Par Jean Baubérot
Né le 13 janvier 1859 à Versailles (Seine-et-Oise), mort en 1940 ; professeur à l’EPHE ; évangéliste protestant ; fondateur de l’Union des socialistes chrétiens.
Professeur à l’École pratique des hautes études, Paul Passy fut un des inventeurs des méthodes structurales en phonologie.
Fils de l’économiste libéral Frédéric Passy, membre de l’Institut, Paul Passy, après avoir reçu une éducation bourgeoise et républicaine, se convertit au protestantisme le 29 décembre 1878 et ne tarda à devenir un évangéliste bénévole très actif de l’Église baptiste, Église minoritaire du petit protestantisme français, aux conceptions plutôt fondamentalistes. Selon lui, sa « conversion religieuse » entraîna sa « conversion sociale », ses « campagnes d’évangélisation » le mettant en contact avec le « peuple ». Il faut noter aussi l’influence du mouvement protestant du « christianisme social » (fondé en 1888 par une équipe de pasteurs) et le choc de l’affaire Dreyfus : il adhéra à la Ligue des droits de l’Homme dès sa création.
En 1898, Paul Passy devint membre du petit groupe socialiste de Bourg-la-Reine qu’il représenta l’année suivante au congrès socialiste. Il obtint en 1902 une déclaration du Parti socialiste français affirmant la liberté de croyance dans la publication protestante, l’Avant-garde. En 1906, Il adhéra au Parti socialiste SFIO Par ailleurs, au congrès du Christianisme social à Genève, il défendit le collectivisme face au coopérateur Charles Gide.
En 1908, Passy et un autre universitaire protestant Raoul Biville fondèrent l’Union des socialistes chrétiens (USC). Il s’agissait de regrouper les « personnes (...) qui voient dans les principes socialistes la traduction la plus pratique du programme évangélique en termes économiques ». Et les statuts précisaient ces « principes socialistes » : « entente et action internationale des travailleurs ; organisation politique et économique du prolétariat en parti de classe, pour la conquête du pouvoir et la socialisation des moyens de production et d’échange, c’est-à-dire la transformation de la société capitaliste en une société collectiviste ou communiste ».
Cette nouvelle organisation rassembla quelques centaines de membres, majoritairement protestants, en France, en Suisse et en Belgique. Elle forma des militants comme André Philip.
A la suite d’une avance sur héritage, Passy créa en 1909 la colonie agricole de Liéfra (abréviation de Liberté-Égalité-Fraternité) près de Fontette dans l’Aube. Là se pratiquait un semi-collectivisme, fondé sur la « loi de Moïse » (Lévitique, 25). La terre, propriété collective inaliénable était soit exploitée de façon commune, soit répartie en lots familiaux, proportionnels au nombre des membres de chaque famille exploitante. Une révision des lots tous les dix ans devait permettre de maintenir l’égalité de valeur. Des problèmes de recrutement et les difficultés inhérentes au maintien d’un îlot de ce type dans une société capitaliste entravèrent le développement de cette création.
Dans la publication de l’USC, l’Espoir du Monde, Passy prôna, en 1913, la « désertion en masse » comme réplique à la loi des trois ans. Il fut temporairement révoqué de son poste à l’École pratique des hautes études. Cependant, il estima, pendant la Première Guerre mondiale (où il perdit un fils adoptif) que la France était en position de légitime défense. Et très vite, il se montra antibolchevique ce qui provoqua l’apparition d’une tendance communisante au sein de l’USC, puis une scission et la création de l’Union des communistes spiritualistes du pasteur Henri Tricot en 1928 (voir Maurice Laudrain).
Estimant qu’il fallait vivre dans la « pureté de l’Église apostolique », Paul Passy critiquait certains aspects du machinisme. Il refusa d’utiliser un certain nombre de produits industriels, alimentaires ou pharmaceutiques qu’il estimait frelaté ou malsains. Après certains accidents de la route, il organisa des conférences « contre la tyrannie des écraseurs et des capitalistes, pour le Christ et pour le peuple ». Il fut, par ailleurs, adepte du naturisme et favorable à un certain féminisme (il fut l’un des premiers professeurs de la Sorbonne, lors de sa nomination en 1894, à admettre des femmes à ses cours).
A la fin de sa vie, Paul Passy apparait quelque peu dépassé : l’évolution des socialistes chrétiens vers des thèses radicales sous le Front populaire, heurta ses sentiments antiléninistes. Il resta, quant à lui, un socialiste idéaliste et un protestant anarchiste.
Par Jean Baubérot
SOURCES : P. Passy, Souvenirs d’un socialiste chrétien, 2 t., 1930 et 1932. — J. Baubérot, Le retour des huguenots, la vitalité protestante au XIXe et XXe siècle, Paris-Genève, Le Cerf-Labor et Fides, 1985. — Id., Un christianisme profane ? le périodique chrétien-social l’Avant-garde, PUF, 1978 (Bibliothèque des Sciences religieuses de l’ÉPHE).