MOUTET Marius

Par Maurice Moissonnier, Roger Pierre

Né le 19 avril 1876 à Nîmes (Gard), mort le 29 octobre 1968 à Paris (XVIe arr.) ; avocat ; militant socialiste, député du Rhône et de la Drôme (1945-1947), conseiller de la République pour le Soudan (1947-1948), sénateur de la Drôme (1948-1968), ministre des Colonies et de la France d’outre-mer.

Fils d’un voyageur de commerce et d’une mère sans profession, après ses études de droit, Marius Moutet s’était inscrit au barreau de Lyon et, dès 1895, il milita dans les rangs des socialistes indépendants. En 1900, il fut délégué du Rhône et de l’Ardèche au congrès de Wagram.

Artisan de l’unité socialiste à Lyon, il lutta contre les manœuvres d’Augagneur qui, au lendemain du congrès d’Amsterdam (1904) s’efforçait de faire échouer le processus unitaire désormais engagé. Le 15 mai 1905, il représenta les indépendants qui s’étaient séparés d’Augagneur à la commission d’initiative chargée de mettre en place la fédération du Rhône du parti socialiste SFIO dont il allait être l’un des principaux militants. Il assista aux congrès nationaux de Paris (congrès d’unité, avril 1905) et de Chalon-sur-Saône, octobre 1905.

En 1904, candidat d’unité socialiste, il avait été élu du 2e arr. au conseil municipal de Lyon et, en 1905, il devint le conseiller général du quartier des tisseurs lyonnais : la Croix-Rousse.

Sa première candidature aux élections législatives date de 1902, dans la 3e circonscription de Lyon sous le drapeau de l’Alliance socialiste dirigée par Augagneur. Il échoua avec 702 voix.

En 1906, candidat SFIO dans la 5e circonscription, il subit un nouvel échec. Après la mort de Marietton en mai 1914, c’est lui que la fédération SFIO présenta aux élections partielles de la 6e circonscription (quartier de Vaise). Pour soutenir sa candidature Jean Jaurès prononça, le 25 juillet, son dernier grand discours (le « discours de Vaise »). Au cours de ce meeting, M. Moutet affirma que « le parti socialiste a le devoir de protester dans chaque pays contre la folie ruineuse des armements et de s’unir pour empêcher la guerre ». Au 1er tour, avec 3 616 voix, il était en ballottage. Le 30 juillet, il prit la tête, place Bellecour, d’une manifestation pour la paix que le préfet avait autorisée à condition qu’elle soit circonscrite géographiquement et limitée, dans son contenu, à quelques mots d’ordre strictement pacifistes. Le 2 août, cependant, dans sa circulaire pour le second tour, Marius Moutet s’affirmait prêt à soutenir toutes les mesures de défense nationale nécessaires. Il était alors un homme très en vue de la SFIO lyonnaise et, l’année précédente, le clou du Salon d’automne des artistes locaux était l’un de ses bustes.

Il fut élu en remplacement de Marietton et, en 1919, par 41 158 voix, confirmé dans son mandat. Dans l’intervalle, il s’était rallié corps et âme à la politique d’Union sacrée, et Abel Ferry dans ses Carnets secrets évoque ainsi son attitude lors du débat du 17 juin 1916 : « Moutet, député socialiste de Lyon, fut pris à ces paroles d’une crise mystique : frappant sur son banc, il jura, en paroles saccadées, fidélité à l’« union sacrée » (Grasset, 1957, p. 148).

À cette époque, il était lié d’amitié avec Aristide Briand qui lui confia une enquête sur les troubles qui agitaient le Sud constantinois.

Appelé par A. Briand, qui connaissait ses liens avec les émigrés russes et ses relations de famille, Marius Moutet se vit chargé d’une mission en Russie : convaincre le nouveau gouvernement russe de rester en guerre aux côtés de la France et la Grande-Bretagne. Avec Marcel Cachin et Ernest Lafont, Marius Moutet se rendit en Russie après avoir obtenu l’accord du Parti socialiste. Arrivés à Moscou le 1er mai 1917, ils furent reçus par le gouvernement provisoire, notamment par Milioukov, ministre des Affaires étrangères, et le Soviet des députés d’ouvriers et soldats où ils retrouvèrent Albert Thomas. De retour en France, Marius Moutet prôna la participation à la conférence de Stockholm organisée par des éléments pacifistes de l’Internationale socialiste, mais celle-ci n’eut pas lieu puisque le gouvernement français refusa les passeports aux délégués. C’est encore en 1917 que Marius Moutet défendit devant la Haute Cour Joseph Caillaux accusé de trahison. Il était membre du comité central de la Ligue des droits de l’Homme.

En 1920, lorsque se posa le problème de l’adhésion à la IIIe Internationale, il se trouvait à la tête de la minorité de la Fédération socialiste du Rhône et il signa, le 5 décembre 1920, avec Blum, Auriol, Renaudel, Pressemane et Longuet, le manifeste contre l’adhésion. Le 18 décembre, au congrès fédéral qui se tint à Lyon, salle de la mairie, rue de Sèze, il livra une ultime bataille, prônant la nécessité des tendances, accusant les partisans de la IIIe Internationale de nier le fait national, s’inquiétant des réticences des syndicats et du départ des "plus puissantes, des plus agissantes et des plus représentatives personnalités du mouvement socialiste". Ses arguments eurent peu d’effet et 14 mandats sur 101 se portèrent sur la motion Blum qu’il défendait.

Resté à la SFIO après son élection de 1919, il fut réélu en 1924 dans le Rhône sur la liste du Bloc des gauches conduite par Édouard Herriot (111 323 voix sur 193 540 suffrages exprimés), mais il fut battu en 1928 dans la 3e circonscription de Lyon par le candidat républicain socialiste (3 670 voix sur 10 357 suffrages exprimés).

Candidat en 1929, dans la circonscription de Romans (Drôme), au siège vacant en raison de la mort de Jules Nadi, il obtint au premier tour 5 946 voix sur 16 456 suffrages exprimés, et se plaça en seconde position derrière le réactionnaire Pouzin, ancien député. Le ballottage lui fut favorable, grâce au désistement de Bonnardel, maire pupiste de Romans , et il fut élu le 13 janvier 1929 par 9 281 voix contre 7 410 à son concurrent.

Ses bases électorales restèrent fragiles ; réélu en 1932 au second tour par 9 682 voix sur 17 105 suffrages exprimés, Marius Moutet perdit en avril 1936, par rapport au premier tour des élections précédentes 2 317 voix, au profit du candidat communiste, et il ne fut réélu que grâce au désistement de ce dernier. Cette situation électorale peut expliquer qu’à la différence de Jules Moch, député de Valence, et malgré les sollicitations de ses amis socialistes, Marius Moutet s’abstint d’intervenir dans la politique locale, refusant d’être tête de liste aux élections municipales et candidat au conseil général ; en 1937, il lui fut reproché par la section de Romans de ne pas intervenir publiquement en faveur d’Aimé Susini. Il évita en effet de s’opposer aux personnalités locales dont l’appui, ou au moins la neutralité, pouvait lui être utile aux élections législatives. Ainsi, en 1936, il fut secondé dans sa campagne par le conseiller général radical du Grand-Serre, contre lequel il avait précédemment refusé de se présenter aux élections cantonales bien qu’ayant toutes chances de l’emporter.

Spécialisé dans les questions algériennes et coloniales, Marius Moutet devint le 4 juin 1936 ministre des Colonies dans le premier cabinet de Front populaire présidé par Blum, et c’est ce même poste qu’il retrouva, le 13 mars 1938 dans le second cabinet Blum.

À la veille de la Seconde Guerre mondiale, Moutet se prononça nettement en faveur d’une politique de fermeté à l’égard des dictatures ; "chaque concession nous rapproche de la guerre", déclarait-il au congrès fédéral de Saint-Jean-en-Royans (14 mai 1939) ; il y défendit la motion Blum, mais elle n’obtint que 27 mandats contre 34 à la motion Paul Faure soutenue par René Brunet.

En juillet 1940, il figura au nombre des 80 députés qui refusèrent de déléguer leurs pouvoirs au maréchal Pétain, ce qui lui valut d’être interné à Vals-les-Bains (Ardèche) par le gouvernement de Vichy ; il se réfugia par la suite en Suisse et ne rentra qu’après la Libération. Le 23 septembre, il fut élu conseiller général du canton de Saint-Vallier (Drôme) avec 4 009 voix sur 7 911, et porté à la présidence du conseil général ; mais aux élections cantonales du 14 octobre 1951, il fut battu par le candidat MRP.

Il avait été élu le 21 octobre 1945 à l’Assemblée constituante, obtenant à la tête de la liste socialiste 19 880 voix sur 126 625 suffrages exprimés ; il y présida la commission des Territoires d’outre-mer ; réélu en 1946 à l’Assemblée législative, il abandonna bientôt son siège pour se faire désigner au conseil de la République.

Dans les gouvernements Félix Gouin (janvier 1946) et Georges Bidault (24 juin 1946), il assuma les fonctions de ministre de la France d’outre-mer de même que dans deux ministères présidés ensuite par les socialistes Léon Blum et Paul Ramadier (1946-1947). À ce titre, il joua un rôle important dans les négociations de Fontainebleau avec Ho Chi Minh, qu’il avait connu avant le congrès de Tours (décembre 1920).

Il fut signataire de l’accord rapidement remis en question par les événements et semble s’être laissé influencer par l’argumentation de l’amiral Thierry d’Argenlieu qui préconisait alors des solutions de force.

En 1947, il devint conseiller de la République, enfin, élu en 1948, sénateur de la Drôme, il conserva ce siège jusqu’à sa mort, malgré son âge avancé (voir Lucien Junillon).

Il se maria le 31 janvier 1901 à Lyon (3e arr.) avec Iakovlena (Anne) Matoussévitch, née à Mir (Minsk, Russie) le 30 mars 1877 et morte à Paris le 16 février 1926. Ils ont eu une fille, Marianne devenue Marianne Basch.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article123470, notice MOUTET Marius par Maurice Moissonnier, Roger Pierre, version mise en ligne le 11 septembre 2013, dernière modification le 9 octobre 2018.

Par Maurice Moissonnier, Roger Pierre

SOURCES : Arch. Dép. Drôme, M 89-90. — Centre des archives d’Outre-Mer (Aix-en-Provence), papiers Marius Moutet, 28 PA 1-28 PA 8. — Encyclopédie socialiste, Hubert-Rouger, Les Fédérations socialistes, op. cit. — L’Avenir socialiste, 30 juillet 1914. — Le Progrès de Lyon, 13-25 juillet 1917, 18-20 décembre 1920. — Le Populaire de Paris, 30 octobre 1968. — La Volonté socialiste. — D. Lejeune, "Les missions de la SFIO dans la Russie de 1917", Revue historique, n° 564, octobre-décembre 1987. — Démocratie nouvelle, juillet-août 1967. — Freddy Martin-Rosset, L’itinéraire politique drômois de Marius Moutet, Paris, 2012, L’OURS, 530 p. — État civil.

ICONOGRAPHIE : Hubert-Rouger, Les Fédérations socialistes II, op. cit., p. 494.

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