PERRIN Jean [scientifique]

Par Jacqueline Eidelman

Né le 30 septembre 1870 à Lille (Nord) ; mort le 17 avril 1942 à New York (États-Unis). Élève à l’École normale supérieure de la rue d’Ulm. Docteur es-sciences en 1897. Nommé professeur de chimie-physique à la Sorbonne en 1910. Membre du conseil de l’université de Paris en 1921. Membre de l’Académie des sciences en 1923 et président en 1936. Prix Nobel de physique en 1926 pour ses travaux sur la structure discontinue de la matière. Sous-secrétaire d’État à la recherche scientifique (1936, 1937, 1938). Président du Haut Comité des recherches scientifiques en 1939. Mis à la retraite le 30 septembre 1940. Inhumé au Panthéon en novembre 1948.

Né dans une famille modeste originaire de la Lorraine et du Boulonnais, Jean Perrin passa son enfance et adolescence à Lyon où son père, capitaine d’artillerie, tenait garnison. Il poursuivit ses études secondaires à Paris, où il entra en mathématiques spéciales à Janson-de-Sailly et eut pour professeur Paul Lacour et pour condisciple Armand Duportal dont il épousa la sœur Henriette. Ils eurent deux enfants : Aline qui épousa le peintre Charles Lapicque et Francis qui marcha sur les traces de son père et devint en 1951 haut commissaire à l’Énergie atomique.

Quand débuta l’Affaire Dreyfus, Jean Perrin était agrégé-préparateur à l’École et avait déjà publié aux comptes rendus de l’Académie une première étude sur les rayons cathodiques apportant, « par un talent expérimental remarquable » (L. de Broglie), la première preuve directe de l’existence des électrons. Il s’engagea, l’un des premiers jeunes normaliens avec Paul Langevin de quelques années son cadet, dans le camp des dreyfusards : il fut l’un des signataires de la première protestation des intellectuels. Il se mit à fréquenter la librairie Péguy-Bellais rue Cujas, et, dans le droit fil, participa au mouvement des universités populaires.

Un socialisme républicain, telle aura été la constante d’une position dont l’adhésion au Comité de vigilance des intellectuels antifascistes (1934), le soutien manifeste à P. Rivet lors de l’élection municipale de mai 1935, le discours prononcé au stade Buffalo le 14 juillet de la même année au nom du Rassemblement populaire portent témoignage. Mais encore, selon une conception courante parmi les intellectuels engagés dans les UP, il conçut dès lors l’accès à la « Nouvelle Espérance » comme rétribution d’une confiance absolue en la science : « Le destin des sociétés humaines et le mouvement même de l’Histoire décrivent en réalité le progrès de la découverte » (J. Perrin, 1931).

Au moment de la Première Guerre mondiale, il fut appelé par le ministre et mathématicien Paul Painlevé à prendre en charge les recherches intéressant la défense nationale où il mit au point des appareils de détection acoustique. Mais surtout, contribuant à ce que Painlevé appela, en temps de guerre puis en temps de paix, la « mobilisation scientifique », il participa au comité d’administration de l’Office national de la recherche industrielle et scientifique et des inventions (ONRI), confié à Jules-Louis Breton au lendemain de l’armistice. Il prit cependant ses distances avec cet organisme pour se préoccuper de l’organisation de la recherche « pure ». Son premier discours sur ce thème eut lieu en 1921 lors du gala donné à l’Opéra en hommage à Marie Curie. Mais c’est en tant que directeur de l’Institut de biologie physico-chimie, créé en 1926 grâce au mécénat d’E. de Rothschild, qu’il développa avec son collègue le physiologiste A. Mayer l’idée d’un Service national de recherches : l’organisation de la profession de chercheur (il imaginait un corps de chercheurs et ses divers grades) s’érigeait sur la prise d’autonomie vis-à-vis de l’université et le monopole de l’activité de recherche sous l’égide d’un organisme étatique et centralisé indépendant des intérêts de l’industrie.

Il en soumit l’avant-projet à l’Académie des sciences en 1930. Dans le même temps, il trouvait l’appui de Herriot (ils étaient de même promotion à l’École), qui défendit le projet à la Chambre, et de Jacques Cavalier, directeur de l’Enseignement supérieur, qui s’entremit auprès de Tardieu. Il obtint ainsi l’alimentation de la Caisse nationale des recherches (créée la même année et dont il était président) en fonds importants (14 millions de francs) dont une large part serait destinée au recrutement des nouveaux chercheurs. En mars 1933, il lançait à l’Académie des sciences une pétition en vue de la transformation de la commission technique de la Caisse en Conseil supérieur de la recherche scientifique. Le principe de cette transformation fut obtenu en 1933 (le décret fut signé par de Monzie) et les premières élections de ce qui devait constituer la clef de voûte de toute l’organisation de la recherche en France eurent lieu en avril et mai 1934. Poursuivant ses efforts, il obtint du ministre Mario Roustan, en octobre 1935, la création de la Caisse nationale de recherche scientifique qui prenait en charge la gestion des subventions accordées pour la recherche aux universités et aux autres établissements scientifiques.

En juin 1936, « s’autorisant d’une vieille amitié », il se rendit chez Léon Blum pour lui demander de réserver, dans le nouveau gouvernement, une place à la « Recherche et à la Découverte ». C’est, d’accord avec Perrin, que Blum créa le sous-secrétariat à la Recherche scientifique et qu’il y appela Irène Joliot-Curie. Perrin prendra la succession de la physicienne quelques mois plus tard. A ce poste, il obtint que le budget de la recherche fût porté à 26 millions et que fût créé, en décembre 1936, le Service national de la recherche dont il confia la direction au biologiste Henri Laugier. Parallèlement, il entreprit la réforme de la recherche « industrielle », mettant à la retraite le directeur de l’ONRI et créant en lieu et place le Centre national de la recherche appliquée (1938). Cet organisme, tout d’abord œuvrant en liaison avec le Service sous les directives d’un Haut comité de coordination des recherches scientifiques présidé par Perrin, fut finalement totalement absorbé dans la structure unique qui se mit en place le 19 octobre 1939 sous le nom de Centre national de la recherche scientifique.

La philosophie de l’action de Perrin en matière d’organisation de la recherche reposait sur cette « conviction intime » : la recherche, uniquement motivée par une curiosité gratuite, est « par un retour singulier » à l’origine de toutes les inventions à caractère utilitaire. Primauté de la « science pure » et priorité à la « recherche de l’inconnu », tels furent les soubassements à la création du CNRS. En cela, Perrin s’opposait aux tenants d’une recherche industrielle inspirée du modèle tayloriste et visant « des mesures précises relatives à des phénomènes déjà connus » (tels Henri Le Chatelier) ; mais aussi, il se démarquait des hérauts de l’invention et du « génie français » (tels J.-L. Breton et George Claude).

L’une des formes les plus représentatives d’un contexte idéologique, la conception de Perrin se faisait l’écho de la philosophie de Léon Brunschwicg qui situait le rationalisme moderne (particulièrement celui des physiciens atomistes et relativistes) non pas du côté du matérialisme mais de celui de l’idéalisme : « La conception scientifique de l’atomisme, toute matérialiste à son origine s’en est détachée pour apparaître comme une attitude permanente de la pensée, une manière de voire le monde, une méthode » (L. Brunschwicg, 1921-1922). Mais aussi, elle offrait un bon support à la réhabilitation de l’image de la science compromise par les prises de positions belliqueuses des savants allemands lors de la Première Guerre mondiale (manifeste dit des 93). A l’issue du conflit, la science « atteinte mortellement dans ses ambitions sociales et comme déshonorée par la cruauté de ses applications » (P. Valéry) incarnait le principal péril pour la culture : « l’après-guerre a converti l’homme de science en un nouveau paria social » (Ortega y Gasset). Aussi bien, lorsque Perrin entendit fonder la professionnalisation de la recherche sur une activité qui se donnait pour but d’ignorer ses futures applications, se situa-t-il d’emblée sur le plan des valeurs centrales de la société. S’il envisageait les rapports du scientifique et du politique, c’est en mettant ce dernier au service du premier : le scientifique « voyant par métier » était en mesure de guider le politique relégué à la seule fonction « d’organisateur » travaillant « selon un plan mouvant qui change constamment avec le progrès scientifique » (J. Perrin, 1931).

Une telle éthique de la recherche trouvait sa légitimité autant parmi les corps savants (il avait été élu président de l’Académie des sciences en 1936) que parmi la classe politique dont les membres les plus influents appartenaient à cette « république des professeurs » brocardée par Thibaudet. Aussi bien une telle profession devait-elle sa position à l’influence d’une élite qui répondait d’elle. Perrin fît fond sur un réseau qui passait par le Centre international de synthèse (dirigé par Henri Berr), l’Institut international de coopération intellectuelle (présidé par P. Valéry) et la Confédération des travailleurs intellectuels (créée sous l’impulsion d’Henri de Jouvenel), lui permettait d’ancrer la « politique de la science » dans un « système culturel » qui œuvrait à la régénération des élites, à l’unité de la culture et à la réorganisation de la direction de l’État.

C’est dans cette perspective qu’il est possible de considérer la création du Palais de la Découverte, dont la genèse débute fin 1934 dans le cadre des commissions préparatoires à l’Exposition internationale des arts et techniques dans la vie moderne qui se tiendrait à Paris en 1937. Établissement conçu d’emblée comme devant survivre à l’Exposition, le Palais de la Découverte se présentait comme le paradigme d’une nouvelle muséologie des sciences largement influencée par les pédagogies actives alors en plein essor. « Musée moderne de la science vivante constamment renouvelé et complété » (1934), il entendait substituer à la muséologie traditionnelle centrée sur l’objet une muséologie de la démonstration-en-direct à laquelle le visiteur était appelé à participer.

Pourtant, dans sa phase de réalisation, il muta progressivement en « Louvre de la science » (1938), donnant la primauté aux fonctions de sacralisation et de consécration ; la théâtralisation d’une recherche « pure » et d’essence expérimentaliste, devant susciter une « connexion intellectuelle » au moyen d’une diffusion du « goût pour les vérités expérimentales » (C. Bouglé, 1922), était largement contrebalancée par une représentation de la science comme savoir incontroversable à même de satisfaire le plébiscite de la politique de la science prônée par J. Perrin.

L’image d’un Palais de la Découverte, « Université populaire plongeant ses racines dans le peuple de Paris » (J. Perrin, 1938) promue par le Front populaire, se trouve dès lors relativisée. Elle cède le pas à la réalité d’un musée de circonstance, préface didactique du CNRS en gestation. Anticipant de quelques mois l’institutionnalisation de celui-ci, le Palais inauguré le 25 mai 1937 passait de l’état de prototype d’un « musée durable » au statut d’établissement culturel permanent par le décret-loi du 17 juin 1938.

En juin 1940, Jean Perrin gagna l’Afrique du Nord. En liaison avec la Résistance, il revint pendant un an à Lyon puis partit aux États-Unis où il mourut. Sa dépouille mortelle fut ramenée à Brest le 17 juin 1948 à bord du Jeanne d’Arc. Avec celle de Paul Langevin, elle fut veillée au Palais de la Découverte et transportée au Panthéon le 18 novembre 1948.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article125719, notice PERRIN Jean [scientifique] par Jacqueline Eidelman, version mise en ligne le 30 novembre 2010, dernière modification le 3 décembre 2020.

Par Jacqueline Eidelman

ŒUVRE : Les Principes, Gauthiers-Villars, 1903. — Les Atomes, Alcan, 1913 (rééd. PUF, 1948). — Les éléments de la physique, Albin-Michel, 1930. — La Recherche scientifique, Hermann, 1933. — Grains de matière et de lumière, Hermann, 1935. — L’Organisation de la recherche scientifique en France, Hermann, 1938. — A la surface des choses, Hermann, 1940-1941. — La Science et l’Espérance, PUF, 1948. — œuvres scientifiques de Jean Perrin, CNRS, 1950.

SOURCES : A. Ranc, Jean Perrin, Un grand savant au service du socialisme, Éd. de la Liberté, 1945, préface de Léon Blum. — Louis de Broglie, Savants et découvertes, Albin Michel, 1951. — F. Lot, Jean Perrin et les atomes, Seghers, 1963. — Camille Marbo, A travers deux siècles. Souvenirs et rencontres, Grasset, 1968. — M.-J. Nye, Molecular reality : a perspective of scientific work of J. Perrin, Mac Donald, 1973. — J. Eidelman, La création du Palais de la découverte. Culture scientifique et professionnalisation de la recherche dans l’entre-deux-guerres, Th. sciences humaines, Sorbonne, 1988. — Pascal Ory, La politique culturelle du Front populaire français (1935-1938), Th., Université Paris X-Nanterre, 1990, 4 vol. — Archives du CNRS et du Palais de la Découverte.

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