit alors définitivement avec Édouard Daladier.

Initié en 1933, membre de la loge « la Justice », il fut tour à tour délégué au convent, puis secrétaire du conseil de l’ordre du GODF, avant d’être élu grand maître de 1962 à 1964, puis de 1969 à 1971. Il fut en concurrence avec Fred Zeller. À ce poste, il œuvra pour une plus grande ouverture de la franc-maçonnerie aux profanes et, après mai 1968, soutint les revendications de la jeunesse, même s’il s’opposa à certains, soupçonnés de vouloir faire du GODF « une succursale d’idéal divin ». Mais il réaffirma aussi son combat pour la laïcité de l’école, et son extrême vigilance à l’encontre de l’Église et du monde catholique en général.

En 1940, Jacques Mitterrand se trouva mobilisé dans un bataillon d’aérostiers. Après la débâcle et le repli de son unité près de Toulouse, il revint à Paris et s’engagea dans la Résistance : pendant l’hiver 1940-1941, il recueillit des militants antifascistes, établit de fausses cartes d’identité pour des prisonniers évadés et mit sur pied un journal clandestin ronéotypé, le Courrier du Peuple. Puis il se mit en rapport avec Pierre Villon et Pierre Le Brun, et fut nommé responsable adjoint du Front national pour l’Ile-de-France, avant de devoir s’enfuir en zone sud, son réseau ayant été démantelé. Jacques Mitterrand reprit immédiatement contact avec la Résistance, en particulier avec Henri Levin qui dirigeait un réseau Interallié à Lyon. Sous le pseudonyme de Julien Martel, il eut pour mission d’organiser évasions et actions. À ce titre, Jacques Mitterrand fut décoré de la médaille de la Résistance, de la Croix de guerre 1939-1945 et de la Croix de l’ordre de l’Empire britannique. Capitaine des Special-Forces, il fut muté dans l’armée française avec le même grade.

À la Libération, de nouveau administrateur civil à la Caisse des dépôts et consignations (1928-1964, en congé spécial en 1964, à la retraite en 1968), Jacques Mitterrand devint le secrétaire de son syndicat CGT, et participa aux grèves de la fonction publique.

Mais ce fut surtout à la vie politique qu’il retourna en ces années d’après-guerre : ayant quitté le Parti radical-socialiste parce que ce dernier se refusait à discuter le programme du CNR, et ne pouvant matériellement faire reparaître Le Jacobin, il ressuscita, avec Henri Levin, le Club des Jacobins dont il fut nommé délégué général, et organisa des débats politiques. Puis il fonda avec des proches l’Union progressiste au sein de laquelle on retrouvait Paul Rivet, Pierre Dreyfus-Schmitt, Pierre Cot, Gilles Martinet ou encore Emmanuel d’Astier de la Vigerie, qui prêta au mouvement les locaux de son quotidien, Libération. Secrétaire général de ce parti, codirecteur du journal l’Union progressiste — qui deviendra les Cahiers du progressisme —, Jacques Mitterrand devint conseiller à la nouvelle assemblée de l’Union française (1947-1958) avec le soutien des communistes.

Apparenté au groupe communiste présidé alors par Raymond Barbé, il siégea à la commission des finances, puis à la commission des affaires extérieures en qualité de vice-président, et travailla en étroite liaison avec ses collègues communistes. Avec l’appui du PCF, il seconda Emmanuel d’Astier de la Vigerie lors de sa première campagne électorale en Ille-et-Vilaine contre Teitgen, alors garde des Sceaux.

Parallèlement, Jacques Mitterrand fut élu conseiller municipal de sa ville natale, Bourges, en 1953, et devint membre du Comité national de liaison des gauches ; en effet, très hostile à l’anticommunisme des radicaux et des socialistes, il milita activement pour le rassemblement de la gauche républicaine. En novembre 1958, il fut candidat de l’UFD dans le Cher, mais échoua. Il fut membre du Conseil mondial de la paix, participa successivement aux deux délégations envoyées par le Mouvement international de la paix au Vietnam, en février-mars 1955, puis à Moscou, en mai 1956, et parcourut de même l’Afrique ou l’Amérique du sud. Il établit ainsi des contacts — et parfois des liens d’amitié — avec des leaders politiques du monde entier.


Membre du PSA puis du PSU, Jacques Mitterrand rallia ensuite les rangs du Parti socialiste.

Il mourut le 5 juin 1991 à l’hôpital Pitié-Salpêtrière (Paris, XIIIe arr.) et fut incinéré au Crématorium du Père-Lachaise.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article122517, notice MITTERRAND Jacques par Emmanuel Naquet, version mise en ligne le 30 novembre 2010, dernière modification le 1er avril 2021.

Par Emmanuel Naquet

Fred Zeller et Jacques Mitterrand

ŒUVRE CHOISIE : La politique extérieure du Vatican, Éd. Dervy, 1959, 139 p. — La politique des Francs-Maçons, Éd. Guy Roblot, 1973, 245 p. — A gauche toute, citoyens !, Éd. Guy Roblot, 1984, 245 p.

SOURCES : Le Jacobin, BDIC, cote GFP 4262. — Libération (suppl. Bourges), 15 novembre 1958. — Le Monde, 13 septembre 1969, 14-15 septembre 1969, 13-14 septembre 1970, 9 mai 1972, 15 juin 1976, 24 juillet 1976. — Radioscopie à France-Inter par Jacques Chancel, 1971. — P. Chevalier, Histoire de la Franc-Maçonnerie française, Fayard, 1975, vol. III, 479 p. — Présentation de Guy Nania à La politique des Francs-Maçons et A gauche toute, citoyens ! op. cit. — Emmanuel Naquet, Un mouvement typique de la France de l’entre-deux-guerres : la LAURS., Mémoire de Maîtrise d’histoire, Université de Paris X-Nanterre, 1987, 825 p. et annexes. — Jean-André Faucher, Dictionnaire historique des Francs-Maçons, Perrin, 1987, 438 p. — Denis. Lefebvre, « Jacques Mitterrand (1908-1994), ou la séduction communiste », Études et recherches, La chaîne d »’Union, 2009. _ État civil.

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