PRENANT Marcel [PRENANT Eugène, Marcel] [version J. Verdès-Leroux]]

Par Jeannine Verdès-Leroux

Né le 25 janvier 1893 à Champigneulles (Meurthe-et-Moselle), mort le 15 juillet 1983 à Paris (Ve arr.) ; professeur à la faculté des sciences de Paris (1928-1966) ; chef d’état-major des Francs-tireurs et partisans (avril 1942-janvier 1944) ; déporté à Neuengamme (Allemagne). Député communiste ; membre du comité central du Parti communiste français (1945-1950).

Le père de Marcel Prenant, médecin, puis professeur d’histologie aux facultés de médecine de Nancy et de Paris, à partir de 1907, orienta, selon lui, les grands choix de sa vie : « Homme d’idées avancées sur toute la ligne, mon père avait coutume de dire que, pour lui, aucune nuance ne serait jamais trop à gauche. Il n’en excluait même pas les anarchistes » (Toute une vie à gauche, p. 26). Dès son arrivée à Paris, Marcel Prenant se passionna pour les activités politiques qu’il identifiait en partie aux bagarres contre les Camelots du Roy qui, dans les années 1910, multipliaient meetings et agressions au Quartier latin. C’est Jaurès qui, le recevant alors qu’il était secrétaire des Étudiants socialistes en 1914, lui expliqua que le travail politique consistait à « étudier en profondeur le socialisme. Ce fut pour moi une révélation : jamais, ni à l’École socialiste, ni à la 5e section du parti, ni aux Étudiants socialistes révolutionnaires eux-mêmes, il n’avait été question d’étudier le socialisme » (op. cit., p. 43). Pourtant, ces années précédant la Première Guerre mondiale, alors que Marcel Prenant, entré à l’École normale supérieure en 1911, se destinait à l’agrégation de sciences naturelles, furent des années de formation très riches et ouvertes à de nombreux intérêts : rencontres intellectuelles et politiques (Lucien Herr), participation à de grandes manifestations (par exemple, celles qui marquèrent l’exécution du pédagogue libertaire Francisco Ferrer en 1909), cours de « l’École socialiste », où il approcha É. Durkheim, L. Lévy-Bruhl, Victor Basch*... Après l’assassinat de Jaurès — dont il suivit les obsèques — il fut rapidement incorporé. Cette guerre, au cours de laquelle son frère fut tué à vingt ans, dont il vécut les pires épisodes (Verdun), qui lui montra l’irresponsabilité de certains chefs militaires (op. cit. p. 61) consolida, ainsi qu’il l’écrivit, sa philosophie de l’existence.

Au retour de la guerre, il passa l’agrégation de sciences naturelles et obtint le poste d’agrégé-préparateur. En politique, il participa aux discussions dans sa section du Ve arr. mais en parla plus tard avec un certain mépris : « ... Une pétaudière d’intellectuels. D’interminables discussions mettaient aux prises, non seulement une droite kérenskiste et une gauche qui se disait léniniste, mais encore des clans et des sous-clans acharnés » (op. cit., p. 73). Il fut parmi les premiers à posséder la carte du Parti communiste et adhéra à la CGTU naissante.

Lors de la « bolchevisation » du parti, il approuva pleinement les mesures de rattachement à des cellules d’entreprises, mais, affecté à une cellule à Saint-Denis, il dut renoncer assez vite à une activité militante peu compatible avec ses activités professionnelles qui étaient et devaient toujours être sa priorité : « Je sortis même du parti sans mot dire et sans aucun désaccord avec lui » (op. cit., p. 76). En 1924, il fut nommé chef de travaux au laboratoire de zoologie marine de Roscoff (Finistère). Très tôt, il participa au Cercle de la Russie neuve qui, de 1928 à 1936, s’était donné pour objectifs essentiels le rétablissement des rapports entre la France et l’URSS et la diffusion de la culture soviétique. Il enseigna la biologie à l’Université ouvrière à partir de 1931, enseignement dont il souligna les difficultés, pour « rester à la portée d’un auditoire divers et en général mal préparé par son éducation antérieure » (op. cit., p. 83). Son souci d’être un biologiste marxiste fut développé dans Biologie et marxisme (Éditions sociales internationales, 1935), Darwin (ESI, 1938) et sa contribution au recueil À la lumière du marxisme, (ESI, 1937) sous le titre « Biologie et société ».

Ces années furent dominées par les luttes antifascistes ; il assista au congrès de Pleyel en 1933 et adhéra en 1934 au Comité de vigilance des intellectuels antifascistes. Dans ses Mémoires, il en critiqua vivement la tendance pacifiste (représentée par Alain) et loua Paul Rivet* qui présidait le comité, d’avoir su évoluer « avec dextérité » entre cette tendance et celle des communistes et sympathisants qui était pleinement la sienne. Il était lié dans ces années-là à Maurice Thorez* qui lui demanda à plusieurs reprises d’être le candidat d’un front socialo-communiste ; il refusa, toujours préoccupé par ce qu’il appela « son destin scientifique et universitaire » (op. cit., p. 99). Bien qu’il ait dit avoir été unitaire, il porta dans ses Mémoires un jugement sévère sur les socialistes, et sur Léon Blum* spécifiquement (op. cit., p. 102) ; son hostilité à Léon Trotsky* fut également virulente et il raconta qu’il éconduisit « prestement » ses émissaires lors de deux congrès antifascistes tenus à Mexico en 1938 (op. cit., pp. 108-109). Le Pacte germano-soviétique ne le troubla pas : « ... Deux heures de méditation solitaire, sans documents ni avis extérieurs, me suffirent pour acquérir la conviction que ce Pacte était justifié. » En 1980 encore, il écrivit : « Un tel Pacte n’était donc en rien un traité d’alliance (...) C’était bien plutôt l’expression d’une méfiance extrême vis-à-vis du voisin hitlérien et de ses complices » (op. cit., p. 113).

Mobilisé en 1939, il fut nommé — en raison de l’expérience qu’il avait eu à la fin de la guerre de 1914 — au Deuxième Bureau, mais en fut assez vite écarté, vraisemblablement à cause de son passé public. Muté à l’état-major de la 9e armée, à Vervins (Aisne), il fut fait prisonnier en juin 1940 et resta détenu jusqu’à la fin de 1941. Sa libération aurait dû survenir quatre mois plus tôt, dans le cadre d’un accord qui prévoyait la libération des officiers de réserve anciens combattants de la guerre de 1914, mais elle fut différée, toujours en raison de son passé politique. À son retour, il décida de reprendre immédiatement sa vie professionnelle. Contacté aussitôt par Hélène Solomon*, fille de Paul Langevin*, il fut pris en charge par le PC et « recyclé », comme il devait le dire (op. cit., p. 164). Après deux mois d’entretiens réguliers, une proposition concrète lui fut faite : prendre une responsabilité dans les cadres des FTPF. Il fut d’abord chargé de rédiger des opuscules, à l’usage des FTP, sur l’emploi des armes portatives. En avril 1942, Charles Tillon* lui annonça qu’il serait désormais chef d’état-major des FTP. Il avait dans ce même temps réadhéré au PC. Son nouveau titre, il le comprit rapidement, était destiné à l’accréditer comme représentant des FTP auprès des organisations de Résistance gaulliste. Il détailla assez longuement dans ses Mémoires, ses contacts avec le Bureau central de renseignements et d’action (BCRA) dont il critiqua les méthodes.

Arrêté en janvier 1944 par la Gestapo, à la suite de l’imprudence d’un délégué régional qui notait en clair ses rendez-vous, il fut emprisonné à Fresnes puis transféré au camp de Compiègne-Royallieu. Déporté en juin à Neuengamme, il y demeura près d’un an, y souffrant d’une grave diphtérie. « Infirmier du désespoir », comme il l’écrivit, telle fut sa dernière occupation au camp. Il fut rapatrié le 6 juin 1945. Ce même mois de juin, à sa grande surprise, il fut élu au comité central du PC. Nommé à l’Assemblée consultative provisoire, puis élu à la Constituante, un temps président de la commission parlementaire de l’Éducation nationale, il avoua ultérieurement ne s’être guère intéressé à ce travail. Malgré l’insistance de Maurice Thorez*, il refusa ensuite « vigoureusement » de se présenter aux élections législatives expliquant qu’un nouveau mandat l’obligerait à renoncer à sa vie scientifique à laquelle il tenait « essentiellement » (op. cit., p. 285). Le sens de son autonomie par rapport au parti, son attachement à son activité scientifique l’amenèrent lors de l’affaire Lyssenko, après de multiples tentatives conciliantes (cf. la Pensée, nos 22, 23, 25 de 1949), à se heurter à la direction du parti qui, s’alignant sur les Soviétiques, exigeait des biologistes l’adoption des théories de Lyssenko en matière d’hérédité des caractères acquis. Marcel Prenant, dans un entretien de janvier 1979, déclara avoir pensé à l’époque : « C’est pas possible, ils ne sont pas fous à ce point-là... C’est un tel amas d’insanités, de stupidités... » En privé, il affirmait une opposition farouche que de nombreux témoins attestent, et qui ne fit que se renforcer après sa rencontre avec Lyssenko : « J’étais décidé à tout encaisser pour en voir le fond. Mais j’en ai vu très vite le fond. Un parfait imbécile doublé d’un fumiste » (entretien cité).

Sa résistance maintenue face aux harcèlements des dirigeants qui exigeaient qu’il se battît (op. cit., p. 294), amenèrent son élimination du comité central lors du congrès de 1950. Avouant avoir éprouvé « un pincement d’amour-propre » (op. cit., p. 309), il résista à la tentation de quitter le parti, « malgré le dégoût de ce que l’affaire Lyssenko et les développements de l’idéologie jdanoviste représentaient de stupidité politique » (op. cit., p. 311). Il ne démissionna qu’après le référendum de septembre 1958, justifiant essentiellement cette démission « par la politique algérienne du parti et ses conséquences désastreuses » (op. cit., p. 318). « Bien que rétif à toute forme de réengagement » (op. cit., p. 319), Marcel Prenant finit par rejoindre le groupement qui avait pour mensuel Unir pour le communisme puis adhéra à l’Amicale des anciens membres du PCF, constituée en 1961, qui avait pour organe le Débat communiste. Les deux journaux fusionnèrent sous le titre Unir-Débat. À la suite des événements de mai 1968, Marcel Prenant se sépara de ses camarades qui avaient ouvert le journal aux « révolutionnaires déçus », ce qu’il avait désapprouvé. Cette même année, il publia dans Unir-Débat (n° 18, 10 juin 1968) des « Réflexions sur le stalinisme ». S’interrogeant sur les « fondements institutionnels » du pouvoir stalinien, il se demandait dans quelle mesure le transfert du pouvoir des soviets à la dictature d’un homme « était dû aux circonstances de temps et de lieu, ou bien à une impuissance congénitale de la démocratie prolétarienne, marxiste-léniniste, à assurer sa stabilité sans truquages ».

Marcel Prenant ne retint du mouvement de mai que ce qui toucha l’Université. « Ce qui est sûr c’est que l’Université reçut ce soir-là (la nuit des barricades) des coups dont elle est morte peu après » (op. cit., p. 328). Le mouvement, qui lui inspirait une vive hostilité, ne lui apparut que comme l’achèvement d’un processus de destruction de l’Université et la fin de la recherche désintéressée. Il jugea la loi-cadre Edgar Faure responsable d’un « désordre indescriptible » et d’une « démagogie que trop d’universitaires acceptèrent à la légère » ; il devait en résulter un « verbiage » étouffant de plus en plus la « compétence », une « dilution des responsabilités allant parfois jusqu’à la dilapidation de patrimoines universitaires » (op. cit., p. 329).

Mais ce qui lui importait finalement, c’était d’être communiste malgré tout, et les derniers mots de son livre, écrit à 88 ans, sont une invitation à se battre et à ne jamais désespérer, adressée aux jeunes (op. cit., p. 334).

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article127346, notice PRENANT Marcel [PRENANT Eugène, Marcel] [version J. Verdès-Leroux]] par Jeannine Verdès-Leroux, version mise en ligne le 30 novembre 2010, dernière modification le 15 septembre 2016.

Par Jeannine Verdès-Leroux

SOURCES : RGASPI, 495 270 77. — M. Prenant, Toute une vie à gauche, Paris, Éd. Encre, 1980. — Entretien avec Marcel Prenant, le 16 janvier 1979. Des extraits de cet entretien sont publiés dans : Jeannine Verdès-Leroux, Au service du parti. Le Parti communiste, les intellectuels et la culture (1944-1956), Paris, Fayard, 1983.

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