NICOD René, Marius

Par Justinien Raymond, Charles Sowerwine

Né le 18 juillet 1881 à Saint-Claude-sur-Bienne (Jura), mort le 14 mars 1950 à Oyonnax (Ain) ; comptable ; militant socialiste, coopérateur, puis communiste ; maire d’Oyonnax, conseiller général et député de l’Ain (1919-1924, 1936-1942), membre de l’Assemblée consultative provisoire en 1945.

René Nicod
René Nicod
Arch. Assemblée nationale

Fils d’Ulysse, Alexis Nicod, commis négociant et de Marie, Delphine Millet, sans profession. Au sortir de l’école primaire, René Nicod entra au collège de sa ville natale. Orphelin à quinze ans, il dut interrompre ses études pour travailler et subvenir à ses besoins. Il exerça diverses fonctions d’employé (clerc d’avoué, ouvrier pipier, imprimeur, comptable) et, très jeune, en 1898, dans le sillage d’Henri Ponard, rejoignit à la fois le mouvement socialiste créant, cette année-là, un groupe de Jeunesse dans sa ville natale et le mouvement coopérateur, fondant en 1908 « L’Aurore sociale » dont il fut élu secrétaire et qu’il fit adhérer à la Bourse des coopératives socialistes. Une société coopérative de consommation, sans appartenance aucune, avait déjà été créée à Oyonnax en 1899, qui poursuivit sans heurts son existence, parallèlement à celle de « l’Aurore sociale », sans qu’aucun rapprochement se fît, à l’exception de la réunion qu’elles organisèrent en commun en 1929. Il s’agissait de la conférence que donna Gaston Prache, membre du Conseil central de la FNCC et secrétaire fédéral du Nord, pour rendre compte du voyage d’études qu’il avait fait en juin en Union Soviétique, avec plusieurs militants coopérateurs français sous la conduite d’Ernest Poisson.

En 1901, Nicod s’installa à Oyonnax et prit la direction de l’Imprimerie coopérative où s’imprimait L’Éclaireur de l’Ain, organe de la fédération socialiste de ce département. Cette même année, il représenta sa fédération au congrès national de Lyon. Il représenta également la fédération unifiée au congrès de Chalon-sur-Saône (octobre 1905).

Disciple de Ponard, René Nicod voulut organiser sa Société selon les règles de ce qui fut plus tard appelé « L’École de Saint-Claude », consacrant les bénéfices à des œuvres collectives, dotant « l’Aurore » d’une Maison du Peuple pour les travailleurs de la localité (1912). Au 9e congrès de la coopération socialiste réuni à Paris en novembre 1912, les deux coopératives d’Oyonnax et de Saint-Claude, représentées par Henri Ponard, votèrent en faveur de l’Unité coopérative. Dès sa réélection au Parlement, en 1936, Nicod adhéra au Groupe parlementaire de la Coopération dont il fut nommé secrétaire adjoint (Mendès France étant secrétaire et Maxence Roldes président).

Devenu en 1912 secrétaire de la fédération socialiste de l’Ain, René Nicod fut mêlé aux grèves ouvrières d’Oyonnax et, sur faux témoignage, arrêté et condamné à six jours de prison pour outrage à la gendarmerie.

Jeune encore, René Nicod fut jeté dans des batailles électorales, sans espoir d’abord. En mars 1909, dans l’arr. de Belley, à une élection législative complémentaire, il recueillit 1 263 voix au premier tour de scrutin contre 8 119 au Dr Héritier, radical-socialiste, et 7 585 à Martelin, radical ; au scrutin de ballottage, Nicod ne retrouva que 880 voix. Dans l’arr. de Nantua-Gex, au renouvellement général de 1910, il obtint, aux deux tours de scrutin, 2 114 et 960 suffrages.

Antimilitariste, René Nicod avait mené une lutte active contre la loi des trois ans ; aussi, en 1914, était-il inscrit sur le carnet B. Néanmoins, il répondit à l’ordre de mobilisation et, le 24 novembre 1914, il écrivit à Pierre Monatte : « Je crois que notre devoir était de défendre notre pays contre l’invasion brutale de l’Allemagne (...) même si tous les torts avaient été de notre côté. » Il ajoutait d’ailleurs : « Tout en collaborant passionnément à l’œuvre de défense nationale, nous n’étions pas obligés d’oublier, même momentanément, ou de sembler oublier, que nous étions des internationalistes. »
L’un des premiers, sinon le premier, il s’éleva contre l’attitude du Parti socialiste dans la guerre. Dans l’Éclaireur de l’Ain du 4 octobre 1914, il publia une lettre ouverte qu’il avait envoyée à Édouard Vaillant dans laquelle il lui reprochait son attitude belliqueuse et son refus d’admettre une réunion avec les socialistes allemands. C’était là le « cri d’alarme à la France socialiste » jeté « du fond de la province », comme le dit Frossard au congrès de Tours. Cette lettre (publiée plus tard dans Le Mouvement ouvrier pendant la Première Guerre mondiale, t. 1 : De l’Union sacrée à Zimmerwald d’Alfred Rosmer) eut un certain retentissement, malgré les efforts de la direction socialiste pour étouffer le document. Nicod entra en correspondance avec Pierre Monatte. Ses écrits de l’automne 1914 publiés dans l’Éclaireur de l’Ain circulèrent au début de 1915 dans une brochure : Documents à faire connaître aux militants socialistes. Mais déjà, sans doute en raison de sa campagne tenace contre la guerre, Nicod était mobilisé.

Affecté au 23e régiment d’infanterie, qui tint les lignes au Ban-de-Sapt dans les Vosges, Nicod participa, comme chef de section, à l’attaque de l’Hartmannswillerkopf, le 21 décembre 1915. En 1916, il passa au 320e d’infanterie. En avril 1917, sa compagnie participa aux premiers combats à Verdun. En septembre, Nicod fut grièvement blessé au cours d’une contre-attaque. Il devait perdre l’usage de la main gauche (mutilé 50 %). Il reçut la Croix de guerre avec palme et la Médaille militaire et fut cité ainsi à l’ordre de l’Armée : « Sous-officier d’une grande bravoure et d’un sang-froid remarquable. A été blessé... en conduisant vaillamment sa section à la contre-attaque. »

La guerre terminée, Nicod remporta des succès électoraux répétés. Le 16 novembre 1919, en tête d’une liste socialiste d’un parti encore unifié, il fut élu député de l’Ain. Au congrès national de Strasbourg (25-29 février 1920) où il représenta seul sa fédération, il donna ses vingt-sept mandats à la motion du Nord préconisant le retrait du Parti socialiste de la IIe Internationale. Au congrès de Tours (25-30 décembre 1920) où se consomma la scission socialiste, Nicod défendit, sans succès, une motion qu’il avait fait accepter au congrès fédéral de Bourg par 47 voix contre 25. « La Révolution russe ne saurait être mise en cause », y déclarait-il, "mais la question de l’adhésion à la IIIe Internationale se trouve liée à des conditions d’admission et à l’acceptation de thèses doctrinales nouvelles sur lesquelles le parti a le devoir d’ouvrir un long débat au grand jour avant de prendre une décision définitive... « En conséquence, il proposait un ajournement de la décision sur l’adhésion internationale pour ne pas "réduire à néant les quelques chances qui subsistent de reconstruction. »

Nicod n’en suivit pas moins la majorité issue du congrès de Tours et, en 1921, organisa la Fédération communiste de l’Ain dont il fut l’animateur. Au scrutin de liste en 1924, il perdit son siège de député. En 1928, il se représenta comme candidat communiste dans la circonscription de Nantua-Gex. Il réunit 3 423 voix contre 8 377 à Paul Painlevé, républicain-socialiste et 5 031 à Mermod, candidat de droite. Ce dernier se retira et Painlevé l’emporta par 10 242 voix contre 3 477 à Nicod. Mais, cette année-là, ce dernier fut élu conseiller général pour le canton d’Oyonnax.

Sur le plan municipal, Nicod avait été élu avec toute sa liste en 1919 à Oyonnax. Il devint maire de la ville et devait le rester jusqu’à sa révocation par le gouvernement de Vichy en 1940, sauf durant une brève période en 1923 où il fut révoqué. Le 8 décembre 1922, en effet, le préfet de l’Ain avait suspendu Nicod et Jean-Marie Candor dit Arthur de leurs fonctions, puis les avait révoqués "pour violation flagrante et systématique de dispositions légales et réglementaires relatives à l’administration municipale et à la comptabilité des deniers publics". Le rapport visait spécialement l’administration de l’hôpital d’Oyonnax (voir H. Valeyre*). Il s’agissait du fractionnement des factures importantes en plusieurs lots afin de les payer sans passer par la préfecture. Nicod put présenter cette révocation comme un coup de main du Bloc national, car il fut en mesure de démontrer que telle avait été la méthode de l’ancienne municipalité de droite, pour éviter les retards dans le paiement de fournisseurs locaux. Tous les communistes donnèrent leur démission et firent campagne en bloc. Le 25 février 1923, tous furent élus avec huit colistiers nouveaux. La liste communiste eut une moyenne de 1 113 voix contre 1 022 à l’opposition. Les huit conseillers de droite furent battus et le conseil municipal d’Oyonnax devint un des rares de France entièrement composés de communistes et de quelques sympathisants, tels le docteur Jules Pernet*, qui prit les fonctions de maire pendant l’inéligibilité de Nicod. Cette victoire fut confirmée aux élections municipales des 3 et 10 mai 1925. Dès lors la liste de Nicod fut totalement composée de communistes, sauf le Dr Pernet, et fut élue (au deuxième tour), exception faite d’Augustin Piccinaly*. Ce fut un véritable triomphe, car l’opposition n’était pas seulement composée de la droite, mais aussi du Cartel des gauches, pour lequel la droite se désista au deuxième tour. Oyonnax demeura alors une forteresse communiste incontestée jusqu’à la Seconde Guerre mondiale : en 1929, la liste de Nicod gagna tous les sièges sauf trois au premier tour et les trois autres au second tour ; en 1935 toute la liste fut élue au premier tour.

Et c’est ainsi que la ville d’Oyonnax dut à René Nicod un parc municipal, des écoles maternelles de quartier, un hospice de vieillards, l’aménagement de l’hôpital et une action attentive aux besoins d’une population ouvrière.

Le 7 novembre 1927, Nicod était arrivé à Moscou en compagnie d’Augustin Piccinaly. De retour à Oyonnax le 7 décembre, il écrivit sur son voyage une longue série d’articles à la fois enthousiastes et sensibles aux problèmes du jeune État soviétique.

Autodidacte, Nicod avait une culture très étendue. Ainsi en 1932, il écrivit deux articles dans l’Éclaireur de l’Ain (des 24 et 31 juillet) sur la grammaire de l’Académie française. Il s’y révélait maître de toute une gamme de problèmes de la littérature et de la linguistique contemporaines. Nicod fut aussi un lecteur de toute la presse, même de langue anglaise. Il fit parfois des traductions d’articles du International Herald Tribune.

Non candidat à la députation en 1932, Nicod reprit la lutte dans la circonscription de Nantua-Gex en 1936. Avec 5 144 voix, il suivit de près Mermod, républicain indépendant, et devança largement les candidats socialiste (2 257), radical-socialiste (1 750), radical-indépendant (874) sur 19 966 inscrits. Au second tour, il fut l’élu du Front populaire par 9 009 voix contre 7 506 à Mermod. Sa participation à la vie parlementaire fut très active. En décembre 1937, à l’issue du congrès du Parti communiste qui se tint à Arles, Nicod entra à la commission de contrôle des finances du parti.

Vinrent la tourmente de 1939 et la signature du Pacte germano-soviétique. Contre ce dernier, Nicod s’éleva publiquement par affiches signées de son nom et de ceux de ses principaux collaborateurs. Il adhéra alors à l’Union populaire française et signa le manifeste publié par ses dirigeants. Il prit l’initiative de constituer le groupe parlementaire de l’UPF et le présida. Lorsqu’il prit en son nom la parole dans la discussion sur le budget, le 14 décembre 1939, il en profita pour protester contre la « répression aveugle » qui s’abattait contre les communistes.
Le 10 juillet 1940, à Vichy, il fut un des quatre-vingts parlementaires à refuser les pleins pouvoirs au maréchal Pétain. Peu après, il fut arrêté et incarcéré à la prison Montluc (Lyon). Il fut enfermé ensuite quelques mois à Saint-Paul d’Eyjeaux (Haute-Vienne) où, le 19 janvier 1942, il refusa d’être libéré « tant qu’un seul communiste d’Oyonnax restera interné ». Il fut ensuite détenu à Vals-les-Bains (Ardèche) et à Evaux-les-Bains (Creuse) d’où les FFI le libérèrent en juin 1944. Nicod regagna Oyonnax. Placé à la tête de la section MLN (Mouvement de libération nationale) d’Oyonnax, il demanda son adhésion au Front national. Elle fut acceptée à condition qu’il démissionnât du MLN et qu’il s’engageât à ne pas attaquer le PC. Ce qu’il fit. En novembre 1944, sa demande de réintégration au PC suscita une vive opposition des communistes de l’Ain. Admis à siéger à l’Assemblée consultative le 16 mars 1945, il rejoignit le Parti socialiste au cours du congrès fédéral du 28 juillet 1945. Il reconquit la mairie d’Oyonnax qu’il conserva jusqu’à sa mort et retrouva son siège au conseil général. À l’élection de la première Assemblée nationale, candidat en deuxième position sur la liste SFIO, il n’y eut qu’un seul élu. Il se consacra dès lors à ses mandats locaux.

La disparition de Nicod porta un coup à la position locale du Parti socialiste, preuve éloquente de la place qu’il occupait dans la cité. Celle-ci lui fit de grandioses funérailles et, au bord de sa tombe, le préfet de l’Ain lut un message du président de la République Vincent Auriol.

Il s’était marié le 9 août 1905 à Oyonnax avec Marie, Céline Buffaut.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article123926, notice NICOD René, Marius par Justinien Raymond, Charles Sowerwine, version mise en ligne le 30 novembre 2010, dernière modification le 16 avril 2020.

Par Justinien Raymond, Charles Sowerwine

René Nicod
René Nicod
Arch. Assemblée nationale

ŒUVRE : Outre à l’organe local L’Éclaireur, R. Nicod donna quelques articles à l’Humanité.

SOURCES : RGASPI, 495 270 1938 : autobiographie Oyonnax 24 octobre 1937, 5 pages sur papier à en-tête de l’Assemblée nationale ; réponses télégraphiques ; noté A (consulté par Claude Pennetier). — Arch. Ass. Nat., dossier biographique. — Hubert-Rouger, Les Fédérations socialistes I, op. cit., pp. 14-20. — L’Humanité, 8 mars 1909. — Parti socialiste SFIO 17e congrès national tenu à Strasbourg (25-29 février 1920). Compte rendu, p. VII et XIX. — Parti socialiste SFIO 18e congrès national à Tours (25-30 décembre 1920). Compte rendu, pp. 133, 156-160. — L’Éclaireur de l’Ain. — Comptes rendus des XVIIe et XVIIIe congrès nationaux Parti socialiste SFIO. — Le congrès de Tours, édition critique, op. cit. — Dictionnaire des parlementaires, op. cit. t. 7 ; Dictionnaire des parlementaires français, 1940-1968, t. 5. — G. Lachapelle, Les élections législatives, op. cit. — B. Pudal, Thèse, op. cit. — Franck Lacroix, Mémoires oyonnaxiennes : une ville dans le siècle, 2001. — Dominique Saint-Pierre, Dictionnaire des hommes et des femmes politiques de l’Ain de 1789 à 2003, Borg, 2003. — Le Journal, 23 octobre 1940. — Notes de Jacques Girault et de J. Chuzeville.

ICONOGRAPHIE : Hubert-Rouger, op. cit., p. 14. — L’Humanité, 12 et 24 décembre 1922.

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