MOLINIER Henri, Marc, Pierre. Pseudonymes : AUDOIN H., LAURENT Marc, TESTU

Par Rudolf Prager

Né le 12 février 1898 à Paris (XXe arr.), mort le 23 août 1944 à Paris pendant les combats pour la libération ; ingénieur-chimiste ; dirigeant du mouvement trotskyste de 1929 à 1944.

Issu d’une famille nombreuse de condition très modeste, de tradition catholique, frère de Raymond Molinier, Henri Molinier poursuivit ses études à l’aide de bourses. Appelé sous les drapeaux en 1916, il reçut une formation d’officier d’artillerie et fut envoyé au front en 1918. Démobilisé avec le grade de lieutenant de réserve, il se voulait avant tout pacifiste et se sentait proche du courant démocrate-chrétien de Marc Sangnier. Il réprouva l’action de son frère cadet, Raymond qui s’orienta d’emblée vers le communisme.

Cependant l’évolution d’Henri Molinier fut rapide et il sympathisa avec le Parti communiste, sans y adhérer, choisissant de militer à l’Union syndicale des techniciens, ingénieurs, cadres et assimilés (USTICA). Il y rencontra Pierre Frank. Il se sentit proche des courants d’opposition qui se manifestèrent au sein du PC et aida financièrement l’envoi en Turquie des premiers militants français se rendant en avril 1929 auprès de Léon Trotsky. Il prit en charge en juillet la publication à Paris du Bulletin de l’opposition russe de Trotsky selon les directives de Léon Sedov. Son engagement l’amena à signer sous le pseudonyme de H. Audoin, la déclaration « aux ouvriers révolutionnaires » parue dans le premier numéro de la Vérité daté du 15 août 1929.

Henri Molinier se rendit chez Trotsky à Prinkipo et se mit à sa disposition, en mars-avril 1931, à la suite de l’incendie qui s’était produit le 1er mars dans sa villa. Molinier loua une nouvelle habitation à Moda et assura le déménagement avec une énergie « toute moliniéresque » selon l’expression de Trotsky. Ce dernier l’avait par ailleurs chargé de le représenter auprès des maisons d’édition et des agences de presse en France. Il fut également son mandataire pour négocier avec la direction de la Sûreté nationale les conditions de son transit, en novembre-décembre 1932, pour se rendre à Copenhague. Le visa avait été obtenu par Anatole de Monzie. Tout naturellement ce fut Henri Molinier qui négocia les modalités de séjour de Trotsky en France de 1933 à 1935. Il fut en effet à ses côtés, le protégeant, l’aidant, menant un jeu serré avec la police, de Saint-Palais (Charente-Inférieure) à Bagnères-de-Bigorre (Hautes-Pyrénées), de Barbizon à Lagny (Seine-et-Marne) et dans le Dauphiné. Les liens d’estime, de confiance et de cordialité qui s’établirent entre les deux hommes survécurent à leur séparation politique qui intervint fin 1935.

Sans dissimuler leurs graves divergences, ils eurent une correspondance cordiale en 1937 année où Henri Molinier s’employa, à la demande de Trotsky, à recueillir les témoignages nécessaires à la Commission d’enquête sur les procès de Moscou, présidée aux États-Unis par le professeur Dewey. Ils s’écrivirent encore en 1938 après le décès, dans des circonstances troublantes, de Léon Sedov. Dans lettre à mon ami en France, Trotsky écrivit : "excellent camarade, simple et sensible, rien en Marc ne dénotait l’affectation, la pose qui, trop souvent dans les milieux révolutionnaires apparaît comme l’attitude du ’militant de fer’ et qui traduit en fait l’indécision, le manque de fermeté morale et politique".

Membre de la Ligue communiste depuis sa fondation en avril 1930, Henri Molinier adhéra en août 1934, avec ses camarades, au Parti socialiste SFIO et milita à la section de Clichy. Il acquit une forte influence dans sa section et se consacra particulièrement au service d’ordre du parti, les TPPS. (« Toujours prêts pour servir »). Il fit partie de leur état-major avec Marceau Pivert*. Il fut également élu à la commission exécutive de la Fédération de la Seine. Après l’exclusion des premiers trotskystes de la SFIO en octobre 1935, il participa à la formation de groupes d’action révolutionnaire dont celui de Clichy qui fut l’un des plus actifs.

En décembre 1935, Henri Molinier soutint le journal la Commune lancé par son frère et Pierre Frank. Exclu à son tour de la SFIO en janvier 1936, il participa les 7 et 8 mars à la fondation du Parti communiste internationaliste et fut élu membre suppléant du comité central. La rupture avec Trotsky qui condamna sévèrement cette organisation dissidente fut ainsi consommée.
Henri Molinier a été chargé par le Bureau politique du PCI (POI)en mars 1937 de prendre contact avec les messalistes juste après la dissolution par le Front populaire de l’Etoile nord-africaine (ENA)dans le contexte de la rupture consommée des nationalistes algériens avec, en particulier, le PCF. Le contact a été fructueux puisque des messalistes assisteront au congrès trotskyste en 1938. Dans ses mémoires, Messali Hadj nota qu’en 1937 et parmi les gens organisés "seuls les trotskystes étaient clairement pour l’indépendance des peuples opprimés".

Henri Molinier fut l’un des principaux animateurs du PCI. Ses points de vue différèrent maintes fois de ceux de son frère. C’est ainsi qu’il fit prévaloir au IIIe congrès du PCI, les 24-26 septembre 1937, ses thèses sur l’URSS qui concluaient « que l’État russe n’est plus un État ouvrier... que la bureaucratie soviétique avait exproprié politiquement et économiquement le prolétariat russe... et que l’on se trouvait en face d’un capitalisme d’État post-révolutionnaire en URSS.. » Cette analyse s’écartait nettement des conceptions de Trotsky auquel il avait déjà soumis ses thèses en 1935.

En décembre 1938, Henri Molinier adhéra avec l’ensemble des militants du PCI au Parti socialiste ouvrier et paysan de Marceau Pivert*, toujours à la section de Clichy. Mais cette expérience fut de courte durée car dès le début de juin 1939, il en fut exclu avec les principaux dirigeants de son groupe trotskyste. Engagé tout autant — sinon davantage — que son frère Raymond dans les entreprises destinées au financement des activités politiques, il ne fut pas comme lui attaqué personnellement. Ils avaient collaboré ensemble en particulier dans un bureau d’études industrielles et commerciales (dissous en 1929 après saisie) puis avaient créé une affaire de contentieux, l’Institut français de représentation et de recouvrement.

Mobilisé avec le grade de capitaine en septembre 1939, démobilisé en août 1940, son poids politique s’accrut sensiblement pendant la guerre, Pierre Frank et Raymond Molinier se trouvant à l’étranger. Comme bien des militants, il fut traumatisé par la débâcle française et l’invasion nazie. Son texte « Que faire ? » d’août 1940 résumait ses interrogations du moment, mettant l’accent sur l’hypothèse du règne d’un capitalisme d’État « progressif ». Il participa au regroupement et à la réorganisation dans une stricte clandestinité des militants issus du PCI et reprit ses « affaires », avec Jacques Grinblat, pour subvenir aux besoins financiers du mouvement. Ses propositions politiques et son analyse de l’Union soviétique ayant été rejetées par une grande majorité des membres, Henri Molinier se retira du Bureau politique sans que son action militante en soit affectée.

C’est en accord avec l’organisation qu’il adhéra en 1941 au RNP de Marcel Déat qui lui servit de couverture légale. Son activité clandestine fut intense et il intervint, en particulier au congrès du Comité communiste internationaliste (CCI) qui se tint en janvier 1944 pour défendre des positions minoritaires et fut élu au comité central. Il fut par ailleurs l’un des fondateurs du groupe Octobre constitué avec d’anciens membres du mouvement abondanciste de Jacques Duboin, tels que Jean Maillot et Henri Claude-Pougé. Henri Molinier fut le maître à penser de ce groupe dont l’évolution rapide vers le trotskysme fut due à son influence. C’est ainsi que le groupe Octobre devint partie prenante des forces trotskystes qui fusionnèrent en février-mars 1944.

Henri Molinier ne fut pas admis dans le parti unifié. Sans mettre aucunement en doute sa probité et sa fidélité au mouvement, ce parti désapprouva la décision du CCI de l’avoir fait adhérer au RNP et refusa d’endosser cette responsabilité. Il fut donc mis à la disposition du Secrétariat européen de la IVe Internationale. Il eut ainsi la responsabilité du secteur militaire, particulièrement actif pendant l’insurrection de Paris. Il fut frappé de plein fouet par un obus boulevard Malesherbes, alors qu’il s’apprêtait à remettre une forte somme d’argent à un responsable de la Résistance. Il mourut le jour même, le 23 août 1944 à l’hôpital Bichat et fut inhumé au cimetière parisien de Pantin. Son acte de décès porte la mention : « Mort pour la France. »

Henri Molinier s’était marié en 1919 à Paris (XVIIIe arr.) avec Madeleine Monin, infirmière. Ils eurent deux filles, en 1921 et 1923.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article122618, notice MOLINIER Henri, Marc, Pierre. Pseudonymes : AUDOIN H., LAURENT Marc, TESTU par Rudolf Prager, version mise en ligne le 30 novembre 2010, dernière modification le 31 mai 2022.

Par Rudolf Prager

ŒUVRE : Mémoires d’un militant trotskyste 1904-1940, inédit, conservé au CERMTRI. Ce texte, particulièrement dans la parti consacrée à sa jeunesse, comporte de nombreuses invraisemblances de dates.

SOURCES : Arch. Trotsky, Harvard, papiers d’exil. — Arch. Jean Maitron. — Arch. PPo. carton 45. — Isaac Deutscher, Trotsky, Paris, 1955. — G. Vereeken, Le Guépéou dans le mouvement trotskyste, Paris, 1975. — J. Rabaut, Tout est possible, Paris, 1974. — J. Pluet-Despatins, Les Trotskystes et la guerre 1940-1944, Paris, 1980. — R. Prager, Les congrès de la IVe Internationale (I) : Naissance de la IVe Internationale, 1930-1940, Paris, La Brèche, 1978. — R. Prager, Les congrès de la IVe Internationale R. Prager, L’Internationale dans la guerre, Paris, La Brèche, 1981. — S. Ketz, De la naissance du GBL à la crise de la section française de la LCI, Mémoire de Maîtrise, Paris I, 1974. — J. van Heijenoort, Sept ans auprès de Trotsky, Paris, 1978. — P. Broué, L’action clandestine de Trotsky en Dauphiné, Cahiers d’Histoire, n° 3, 1968. — Renseignements fournis par L. Bonnel et J.-M. Brabant. — Nedjib SIDI MOUSSA, "Les messalistes et la gauche française. Alliances, ruptures et transactions dans l’entre-deux-guerres", Vingtième Siècle. Revue d’histoire, 2016/3, n 131, p.83 (référence : APP, BA 2170, rapport, 4 mars 1937) ; Benjamin STORA, "La gauche socialiste révolutionnaire et la question du Maghreb au moment du Front populaire (1935-1938), Revue française d’histoire d’Outre-Mer, tome 70, n° 258-259, 1er et 2e trimestres 1983, p. 69 (référence : rapport de police 16694-B du 4 mars 1937) . — La Vérité, 22 août 1953. — Jean HENTZGEN, Du trotskysme à la social-démocratie : le courant lambertiste en France jusqu’en 1963, thèse de doctorat d’histoire, John BARZMAN (dir.), Université Le Havre Normandie, juin 2019, p. 235.

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