PETIT Robert, Gaston, Gustave

Par Patrice Ville

Né le 21 juin 1893 à Saint-Symphorien, commune de Tours (Indre-et-Loire) ; mort le 3 février 1951 à Budapest (Hongrie) ; employé dans une fabrique de tissu puis dans une compagnie d’assurance à Paris ; secrétaire au grand quartier général durant la grande guerre puis de l’état major de la mission militaire envoyé en Russie en 1917 ; membre du bureau du groupe communiste français de Moscou en 1918-1919, puis employé par le comité exécutif de l’Internationale communiste comme rédacteur de la Correspondance internationale dés 1921 à Berlin et à Paris à partir de 1926 ; administrateur en 1947 de la revue dirigée par Jacques Duclos, Démocratie Nouvelle ; permanent du Parti communiste français.

Fils de Gustave Petit, sellier, et de Valentine Guérin, couturière, Robert Petit écrit : « Tiraillé entre les sentiments syndicalistes de mon père et ceux, catholiques, de ma mère, je n’eus aucune vie politique jusqu’à mon départ au régiment. Mais, pour concilier leurs sentiments divergents, mes parents me firent syndiquer, dès l’âge de quinze ans, au syndicat catholique des employés. »

Ces informations sur la vie de Robert Petit ont été livrées dans une autobiographie destinée à la commission des cadres et écrite en juillet 1937. Elles illustrent parfaitement le cas de bon nombre de militants ouvriers du début du siècle dont la mère était catholique pratiquante et le père socialiste révolutionnaire. Cependant la destinée de ce fils de cheminot parisien (ouvrier sellier) et de couturière tourangelle, aîné de six enfants, plongé dans le monde du travail après l’obtention de son certificat d’études est à bien des égards exceptionnelle.

Adolescent, il continua les études après ses journées de travail (employé comme facturier dans une maison de tissus du Sentier). Grâce à ces « cours du soirs », il devint à dix-huit ans un véritable « col blanc » et travailla dans une compagnie d’assurance au service du courrier d’abord, puis au contentieux. Ses qualités de dactylographe lui valurent d’être appelé à remplir les fonctions de secrétaire d’état-major aux débuts de la guerre. En 1915, il entra — toujours comme secrétaire — au grand quartier général à Chantilly. Il y fit la connaissance du normalien et slavisant Pierre Pascal qu’il allait bientôt retrouver en Russie.

Bien que n’ayant jamais combattu (il avait été réformé temporaire lors de son service militaire en 1913), le soldat Petit voyait sa vie bouleversée par la guerre. En 1917, il fut troublé par la répression des mutineries qu’il suivait de près à travers les dossiers de la justice militaire. Sans doute une première crise morale l’affecta. Patriote et « homme du peuple », il préférait peut-être défendre son pays à l’étranger afin d’être tenu à l’écart de ces conflits. Les événements russes allaient lui en donner l’occasion après un échec pour une demande de départ en Syrie. Avec la révolution de février, la décomposition de l’armée du grand allié à l’Est de l’Europe prenait une tournure dramatique. L’armée française décidait de reprendre les choses en main en complétant la mission militaire française déjà sur place par l’envoi d’une nouvelle et imposante mission de 200 officiers commandée par le général Niessel.

Robert Petit débarqua avec cette dernière à Pétrograd (Saint-Pétersbourg) en septembre 1917. Les événements se précipitèrent avec la prise du pouvoir par les bolcheviks en novembre, ce qui posait les problèmes militaires en termes nouveaux. L’éloignement géographique du pays, les faibles moyens de communications de l’époque, le désarroi et l’impéritie des chancelleries diplomatiques devant ce tout nouveau gouvernement soviétique donnèrent à la mission militaire française des responsabilités politiques accrues. Fallait-il ignorer les bolcheviks ou négocier avec eux ? Les soldats Robert Petit et Marcel Body, le lieutenant Pierre Pascal et le capitaine Jacques Sadoul entre autre se trouvèrent au cœur de péripéties politico-militaires où les initiatives individuelles prirent une importance exceptionnelle. Les contacts personnels avec les bolcheviks jouaient en leur faveur : le caractère solide de ces hommes et leur exigence morale tranchaient étonnamment avec la faiblesse, l’égoïsme et le mépris dont faisaient preuve la colonie mondaine des ambassadeurs et notables français devant ce chamboulement des valeurs.

Entraîné par Jacques Sadoul et Pierre Pascal, Robert Petit adhéra en octobre 1918 au groupe communiste français de Moscou fondé deux mois auparavant (30 août 1918) par Jeanne Labourbe et Inessa Armand. Il quitta la mission militaire française et consacra ainsi son temps à la défense de la révolution russe. Ses qualités étaient ainsi mises au service de la propagation des idées communistes en Europe. Grand ami de Pierre Pascal dont il tapait tous les textes et traductions au point d’être pris pour son secrétaire personnel, il travailla également dès cette période au commissariat des Affaires Étrangères dirigé par Tchitchérine (en 1921 il y était relieur), puis pour l’Internationale communiste créé en mars 1919. Il fit aussi avec Pascal quelques incursions à la Tchéka (police politique bolchevique) où s’activaient d’autres membres du groupe communiste comme René Marchand, Raoul Chapoan et Henri Guilbeaux.

Le groupe communiste de Moscou fit paraître de nombreux tracts, brochures et journaux dont le plus important était le journal IIIe Internationale. Les textes de J. Sadoul, P. Pascal (P. Veyrières), Body (J. Laurens), Inessa Armand (E. Blonine) et Niourine étaient en partie dactylographiés par Robert Petit. Le 19 juin 1920, avec d’autres membres du groupe, il prit part à une réunion du comité exécutif durant laquelle Lénine s’entretint avec Marcel Cachin et L.-O. Frossard, les émissaires du Parti socialistes français venus négocier une adhésion de leur parti à l’Internationale communiste.

« Bob », le « gamin de Paris » apprécié de tous fut pour longtemps éloigné de la France — il rentra en 1926 — alors qu’il aurait voulu y revenir au plus vite. A Moscou, il s’éprit d’une militante, membre du groupe communiste, Marie-Louise Jeanniot (voir Marie-Louise Petit) qui resta sa compagne de cœur et de lutte pour la vie. Membre du bureau du groupe communiste en 1919, il fut mêlé à une sordide histoire d’argent, « l’affaire du trésor de l’ambassade », qui allait définitivement empoisonner l’atmosphère d’un groupe aux rapports déjà très tendus.

La Tchéka avait fait main basse sur des sommes d’argent (francs et roubles) ainsi que du platine (métal rare et utile pour le matériel de guerre à l’époque) lors de perquisitions aux consulats français de Pétrograd et de Moscou. Les membres du groupe travaillant avec la Tchéka parvinrent à se faire remettre une partie de ces sommes qu’ils pensaient utiliser pour aider les Français nécessiteux en Russie et organiser une propagande intense en France. Air du temps, les autorités politiques (Parti communiste russe, Internationale communiste, gouvernement bolchevique) — pas plus que Djerzinski — n’en surent rien. Robert Petit agît avec beaucoup de légèreté en indiquant ce « trésor de guerre » à Marcel Body, de retour d’une mission en Ukraine et en lui proposant de se servir. Il faut dire qu’en l’absence de Sadoul, Marchand et Body, le groupe avait décrété que ces fonds lui appartenaient en propre puisqu’ils étaient « propriété du peuple français » !

Jacques Sadoul, durement malmené par Henri Guilbeaux (entraînant les autres dans son sillage) depuis l’arrivée de ce dernier en mars 1919, prit sa revanche en dénonçant le groupe devant le comité central du parti russe. Robert Petit le traita de « dernier des chiens » dans une séance orageuse. Il dut comme les autres subir un interrogatoire individuel mené par Boukharine et Eléna Stassova, secrétaire du comité central du parti russe — Sadoul l’ayant accusé d’être « un catholique pratiquant ». Une enquête de la Tchéka dévoilait aussi quelques indices sur son éventuelle participation à une autre affaire nommée « l’affaire des Géorgiens joueurs de cartes » et on l’accusa d’avoir spéculé sur des « bons Kérenski »...

Même si ce scandale se termina bien — Djerzinski fit devant le comité central un rapport innocentant tout le monde —, elle laissa des traces. Le groupe fut dissous et reconstitué sur d’autres bases (recommandation personnelle) et Robert Petit, tout comme Pierre Pascal, ne put désormais faire partie du bureau. Il conserva de tout cela certainement un très pénible souvenir, ce qui explique sa très brève allusion dans sa lette autobiographique : « ..Certes, au sein de notre groupe français de Moscou, les relations n’étaient pas toujours très cordiales. Plusieurs fois des membres influents du PC de Russie durent venir faire la loi dans nos réunions. Dissentiments avec le camarade Sadoul, d’abord, puis avec la camarade Suzanne Girault et Guilbeaux. » Et d’un trait de plume il donne à ces faits un caractère presque ordinaire : « dissentiments bien fréquents, du reste, au sein des groupes d’étrangers dans l’émigration. »

La création d’un Parti communiste en France et la fin de la guerre civile russe ayant entraîné la disparition de tous les groupes étrangers en Russie, Robert Petit fut désormais employé à d’autres tâches. Le 7 septembre 1921, il partit s’installer à Berlin « désigné pour fonder l’Imprekor avec le camarade Julius et Victor Serge ».

A Berlin fut en effet créé le Bureau de l’Internationale communiste pour l’Europe de l’Ouest (WEB). L’Imprékor ou Internationale Presse Korrespondenz (Correspondance Internationale) publiait en 3 langues (Allemand, Français et Anglais) des articles destinés à la presse ouvrière européenne.

De 1921 à 1926, il occupa constamment l’emploi de rédacteur à la Correspondance Internationale, à Berlin d’abord, puis à Vienne (peut-être aussi à Zurich). Pendant cette période, il ne cessa de retourner en Union soviétique, notamment lors des congrès de l’Internationale communiste pour travailler à la section de presse. Mais ses « fonctions berlinoises » le plaçaient avant tout dans ce « rôle de relais » entre la direction du Parti communiste français et l’Internationale communiste. Avec Victor Serge, il « recevait copie des lettres que Boris Souvarine transmettait à Zinoviev et Trotski ».

En 1926, Robert Petit rentra à Paris où il continua son travail de rédacteur aux éditions françaises de la Correspondance Internationale ; vraisemblablement en début d’année, car il se rappela plus tard que « c’était lors du Cartel des Gauches ».

« Ma rentrée fut sans histoire — écrivit-il par la suite, 24 heures de détention, un mois de liberté provisoire, puis non-lieu de la condamnation à mort qui m’avait été infligée par contumace en 1919, ainsi qu’à mes quatre camarades, par un Conseil de guerre. »

Il prit contact avec Pierre Monatte qu’il jugea « amer et doctrinaire » et rencontra Nicolas Lazarévitch par l’intermédiaire de Marcel Body séjournant en France. S’il déclara en 1937 avoir sans cesse défendu la ligne de l’Internationale Communiste, l’ayant « toujours considérée comme parfaitement juste », il s’interrogea néanmoins à cette époque avec son vieux camarade Body sur la nécessité de « régénérer le parti actuel ou en fonder un nouveau ».

En novembre 1926, lors de son dernier voyage en URSS, il revit Pierre Pascal qui avait pourtant pris depuis longtemps ses distances avec le régime soviétique. Cette distance se muant en opposition, il cessa toute relation avec ce dernier en 1928.

« J’eus l’occasion de rencontrer de nombreux camarades des différentes directions du Parti français et eus avec eux les meilleures relations » écrivit Robert Petit dans son autobiographie. Et il ajoutait : « Mais lorsque certains d’entre eux quittèrent le parti ou en furent exclus, je n’eus jamais ni l’intention ni l’occasion de les revoir ; »

Cette phrase en dit long sur l’état d’esprit d’un homme qui dut rompre avec ses fortes amitiés de jadis en raison de divergences politiques. C’est par esprit de sacrifice poussé à l’extrême que Robert Petit rejeta ses vieux amis avec lesquels il partagea beaucoup. La plume chargée d’émotion, il ne peut s’empêcher d’évoquer ces hommes dont il se sentait si proche. Alfred Rosmer, d’abord, à propos duquel il écrit : « Longtemps je crus qu’il nous reviendrait » et Boris Souvarine ensuite dont les relations de bonne amitiés, depuis leur premiers contacts à Moscou tournèrent en « dispute constante » après les retrouvailles de Paris en 1926.

Mais ce fut surtout la rupture avec Marcel Body et Pierre Pascal, ses amis du groupe communiste français de Moscou qui l’affectèrent le plus. Il en parle en termes extrêmement affectueux : « Pascal. Il était mon meilleur ami, mon frère. C’est lui qui m’amena au parti ». « Body. — Il fut mon second ami de la révolution. Son tempérament, sa fougue méridionale me plaisaient ». Et Robert Petit de conclure : « Aucune de ces ruptures ne se fit facilement. Mais éduqué par la rude école de Moscou, j’ai rapidement compris que je ne pouvais conserver ces amitiés et rester au parti. La discipline l’emporta sur l’affection ».

Ainsi sa fidélité sans faille à la discipline du parti lui permit-il de bénéficier de l’entière confiance de l’Internationale communiste. Installé par la suite avec Marie-Louise Jeanniot 288 rue Jean Jaurès à Maisons-Alfort (Seine), ville dont le maire était Albert Vassart, il accueillait « les communistes de passage », comme Wilhem Pieck, après 1933.

Dans son autobiographie il souligne — comme les autres militants interrogés — son constant retrait des fractions et autres groupements qui se constituèrent dans le parti français. Il insiste sur son absence de contacts politiques, absorbés qu’il était par ses tâches de « journaliste ». Il s’en prend à Suzanne Girault qui — en tant que dirigeante aurait eut à son égard une attitude malveillante et au « renégat Maurin » (voir Joaquin Maurin) qui fut à Paris directeur des Éditions Europe-Amérique dont lui, Robert Petit, aurait été « le propriétaire ».


Arrêté dés le début de la guerre, il fut ensuite malgré les réfutations de Daladier sur son compte, « dirigé » vers le camp de Baillet (Seine-et-Oise) puis vers celui de Saint-Benoît (Loiret). En juin 1940, il s’enfuit du camp où il était interné et rejoignit sa compagne installée dans un petit village de l’Indre.

Engagé comme journalier chez des fermiers de la région, Robert Petit — avec l’aide de sa femme Marie-Louise née Jeanniot — participa activement à l’organisation sur place de la résistance.

En janvier 1947, le Parti le nomma administrateur et secrétaire de rédaction de la revue Démocratie Nouvelle dirigée par [ Jacques Duclos.

Envoyé en Hongrie pour y suivre un traitement médical, il mourut le 3 février 1951. Sur sa tombe, au cimetière de Budapest, une inscription rapporte : « Ici repose en terre amie, Robert Petit mort à l’âge de cinquante-sept ans. Il a consacré toute sa vie à notre cause commune ».

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article125903, notice PETIT Robert, Gaston, Gustave par Patrice Ville, version mise en ligne le 3 septembre 2014, dernière modification le 5 février 2019.

Par Patrice Ville

SOURCES : Arch. Moscou, RGASPI : arch. du Komintern, dossier Robert Petit, fonds 495, inventaire 270, dossier 7851 ; arch. du Parti communiste russe. Secrétariat du Comité Central, section générale, fonds 17, inventaire 65, dossier 105 et dossier 106. — M. Body, « Les groupes communistes français de Russie, 1918-1921 », Contributions à l’histoire du Komintern, Genève, 1965. Réédité aux Éditions Allia, 1988. — Marie-Louise Petit, « Les Français dans la Russie de la Révolution », Cahiers du communisme, n° 10-11, 1967. — Ludmilia Zak, Des Français dans la révolution d’Octobre, Éditions sociales, 1976. — L. Zak, Ani prédstavlaäali narod fransouzski (ils représentèrent le peuple français), Moscou 1977. — Pierre Pascal, Mon journal de Russie (4 tomes de 1916 à 1927), 1977-1982. — Marcel Body, Un piano en bouleau de Carélie, mes années de Russie, 1917-1927, Hachette, 1981. — DBMOF, J.-L. Panné, Notice sur Robert Petit, tome 38, 1990. — Georges Bardawil, Inès Armand, J.-C. Lattès, 1993. — Notes de Claude Pennetier. — État civil en ligne 6NUM8/239/013 image 10.

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