PIGINNIER Léon, Jules

Par Claude Pennetier

Né le 6 avril 1884 à Paris (Xe arr.), exécuté le 24 août 1944 à Malakoff (Seine) ; imprimeur lithographe ; maire communiste de Malakoff (1925-1939) ; conseiller général du canton Vanves-Malakoff ; député de la Seine (1936-1940).

Photographie du passeport de Piginnier en 1936
Photographie du passeport de Piginnier en 1936
Communiqué par Roger Brignon, son petit-fils

Fils d’un employé de bureau chargé du courrier dit "cartonnier" du nom du meuble de rangement (il meurt à Madagascar vers 1886) et d’une plumassière, Léon Piginnier, ouvrier lithographe, se maria le 30 mai 1908 à Paris XIIIe arr. avec Julia Lacombe, couturière, né à Figeac (Lot). Il manifesta de bonne heure ses idées politiques d’extrême gauche. Il fut arrêté le 27 décembre 1903 pour avoir manifesté et crié boulevard Montmartre « Vive la grève ! », « À bas les placeurs ! » et brisé plusieurs vitrines de commerçants ; il était alors sans emploi. Poursuivi pour « dégâts et bris de clôture », il obtint un non-lieu le 27 janvier 1904. Domicilié à Paris XIXe arr., à Paris XIIe après son mariage et à Vanves de 1909 à 1920, il ne semble pas qu’il ait eu d’activité politique importante avant la Première Guerre mondiale qu’il fit comme sapeur dans le génie dès août 1914. Décoré de la Croix de guerre pour actes de courage à Verdun dans la période 13-27 septembre 1917, blessé en 1918, réformé provisoirement, Piginnier, sitôt démobilisé, adhéra à la section socialiste de Vanves et créa une section locale de l’ARAC dont il devint le secrétaire. En 1921, il fonda à Malakoff l’imprimerie ouvrière coopérative, « La Typo-litho », qu’il dirigea de 1920 à 1925. Domicilié 11 rue Danicourt à Malakoff depuis 1920, dans un appartement au-dessus de la Typo-Litho, il était en décembre 1921 président de la Rose rouge de Vanves.

Partisan de l’adhésion à la IIIe Internationale, Piginnier rejoignit les rangs de la SFIC après le congrès de Tours (décembre 1920) avec 55 militants sur 65 ; ils furent 73 quelques mois plus tard. Militant très actif, il se trouva tout désigné pour conduire à Malakoff la liste d’Unité prolétarienne et socialiste aux élections municipales de mai 1925 (13e sur 27). Élu maire le 17 mai suivant par une assemblée composée de quinze communistes et de douze socialistes-communistes, Léon Piginnier allait administrer la commune jusqu’à la guerre. Il abandonna la direction de son imprimerie (il en resta néanmoins administrateur et actionnaire jusqu’à sa mort) pour se consacrer à ses fonctions municipales. Il allait se révéler un excellent gestionnaire très estimé de la population et s’affirmer comme un des maires communistes les plus en vue de la région parisienne. D’une stature imposante, portant une longue barbe (il était surnommé Le Bouc) et souffrant d’une légère claudication, il sut vite devenir une figure populaire dans sa commune à laquelle il se consacra et fut toujours attaché. Il se sépara de son premier adjoint socialiste, Robert Roche, en février 1927, donnant à cette décision des raisons administratives et non politiques. Il fonda la même année une section des Amis de l’Union soviétique.

Le Parti communiste n’était pas encore très puissant à Malakoff. "En 1930 nous étions une trentaine, en 1934 une quarantaine" selon Jules Malzac. C’est par le travail municipal qu’il se renforça. Lors des violents incidents du 12 février 1934 qui virent la police affronter les manifestants dans les rues de la ville les témoins virent Piginnier "tout seul avec sa grande barbe et sa canne qui injuriait les flics" (recueillit par Barnaud).

Réélu maire en mai 1929 (1er sur 27), cette fois à la tête d’un conseil entièrement constitué d’édiles communistes, puis en mai 1935, Piginnier faisait partie parallèlement du bureau de l’Union des municipalités ouvrières de la région parisienne dont il fut l’archiviste en 1929 puis de l’Union amicale des maires de la Seine dont il fut vice-président en 1935-1937 (président Eyrolles, maire de Cachan). Il était avec Georges Marrane, Albert Vassart et Marcel Capron une figure majeure de l’action communiste dans les municipalités de la région parisienne. Son œuvre dans le domaine de l’urbanisme et de la question sociale fut considérable.

Candidat malheureux aux législatives de 1928 et de 1932, il fut élu en 1936 député de la 9e circonscription de Sceaux (Malakoff, Issy-les-Moulineaux, Vanves, Clamart et Châtillon). Il avait obtenu 51,4 % des voix des électeurs inscrits au second tour, battant F. Pic, député sortant, radical indépendant. Il était entré en 1935 au conseil général de la Seine, élu par la 2e circonscription de Vanves. Membre des commissions de l’enseignement-apprentissage et de l’extension-aménagement-habitation, il s’attacha particulièrement à l’étude du plan d’aménagement de la région parisienne. Pendant son mandat, il fit un séjour en Espagne du 15 au 24 août 1936 et en Tchécoslovaquie en novembre 1938.

Lors de la dernière séance du conseil municipal le 3 octobre 1939, en l’absence d’une douzaine de conseillers mobilisés ou empêchés, il déclara qu’après la dissolution du Parti communiste et la perquisition de la mairie le 28 septembre 1939, la municipalité se consacrait exclusivement à l’aide à la population, au soutien aux familles des mobilisés : "Nous pensons que la population saura reconnaître cet effort, ainsi du reste que les Pouvoirs Publics et ceux sous lesquels nous sommes en tutelle." Deux jours plus tard, une délégation spéciale présidée par Georges Guillet et composée de Georges Caillot et Louis Sol prenait le contrôle de la municipalité sur mandat de la Préfecture. Le secrétaire général de la mairie prêta son concours entier au nouveau pouvoir municipal et au prix d’une trentaine de licenciements et révocations : "nous sommes parvenus à faire régner l’esprit nouveau" dit Guillet le 21 mars 1942. (Br 11 143 109 H). Léon Piginnier avait lui même été mobilisé en septembre 1939 mais, semble-t-il rapidement libéré. Sa famille quitta l’immeuble de la Typo-litho et s’installa dans l’appartement des grands-parents 1 place du 14 juillet.

Léon Piginnier désapprouva la signature du Pacte germano-soviétique et le rappela lors des interrogatoires qui suivirent son arrestation le 8 octobre 1939 pour avoir participé à la constitution du Groupe ouvrier et paysan français : « Dès fin août, je n’ai pu admettre le Pacte germano-soviétique comme un facteur de paix et l’idée m’était venue de quitter le parti auquel j’étais adhérent. J’adhérais à un groupe parlementaire (GOPF)... j’ai pensé que je devais me consacrer entièrement à la défense de mon pays et des intérêts de ceux qui m’avaient accordé leur confiance et que ma principale activité devait être employée dans ma commune. Le jour où le Parti communiste français a été dissous, j’ai cessé de faire partie de la IIIe Internationale communiste. »

Il démissionna de son mandat de député par une lettre au président de la Chambre le 30 novembre 1939 et dénonça la "collusion de l’Union soviétique et de l’Allemagne hitlérienne" (lettre du 8 décembre 1939). Il fut mis en liberté provisoire le 23 janvier 1940 puis déchu de son mandat de conseiller général le 25 février 1940. Acquitté par le conseil de guerre en février 1940, Piginnier adressa une lettre à Paul Reynaud, que certains journaux, tel le Temps, reproduisirent,, dans laquelle il déclarait : « Oui, il faut avoir le courage de savoir répudier une action qui est contraire aux intérêts du pays et ne pas laisser croire que l’on puisse être d’accord avec l’Internationale communiste et l’Union soviétique pour ses attaques contre les petits peuples qui entendent conserver leur liberté. » (déclaration du 22 février 1940, repris par la presse le 29 avril. La préfecture s’acharna contre lui, considérant que "toutes ces déclarations ne sauraient aller à l’encontre de la décision prise par le Conseil de préfecture puisqu’elles se rapportent à une époque postérieure à celle que la loi a fixée (26 octobre 1939).

Déchu de ses fonctions de premier magistrat le 23 février 1940, Piginnier fit appel devant le conseil d’État sans succès (10441/64/2 n°26). Il fut appréhendé le 12 juin 1940 et interné au camp de Baillet (Seine-et-Oise) puis à celui de Buzet-sur-Baize (Lot-et-Garonne) et enfin de Nexon d’où il fut libéré le 1er mai 1941, mais assigné à résidence en zone libre, à Montluçon (Allier). La préfecture de police a classé, en date du 1er octobre 1940, un tract signé « La section communiste de Malakoff », intitulé « Démasquons les traîtres et les renégats" qui déclarait : « La section communiste de Malakoff se doit de démasquer les agissements de celui qui avait su capter la confiance de la population et qui vient de trahir son Parti et la population du canton de Malakoff. Arrêté en même temps que les autres députés communistes pour avoir signé la fameuse lettre du Groupe ouvrier paysan, l’ex camarade Piginnier Léon se dégonflait lamentablement pendant l’instruction. Ne voulant pas jouer les martyrs, il se mettait à plat ventre devant ceux qui devaient si bien trahir le pays et museler les travailleurs. Il donnait sa démission de député, voulant paraître honnête , mais ne donnait pas sa démission de conseiller général, restant ainsi le valet de la bourgeoise. » (Arch. PPo. BA 1932). L’Humanité le dénonça dans son numéro clandestin du 13 juin 1941 dans un article consacré à Marcel Gitton : C’est donc clair, Gitton le flic ne fait libérer des emprisonnés ou des internés que s’ils sont décidés à servir la police et partant la Gestapo. C’est ce que font Soupé (Fernand Soupé), Piginnier et Rigault (Charles Rigaud). Voilà pourquoi tous ceux qui, pour quelque raison que ce soit, ont mendié leur liberté à la police par l’intermédiaire de Gitton, doivent être dénoncés comme auxiliaires de la police, renégats et traîtres à la cause du peuple, à la cause du pays."

Piginnier passa outre à son interdiction et rentra à Malakoff où il fut arrêté et envoyé en Allemagne, au camps de Hinzert, où il fut détenu jusqu’en septembre 1942 dans un Stalag. Autorisé à revenir à Malakoff, signataire de la « Lettre ouverte aux ouvriers communistes » par Marcel Gitton intitulé « Aux ouvriers communistes », il fut pressenti en 1942 pour entrer au comité central du POPF. Il accepta cette appartenance à son retour de captivité et devint également membre du Comité ouvrier de secours immédiat.

Rapidement promu à la direction du service du contrôle des salles des restaurants communautaires, Léon Piginnier, à nouveau désigné comme traître par le PCF en 1943, fut exécuté par les milices patriotiques lors des événements de la Libération en août 1944. Une lettre anonyme avait mis en garde sa femme le 11 août : "il est de tout urgence que votre mari disparaisse pendant quelques semaines s’il tient à la vie. Ne perdez pas de temps. Je me ferais connaître lorsqu’il sera sauvé" Resté à Malakoff car il pensait n’avoir rien à se reprocher, surveillé par Luce Gerber, le 19 août 1944 à son domicile, place du 14 juillet, il avait été invité à suivre des résistants communistes [deux jeunes hommes qu’il connaissait] en civil mais armés, conduit à la mairie où la discussion fut vive entre ceux qui voulaient qu’il joue à nouveau un rôle et les communistes partisan de sa mise à l’écart définitive. Il fut emmené au patronage, puis dans une école maternelle avenue du Président Wilson où sa femme et ses deux filles purent lui apporter ses repas et du linge jusqu’au 24 août à 18 heures 30 (il pensait alors être mis en liberté surveillée), le lendemain matin à 8 heures Julia ne trouva plus personne ; elle ne sut qu’ensuite qu’il avait enfermé dans les municipaux gardé par des militants. Un témoin raconte : "Une voiture française armée de mitraillettes et de revolver a sommé les gardiens des prisonniers de lever les bras et ont dit à Monsieur Piginnier de venir avec eux. Ne se pressant pas ont déchargé sur lui leurs armes et se sont enfuis à vive allure". Un autre témoin déclare : "Vers 11 heures, deux individus se présentant rue Parmentier avec revolvers et mitraillettes ont demandé Monsieur Piginnier. Il se leva et on lui dit ’ton heure est venue, assieds-toi’ mais il refusa et leur dit : ’rendez surtout mon corps à ma famille et tomba avec une balle dans le cœur et une derrière la tête". Le corps fut retrouvé sur un brancard, sous un drap blanc, au stade Lénine de Malakoff, rue Jules Ferry. C’est la Croix rouge qui prévint la veuve à 10 heures du matin. Celle-ci porta plainte pour meurtre. Il fallut attendre décembre pour qu’elle soit entendue par un officier de police. Une exhumation du corps est faite fin décembre 1944, peut être vers le 20, et le corps fut conduit à l’institut médico-légal, où il fut constaté que Léon Piginnier avait été tué d’une balle dans le cœur et d’une balle derrière la tête. Puis Julia n’entendit plus parler de rien. Elle-même et ses deux filles (Renée, employée de mairie, sténodactylo, née le 14 février 1914 à Paris XIVe arr. [à son mariage le 29 avril 1935 il y eut parmi leurs témoins deux amis personnels de Léon Piginnier : Marcel Cachin, et Gabriel Péri, et parmi les invités le chansonnier Marcel Thoreux] et Denise, sténodactylo, née le 18 août 1923 à Malakoff) restèrent à Malakoff (49, rue Savier puis, en 1978, dans un HLM rue de la Tour avec sa fille Denise) sans rencontrer, bien au contraire selon les témoignages, l’hostilité de la population.

Les informations les plus diverses circulèrent sur la ville : dans les camps il aurait signé et incité à signer les déclarations de ralliement à l’État français pour sortir (mais il est question de Pithiviers où il n’a pas été) ; pendant son séjour en Allemagne il aurait travaillé comme jardinier pour les Allemands et fait des conférences. Un rapport du préfet le 24 octobre 1942 signalait déjà qu’un "grand nombre d’arrestations a coïncidé avec le retour dans sa commune de l’ancien maire communiste Piginnier ; celui-ci est donc accusé par la masse ouvrière d’avoir dénoncé ses anciens amis politiques et il est, paraît-il, l’objet de nombreuses menaces" (10441/64/2, n° 3). Mais ce document n’atteste pas un lien entre la présence de Piginnier et les arrestations. Par la suite les responsables locaux renvoient vers Jules Malzac qui aurait été chargé d’une enquête et était présent lors de son arrestation.

Seul Marcel Cachin se manifesta discrètement en 1946 par un message téléphonique au moment où l’exécution de Piginnier était évoquée par un article de La Dépêche de Paris.

Pendant longtemps son nom disparut de la mémoire officielle.

En 1985, à l’occasion du 60e anniversaire de la municipalité communiste le bulletin municipal publia en première page un photographie de groupe où apparaissait Piginnier, mais sans citer son nom. Le maire, Léo Figuères, fit de même dans son éditorial en ne parlant que du "premier maire communiste de Malakoff" et évoquant le seul nom de Léon Salagnac, premier adjoint de Piginnier et maire après 1945.

Le nom de Piginnier réapparut localement dans les années 2000 à l’occasion d’une exposition organisée par Catherine Bruant sur l’urbanisme de Malakoff, un panneau étant consacré à sa personnalité.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article126329, notice PIGINNIER Léon, Jules par Claude Pennetier, version mise en ligne le 30 novembre 2010, dernière modification le 23 septembre 2014.

Par Claude Pennetier

Photographie du passeport de Piginnier en 1936
Photographie du passeport de Piginnier en 1936
Communiqué par Roger Brignon, son petit-fils
Portrait de Léon Piginnier en 1935
Portrait de Léon Piginnier en 1935
Fourni par sa famille
Portrait de Léon Piginnier réalisé par le sculpteur résistant Jacques Gestalder, le 31 juillet 1942, alors qu’ils étaient internés dans le camp de Hinzert tenu par la Gestapo
Fête populaire à Malakoff le 12 juillet 1925
Fête populaire à Malakoff le 12 juillet 1925
Défilé rue Victor Hugo : 1/ Léon Piginnier ; 2/ ALexis Martin (maire adjoint) ; 3/ Louis Pelletan ; 4/ Raymond Michau ; 5/ René Coussinet ; 6/ Mouton ; 7/ Marcel Salagnac ; 10/ Jean Batifol
Léon Piginnier à la tribune le 12 juillet 1925
Léon Piginnier à la tribune le 12 juillet 1925
Place du 11 novembre , à l’angle du cinéma « Family Palace » et de la rue Jean Jaurès
<em>Notre Malakoff</em>, mars 1985.
Notre Malakoff, mars 1985.
Première présence, même anonyme, de Léon Piginnier dans la presse municipale, à l’occasion de l’anniversaire de la la conquête de la municipalité en 1925.

SOURCES : Arch. Dép. Seine, DM3 , vers. 10451/76/1 et 10441/64/2. — Arch. PPo. 101 et 393, Ba 1932 (consulté par Daniel Grason). — Arch. Com. Malakoff. — RGASPI, 495 270 1943, dossier de peu d’intérêt et notamment sans autobiographie communiste d’institution ; il existe de toute évidence un autre dossier ailleurs. — B. Pudal, Th., op. cit.. — L’Aube nouvelle, 18 mai 1935. — L’information municipale, N° 5, août 1936 ("La crise des locaux scolaires). — Collection de l’Humanité clandestine. — La Dépêche de Paris, 6 novembre 1946 : "Les victimes de la liste noire". — DBMOF, biographie par Claude Pennetier et Nathalie Viet-Depaule. — Témoignage de Lucie Gerber. — Témoignage de son petit-fils, Roger Brignon et documents : renseignements recueillis par la famille et adressés à l’inspecteur Mazard après l’entrevue du 7 décembre 1944, attestation de libération du camp de Nexon, coupure de presse sur sa Croix de guerre ; passport ; Portrait de Léon Piginnier réalisé par Jacques Gestalder le 31 juillet 1942 alors qu’ils étaient internés dans le camp de Hinzert.

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