PIOCH Esprit, Louis, Marius

Par Antoine Olivesi

Né et mort aux Saintes-Maries-de-la-Mer (Bouches-du-Rhône) : 9 décembre 1895-28 mars 1951 ; employé, pêcheur plaisancier ; maire socialiste puis communiste des Saintes-Maries (1921-1933).

Fils d’Honoré Pioch et de Cécile Soules,issu d’une famille modeste de propriétaires cultivateurs, Esprit Pioch, bon élève, aurait voulu devenir instituteur mais il dut finalement renoncer à ses études. Appartenant à la classe 15, il fut affecté au 5e Dépôt des Équipages à Toulon (Var). Il devint après la Première Guerre mondiale commis greffier du juge de paix des Saintes-Maries-de-la-Mer.
Marié et divorcé deux fois avec la même compagne, père de famille, il eut également une existence mouvementée sur le plan politique. Le particularisme des habitants des Saintes-Maries, « les Santen », et le nombre restreint des électeurs inscrits y rendaient les luttes politiques très passionnées. Ainsi son père, Honoré Pioch, maire de la commune de 1904 à 1906, s’était présenté contre le radical-socialiste Jean Granaud, président du comité agricole de l’arrondissement d’Arles, aux élections cantonales et l’avait accusé de fraude. Il représentait alors le courant républicain le plus avancé aux Saintes-Maries.
Esprit Pioch fut à son tour l’élu de la commune, à des titres divers, pendant plusieurs années.
Il adhéra au Parti socialiste SFIO et fut élu le 26 juin 1921 conseiller municipal de la commune, puis maire le 3 juillet (voir Joannin Audibert*). Il fut réélu maire en mai 1925, puis, le 19 juillet suivant, devint conseiller général du canton des Saintes-Maries avec 271 voix sur 382 inscrits. Après ce double succès, il fit l’objet de rapports très défavorables du sous-préfet d’Arles qui soulignait son « caractère violent » et son côté « exalté ». Un autre rapport du 31 mars 1925 ajoute que Pioch avait eu souvent « maille à partir avec l’administration quand ce n’était pas avec les magistrats de l’ordre judiciaire », tout en lui concédant une « réputation de chef énergique au sein de la population illettrée des Saintes-Maries ».

On reprochait à Esprit Pioch ses braconnages sur le territoire de la commune et du canton. Mais ce fut surtout sa gestion municipale qui allait lui valoir le plus d’ennuis. En 1926, Pioch avait quitté la SFIO pour adhérer au Parti communiste. En 1929, ses difficultés commencèrent. En effet, après diverses dénonciations anonymes, deux plaintes effectives furent déposées contre lui par deux employés municipaux de sa commune, au sujet de mandats établis à leurs noms et faussement signés, encaissés pour payer des travaux non exécutés. Après enquête, Pioch fut suspendu de ses fonctions de maire le 1er mars 1929, puis révoqué le 27 mars. Il argua alors de travaux fictifs pour faire face à des dépenses urgentes, invoquant une pratique courante. Il fut réélu triomphalement maire, en mai 1929, toujours sous l’étiquette communiste, puis réélu conseiller général en octobre 1931, avec 287 voix sur 438 inscrits. Il fut même question de le présenter comme candidat communiste aux élections législatives de 1932 dans la circonscription d’Arles.

Pioch, qui aurait possédé des appuis dans le cabinet ministériel de Tardieu où on l’aurait prévenu des dénonciations dont il était l’objet, poursuivit sa politique. Il réussit en sept ans à obtenir du conseil général des Bouches-du-Rhône environ 25 millions de F de subventions, utilisés à des fins édilitaires ou agricoles. Un nouvel hôtel de ville fut construit, de même qu’une Maison du peuple, ultérieurement transformée en casino, et un stade qui était en réalité une arène tauromachique. L’entretien des « roubines », c’est-à-dire les rigoles d’irrigation, absorba d’énormes crédits et les pêcheurs du syndicat unitaire des Saintes-Maries reçurent des primes pour protéger le littoral des requins. Les « Santen », secourus individuellement, parfois de la main à la main, ne payaient pratiquement plus d’impôts. Un rapport du 31 décembre 1928 signale que Pioch aurait envoyé à la 8e Union régionale unitaire une trentaine de milliers de francs destinés à la création d’une clinique ouvrière. Sa gestion peu orthodoxe provoqua une nouvelle enquête et une expertise par l’inspection des finances en 1932 ; elles dévoilèrent l’émission d’environ deux cents faux mandats, sous des noms divers, correspondant à une somme de 160 000 F, irrégulièrement encaissés.

Arrêté le 26 janvier 1933 avec son secrétaire de mairie, Esprit Pioch fut incarcéré à Avignon. La procédure traînant, il eut la malchance de passer en cour d’assises à Aix en pleine affaire Stavisky. Du 12 au 18 mars 1934, Pioch fut jugé avec une quinzaine de co-inculpés, pour malversations commises dans sa gestion municipale, faux en écriture, recel, concussion et abus de confiance. Défendu par Maîtres Berthon et Lasalarié, Pioch domina les débats par des interventions multiples et éloquentes, prenant toutes les responsabilités, plus soucieux, apparemment, de défendre sa position électorale que sa cause judiciaire. Pioch contesta vigoureusement un « trou » financier. Il fut condamné à cinq ans de réclusion, peine infamante le privant de ses droits civiques, et 100 F d’amende. Il éclata en sanglots à la lecture du verdict. Rouge-Midi manifesta un certain embarras, annonçant le 24 mars que Pioch n’était plus communiste, qu’il refusait tout contrôle du parti, qu’il s’en était donc exclu de lui-même. Mais le journal et le parti n’en firent pas moins campagne pour demander sa libération, Billoux, par exemple, dans une réunion aux Saintes-Maries, le 7 avril, Rouge-Midi, avec des placards, « Libérez Pioch », le 12 mai. Le recours en grâce de Pioch fut rejeté et le conseil municipal des Saintes-Maries dissous. Pioch effectua environ la moitié de sa peine puis fut libéré en 1937. Bien qu’inéligible, il se présenta en octobre 1937 aux élections pour le conseil général aux Saintes-Maries, au nom du Parti communiste, défendant à la fois le programme du Front populaire et les privilèges de chasse et de pêche que les « Santen » possédaient avant 1914. Au premier tour de scrutin, Pioch fut élu avec 190 voix contre 117 au candidat SFIO, Delagnes*, sur 435 inscrits. Ce dernier réclama immédiatement l’annulation de cette élection au conseil de préfecture en invoquant la condamnation de Pioch. Le conseil général réuni le 20 octobre 1937 le désigna comme vice-président de la commission des finances, ce qui apparut comme un défi à l’opinion publique, selon la presse de droite, et provoqua une protestation d’Émile Ripert auprès du préfet. Rouge-Midi au contraire salua le succès de Pioch.

Finalement l’affaire fut plaidée en conseil de préfecture le 3 novembre, mise en délibéré et une nouvelle élection cantonale eut lieu aux Saintes-Maries les 30 janvier et 6 février 1938. Pioch ne fut pas candidat et Audibert fut élu contre le député communiste d’Arles, Adrien Mouton, après le désistement de Delagnes au second tour.
Mobilisé en septembre 1939 à la 15e section des exclus, il était de retour dans sa commune en 1941 et se fit aussitôt remarquer. Vivant des ressources de la pêche et d’un salaire de gardien de phare en Camargue, il se refusait à porter ses prises à la criée et, dirigeant le syndicat des pêcheurs, il encourageait les autres pêcheurs à faire comme lui. Il aidait ses relations à rédiger des requêtes et autres réclamations. D’après les autorités que son attitude excédait, il suscitait mécontentement et désordre dans le village. Il était accusé de se livrer au marché noir. Le maire insista auprès du sous-préfet "pour en être débarrassé". Le sous-préfet d’Arles, Jean des Vallières, demanda son éloignement de l’arrondissement le 20 avril 1942, puis son internement administratif. Finalement, il fut astreint à résider à Alzon (Gard) par un arrêté préfectoral signé le 27 juillet, puis à Treves (Gard) le 28 août, toujours en 1942.
À la Libération, ayant retrouvé ses droits politiques, Pioch fut élu conseiller municipal en avril 1945 sous l’égide du Front national sur une liste à dominante socialiste conduite par Roger Delagnes.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article126468, notice PIOCH Esprit, Louis, Marius par Antoine Olivesi, version mise en ligne le 30 novembre 2010, dernière modification le 17 janvier 2021.

Par Antoine Olivesi

SOURCES : Arch. Dép. Bouches-du-Rhône, III M/33, 39, 53-56 ; V M2/218, et 256 ; M 6/10806, M 6/10808 (ancienne cote) et 5 W 207. — Le Petit Provençal, juillet 1925, octobre 1931 et octobre-novembre 1937. — Marseille-Matin, 14 août 1933, 10 au 21 mars 1934, 9, 12, 21 octobre, 4 novembre 1937. — Rouge-Midi, 24 mars, 7 avril, 12 mai 1934, 12 octobre, 2 et 5 novembre 1938. — renseignements complémentaires Jean-Marie Guillon.

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