NORDMANN Joë (par Claude Willard)

Par Claude Willard

Né le 26 janvier 1910 à Mulhouse (Haut-Rhin), mort le 12 novembre 2005 à Neuvéglise (Cantal) ; avocat communiste.

Issu d’une vieille famille juive alsacienne, Joë Nordmann dont le père, avocat à Mulhouse, appartint à l’Alliance démocratique, fit ses études secondaires à Mulhouse. À seize ans, il entra à la faculté de droit de Strasbourg. Après deux ans d’études, pendant l’été 1928, en réaction contre son "ghetto" bourgeois, il partit sans un sou tenter l’expérience du travail salarié. Embauché chez Brandt, à Saint-Ouen, il adhéra à la CGT Après cette "expérience" sans lendemain, il s’inscrivit pour sa troisième année de droit à Paris. Il habitait rue Daubenton et fréquentait rue Mouffetard "La Maison pour tous", gérée par des catholiques membres du Sillon. À dix-neuf ans, il fit ses débuts comme avocat stagiaire chez son père à Mulhouse, plaidant ses premières affaires en correctionnelle et aux assises.

En 1930, au cours d’un séjour de six mois à Berlin, il rencontra une américaine communiste, qui l’incita à faire un voyage en URSS et il en revint assez enthousiaste. En 1932, grâce aux relations de son père, il entra comme avocat stagiaire chez Vincent Auriol, dont il resta le collaborateur jusqu’en 1939. En même temps, il poursuivit son itinéraire vers le communisme : il lisait assidûment G. Plekhanov ; et un jeune communiste qui fréquentait comme lui "La Maison pour tous" l’entraîna à l’Université ouvrière dès sa fondation en décembre 1932, université où enseignaient Georges Politzer et Georges Cogniot. Enfin, l’avocat communiste Georges Pitard l’aborda, par hasard, dans les couloirs du Palais et lui demanda de participer aux travaux de l’Association juridique internationale (AJI) ; il le présenta à Marcel Willard qui en était l’inspirateur et l’animateur. En 1933, Joë Nordmann adhéra au Parti communiste, mais il ne rendit pas cette adhésion publique, en raison de sa collaboration avec V. Auriol (qui, lorsqu’il l’apprit, ne se sépara pas de son collaborateur) : il ne participa pas aux travaux de la "fraction des avocats communistes" mais milita activement, sous le pseudonyme de Joë, dans le VIe arr. (alors qu’il habitait dans le IVe).

L’AJI et le SRI (Secours rouge international) lui confièrent plusieurs missions. Dès 1933, il assista à un des premiers procès hitlériens contre les communistes, à Neuköln. En 1936, il fut envoyé en Roumanie et en Grèce. En 1937, il retourna en Allemagne pour le procès de l’abbé Rossaint et essaya de susciter en Grande-Bretagne un mouvement de solidarité contre l’exécution d’Edgar André. Par l’intermédiaire de Marcel Willard, il devint l’un des principaux avocats de l’Espagne républicaine, notamment pour empêcher que l’or évacué par le gouvernement légal ne tombe entre les mains de Franco.

Fantassin de 2e classe, Joë Nordmann fut mobilisé à la frontière de la Sarre. Après le 10 mai 1940, son genou ne supportant pas les longues marches de la retraite, il fut hospitalisé. En permission de convalescence, il voulut reprendre le combat en Afrique du Nord et passa à la nage la Bidassoa. Arrêté par la Garde civile, il fut interné six mois dans le camp de Miranda del Ebro. Grâce à une mission américaine, il réussit à se faire rapatrier. Arrêté en France comme déserteur (il était passé en Espagne la veille de l’armistice), il fut libéré et démobilisé à sa demande sur Paris grâce à Léo Hamon qui lui procura une fausse carte d’identité. Sans contact avec le PCF pendant la drôle de guerre, puis à Toulouse dans l’attente de son retour à Paris, il poursuivit son action de propagande communiste.

À Paris, René Hilsum lui permit de retrouver le contact avec le PC, en mars 1941, par l’intermédiaire du docteur Bauer (médecin à Saint-Ouen). Celui-ci, peu après, lui assigna la tâche de fonder le Front national des juristes. Joë Nordmann recruta aussitôt Renée Mirande et prit contact avec le bâtonnier de Paris, J. Charpentier. Dès le 3e trimestre de 1941, il rédigea de la première à la dernière ligne le premier numéro du Palais libre (mais qui ne sortit qu’en mars 1943). Progressivement le Front national des juristes s’étoffa et le n° 3 du Palais libre compta une dizaine de collaborateurs, dont le bâtonnier Charpentier. Le FN des juristes organisa une manifestation imposante au Palais de Paris, le 11 novembre 1943. Pour élargir la résistance judiciaire, conduite de façon unitaire par le FN, Joë Nordmann constitua avec trois magistrats et deux avocats le Comité national judiciaire représentant toute la résistance judiciaire. Dès les débuts de l’insurrection parisienne, Nordmann fut l’un des quatre premiers occupants (avec Marcel Willard, Pierre Kaldor et Solange Bouvier-Ajam) du ministère de la Justice, le 19 août 1944. Nommé directeur du cabinet de Marcel Willard (secrétaire général provisoire à la Justice), il fit procéder à des promotions de magistrats et arrêter de grands "collaborateurs économiques" (Renault, Lehideux, Mirabaud). Par la suite, pendant un an et demi, il garda un bureau au ministère, comme membre de la Commission de la justice du CNR. Il fut membre des commissions d’épuration de la magistrature, de confiscation des profits illicites, de réforme du code d’instruction criminelle.

Joë Nordmann fut invité par le ministre De Menthon à s’asseoir, au procès de Nüremberg, à la table du Ministère public français. À la suite de contacts avec les représentants des quatre puissances alliées, il fonda à Paris, en octobre 1946, l’Association internationale des juristes démocrates, dont le président fut d’abord René Cassin. Secrétaire général de l’AIJD, Joë Nordmann signa, à l’hôtel de ville de Stockholm, l’appel contre la guerre atomique. Dans une plaidoirie prononcée à Alger, en 1953, avant l’insurrection, il déclara que l’Algérie serait indépendante, puis il plaida pendant la guerre d’Algérie pour les combattants poursuivis devant les tribunaux militaires. Il conduisit personnellement des missions de solidarité en Espagne franquiste, en Grèce, au Portugal, en Viet-Nam en guerre, au Chili dès le putsch de Pinochet, en Bolivie, au Paraguay. Succédant à P. Cot comme président de l’AIJD, il prononça en 1984, à New York, devant l’ONU, un grand discours pour le désarmement.

Avocat communiste, Joë Nordmann prit part à la plupart des grands procès politiques : il fut notamment l’avocat de Jacques Duclos (avec Willard) lors du "complot des pigeons", puis celui des Lettres françaises contre V. Kravchenko, celui enfin des victimes de la manifestation contre la guerre d’Algérie au métro Charonne. Il fut l’avocat du Parti communiste marocain et de son secrétaire général Ali Yata, de la Confédération du travail du Maroc, de l’État albanais devant la Cour internationale de justice de La Haye, de l’OLP contre les assassins de son représentant en France Ezzedine Kalak, de dirigeants du Parti Toudeh. Il plaida aussi contre les monopoles pétroliers et les De Wendel. Avocat de la FNDIRP, il joua un rôle extrêmement actif dans la bataille juridique qui aboutit à l’imprescriptibilité puis à la poursuite en France du crime contre l’humanité, enfin à la décision de la Cour de Cassation du 20 décembre 1985 élargissant aux résistants la notion de "crimes contre l’humanité". D’où sa place dans le procès contre Klaus Barbie.

Joë Nordmann a été décoré de la Légion d’honneur, de la Croix de guerre et de la rosette de la Résistance.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article124148, notice NORDMANN Joë (par Claude Willard) par Claude Willard, version mise en ligne le 30 novembre 2010, dernière modification le 17 juin 2020.

Par Claude Willard

ŒUVRE : Joë Nordmann et Anne Brunel, Aux vents de l’histoire, Actes Sud, Arles, 1996, 380 p.

SOURCE : Entretiens de l’intéressé avec Claude Willard.

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