MORGAN Claude, pseudonyme de LECOMTE

Par Jeannine Verdès-Leroux

Né le 29 janvier 1898 à Paris, mort le 12 novembre 1980 à Orléans (Loiret) ; militant communiste (1937-1958) ; directeur des Lettres françaises (1942-1950), rédacteur en chef d’Horizons (1950-1958).

Bien qu’il ait écrit que ses parents n’étaient pas "réellement" des bourgeois, Claude Morgan eut une enfance bourgeoise. Son père, secrétaire perpétuel de l’Académie française, gagnait sa vie en écrivant et sa mère avait son "jour" auquel se pressaient "les personnalités marquantes des lettres et des arts" (p. 68). Après des études au lycée Michelet, il passa avec succès le concours d’entrée à l’École supérieure d’électricité. Son frère ayant été tué pendant la guerre de 1914, il obtint d’être envoyé sur le front, après quelques mois à l’école d’élèves-aspirants de Fontainebleau : "Je ne vis aucun des mes compagnons mourir à mes côtés. L’aspect horrible de la guerre m’échappait" (p. 80). Il suivit ensuite les cours de l’École supérieure d’électricité et occupa un emploi d’ingénieur à partir de 1922. Mais très vite la littérature l’attira et il commença à publier dès la fin des années vingt. Fils d’un père dreyfusard qui avait collaboré à l’Humanité de Jaurès, il fut d’abord "séduit" par Maurras : "Écœuré par les compromissions et les combines politiques, je m’étais laissé séduire par le cran des hommes d’Action française et par les sophismes de Maurras. J’admirais Mussolini" (p. 81). Il écrivit alors des articles dans le Rempart. Mais découvrant — alors qu’il était ingénieur — le sort des ouvriers, il se sentit solidaire d’eux ; l’agression contre la République espagnole acheva sa conversion. Il adhéra au Parti communiste (1937), collabora à la revue les Volontaires, créée par Renaud de Jouvenel pour "combattre les Munichois". En 1939, il quitta son emploi d’ingénieur pour entrer à Ce Soir sur proposition d’Aragon et écrivit aussi dans Commune.

Il fit la guerre sur le front d’Alsace et, fait prisonnier, fut libéré en août 1941. Il entra dès son retour dans la Résistance ; il a évoqué cette décision comme un moment "d’allégresse" (p. 128). Affecté au mouvement de Résistance des intellectuels, il dut, après l’exécution de Jacques Decour (mai 1942) se charger de lancer seul les Lettres françaises (n° 1, 20 septembre 1943) ; il n’avait pas de lien avec le comité constitué par Decour, ni avec Jean Paulhan. Il reçut alors l’appui efficace d’Edith Thomas et constitua un comité de rédaction. En février 1943, le journal devint vraiment, selon lui, l’organe du Comité national des écrivains. Éluard y publia alors de nombreux poèmes ; à cette même époque, Sartre parvint à joindre Morgan qui a évoqué avec chaleur sa profonde volonté "de s’entendre et de servir". Mauriac à son tour accorda sa collaboration. À l’automne 1943, les Lettres françaises, de feuille ronéotypée, devint journal imprimé.

Très tôt, après la Libération, des dissensions vives apparurent. Dans le numéro du 10 novembre 1945, Claude Morgan attaqua le n° 1 des Temps modernes ; le 17 novembre 1945, il reprocha vivement à Mauriac son gaullisme et ses "calomnies" contre l’URSS. Le journal, bien qu’encore pluraliste, fit l’éloge de la brutale intervention de Jdanov sur la littérature (18 octobre 1946). En 1947 et 1948, Claude Morgan attaqua Jean Paulhan, le traitant de "terre-neuve de la collaboration intellectuelle" (29 janvier 1948) et le nom de Paulhan disparut pour près de vingt ans de la manchette du journal où il figurait comme fondateur aux côtés de Decour. Mais dans ses mémoires, publiées en 1979, Morgan consacra à Paulhan deux pages admiratives, louant autant son courage, son irréductible opposition au nazisme, que sa culture et sa séduction intellectuelle (pp. 143-144). Dans cet ouvrage, Morgan n’a pas apporté de point de vue critique sur l’orientation combattante que prit le journal et sur ses propres écrits. Reconnaissant "Kravchenko vous aviez raison" (pp. 39-40), il demeura discret sur ses interventions tant au cours du procès Kravchenko qu’au procès intenté par David Rousset aux Lettres françaises qui l’avaient calomnié à la suite de sa campagne sur les camps de concentration soviétiques. De sa longue direction des Lettres françaises, Morgan se souvint surtout de luttes qu’il dit avoir menées contre les sectaires et contre ceux qui l’évincèrent. Mais il sut aussi évoquer avec émotion quelques amis, en particulier Loys Masson qui fut, un temps, rédacteur en chef. Sa mise à l’écart en 1950 confirma cependant bien qu’il avait déplu et son affectation à la revue Horizons, journal du Conseil mondial de la paix, sanctionnait une disgrâce qui précéda de plusieurs années sa rébellion ; il vécut beaucoup à Prague pendant ces années-là.

Si l’exclusion brutale de Pierre Hervé le choqua et lui arracha une protestation écrite que l’Humanité réfuta sans la publier, c’est l’écrasement de la révolution hongroise qui le poussa vers la rupture. Au retour d’un voyage qu’il avait fait à Budapest pendant l’été 1956, il avait averti la direction du PCF de la révolte qui grondait en Hongrie : "Le peuple pressuré, colonisé, au bord de la révolte (...). Et partout l’angoisse (...). Les vols accomplis par les ouvriers eux-mêmes dans leurs usines tant la misère était grande" (p. 17). On ne l’écouta pas. Quand les événements éclatèrent, il protesta, bouleversé par les réalités mais aussi par la manière dont elles étaient travesties dans l’Humanité. Dès lors, il perdit non seulement la fraternité communiste ("14 novembre 1956 : je passe devant la Sainte-Inquisition (...). Dialogue de sourds" p. 26), mais son emploi.

Il recommença alors une autre vie, aidé en cela par des changements dans sa vie personnelle. Il écrivit, sous le pseudonyme de Claude Arnaud, des essais scientifiques. En politique, il resta "fidèle" à ses idéaux : il se passionna pour le Printemps de Prague et s’indigna de sa liquidation brutale ; de même vis-à-vis de l’expérience Allende. Il admira passionnément le combat des Vietnamiens. Il lut Soljénitsyne et constata : "La vérité de sa dénonciation du régime des camps, des prisons et des hôpitaux psychiatriques ne peut être mise en doute" (p. 229) mais il lui reprochait de ne pas s’en prendre seulement à Staline mais aussi à Lénine ; jusqu’à la fin de sa vie, le stalinisme lui apparut une simple "déviation". De même, admirant le livre d’Arthur London, l’Aveu, il critiqua le film qu’il jugeait anticommuniste et dont le triomphe lui semblait de "mauvais aloi". Il vit la Révolution culturelle chinoise avec enthousiasme (p. 43). Dans son dernier livre, il redisait qu’il était communiste et que par cette passion, il était "rattaché à l’avenir" (p. 227).

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article123152, notice MORGAN Claude, pseudonyme de LECOMTE par Jeannine Verdès-Leroux, version mise en ligne le 30 novembre 2010, dernière modification le 30 novembre 2010.

Par Jeannine Verdès-Leroux

ŒUVRE : Claude Morgan a publié dix romans entre 1929 et 1957 puis, sous le pseudonyme de Claude Arnaud sept essais scientifiques de 1957 à 1964. Voir en particulier : La marque de l’homme, Paris, Éd. de Minuit, 1944. Rééd., Ferenczi, 1946 (la première édition avait été publiée sous le pseudonyme de Mortagne). — Chronique des Lettres françaises, Paris, Éd. Raisons d’être, 2 vol. —Yves Farge, préface de F. Joliot-Curie, Paris, Éd. Français réunis, 1954.

SOURCES : Claude Morgan, Les Don Quichotte et les autres, Paris, Roblot, 1979 (c’est à cet ouvrage que les citations renvoient). — Unir-Débat pour le socialisme, n° 43, 10 janvier 1973. — Le Monde, 14/15 novembre 1980. — L’Humanité, 13 novembre 1980.

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