PIERRETON François [PIERRETON Jean, François]

Par Pierre Broué

Né le 16 juillet 1878 à Attignat-Oncin (Savoie), mort le 18 septembre 1952 à Voiron (Isère) ; menuisier, tisseur, maçon, cultivateur ; secrétaire de la Bourse du travail de Voiron (1907) ; conseiller municipal socialiste (1919) ; délégué régional du Parti communiste (1921) ; trésorier adjoint de la Fédération nationale du Bâtiment de la CGTU (1923).

François Pierreton était le douzième enfant d’une famille de cultivateurs savoyards, et il était très jeune encore quand son père, abandonnant la petite propriété qui ne nourrissait plus les siens, devint ouvrier aux Échelles (Isère). C’est là que le jeune François fit son apprentissage de menuisier, métier qu’il exerça ensuite dans cette localité jusqu’en 1905.

Il adhéra au POF en 1900 et fut de 1902 à 1905 secrétaire du groupe socialiste des Échelles et Entre-Deux-Guiers (Isère). En 1905, il vint à Voiron travailler dans une fabrique de textile et participa au vaste regroupement, organisé depuis Lyon par Auda, des travailleurs du Textile sur le plan régional : en mai 1905, il fonda sous le titre de Chambre syndicale des ouvriers et ouvrières en soierie de Voiron et des environs une section locale dont il fut le secrétaire et qui aurait rassemblé deux mille adhérents.

C’était là le prélude du vaste mouvement revendicatif du printemps 1906 : à l’occasion du licenciement d’un militant de la Chambre syndicale, plus de trois mille cinq cents tisseurs de dix-sept entreprises se mirent en grève avec un programme de revendications centré sur l’augmentation générale des prix de façon et la reconnaissance du syndicat. Leur lutte, sous la direction de Pierreton, qui dura trois mois et demi et se termina, le 11 juin, par une victoire, avait été très dure, marquée par des affrontements violents, les 1er , 15 et 17 mai, dus notamment à l’intransigeance patronale, à un appel massif au recrutement de « jaunes » dans la région lyonnaise, et à l’hostilité des pouvoirs publics qui avaient concentré à Voiron même quatre bataillons.

A travers cette lutte victorieuse, Pierreton était devenu l’un des dirigeants les plus en vue du mouvement ouvrier local. Il jouait un rôle important dans le groupe socialiste, mais aussi à la Bourse du Travail, fondée en 1899, dont il devint le secrétaire en 1907, et qui comptait en 1908 deux mille cinq cents adhérents. Il fut son premier délégué à l’Union des syndicats ouvriers de l’Isère, lors de son adhésion à cette dernière en 1908. Organisateur inlassable, il allait jusqu’à se déplacer en patins à roulettes pour gagner du temps et prenait personnellement la parole à la sortie des fabriques et des chantiers qui ne comptaient pas de militants, pour appeler travailleurs et travailleuses à s’organiser et à lutter. Il fut délégué au congrès de la CGT à Toulouse, du 3 au 10 octobre 1910. Dans la Fédération socialiste de l’Isère, il jouait également un rôle non négligeable : il combattit notamment la position majoritaire favorable à la loi sur les retraites ouvrières, dans laquelle il voyait pour sa part une menace pour l’indépendance de la classe ouvrière. Avec le galochier grenoblois Chambon, il faisait figure de chef de file de la tendance « syndicaliste », et n’hésita jamais, comme pendant la campagne contre la loi de trois ans, à réaliser un front commun avec les anarchistes. Il fut candidat sur la liste socialiste aux élections municipales de Voiron en 1912 et il était membre du bureau de la section socialiste en 1914.

Il avait été réformé et cette circonstance lui permit d’être en août 1914 l’un des animateurs de la « commission d’ordre » mise en place pour animer la Bourse du Travail de Voiron désorganisée par la mobilisation de nombreux militants. Mais, au mois d’octobre, un conseil de révision revint sur la décision qui le réformait : mobilisé, il fut employé sur différents chantiers pour la durée de la guerre, et aurait, dans la région de Lyon, organisé et mené à bien une grève victorieuse d’ouvriers mobilisés comme lui.

Démobilisé, Pierreton revint à Voiron et fut élu en 1919 conseiller municipal sur la liste socialiste conduite par Jules Ravat. Il était l’un des principaux partisans de l’adhésion du Parti socialiste à la IIIe Internationale, et rassembla sur cette position l’unanimité des quarante-cinq membres de sa section quand elle se réunit en vue du congrès fédéral précédant le congrès de Tours. Au congrès fédéral, il fut élu président, et, assisté de Raffin-Dugens, conduisit les débats, le 2 décembre 1920. Mais, à Tours, le télégramme de Zinoviev, et les positions prises par Paul Mistral, vinrent bouleverser un rapport de forces jusque là apparemment très favorable dans l’Isère aux partisans de la IIIe Internationale. Ces derniers avaient sans aucun doute sous-estimé l’attachement à l’unité du parti, l’horreur de la scission qu’allaient largement exploiter les partisans de Mistral. À Voiron, en particulier, Ravat fit adopter, malgré Pierreton, une motion qui affirmait le refus de la section de toute scission. Tout n’était pourtant par encore clair sans doute, puisque la même réunion mandata Pierreton pour se rendre à la conférence organisée par Mistral et ses camarades de la minorité fédérale, y défendre l’adhésion à la IIIe Internationale et l’acceptation des décisions du congrès de Tours. Il ne réussit pas à ébranler la détermination des minoritaires, d’ores et déjà assurés par ailleurs de conserver l’appareil fédéral, et surtout le quotidien, le Droit du peuple. Du coup, la section de Voiron elle-même finit par se diviser, la majorité, derrière Ravat, revenant, après une période d’unité dans l’autonomie, à la SFIO, cependant que la minorité ralliait le PC.

Dans l’intervalle, Pierreton avait été désigné par le Comité directeur du parti comme délégué régional adjoint, et, en cette qualité, il fut l’un des principaux dirigeants de la jeune Fédération communiste de l’Isère pendant sa première année. Mais en 1922, il fut élu délégué national adjoint à la propagande et trésorier adjoint de la Fédération nationale du Bâtiment de la CGTU, ce qui le mena à quitter la région. Il ne reprit pas sa carte du Parti communiste à dater du 1er janvier 1923 pour pouvoir exercer ses fonctions syndicales. Fixé à Paris, il effectua de nombreuses tournées d’organisation et de propagande en province, rencontrant notamment Maurice Thorez dans le Nord.

Au sein de la Fédération du Bâtiment, il appartenait à la minorité proche du Parti communiste. Au cours du congrès fédéral de Paris, en juillet 1923, les désaccords entre Pierreton et le reste du bureau fédéral éclatèrent. Il lui fut reproché d’avoir rédigé une circulaire où il dénonçait la gestion fédérale. Il accusa les autres membres du bureau de le tenir à l’écart en raison de ses prises de position sur l’orientation syndicale. Duranton, Pamponne et Teulade s’associèrent à sa protestation. Lors du débat sur l’orientation syndicale, Pierreton signa la motion Teulade d’attachement à la CGTU et à l’ISR. Il ne fut pas réélu au bureau fédéral.

Pierreton revint à Voiron au terme d’une année de mandat et réussit à y trouver du travail grâce à la recommandation et l’appui du maire Jules Ravat avec qui il avait gardé des relations fraternelles. On répéta longtemps sa fière réplique à un patron qui voulait bien l’embaucher, sous conditions : « Je vous vends mes bras. Ma tête, je la garde ! » Il réadhéra et recommença à militer activement au sein de la Fédération communiste de l’Isère. Au congrès fédéral extraordinaire de février 1924, il attaqua violemment Raffin-Dugens qu’il accusa de chercher un rapprochement avec la SFIO à travers la politique du « front unique ». Il défendit également une motion présentée par Jean Lambert condamnant la participation des communistes aux élections, et qui fut adoptée à une large majorité. Délégué avec Lambert au congrès national du Parti communiste à Lyon, il défendit la motion de l’Isère qui n’obtint que leurs deux voix. Il s’engagea alors à respecter la discipline du parti tout en conservant son point de vue et en le défendant dans ses rangs. Il semble qu’il ait également exprimé à cette époque des désaccords avec la ligne du Parti communiste sur la question des syndicats, car ce conflit rendit nécessaire la création d’une commission syndicale fédérale présidée par Gaston Morel. Nous ignorons dans quelles conditions Pierreton, dont le nom figurait sur la première liste de candidats dressée par la Fédération pour les élections législatives de 1924, ne fut finalement pas retenu. Il prit en tout cas une part active à la campagne électorale.

Il semble que le début de la « bolchevisation » du PC ait correspondu à un certain retrait de l’action politique proprement dite de la part de ce militant, en tout état de cause profondément marqué par le syndicalisme révolutionnaire d’avant-guerre. Aux environs de 1925, il se retira à Saint-Laurent-du-Pont (Isère), où il exerça la double activité professionnelle de cultivateur et de fabricant de caisses. Mais il conserva un certain temps son mandat de conseiller municipal de Voiron où il avait été réélu, cette fois sur la liste communiste, et exerça encore diverses responsabilités dans la CGTU, dirigeant par intérim le syndicat unitaire du Bâtiment de Voiron en 1927. Il porta les couleurs de son parti dans plusieurs élections : candidat aux élections cantonales à Saint-Laurent-du-Pont en 1933, il fut élu conseiller municipal de cette localité en 1935. Il fut candidat aux élections législatives de 1936 dans la deuxième circonscription de Chambéry (Savoie) et recueillit 1 707 voix sur 20 281 inscrits.

Pendant la guerre et l’Occupation, Pierreton conserva le contact avec le Parti communiste clandestin et les organisations de Résistance. En juin 1945, il fut délégué à la conférence régionale de Grenoble du Parti communiste et élu membre du comité régional. Il fut également à nouveau candidat aux élections cantonales, à Saint-Laurent-du-Pont en 1945, et porté par le PCF sur sa liste de candidats au rôle de « grand électeur » pour le conseil de la République en 1946.

A sa mort, il avait derrière lui plus d’un demi-siècle d’action militante soutenue, et sa carrière était symbolique d’une continuité au-delà de deux guerres mondiales, qui reste exceptionnelle, mais à la mesure de cet homme rude et acharné.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article126289, notice PIERRETON François [PIERRETON Jean, François] par Pierre Broué, version mise en ligne le 30 novembre 2010, dernière modification le 6 octobre 2022.

Par Pierre Broué

SOURCES : Arch. Nat. F7/13568 et 13651. — Arch. Dép. Isère, 52 M 75, 76, 53 M 19, 55 M 3, 166 M 9, 167 M 1. — Notes de J.-L. Pinol. — Le Travailleur alpin, 18 avril 1936, 23-24 décembre 1950, 27-28 septembre 1952. — P. Barral, Le Département de l’Isère sous la IIIe  République, Th. — G. Bouchet, Le PC dans l’Isère 1923-1925, TER, Grenoble, 1972. — Claudette Boude, La CGT dans l’Isère 1911-1918, TER Grenoble, 1972. — J.-W. Dereymez, La Fédération socialiste de l’Isère 1898-1914, TER Grenoble, 1972. — D. Dumoulin, La CGT dans l’Isère 1918-1921, TER Grenoble, 1972. — Estelle Pancrazi, Les grèves de 1906, DES, Grenoble, 1951. — Geneviève Teyssère, Aux origines du PC dans l’Isère, TER Grenoble, 1973.

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