NOGUÈRES Louis, François, Jacques

Par André Balent

Né le 4 octobre 1881 à Laval (Mayenne), mort le 5 mai 1956 à Bages (Pyrénées-Orientales) ; avocat ; secrétaire de la Fédération socialiste SFIO des Pyrénées-Orientales ; maire (1935-1956) et conseiller général (1934-1956) de Thuir, député de la circonscription de Céret (1938-1942) et des Pyrénées-Orientales (1945-1951) ; président de la Haute cour de justice à la Libération.

Louis Noguères (1881-1956)
col. André Balent

Fils d’une Nîmoise et d’un Catalan, Louis Noguères ne dut qu’au hasard de la carrière de son père, magistrat, de naître à Laval et de suivre ses études à Angers, Chambéry et Le Havre. Bachelier, il s’inscrivit à la Sorbonne et à la faculté de droit de Paris où il acquit une licence ès-lettres (1900), un diplôme supérieur d’histoire et une licence en droit. Peu après son arrivée au quartier Latin, il devint secrétaire du Groupe des étudiants collectivistes et, en 1904, présida l’Association générale des étudiants de Paris. La même année, il s’inscrivit au Barreau.

Louis Noguères qui fréquentait les cercles d’intellectuels socialistes de la capitale fit la connaissance de Jean Jaurès avec lequel il collabora pour la rédaction du tome 6 de L’Histoire de la Révolution française (le Consulat et l’Empire). C’est de cette époque que date son adhésion au socialisme. Il appartenait au courant possibiliste.

Bien qu’ayant été exempté du service militaire, Louis Noguères s’engagea le 4 août 1914 dans l’infanterie. Blessé et cité, il reçut la Légion d’honneur. Il termina la guerre dans l’aviation.

Avocat de la CGT, il se distingua au cours de plusieurs plaidoiries célèbres : en faveur de Bajot dans l’affaire Philippe Daudet ; pour le député Garat dans l’affaire Stavisky. En 1936, il accomplit, pour l’Association juridique internationale, une mission dans la Ruhr où des militants syndicalistes étaient poursuivis par Hitler.

Louis Noguères conserva toujours des liens avec le département d’origine de son père. Dans son enfance et pendant toute sa jeunesse, il venait passer ses vacances en terre catalane. Dans les années trente, il devait commencer une carrière politique dans les Pyrénées-Orientales, d’abord en tant que républicain-socialiste puis comme militant de la SFIO. Il entra au conseil municipal de Thuir à l’occasion d’élections complémentaires (11 janvier et 8 février 1931) à l’issue desquelles il fut élu maire de cette petite ville, "capitale" d’une région de coteaux plantés de vignes, les Aspres. Aux élections de mai 1935, il fut reconduit dans ses fonctions de premier magistrat de Thuir. La majorité des membres (dont il faisait partie) du conseil municipal élu en 1935 était socialiste SFIO. En octobre 1931, Louis Noguères avait été élu conseiller d’arrondissement de Thuir au second tour de scrutin par 1 586 voix contre 1 058 au radical Vacqué, sortant. En 1934, il était devenu conseiller général du canton de Thuir.

Dès 1931, Louis Noguères avait tenté d’entrer au Palais-Bourbon à l’occasion d’une élection partielle dans la circonscription de Céret. Au premier tour, il arriva en troisième position avec 3 912 voix derrière Joseph Parayre* (SFIO), Rocaries (radical) et devant Raoul Calas* (communiste). S’étant maintenu pour le scrutin de ballottage, il ne recueillit que 3 816 voix contre 7 531 à Parayre* et 925 à Calas. Aux élections législatives des 26 avril et 3 mai 1936, Louis Noguères, qui avait entre temps adhéré à la SFIO, se présenta dans la circonscription de Perpignan. Placé en troisième position à l’issue du premier tour, il se désista en faveur de Léopold Roque, candidat du PC battu de justesse au scrutin de ballottage par Delcos hostile au Front populaire.

Après la réunification de la Fédération socialiste SFIO des Pyrénées-Orientales à la fin de 1937, Louis Noguères occupa le poste de secrétaire fédéral. Il contribua au renforcement d’un parti ébranlé au plan départemental par une grave crise et amoindri par la scission du PSOP. L’élection de Joseph Paraye au Sénat allait permettre à Louis Noguères d’entrer au Palais-Bourbon. Au premier tour, il se plaça en tête de tous les candidats avec 5 751 voix. Ses concurrents, Demonte (radical), Terrat (communiste) et Vigo (PSF) obtenaient respectivement 4 643, 3 654 et 1 217 voix. Le 10 avril 1938, au scrutin de ballottage, Louis Noguères l’emporta avec 9 705 voix contre 2 008 à Vigo. Il avait bénéficié des désistements de Terrat et de Demonte. À la Chambre des députés, Louis Noguères fit partie de la commission des comptes et des économies, puis de celle de la législation civile et criminelle. Il s’y montra préoccupé par les problèmes des travailleurs (accidents et conditions de travail) et par ceux de son département (problèmes de viticulture, conséquences de la guerre civile espagnole et de l’afflux de réfugiés en janvier-mars 1939). Il aborda également les problèmes de l’amnistie.

Au conseil général des Pyrénées-Orientales, Louis Noguères innova en impulsant la création de la première enquête économique qu’entreprit de réaliser cette assemblée (1939-1940).

Louis Noguères fit partie des 80 députés et sénateurs qui refusèrent les pleins pouvoirs au maréchal Pétain le 10 juillet 1940. Dès lors, il n’allait cesser de lutter contre le nouveau régime et contre l’occupant nazi. La police surveillait sa correspondance : au début de 1941, elle intercepta une lettre où il faisait part de son hostilité à Vichy et aux régimes en place à Berlin et Rome, au maire d’Ortoffa qui fut déclaré "démissionnaire d’office" par le préfet. Le 6 février 1941, Louis Noguères avait été privé de son siège de conseiller général de Thuir en raison de son "attitude hostile à la rénovation nationale". Il fut également déchu de ses fonctions de maire. Le 1er mars 1941, à l’enterrement de Georges Pézières, sénateur socialiste SFIO qui, lui aussi, avait voté contre l’octroi des pleins pouvoirs à Pétain, Louis Noguères s’adressa à l’assistance en des termes vigoureux. Il termina son discours par ces mots : "Lorsque le territoire sera libéré et que les libertés républicaines seront restaurées, j’irai m’incliner alors sur la tombe de Pézières." Le même jour, en application de la décision du secrétaire d’État à l’Intérieur, le préfet des Pyrénées-Orientales, le capitaine de vaisseau de Belot, au vu du rapport établi par son chef de cabinet, l’enseigne Bruneau, le mit en résidence surveillée à Argentat (Corrèze) où il ne tarda pas à regrouper autour de lui des résistants. Dans une lettre datée du 27 septembre 1943, le préfet de la Corrèze signalait que Louis Noguères était alors astreint à résider à Florac (Lozère). Traqué par la Gestapo, il ne put s’échapper que grâce à une information de dernière heure fournie par un policier résistant. Désormais clandestin, Louis Noguères se réfugia à Villefranche-de-Rouergue (Aveyron). Il s’occupa de la presse clandestine régionale (le Populaire, Libération, Vaincre) qu’il alimentait de ses écrits.

À la Libération, Louis Noguères, membre de l’Assemblée consultative, fut désigné en octobre 1945, président de la Haute cour de justice. Ayant accompli à la présidence de cette haute juridiction une difficile mission qui lui valut critiques et éloges, il se consacra alors entièrement au département des Pyrénées-Orientales. Il fut réélu député le 10 novembre 1946.

Secrétaire fédéral de la SFIO dès 1945, Louis Noguères contribua plus que tout autre militant à la reconstitution de ce parti dans les Pyrénées-Orientales. Bénéficiant d’un immense prestige, porté en 1945 à la présidence du conseil général, il occupa sur la scène politique départementale une place comparable à celle qu’avait occupée entre 1921 et 1937 Jean Payra. En effet, le PC étant devenu, sous la IVe République, le premier parti du département, la SFIO se devait de l’isoler afin de conserver l’hégémonie. Sous la houlette de Louis Noguères, elle pratiqua dans les faits une politique de "troisième force" qui lui permit d’apparaître comme un rempart efficace contre le communisme et de récupérer les suffrages du MRP tout en maintenant son hostilité à un parti radical nettement orienté à droite et en maintenant sa vie durant des relations amicales avec le député communiste, André Tourné.

Louis Noguères assit son pouvoir politique sur un puissant réseau de petits notables de villages, le plus souvent adhérents à la SFIO. Il le légua à son ancien adjoint de la mairie de Thuir, Léon-Jean Grégory qui devait lui succéder comme maire. Au début des années cinquante, ce pouvoir fut contesté par Arthur Conte (futur président de l’ORTF) qui, ayant favorisé la reparution du quotidien l’Indépendant des Pyrénées-Orientales, interdit à la Libération, provoqua une scission de la Fédération socialiste SFIO des Pyrénées-Orientales. Cette "dissidence" mit en danger la fédération "orthodoxe" et menaça sérieusement les positions politiques de Louis Noguères.

Celui-ci avait reconquis dès septembre 1945 son siège de conseiller général. À la Libération, il avait été nommé président de la "délégation amalgamée" de Thuir composée de dix membres du comité local de Libération et de deux élus municipaux de 1935 (dont lui-même). Sans difficulté aucune, il récupéra ses fonctions de premier magistrat de Thuir dont il avait été privé par le préfet vichyssois. Aux élections législatives du 21 octobre 1945, il était en tête de la liste présentée par la SFIO dont il fut le seul élu. Il fut réélu député des Pyrénées-Orientales lors du scrutin du 2 juin 1946. Il ne se représenta pas aux élections législatives de 1951. Réélu au conseil général aux élections cantonales de mars 1949, il l’emporta aisément dès le premier tour. Président du conseil général des Pyrénées-Orientales depuis 1945, Louis Noguères avait décidé de consacrer tous ses efforts à l’animation de l’assemblée départementale. Il se représenta dans le canton de Thuir lors du renouvellement des conseils généraux des 17 et 24 avril 1955. Il fut à nouveau réélu dès le premier tour.

Au conseil général, Louis Noguères se montra soucieux des problèmes agricoles du département et de la promotion du tourisme. Il entreprit la restauration de quelques-uns des plus importants monuments historiques du département, notamment le palais des rois de Majorque à Perpignan (que le conseil général acheta à l’armée) et les abbayes romanes de Serrabone et Saint-Michel-de-Cuxa.

Louis Noguères mourut un an après sa triomphale réélection au conseil général. Il était le père d’Henri Noguères.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article124103, notice NOGUÈRES Louis, François, Jacques par André Balent, version mise en ligne le 30 novembre 2010, dernière modification le 11 juillet 2022.

Par André Balent

Louis Noguères (1881-1956)
col. André Balent

ŒUVRE : Collaboration au t. 6 de L’Histoire socialiste de la Révolution française (le Consulat et l’Empire). — Le véritable procès du maréchal Pétain.Siegmaringen, la dernière étape. — La Haute cour de la Libération (ouvrage posthume).

SOURCES : Arch. Dép. Pyrénées-Orientales, 2 M 5/289, 302-303. — Le Cri socialiste, 1930-1940 puis après 1945. — Le Travailleur catalan, 1936-1939 puis après 1945. — Dictionnaire des parlementaires français, t. 7, Paris, 1972. — Tramontane, numéro spécial publié en hommage posthume à Louis Noguères, n° 392-393, août-septembre 1956. — R. Bernis, Les Pyrénées-Orientales sous la IVe République, Thèse de droit dactylographiée, Montpellier, 1971. — Le livre d’or des quatre-vingt. — Témoignage d’Henri Noguères.

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