PRESSEMANE Adrien

Par Justinien Raymond

Né le 31 janvier 1879 à Limoges (Haute-Vienne), mort le 26 janvier 1929 à Limoges ; ouvrier peintre céramiste ; militant socialiste ; maire de Saint-Léonard ; conseiller général et député de la Haute-Vienne.

Adrien Pressemane (1918)
Adrien Pressemane (1918)
cc Agence Meurisse

Adrien Pressemane naquit dans un foyer de travailleurs de la céramique, la grande industrie de Limoges au XIXe siècle. Il fréquenta jusqu’à l’âge de douze ans l’école communale de la Société immobilière, puis entra à son tour à l’usine où il fut, après apprentissage, ouvrier peintre sur porcelaine. L’homme était intelligent, d’une intelligence fine que soulignèrent tous ceux qui l’ont connu et que délia l’exercice d’un métier délicat dans lequel il se révéla habile. Il l’appliqua à satisfaire une soif de savoir qui fit de lui un autodidacte cultivé, par des lectures étendues, une application systématique à l’étude des problèmes économiques, sociaux et politiques qu’il aborda également très jeune, par l’expérience de la vie syndicale et politique.

A. Pressemane fut pris dès l’adolescence par le mouvement ouvrier dont Limoges était alors un des foyers les plus ardents. Il s’y donna jusqu’au moment où la maladie le terrassa, lui consacrant toute sa vie d’homme seul, célibataire. Il adhéra, à seize ans, au syndicat des ouvriers porcelainiers et y milita tant que dura sa vie professionnelle. À dix-huit ans, il entra au Cercle républicain-socialiste de Limoges où se côtoyaient radicaux-socialistes et collectivistes qui se séparèrent après un passage d’Aline Valette et de Raymond Lavigne à la Bourse du Travail. Par la suite, les éléments socialistes s’affilièrent au POF et s’érigèrent bientôt en Comité limousin du POF. Pressemane accomplissait alors son service militaire. Peu après son retour, en 1902, avec quelques camarades, il constitua un Cercle d’études sociales qui déclara se tenir à l’écart des compétitions électorales pour se consacrer exclusivement à l’éducation socialiste. En août 1902, ce cercle fusionna avec le comité limousin du POF en une section du Parti socialiste de France. Pressemane appartenait donc à la tendance guesdiste du mouvement socialiste limousin naissant. D’autres s’étaient liés en fédération autonome et les polémiques, très vives entre les deux groupements, étaient attisées par l’action personnelle de Labussière, compagnon de route de la fédération autonome qu’il finit par rejoindre. Aussi, en 1905, la Fédération du Parti socialiste de France, celle de Pressemane, se prononça-t-elle contre l’unité qu’elle jugeait impossible en France tant elle paraissait l’être à Limoges. Mais elle s’y rallia après le congrès de la salle du Globe à Paris (avril 1905). Fin mai, Pressemane était membre de la CAP de la fédération de la Haute-Vienne du Parti socialiste SFIO. Il allait servir cette dernière comme il avait servi la fédération révolutionnaire avec des qualités très personnelles.

Il appartenait par ses origines et par sa vie propre au milieu ouvrier de Limoges : l’action qu’il mena y gagna en efficacité et ses dons l’accroissaient encore. Non seulement il fut souvent l’animateur des journaux socialistes locaux qui se succédèrent au début du siècle, mais il en était un des rédacteurs les plus appréciés tant était grande l’aisance de plume de cet ouvrier de formation toute primaire. Il réussissait mieux encore dans la propagande orale : tout l’y servait, sa personne et son talent oratoire. Il était « pourvu de toutes les grâces du visage et de l’esprit », aux dires d’un compagnon. « De taille moyenne, svelte et mince, il avait une belle tête aux traits délicats et fins, le nez droit, le front haut, des cheveux d’un noir profond [...], des yeux clairs [...], un grand air de distinction naturelle... ». « Tous les dons de l’orateur semblaient réunis en lui, ajoute Foussard : l’intuition des auditoires, la communication directe avec eux, la vigueur de la pensée, la richesse de la phrase, une logique pressante, une présentation habile, une sorte d’émotion contenue mais frémissante, une voix mélodieuse, un peu chantante, nuancée et relevée d’une pointe de cet accent limousin qui détache bien les mots » (Le Populaire du Centre, 24 janvier 1959). Léon Blum* a évoqué, lui aussi, « la puissance lyrique de ce grand orateur populaire » (J. Longuet, p. 52). Ces qualités, malgré la modestie de Pressemane, malgré l’« extrême pudeur sensible qui le retenait si promptement au fond de lui-même » (ibid., p. 55), lui conférèrent dans sa fédération et, pendant la guerre, à l’échelle nationale, un rôle de chef. Elles expliquent aussi que, en 1912, le Parti socialiste en ait fait un suppléant de la délégation permanente à la propagande et que, bien avant, sa fédération l’ait souvent délégué dans les congrès nationaux et lancé dans les compétitions électorales. Le congrès national de Limoges (1906) le nomma à la commission chargée d’enquêter sur les conditions de vie des travailleurs ruraux et sur l’évolution des différents modes d’exploitation et de propriété. Il siégea aux commissions des résolutions des congrès de Saint-Quentin (avril 1911) et de Lyon (février 1912). Le congrès d’Amiens (janvier 1914) le comprit parmi les rédacteurs de la proclamation du parti pour les élections proches. Il parut à tous les congrès d’avant-guerre, depuis celui de l’unité, sauf à ceux de Nancy (1907) et de Paris (juillet 1910).

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Aux élections législatives de 1906, la fédération de la Haute-Vienne posa la candidature de ce citadin, de cet ouvrier, dans la 2e circonscription de Limoges, essentiellement agricole. Il s’y adapta, mais ne recueillit que 1 874 voix tant était forte la position du député sortant, Tourgnol. Le 7 juillet 1907, il fut élu conseiller d’arr. de Saint-Léonard, le plus grand centre de la circonscription dont le député Tourgnol était conseiller général. En décembre 1909, après la mort de ce dernier, Pressemane passa du conseil d’arr. au conseil général et fut toujours réélu, notamment dès juillet 1910, mais, malgré ses progrès, ne réussit pas à s’assurer d’emblée le siège de député à l’élection partielle de novembre. Il recueillit 4 772 voix, à 1 280 derrière le radical Tarrade élu au second tour, le 21 novembre, par 8 862 suffrages contre 7 181 à Pressemane et 411 au candidat conservateur. Au renouvellement général de 1910, quelques mois plus tard, Pressemane s’éleva à 8 701 voix contre 9 136 au député sortant. En 1912, avec huit colistiers, il pénétra au conseil municipal de Saint-Léonard. En 1914, à une majorité de 1 800 voix, il emporta le siège parlementaire. Il fut réélu en 1919 et, la même année, devint maire de Saint-Léonard. Il sera encore réélu député en 1924, mais, en 1928, la maladie qui devait l’emporter l’année suivante l’obligea à renoncer à son mandat.

Au Parlement, Pressemane participa directement à la préparation de la loi des Assurances sociales. Contre le Sénat, il reprit l’idée de Jaurès qu’après une deuxième délibération le dernier mot restât aux élus du suffrage universel. Il s’attacha aux questions d’intérêt populaire comme la vie chère, objet de son discours du 15 juillet 1919. Mais, outre son rôle dans l’implantation du socialisme en Limousin, c’est l’action pacifiste de Pressemane pendant la Première Guerre mondiale qui lui conféra la notoriété. Mobilisé jusqu’au moment où la convocation du Parlement le rappela, il connut la guerre à ses débuts sanglants et revint, bouleversé par « l’horreur de ce spectacle » (lettre à Betoulle citée par J. Longuet, p. 54). Quelques mois plus tard, il s’affirmait un des chefs de file de la minorité pacifiste de la SFIO.

Pressemane ne fut ni à Zimmerwald ni à Kienthal. Jamais il ne renia son adhésion de 1914 à la défense nationale, mais il s’éleva contre la politique de guerre du gouvernement et contre le soutien pratiquement inconditionnel que lui apporta longtemps la majorité du parti. Il combattit pour la reprise des relations socialistes internationales, sans la limiter aux pays alliés, et pour la recherche systématique de toutes les occasions de négocier la paix. En mai 1915, il signa le rapport de la Fédération de la Haute-Vienne au Parti socialiste, premier cri discordant dans l’Union sacrée que pratiquait la SFIO. « Nous ne réclamons pas la paix à tout prix, y était-il dit [...]. Nous avons autant que quiconque le légitime souci de notre indépendance et de notre dignité nationales. Mais nous ne pensons pas que ce soit le rôle du Parti socialiste de pousser à la guerre à outrance, d’adopter une allure belliqueuse et de fermer les oreilles à toute rumeur de paix » (Les Fédérations socialistes III, p. 513). Jamais Pressemane ne se départit de l’attitude ainsi définie et, dans les conseils et congrès nationaux du temps de guerre, il fut, selon L. Blum, « le représentant le plus puissant, le plus pathétique » (J. Longuet, p. 54) de la minorité qui s’exprima généralement sur des motions portant son nom.

Au Conseil national des 14 et 15 juillet 1915 à Paris, il défendit le point de vue de la Haute-Vienne et se rallia cependant aux textes d’unanimité. Il les vota encore au congrès de décembre mais après cinq jours d’âpres discussions, et il entra à la CAP où sept places étaient faites à la minorité. Il y demeura jusqu’à la scission de 1920. Au Conseil national de 1916, sa motion donnait mandat à la CAP de répondre aux efforts du secrétariat de l’Internationale pour redonner force et vie à cette dernière et elle recueillit 960 mandats contre 1 987. À la veille du Congrès national de 1916, il signa l’appel de la minorité formée en Comité pour la défense du socialisme international et, à la CAP, le 9 mai, vota contre les sanctions suspendues sur les pèlerins de Kienthal. Au Conseil national du 4 mars 1917, il réclama la reprise totale des relations internationales par un texte dont la censure interdit la diffusion et qui reçut l’approbation de 1 377 mandats contre 1 556. Il représenta la minorité à la conférence socialiste interalliée de Paris (15 mars 1917). Il domina le Conseil national des 27 et 28 mai 1917, demanda et obtint la mission de définir l’attitude des socialistes français devant les propositions de réunion internationale venues de Hollande et de Russie : il rallia l’unanimité à un texte qu’il rédigea avec Vincent Auriol*. Au congrès de Bordeaux (6-9 octobre 1917), c’est encore sur son nom que se compta la minorité (831 mandats) pour proclamer à la fois « l’indéfectible attachement des socialistes à la défense nationale » (Les Fédérations socialistes III, p. 437) et leur volonté d’une paix sans annexion, sans contribution de guerre, d’une paix fondée sur le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, sur la réduction des armements, la suppression de la diplomatie secrète, sur la SDN et l’arbitrage international. À partir de décembre 1916, Pressemane avait combattu la collaboration ministérielle aux cabinets de guerre. En août 1917, il participa à la Conférence socialiste interalliée au Central-Hall de Westminster à Londres ainsi qu’à la réunion des minoritaires tenue à cette occasion autour de Mac Donald.

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En 1920, Pressemane, qui avait pourtant salué avec enthousiasme la Révolution russe de 1917, apparut comme un des éléments de résistance à la IIIe Internationale. Sur le problème de l’adhésion à celle-ci, le congrès de Tours eut à choisir entre trois réponses proposées, la motion Blum hostile par principe et évidemment en minorité ayant été retirée. La résolution de Pressemane recueillit 60 mandats presque tous de la Haute-Vienne. Elle maintenait le Parti socialiste comme un parti de classe et de révolution et n’était en opposition avec les thèses de Moscou que parce qu’elle jugeait « impossible de condamner le principe de la défense nationale » et maintenait « l’autonomie des mouvements nationaux », rejetant ainsi, pour l’affiliation, « les conditions impérieuses et identiques pour tous les pays » (C. rendu congrès de Tours, p. 593).

Pressemane intervint au congrès à la fin de la séance de nuit du 29 décembre. L’option, à des conditions qu’il rejetait, n’était plus douteuse. S’adressant à la majorité : « Je viens en mon nom personnel, dit-il, vous demander très honnêtement et très loyalement quelle est maintenant la situation qui m’est faite dans le nouveau Parti. » Après avoir rappelé son passé, sa conception du socialisme : « Est-ce que je dois partir ? » questionna-t-il (ibid., p. 519) pour conclure que, s’il y était contraint, il partirait « la tête haute » (ibid., p. 521).

Au lendemain du congrès de Tours, avec les tenants de la « Résistance socialiste » à la IIIe Internationale, avec les débris du courant de « reconstruction socialiste », Pressemane se retrouva à la SFIO qui, dans son département, conservait la majorité. Il fut pendant quelques années une de ses plus sûres cautions prolétariennes et internationalistes, à cause de ses origines et de son attitude depuis 1915. Mais il n’avait plus que quelques années d’activité devant lui. Quand il mourut à cinquante ans, ses forces et sa lucidité l’avaient quitté depuis de longs mois.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article127354, notice PRESSEMANE Adrien par Justinien Raymond, version mise en ligne le 30 novembre 2010, dernière modification le 10 novembre 2022.

Par Justinien Raymond

Adrien Pressemane (1918)
Adrien Pressemane (1918)
cc Agence Meurisse

ŒUVRE : A. Pressemane a collaboré aux journaux suivants : La Bataille sociale, organe du Cercle républicain-socialiste du 12 mars 1898 au 16 juin 1901, Pressemane cessa d’y collaborer en 1900. — L’Avenir, organe antiministériel lancé le 2 décembre 1900 lorsque le cas Millerand eut divisé le Cercle. Il parut jusqu’au 5 avril 1903. — Le Socialiste du Centre, organe de la fédération du Parti socialiste de France lancé le 25 octobre 1902 ; il sera, à dater de septembre 1905, celui de la fédération de la SFIO. Pressemane y écrivait des articles sous le nom de Jacques Misère. Hebdomadaire d’abord, il sera bihebdomadaire à compter du 3 décembre 1905. Pressemane en était le directeur-administrateur. Ce journal disparut le 10 mai 1908. — Le Petit Limousin, hebdomadaire de petit format paru le 24 octobre 1910, fut bihebdomadaire sur grand format en conséquence de la fusion de trois sociétés ouvrières : l’Imprimerie moderne, Le Populaire du Centre, Le Petit Limousin. Le Petit Limousin avait été lancé surtout pour agir dans les communes rurales, Le Populaire du Centre portant son effort sur les villes et dans les milieux ouvriers. — Le Populaire du Centre, quotidien créé en octobre 1905. — L’Humanité : A. Pressemane y collabora occasionnellement vers la fin de la Première Guerre mondiale. — Le Populaire : Pressemane fut un des fondateurs de cet organe de la minorité socialiste publié d’abord à Limoges et dont le premier n° parut le 1er mai 1916. C’était un journal-revue hebdomadaire de propagande socialiste et internationaliste. À partir du n° 54 du 21 juillet 1917, il parut comme hebdomadaire parisien de combat ; sa rédaction, d’abord, 49, rue de Seine, s’installa, 142, rue Montmartre peu avant que le journal devînt quotidien du soir à dater du 10 avril 1918. À partir du 8 avril 1921, il se transforma en quotidien du matin et en organe du Parti socialiste SFIO. Sa rédaction s’installa bientôt, 12, rue Feydeau.
BROCHURES : Le Parti socialiste et la vie chère, Paris, 1919, 29 p. Édition en brochure du discours prononcé par A. Pressemane à la Chambre des députés. — Le Parti socialiste et l’Internationale, discours prononcés au congrès de Strasbourg le 25 février 1920 par Adrien Pressemane [...] et Paul Faure*, Paris, 1920, In-8°, 36 p. (Bibl. Nat. 8° R. Pièce 14 971).

SOURCES : Arch. Ass. Nat., dossier biographique. — Hubert-Rouger, La France socialiste, op. cit., pp. 120-121 ; 167 à 201 passim. et Les Fédérations socialistes I, op. cit., pp. 535 à 560, passim. — Les Fédérations socialistes III, op. cit., pp. 380, 586, passim. — Comptes rendus des congrès socialistes. — L’Humanité, 22 novembre 1909 et 30 avril 1914. — Jean Longuet*, « Adrien Pressemane » in La Nouvelle Revue socialiste, n° 27 du 15 décembre 1928 — 1er février 1929, pp. 51 à 56. — Léon Blum*, « Le Souvenir de Pressemane », Le Populaire de Paris, 29 janvier 1929. — L.-O. Frossard*, Sous le signe de Jaurès, Flammarion, 1943. — R. Foussard, « Souvenirs sur Adrien Pressemane », Le Populaire du Centre, 25-28 août 1947. — Léon Berland*, « Quelques anecdotes », Le Populaire du Centre, 29 août 1947 et « Il y a trente ans mourait Pressemane », Le Populaire du Centre, 24 janvier 1959. — Renseignements fournis par L. Berland peu avant sa mort sur Pressemane : l’homme et son action dans la Haute-Vienne.

ICONOGRAPHIE : Hubert-Rouger, Les Fédérations socialistes I, op. cit., p. 537, La France socialiste, op. cit., p. 121.

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