MONTAGNON Barthélémy, Marius [Pseudonyme : Montbard]

Par Gilles Morin

Né le 19 août 1889 à Saint-Étienne (Loire), mort le 2 octobre 1969 à Brioude (Haute-Loire) ; ingénieur ; militant syndicaliste et socialiste ; militant de l’Union syndicale des techniciens (USTICA) ; membre de la CAP de la SFIO (1928-1929, 1930-1931) ; député de la Seine (1932-1936) ; secrétaire de la fédération USR de la Seine (1934) ; vice-président de l’USR (1938-1940) ; secrétaire général de l’Entraide d’hiver ; président du comité d’économie sociale du RNP.

Fils d’un contremaître à la Manufacture nationale d’armes de Saint-Étienne, François Alphonse et de Claudine Rey, Barthélémy Montagnon fréquenta, après l’école communale, l’école professionnelle de Saint-Étienne et, à quinze ans, entra à l’École nationale d’Arts et Métiers de Cluny, où il obtint un diplôme d’ingénieur. Il ajouta une formation « sur le tas » à ses études professionnelles et fut, tour à tour, ajusteur, monteur électricien et traceur dans des usines de la Loire, puis dessinateur en mécanique dans la Région parisienne. Il entra enfin comme ingénieur à l’usine de machines-outils Bliss et Cie à Saint-Ouen, où il demeura quinze ans. Il se maria le 1er octobre 1912 à Paris, avec Eugénie, Laurence, Marguerite Roche, née à Lyon le 20 décembre 1888, fille du fondateur du journal Le Progrès. Il a alors légitimé une fille née en 1908.

Barthélémy Montagnon adhéra au Parti socialiste SFIO à dix-huit ans. Installé à Paris, il était membre du groupe des « Grandes carrières » (18e arrondissement) de la SFIO depuis au moins 1909 et fut arrêté lors de l’inauguration du monument Floquet.

Il fut mobilisé pendant 14 mois comme sergent électricien télégraphiste à l’État major du 5e régiment de génie durant la Grande guerre, puis fut rappelé pour travailler à la fabrication d’obus fin 1915. De retour du front, il aurait été collaborateur d’Albert Thomas au ministère de l’Armement durant le Grande guerre et défendait la position majoritaire en 1916 et ainsi qu’Albert Thomas contre les critiques dans sa section. Ce qui lui valut de se faire insulter du qualificatif « d’embusqué » pendant la campagne électorale de 1932.
Montagnon s’occupa conjointement d’action professionnelle et politique. Incarnant la figure nouvelle du « technicien » se faisant l’un des prophètes de l’organisation rationnelle de la Paix et de l’Abondance, comme Jacques Duboin, Francis Delaisi ou Achille Dauphin-Meunier, il fut, sous le pseudonyme de Montbar, un des fondateurs de l’Union syndicale des techniciens de l’industrie, du commerce et de l’agriculture (USTICA) et fut nommé secrétaire du Conseil économique du travail fondé par la CGT en 1920 qui mis au point le projet de « nationalisation industrialisée ». Dans La Lanterne, il défendait les idées de Léon Jouhaux et de la CGT sur la nationalisation des moyens de production. Il rédigea le projet, schématique, de la nationalisation des chemins de fer, publié dans La Voie du Peuple, à l’occasion de la grève de 1920. En avril de la même année, il tint une réunion salle des Sociétés savantes, en direction des élèves des grandes écoles pour essayer de les convaincre de ne pas jouer les briseurs de grèves contre les ouvriers. Quelques mois plus tard, il fit campagne contre l’intervention des alliés en Russie, mais tenta en vain en septembre de contrer Frossard au meeting de Wagram, les militants du comité pour la 3e internationale ne le laissant pas parler.

Barthélémy Montagnon fut délégué de la Fédération de la Seine au congrès de Tours (25-30 décembre 1920) au titre de la motion Paoli et demeura à la SFIO au lendemain de la scission. Il fut élu suppléant à la commission exécutive de la fédération de la Seine le 25 juillet 1921.
Montagnon fut exclu de l’USTICA en mars 1921 sur la proposition de Roger Francq, secrétaire général pour avoir fait paraître sous le pseudonyme de Montbard dans l’information sociale des articles où il reprochait à ce dernier d’entraîner l’USTICA vers le Parti communiste.

À partir de 1923, il assura la représentation pour la France de Delatre et Frouard (machines-outils) et d’Erhard et Seamer, de la Sarre (machines-outils également) et il se fit moins remarquer au plan politique durant quelque temps.

Franc-maçon, affiliée au Grand Orient de France le 25 mars 1926, il fut reçu compagnon le 27 janvier 1927, puis maître le 23 février 1928. Il appartint à la loge L’Expansion française à partir de 1930. Parvenu au 3e degré, il exerça les fonctions de Premier surveillant et de délégué de loge.

En 1928, la SFIO le présenta dans la 1re circonscription du XVIIIe arr. (Grandes-Carrières), aux élections législatives. Montagnon, qui fit campagne pour une construction massive de logements, pour une politique de rationalisation de l’économie et un pour régénération du parlementarisme, recueillit 6 118 et 7 433 voix (27,4 et 33,3 % des inscrits) et fut battu par le candidat modéré Bussat (8 427 suffrages), le candidat communiste Touzet s’était maintenu et avait assuré ainsi sa défaite, ayant obtenu 3 647 et 2 664 voix.

Membre de la CAP comme suppléant en 1928 et 1930, secrétaire de la commission édition en 1930, Montagnon publia en 1929 Grandeur et servitude du socialisme dans une optique de révision du marxisme, influencé par H. de Man.

Aux élections législatives de 1932, il conquit le siège manqué en 1928, par 6 788 et 9 236 voix (28,7 et 39,1 % des 23 649 électeurs inscrits), contre Bussat (7682 et 8570), en dépit du maintien du communiste Legendre (3040 et 1844 voix). En juillet 1933, il demanda que le parti agisse dans un sens déterminé pour éviter la venue du fascisme et critiquait le parlementarisme “vieillot, qu’il faut à tout prix régénérer”, demandait une réorganisation de l’État. Il fut blâmé par la CEF de la Seine pour avoir apposé sa circulaire aux électeurs, s’apparentant à une affiche, sur les murs de l’arrondissement.

Cette même année, il fut un des chefs de file de la scission néo-socialiste : au congrès crucial des 14-17 juillet 1933 à la Mutualité, à Paris, le discours qu’il prononça, avec ceux de Marcel Déat et d’Adrien Marquet, fournit la matière d’un ouvrage, Néo-socialisme, vocable sous lequel on désignera le courant du nouveau parti, né de la scission, dont le nom exact était le Parti socialiste de France. Barthélémy Montagnon fut le secrétaire de la Fédération de la Seine de ce dernier, désigné le 25 novembre 1934 et dirigeait le journal Néo. Refusant de considérer le parti comme un but en soi, il exaltait la volonté d’action immédiate et dénonçait la « passivité pseudo-marxiste » de la SFIO. Dans ces années, il s’efforça de rassembler les « classes moyennes », conformément aux conceptions des « néos ».

En novembre 1935, il se rendit en URSS pour un voyage d’études. Barthélémy Montagnon ne se tint cependant pas à l’écart du mouvement de Rassemblement populaire et fut délégué par l’USR pour représenter le parti au Comité directeur du Front populaire, puis au comité d’organisation de la manifestation du 14 juillet 1935. Il le représenta encore, aux côtés de Paul Ramadier et de Georges Étienne dans les travaux de préparation du programme de la coalition unitaire. Député sortant, aux élections législatives de 1936, la campagne électorale fut très animée. Il reçut le soutien des radicaux-socialistes, mais les communistes et socialistes avaient fait de l’obstruction à plusieurs des réunions qu’il avait organisé, l’obligeant à annoncer qu’il se désisterait pour le candidat de gauche le mieux placé. Durant sa campagne, il attaquait régulièrement la responsabilité de Laval. Il recueillit 5 392 voix (22 % des 24 460 inscrits) sur 21 605 votants, devant le candidat SFIO (Rul) mais derrière le candidat communiste, René Colin (5 827) qui recueillit une partie de ses voix et l’emporta au second tour de scrutin. Il se désista pour lui au nom de la discipline républicaine.

Vice-président de l’USR en 1938, il reprit sa fonction d’ingénieur dans l’industrie et fut en 1938-1939, conseiller technique bénévole de la Confédération générale des classes moyennes.
Dès le début d’année 1930, rallié aux thèses pacifiste, favorable au rapprochement franco-allemand, Barthélémy Montagnon participa aux discussions qui conduisirent à la création du Comité France-Allemagne. En rapport régulier avec Otto Abbetz, il appartenait aux réseaux politiques et parlementaires de ce dernier. Le 30 novembre 1934, à la Chambre, il déclara qu’on « jugeait mal en France, l’Allemagne présente et qu’on n’avait pas compris ce qu’il y avait de curieux, de profond dans le mouvement hitlérien ».

À la déclaration de guerre, Barthélémy Montagnon fut nommé membre de la commission permanente du Conseil national économique et conseiller technique auprès du ministère du travail, où il représentait les cadres et classes moyennes. Après la chute du ministère Daladier, Frossard ministre de l’Information du cabinet Reynaud, lui proposa le poste de directeur de la presse et de la censure qu’il accepta. Il obtint la suppression de Je suis Partout en mai 1940, ce qui devait lui valoir de profondes inimitiés par la suite. Il suivit Frossard au ministère des travaux publics et assuma la direction du cabinet replié à Royan durant l’exode, puis fut nommé secrétaire général du ministère des Travaux publics, jusqu’au 15 juillet 1940. Après un passage par Bordeaux, il rentra à Paris.

Barthélémy Montagnon, lié à Déat et aux réseaux Abetz entra très vite dans la voie de la collaboration. Il accepta, à la demande de Déat et grâce au soutien de l’Ambassade d’Allemagne, d’être l’organisateur de l’Entraide d’hiver en octobre 1940 – il en fut secrétaire général sans traitement. La mission de cet organisme de secours consistait « à assurer l’aide aux populations de la région parisienne éprouvées par l’hiver, mais ses attributions sont systématiquement limitées : elle s’occupera du ravitaillement, du chauffage, de l’habillement et des soupes populaires, des foyers d’accueil, mais pas de secours en argent ni de l’action sociale réservées au secours national » (J.-P. Le Crom). Elle devait venir en aide à pas moins de 600 000 personnes sans travail ou dans le besoin. Mais, Montagnon refusa de mentionner l’assistance allemande à l’organisme dans le communiqué de presse, ce qui déplut à l’Ambassade. Il démissionna de cette fonction dès la fin du mois de décembre suivant, ce qui l’aurait éloigné de Déat selon lui. Son appartenance connue et dénoncée par la presse à la maçonnerie a-t-elle joué elle aussi un rôle dans ce retrait ? Les tensions avec le Secours national vichyste ont pu aussi jouer un rôle. Barthélémy Montagnon collabora un certain temps à l’Œuvre, journal mis par son directeur Marcel Déat, au service d’une politique de « collaboration » renchérissant sur celle du gouvernement de Vichy.

Fut-il un des fondateurs du Rassemblement national populaire (RNP) en février 1941 ? Assurément, malgré ses dénégations ultérieures, selon des notes de police et de nombreuses autres sources. Il participa à la réunion préparatoire en janvier 1941, mais, selon lui, refusa de s’engager et n’adhéra pas au rassemblement, en dépit des sollicitations de Déat et de ses anciens amis. Il se reconnaissait, dira-t-il plus tard, dans la politique intérieure de Déat (opposé à Vichy), mais n’acceptait pas la collaboration avec l’Allemagne. Il siégea au conseil central du RNP en janvier 1942, lequel comprenait les responsables des différents organismes associés, notamment Gabriel Lafaye et Georges Dumoulin pour le Centre syndicaliste de propagande, Édouard Chaux pour les Comités techniques, Desphelippon pour le Front social du Travail, lui-même représentait le Centre des classes moyennes. Il participa encore au Noël des enfants du RNP le 13 décembre 1942. Il adhéra en décembre 1941 au Cercle Européen, animé par des cadres du RNP, ayant comme parrains Edouard Chaux, président du Cercle et Marcel Déat.

Barthélémy Montagnon bénéficiait non seulement de relations importantes et des protections efficaces. Lorsqu’une perquisition fut faite chez lui, 6 square de Clignancourt à Paris, par la police française, le 4 février 1942, sous le contrôle d’un membre des services antimaçonniques de la Gestapo du Square Rapp, il fit état de ses amitiés avec Déat et de Brinon, de ses bons rapports avec Von Ribbentrop et l’ambassadeur Abetz. Le conseiller d’Ambassade Achenbach, adjoint d’Abetz, confirma qu’il était un collaborateur et jouissait « d’une bonne réputation auprès de l’Ambassade d’Allemagne ». Le conseiller Zeutschel, mis au courant de son allusion aux rapports avec des services allemands en présence de fonctionnaires français, estimait cette attitude « maladroite » et approuva le fonctionnaire SS qui estimait : « Il aurait été, à notre avis, préférable que dans des cas de ce genre, l’intéressé prit à part le fonctionnaire allemand et le mit au courant d’une manière discrète et effective, de ses relations ».

Ne voulant pas exercer dans des entreprises qui travaillaient pour l’Allemagne, selon lui, il se trouva dans une situation professionnelle difficile et demanda à entrer au ministère des communications où il occupa de la fin 1942 à février 1945 le poste de Chef des services des secours techniques.

Après la Libération, confondu avec son frère Paul Montagnon qui avait dirigé la Légion nationale populaire et avait siégé à la direction du Rassemblement, il fut arrêté le 5 juin 1945. Mais, il fut remis en liberté moins de deux semaines plus tard, le 18 juin. Une instruction fut ouverte contre lui par la Cour de Justice du département de la Seine, devant laquelle il fut défendu par Martinaud-Deplat. Il était soupçonné d’intelligence avec l’ennemi et accusé d’avoir été membre du RNP. La justice conclut qu’il n’aurait pas été membre du RNP, ayant été confondu avec son frère Paul. Son dossier fut classé sans suite à la date du 26 mai 1946.
Après la Libération du pays, ayant été lavé de ces accusations par la justice, il put réintégrer la 18e section de la Fédération de la Seine de la SFIO et participa activement dans les années suivantes à la CE des « Vétérans » du parti. Il publia un livre de souvenirs bien reçu par ses camarades. Le Populaire du 10 décembre 1966 lui accorda un cours article nécrologique et annonça ses obsèques civiles à Brioude.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article122853, notice MONTAGNON Barthélémy, Marius [Pseudonyme : Montbard] par Gilles Morin, version mise en ligne le 30 novembre 2010, dernière modification le 19 septembre 2017.

Par Gilles Morin

OEUVRE : Néo-Socialisme ? Ordre, autorité, nation, préf. de M. Bonnafous. Paris, Grasset, 1933 (en coll. avec A. Marquet et M. Déat). — De Jaurès à De Gaulle : Néo-capitalisme ? Néo-socialisme ? Paris, d’Halluin et Cie, 1969.

SOURCES : Arch. Nat., Arch. Nat., Z/5/148, témoignage du 11 mars 1945 et enquêtes ; Z/6/1917/334 ; 20010216/93/2707/277. — Arch. PPo, 77W118 ; GAM18. — Arch. Dép. Seine, D3 M2, n° 5. — Compte rendu du congrès sténographique du congrès de Tours. — G. Lefranc, Le mouvement socialiste sous la IIIe République. — Le Monde, 4 et 10 octobre 1969. — G. Lachapelle, Les élections législatives (1928, 1932, 1936), op. cit. — Z. Sternhell, Ni droite, ni gauche. L’idéologie fasciste en France, Seuil, 1983. — André Combes, La Franc-Maçonnerie sous l’Occupation, Paris, éditions du Rocher, 2001, p. 52. — Barbara Lambauer, Otto Abetz et les Français ou l’envers de la collaboration, Paris, Fayard, 2001. — Jean-Pierre Le Crom, Au secours maréchal ! L’instrumentalisation de l’humanitaire (1940-1944), Paris, PUF 2013. — DBMOF, tome 37, notice par Justinien Raymond.

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