Par Antoine Olivesi, Claude Pennetier
Né le 25 mai 1907 à Marseille (Bouches-du-Rhône), mort le 8 septembre 2000 à Marseille ; ouvrier carrossier puis chauffeur de taxi ; militant syndicaliste, communiste et mutualiste ; secrétaire général de l’Union départementale CGT des Bouches-du-Rhône, puis secrétaire national de la CGT après la Seconde Guerre mondiale ; conseiller municipal communiste de Marseille ; membre du comité central du PCF 1945-1954 ; dirigeant de l’Union départementale mutualiste des travailleurs (UDMT) des Bouches-du-Rhône et un des acteurs du renouveau du mutualisme de sensibilité communiste.
Fils d’un mineur d’origine italienne qui devint chauffeur de taxi et d’une journalière qui devint femme de service, Lucien Molino, s’embarqua en 1921, après avoir obtenu son CEP (avec mention TB) et fréquenté un temps le cours supérieur dont il fut exclu à la suite d’un affrontement physique avec le directeur, comme mousse à bord du paquebot Général-Gallieni, sur la ligne Marseille-Indochine. Il fut emprisonné à Saïgon, à l’âge de treize ans et demi, pour avoir participé à la grève des inscrits maritimes. A son regret, il ne trouva plus d’embauche dans la navigation.
En 1922, il fut placé comme apprenti dans la métallurgie et adhéra l’année suivante au syndicat CGTU. Il fut ouvrier carrossier jusqu’en 1930 et délégué ouvrier. Victime de la répression patronale, il ne put retrouver un emploi et devint, en 1932, chauffeur de taxi. La même année, il fut élu secrétaire du syndicat CGTU de cette corporation et adhéra au Parti communiste en octobre 1932 (ses deux autobiographies de 1938, situaient par erreur son adhésion à mars 1933 ou 1934).
On peut s’étonner du décalage entre son investissement syndical et son adhésion au parti. Dans son autobiographie de mai 1938, il dit : à vingt-deux ans « Je ne suis pas rentré au parti parce que l’on m’avait demandé des obligations qu’à l’époque je me sentais incapable de tenir (période Duisabou) ». Oralement, il précise, en 1999, que Roger Duisabou lui avait expliqué que le parti c’était 24 h sur 24, or lui répondit-il, j’aime danser et boxer. Molino fut donc pendant plusieurs années un communiste sans la carte et c’est juste après son mariage, qu’il adhéra.
Il publia en septembre 1934 un article sur les revendications des chauffeurs de taxis dans Rouge-Midi et protesta contre le lock-out pratiqué par la société Mattei. Il fut responsable de l’Union régionale des transports CGTU (Bouches-du-Rhône, Var, Vaucluse) en 1935-1937.
En 1935, Molino se présenta aux élections municipales sur la liste du PC dans le 3e secteur de Marseille, contre Simon Sabiani. Le Petit Provençal le présentait comme un « jeune militant combatif » bon gérant du syndicat unitaire des taxis et sa coopérative, « La Syndicale essence ». En 1936, Lucien Molino fut responsable des convois de solidarité en faveur de l’Espagne républicaine.
Secrétaire du syndicat CGT des chauffeurs de taxi marseillais de 1937 à 1939 et membre de la commission de contrôle de l’Union départementale CGT des Bouches-du-Rhône en 1938-1939, il fonda la Caisse centrale de prévoyance syndicale des deux sexes de Marseille et des Bouches-du-Rhône, première mutuelle ouvrière à fonctionner en France et qui fut plus ou moins suspectée de « réformisme » par le PC et la CGT. Il dira plus tard en avoir eu l’idée, en 1936, à l’écoute d’un cours de Georges Politzer, à l’École nationale des bases multiples du syndicalisme.
Il faisait partie du comité régional du PC mais n’en a pas gardé le souvenir. En octobre 1939, Lucien Molino, placé sous surveillance fut dénoncé comme communiste à la préfecture par les responsables d’un syndicat de taxis rival. Mobilisé au 289e RAL, fait prisonnier à Dunkerque en 1940, il s’évada en janvier 1943. Il entra alors dans la Résistance (pseudonyme : Lumo) et fut nommé dirigeant dans la CGT clandestine pour la région marseillaise.
Il organisa notamment la grève de mars à mai 1944 à Marseille provoquée par le mauvais ravitaillement dont souffrait la ville, et fut l’un des chefs de l’insurrection lors des combats de la Libération. Il obtint le grade de lieutenant FFI et fut décoré de la Croix de guerre et de la Médaille de la Résistance.
Après la Libération, Lucien Molino représenta la CGT au comité régional de Libération, dont il fut le secrétaire en 1944-1945. Lucien Molino appartint au conseil supérieur des MUR (Mouvements unis de résistance) en décembre 1945 dans les Bouches-du-Rhône. Le 3 septembre 1944, il fut élu secrétaire de l’UD-CGT des Bouches-du-Rhône à la première conférence des délégués syndicaux tenue à Marseille et le resta jusqu’en 1951. Il fit également partie de la commission administrative confédérale de la CGT de mars 1945 à 1951, fut le plus jeune délégué à la conférence syndicale mondiale de Paris en septembre 1946 où une intervention très critique vis-à-vis de l’anglais Citrine lui valut l’inimitié de Léon Jouhaux. Considéré un temps comme l’homme de confiance de François Billoux, il fit partie du comité central du PCF de 1945 à 1954 et assistait aux réunions du bureau politique de 1952 à 1955.
Dès la Libération, Lucien Molino remit sur pied une mutuelle départementale CGT des Bouches-du-Rhône qui, en 1948, regroupait au sein d’une centaine de sections 3 500 adhérents représentant environ 100 000 personnes protégées. Lucien Molino déploya une grande activité pour la paix au Vietnam et fut, en raison de son action, arrêté à Paris et emprisonné à Fresnes de mars à août 1953. De nombreuses manifestations furent organisées pour obtenir sa libération. Pendant son incarcération, Lucien Molino fut présenté comme candidat « prisonnier d’État » aux élections municipales à Marseille et fut élu sur la liste communiste « Billoux-Cristofol-Molino ».
Secrétaire national de la CGT depuis 1951, Lucien Molino, fut au 29e congrès de juin 1953, placé en tête des secrétaires. Cette place de choix fut considérée par beaucoup comme le signe qu’il était destiné à assumer un jour la succession de Benoît Frachon. Il vit sa situation politique se dégrader après sa sortie de la prison de Fresnes.
Lucien Molino quitta le bureau confédéral peu de temps après et son remplacement au congrès de 1955 ne fut pas expliqué. Lui reprochait-on « imprudence » au moment du Complot des Pigeons, ou comme le pense André Barjonet était-il victime d’une attaque lancée par des dirigeants communistes contre Benoît Frachon, le programme économique de la CGT et l’intention du syndicat de marquer son autonomie. Les documents d’archives ne peuvent témoigner que de la méthode pas du fond. Ses ennuis datent de fin 1953-début 1954 à l’occasion d’une enquête de la commission des cadres sur la date de son évasion du stalag : son questionnaire biographique rempli par Alphonse Dumay indiquant la date de décembre 1942 alors qu’il s’agissait de 1943 (en fait janvier 1943). Léon Mauvais et Jeannette Vermeersch l’accusèrent devant le comité central d’avoir menti au parti et d’être entré en résistance qu’après un an de liberté. Il ne s’agissait que d’un prétexte pour provoquer sa mise à l’écart. Il ne fut donc pas réélu au congrès d’Ivry (XIIIe congrès, avril 1954) et quitta de lui-même le secrétariat de la CGT, ce retrait étant confirmé par le 30e congrès confédéral (juin 1955). Il fut interdit de présence à Marseille même si, par l’intermédiaire de Frachon, on lui offrit un poste de permanent technique sur Paris (responsable d’une entreprise économique). Il refusa et interpréta cette sanction comme une injustice due à l’hostilité de François Billoux (où même à une concurrence) et, avec le recul, à des méthodes qu’il qualifie de « staliniennes ». L’affaire reste opaque et le plus étonnant est qu’elle disparut presque totalement des mémoires à la CGT comme au PCF. L’hypothèse la plus sérieuse est un coup de semonce de la direction communiste thorézienne à la CGT. De plus, en dépit de ses évidentes qualités, de son dynamisme et de son charisme, il ne correspondait pas pleinement au modèle du militant thorézien. En ce sens l’affaire n’est pas anecdotique.
Malgré l’interdiction, il reprit sa place au conseil municipal auprès de Jean Cristofol et joua un rôle de premier plan dans le renouveau des mutuelles, au plan régional comme national. De retour à Marseille en 1955, il siégea à l’hôtel de ville et fut réélu en 1959. Candidat aux élections législatives dans la 8e circonscription des Bouches-du-Rhône en 1962, il se désista au second tour pour le socialiste Jean Masse.
En 1975, Lucien Molino, secrétaire de l’association départementale des élus républicains, était également vice-président de l’Union départementale mutualiste des travailleurs (UDMT) des Bouches-du-Rhône, organisme dont il avait établi les fondements avant la guerre. Il était particulièrement fier de son action mutualiste et sa carte de visite en 1999 porte : « Président fondateur de la Mutuelle ouvrière 1936 ; président fondateur de la Vie mutualiste 1953 ; vice-président honoraire des mutuelles de Provence ».
Lucien Molino qui s’était marié le 1er octobre 1932 à Marseille, mourut dans cette ville le 8 septembre 2000. Une photographie publiée dans les Cahiers de l’Institut CGT d’histoire sociale (n°76, janvier 2001) le présente avec son épouse Vincente, « la compagne des bons et des mauvais jours ».
Robert Allione, membre du comité central du PCF de 1972 à 1996, se présentait comme le gendre de « Molino Lucien, chef de service dans une entreprise de TV, membre du PCF ». Sa femme « Marie-Thérèse, employée, membre du Parti » était donc la fille de Lucien Molino. Son fils, André, devint maire communiste de Septèmes-les-Valons (Bouches-du-Rhône) en 1999.
Par Antoine Olivesi, Claude Pennetier
ŒUVRE : Lucien Molino, Ma vie..., Mutuelles de Provence, 1997, 40 p. — Ma vie et mes combats, Miramas, 2000, 187 p.
SOURCES : RGASPI, Moscou, 495 270 60, autobiographie du 19 mai 1938. — Arch. Dép. Bouches-du-Rhône, V M 2/283 et 289, M 6/10933, M 6/11249. — État civil. — Rouge-Midi, 22 septembre 1934, 27 mars 1937 et 1er mars 1938 ; 27 juin 1939 (photo). — Le Petit Provençal, 30 avril, 5-6 mai 1935. — Le Midi syndicaliste, 30 décembre 1937, 20 juillet 1938, 14 septembre 1944 à 31 août 1945. — La Marseillaise et Rouge-Midi, à partir d’août 1944. — Indicateur marseillais, 1953 à 1965. — M. Agulhon et F. Barrat, CRS à Marseille, op. cit., p. 155. — Michel Dreyfus, Histoire de la CGT, Editions Complexes, 1995, p. 248-249. — St. Courtois, La politique du PCF et ses aspects syndicaux 1939-1944, Thèse, op. cit. — G. D’Amfreville, « Lucien Molino », dans « Autour du premier des sociétés de secours mutuels », Prévenir, n° 9, mai 1984. — M. Dreyfus, D. Durand, Y. Saint Jours, Traité de la Mutualité, Paris, LGDJ, 1990. — Témoignage de Lucien Molino après d’Antoine Olivesi. — Jacqueline Cristofol, —Batailles pour Marseille, Flammarion, 1997. — Entretiens de Claude Pennetier avec Lucien Molino, 22 juillet 1999, 4 septembre 1999 et correspondance. — Jacques Isnard, « Lucien Molino, une figure de la Résistance marseillaise », Le Monde, 13 septembre 2000. — Patricia Toucas, « Le mutualisme, lieu de repli militant ? L’exemple de Lucien Molino (1907-2000) », communication à la journée « Marges et replis », Paris, 21 novembre 2000 (publication sur le site maitron.org). — « Il nous a quittés, Lucien Molino », Cahiers de l’Institut CGT d’histoire sociale, n° 76, janvier 2001.