PEYRE Tony

Par Jean Nizey

Né le 10 mai 1921, à Roche-la-Molière (Loire), mort le 25 novembre 1997 à La Talaudière (Loire) ; jardinier puis cimentier dans le bâtiment ; militant de la JOC ; syndicaliste Force-Ouvrière dans la Loire.

Tony Peyre
Tony Peyre

Son père, Gabriel, ouvrier boulanger, mourut en 1928, à 37 ans, des suites de la guerre de 1914-1918, et des mauvaises conditions de travail dans la boulangerie, laissant une veuve, née Ema Barret, ménagère, et deux jeunes orphelins. Tony Peyre fut alors ballotté d’écoles en orphelinats et en pensions... Après son CEP, obtenu à 13 ans, il entra en apprentissage dans l’horticulture et en trois ans obtint le diplôme de maître jardinier.

Entre temps, en 1935, il avait adhéré à la Jeunesse Ouvrière Chrétienne (JOC) et s’était enthousiasmé pour les mouvements sociaux de 1936. Mais les conquêtes sociales n’étaient pas applicables à l’horticulture, assimilée à l’agriculture, et les semaines de plus de soixante heures de travail continuèrent comme avant !

Aussi, à l’automne 1937, avec un compagnon adulte, il se rendit à la Bourse du travail demander l’aide de la CGT, pour changer cette situation. L’établissement d’un cahier de revendications fut relativement facile, tandis que le débrayage et la grève dans les entreprises horticoles, dont beaucoup étaient de petit taille, s’avérèrent plus difficiles à mettre en route : cependant la grève fut déclenchée, sans doute l’une des premières des ouvriers horticulteurs stéphanois... Le travail reprit au bout de trois semaines, quelques améliorations étant obtenues, mais les meneurs furent licenciés et de fait, exclus de la profession par la Chambre patronale. Il devint alors cimentier dans le bâtiment.

Début 1939, Tony Peyre fut choisi comme président de la section jociste de la Ricamarie, et comme membre dirigeant de la Fédération de Saint-Étienne, avec le souci de développer la Fédération de la Vallée de l’Ondaine, qui s’étendait aussi au nord du département de la Haute-Loire.

Sous l’occupation allemande, suite à l’ordonnance du gouvernement de Vichy, d’octobre 1942, instituant le Service du Travail Obligatoire (STO) en Allemagne, Tony Peyre, pour s’y soustraire, chercha à se cacher chez des paysans à la campagne et à rejoindre un maquis en constitution en Savoie... sans succès ! Il fut donc contraint de partir en Allemagne. En Silésie, peu après son arrivée, il participa à l’organisation d’un réseau dans la région de Breslau, comptant plus de cent cinquante groupes, dont les objectifs étaient le soutien moral des déportés et prisonniers, la démoralisation des populations allemandes de l’arrière et le freinage de la production. En décembre 1943, le chef de la sûreté du Reich, Kaltenbrunner, déclencha la répression contre les organisateurs de ces réseaux qui s’étaient multipliés. Plusieurs centaines d’entre eux furent arrêtés, emprisonnés, transférés dans des camps de concentration dont certains ne rentrèrent pas.

Tony Peyre rentra en France le 15 juillet 1945. Il eut une seule fois l’occasion de revoir son frère Denis, lui aussi jociste, syndicaliste et résistant, qui après avoir combattu sur le front en Italie, mourut en occupation en Allemagne.

De l’automne 1945 à l’été 1947, il entra au secrétariat national de la JOC, avec la responsabilité des régions Rhône-Alpes et Auvergne. Les campagnes nationales menées à cette époque visaient la désignation de délégués des jeunes dans les entreprises et l’octroi de semaines supplémentaires de congés payés aux jeunes travailleurs : d’où la loi de 1946, octroyant une semaine supplémentaire de congés aux moins de 21 ans, et quatre semaines aux moins de 18 ans.

En septembre 1947, il entra au Centre de Formation Professionnelle Accélérée (FPA) du Bâtiment ; il reprit l’action syndicale, et fut élu délégué du personnel et nommé délégué syndical du Syndicat CGT du Bâtiment, au sein du Centre. Mais, suite à la lecture d’un pamphlet : "Où va la CGT ?", que Pierre Monatte avait publié en mai 1946, dans la Révolution Prolétarienne, il s’engagea dans la tendance "Force Ouvrière", qui, au sein de la CGT, luttait pour l’indépendance du syndicalisme et contre la mainmise du Parti communiste sur cette centrale.

En novembre 1947, ce parti déclencha dans toute la France des grèves insurrectionnelles, en contradiction avec les décisions du Comité confédéral National de la CGT, qui avait prévu de lancer une consultation écrite auprès de tous les cégétistes avant tout mouvement. Tony Peyre s’opposa à l’embrigadement des stagiaires du Centre dans les troupes de choc chargées de faire débrayer de force les travailleurs des chantiers et des usines : les dirigeants communistes l’exclurent alors de ses postes de délégué.

Lorsqu’intervint la scission dans la CGT, il fut, à 26 ans, le plus jeune membre de l’Union Départementale Force Ouvrière de la Loire, chargé de lancer le nouveau syndicat dans le Bâtiment - fondé au début de janvier 1948 - et dans diverses autres branches du secteur privé. Lors du congrès constitutif de l’Union départementale de la CGT-Force Ouvrière, le 4 avril 1948, il fut élu secrétaire permanent et il fut réélu en mars 1949 ; le secrétaire général étant Jean Merlaton. Mais lors d’un congrès tenu le 25 novembre de la même année, il succéda à J. Merlaton à la tête de cette union départementale. Ce mandat lui fut renouvelé ensuite chaque année, jusqu’en 1957, où il dut cesser complètement ses activités, par suite d’un grave surmenage, qui le mit dans l’obligation de changer de rythme de vie.


Les militants de Force Ouvrière de la Loire ayant quitté la CGT avec peu de syndicats majoritaires, si ce n’est dans la Fonction et les Services publics, se trouvaient sans moyens financiers, ni matériels. Il leur fallut beaucoup d’efforts et de ténacité pour regrouper les travailleurs lassés des comportements des militants communistes, en des centaines de nouveaux syndicats. En mars 1950, Tony Peyre, lança un journal mensuel Le Syndicaliste libre, avec le concours d’Urbain Thevenon (voir ce nom), qui retrouva les accents de L’Action syndicaliste d’avant 1938. Ce journal fut diffusé à 15 000, puis à 20 000 exemplaires.

Dès septembre 1948, Tony Peyre avait participé avec Franc et Duperray, secrétaires du Syndicat National des instituteurs (SNI) au lancement du Cercle d’études syndicalistes, réunissant une fois par mois des militants de toutes les organisations syndicales. Cette initiative fit tâche d’huile à Grenoble, Lyon et en d’autres départements ; et des rencontres régionales furent organisées. En mars 1952, cela déboucha au plan national sur le comité du Cercle Pelloutier, où parmi une dizaine de constituants, on trouvait la signature de Tony Peyre, à côté de celles de Pierre Monatte et d’Urbain Thevenon (qui furent ses "maîtres ès syndicalisme", l’un au plan national, l’autre au plan local).

Au cours des années 1949-1950, fut mis sur pied, à Saint-Étienne, le Comité de liaison Intersyndicale de la Loire pour la Coordination des Organisations Syndicales Libres, qui visait à prendre des initiatives, et à en garder le contrôle, lorsqu’elles étaient engagées avec la participation de la CGT. Le protocole d’accord de ce comité fut signé par Tony Peyre pour FO, René Mathevet (voir ce nom) pour la CFTC, Antonia Lafond et Jean Duperray pour la FEN et le SNI. Plusieurs actions importantes furent organisées et soutenues par ce Comité :

- une grève d’avertissement de 24 heures, le 25 novembre 1949 : elle fut largement suivie à Saint-Étienne, où un meeting rassembla 50 000 manifestants suivant les journalistes et 30 000 selon les Renseignements généraux. Ce mouvement fut à l’origine de la loi du 11 mars 1950, rendant libre la négociation des salaires dans le cadre des conventions collectives, et instaurant le salaire minimum interprofessionnel garanti (SMIG).

- la grève d’août 1953, qui paralysa pendant trois semaines l’économie de la France, ne se limita pas, dans la Loire, aux Services publics, elle s’étendit à la plupart des entreprises du secteur privé, notamment de la métallurgie.

- en septembre 1955, les trois syndicats du Bâtiment et des Travaux Publics lancèrent un mot d’ordre de grève illimitée, qui fut suivi par 8 000 auxquels se joignirent les salariés de seize entreprises de l’ameublement. Malgré l’invitation de la CGT à reprendre le travail, "tout en continuant l’action sous d’autres formes", les menuisiers, pourtant syndiqués majoritairement à ce syndicat, continuèrent la grève jusqu’à complète satisfaction, soutenus par FO.

Les organisations appartenant au Comité de Liaison se retrouvaient également dans des actions et manifestations orientées vers la défense des libertés, et la lutte anti-coloniale, à propos surtout des peuples d’Afrique du Nord... des meetings furent animés notamment par Albert Camus, Jean Cassou et les avocats Bouabid, Dechezelles.

Au 1er congrès de la Fédération Nationale FO du Bâtiment, Bois et Travaux Publics, Tony Peyre fut élu membre du bureau fédéral. Il fut plus spécialement chargé de lancer et soutenir les syndicats des grands chantiers, notamment ceux des barrages EDF. Il fut délégué par plusieurs syndicats aux cinq congrès confédéraux, entre 1948 et 1956. Il représenta l’UD FO de la Loire à une vingtaine de Comités confédéraux nationaux, où il s’efforça toujours de défendre l’indépendance syndicale, de soutenir des positions anticolonialistes et de proposer des actions intersyndicales... Fin 1954, il fut élu à la commission exécutive confédérale.

En 1957, il fut remplacé, pour raisons de santé, au secrétariat général de l’Union départementale Force Ouvrière de la Loire par Jean Soffieto des PTT. Mais il continua à représenter le syndicat au conseil d’administration de la Caisse d’Allocations Familiales de Saint-Étienne, où il avait été élu en 1950 ; en 1958, il en devint le président. De même, il suivit les questions de construction et d’urbanisme, soit au titre de vice-président du Comité Interprofessionnel du Logement Stéphanois (CILS : organisme paritaire regroupant organisations syndicales et patronales), qu’il avait contribué à mettre sur pied en 1948 ; soit comme administrateur de plusieurs organismes de HLM ou d’Économie Mixte d’aménagement.

Lors du congrès confédéral d’octobre 1956, Tony Peyre vota en faveur de la motion minoritaire sur l’Algérie, qui réclama la libre détermination du peuple algérien à disposer de lui-même, un cessez-le-feu et des négociations rapides entre la France et la nationalistes algériens.

Tony Peyre avait épousé en 1948 Claudia Besson, dirigeante fédérale de la JOCF à Saint-Étienne. Née en 1924, dans une famille de cinq enfants, orpheline de père très jeune, elle obtint le certificat d’études primaires à 11 ans. Après deux ans d’école supérieure, elle entre au travail dans la rubanerie, puis devint secrétaire dans une fabrique de spiritueux. Syndiquée à Force Ouvrière, elle FUT déléguée du personnel, et secrétaire du Syndicat FO de l’alimentation. Ils eurent trois enfants.

Ayant laissé ses fonctions syndicales, Tony Peyre dut trouver une activité professionnelle. Mais toutes les portes du "bâtiment", secteur qui correspondait au métier appris, se trouvèrent fermées pour lui. Grâce à un ami syndicaliste, il fut mis en contact avec un réseau de Coopératives de constructions, avec lequel il passa un contrat de trois mois renouvelable : l’essai fut concluant, et c’est ainsi qu’il fut amené à fonder COGECOOP, groupe constitué d’une coopérative de production d’HLM, et de 130 sociétés coopératives de construction, ces dernières constituées par les usagers des logements, évidemment associés à la gestion.

Au plan national, dans le domaine du logement, Tony Peyre fut le président fondateur du Centre National des constructeurs coopératifs, destiné à fédérer les associations et coopératives spécialisées dans la production de logements et n’adhérant pas à la Fédération des sociétés coopératives de HLM. Un comité de liaison entre ces deux fédérations fut cependant constitué.

Il prit sa retraite en 1984, tout en restant président de la coopérative, jusqu’en 1991 et continua à faire partie du Comité Départemental de l’Habitat.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article125988, notice PEYRE Tony par Jean Nizey, version mise en ligne le 30 novembre 2010, dernière modification le 26 février 2014.

Par Jean Nizey

Tony Peyre
Tony Peyre

SOURCES : Rens. fournis par Tony Peyre. — Force Ouvrière, hebdomadaire de la CGT-FO, 8 janvier, 15 avril 1948, 10 mars, 8 décembre 1949, FO Hebdo, 17 décembre 1997. — Comptes rendus des congrès confédéraux de FO de 1948 à 1956. — Notes de Louis Botella. — Etat civil.

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