PUJADAS CAROLA Juan [dit "Jean l’Espagnol"] [Dictionnaire des anarchistes]

Par Hervé Mauran

Né le 13 mai 1914 à Blanes (Espagne), mort le 26 décembre 1990 à Aubenas (Ardèche) ; anarcho-syndicaliste, membre de la CNT et de la FAI, en Espagne ; chef de la Résistance espagnole en Ardèche ; responsable de l’Armée secrète dans la région d’Aubenas ; s’affirme partisan d’un socialisme démocratique à la fin de sa vie.

Juan Pujadas Carola naquit en 1914 à Blanes, près de Gérone, en Catalogne espagnole. À l’âge de seize ans, ouvrier mécanicien, il s’enflamma pour les idées anarchistes et adhéra à la CNT (« Confederacion Nacional del Trabajo »). Par la suite, il fit partie du comité clandestin de la « Federacion Anarquista Iberica (FAI) de sa ville. En 1934, au moment de la révolte populaire des Asturies, il fut condamné à plusieurs mois de prison pour incitation à la grève. Au contact de militants instruits, il approfondit alors ses connaissances théoriques lisant Malatesta et Kropotkine.

Au début de la guerre d’Espagne (juillet 1936), Juan Pujadas s’engagea dans les milices ouvrières et combattit sur le front de Belchite, dans le secteur de Letux. En 1937, il faisait partie de l’état-major d’une milice antifasciste comptant 800 à 1 000 hommes issus de toutes les tendances du mouvement ouvrier. À la tête de cette formation, Juan Pujadas cumulait la fonction de délégué du courant libertaire avec celle de commissaire politique.

Son engagement armé se prolongea jusqu’à la reddition de la zone républicaine méridionale, en mars 1939. Selon ses premières analyses, la dictature de Franco, dépourvue de base populaire, n’allait pas tarder à s’effondrer. Le 27 mars 1939, Juan Pujadas Carola reçut enfin l’ordre de gagner le port d’Alicante pour embarquer sur un navire de guerre et rejoindre Oran, en Algérie. Mais là, parmi des dizaines de milliers de soldats républicains, il fut pris au piège par les troupes nationalistes. Transféré au camp d’Albatera, il obtint des phalangistes, par la ruse, un sauf-conduit pour gagner Gérone et s’y faire juger au plus vite... comme simple soldat républicain de dernière classe ! Au lieu de cela, bénéficiant d’appuis, il traversa clandestinement l’Espagne et, le 2 juin 1939, franchit seul la frontière franco-espagnole.

À son arrivée en France, Juan Pujadas fut immédiatement interné au camp de concentration de Saint-Cyprien (Pyrénées-Orientales). À la fin du mois d’août 1939, il fut affecté à un poste d’opérateur de cinéma à Morteau dans le Doubs. À ce moment-là, Juan Pujadas était toujours en contact avec des réfugiés espagnols membres de la CNT-FAI, notamment avec Amelia Molia — secrétaire du syndicat.

Après la déclaration de guerre, à l’automne 1939, Juan Pujadas se fit embaucher par la manufacture Marius Anguenot qui fabriquait des pièces pour l’aviation de guerre. En mai 1940, devant l’avance de la Wehrmacht, l’entreprise reçut l’ordre de se replier à Aubenas, en Ardèche. Juan Pujadas arriva dans cette ville le 17 juin 1940, quelques jours avant la signature de l’Armistice. En fait, la manufacture ne s’y installa jamais.

Au cours des semaines qui suivent l’exode, il trouva asile, avec des réfugiés de toutes nationalités à l’ancienne école supérieure d’Aubenas. Après avoir occupé plusieurs emplois temporaires, Juan Pujadas se fit embaucher comme ouvrier affecté à la confection de charbon de bois sur les chantiers de Mazet et de Laganier. Son modeste salaire lui permit de louer un appartement au 17 faubourg Pasteur à Aubenas. Un dimanche, au bar du Siècle, il fit la connaissance de Bartolomé Cabré, Ramon Mateu, Émilio Pascual, José Peiro, ouvriers espagnols incorporés dans le 160e Groupement de Travailleurs Étrangers (GTE) et détachés sur des chantiers près d’Aubenas.

À l’été 1941, lorsque Juan Pujadas décida avec ses amis de constituer un noyau de dissidence composé exclusivement de républicains espagnols, il était déjà un membre actif de la Résistance française. Aux côtés de Pierre Bertrand, ingénieur des Ponts et Chaussées, et Edouard Gascon, ancien pilote de bombardement durant la Première Guerre mondiale, il militait dans le tout premier réseau de résistants en Ardèche : le réseau Cochet, placé dans le département sous la direction générale de René Calloud lui aussi ingénieur en génie civil. Le général Cochet avait lancé le triptyque : « Veiller, résister, s’unir ». Les chefs de Juan Pujadas sont Pierre Bertrand et André Jardon qui l’avaient "pressenti".

Ainsi Juan Pujadas étendit-il ce réseau patriotique français dans les chantiers du 160e GTE : avec ses amis espagnols, il créa une première sizaine. Suite logique de cet engagement, il entra dans les mouvements "Combat" et "Libération" au moment de leur implantation en Ardèche. Au tout début, les résistants espagnols s’efforcèrent par la discussion de maintenir la propagande antifasciste et républicaine dans les chantiers forestiers de Basse-Ardèche. Ensuite, ils se mirent à traduire en langue espagnole les publications des mouvements "Combat" et "Libération", à rédiger eux-mêmes des tracts et à les distribuer. Dans cette tâche, Juan Pujadas était assisté par une jeune femme, Germaine Roland dont les parents tenaient le café de la Rotonde à Aubenas. Après la Libération, celle-ci deviendrait son épouse.

L’une des premières activités du groupe dirigé par Juan Pujadas consista à animer une filière de désertion d’Espagnols du 160e GTE (qui devint 133e en déménageant de Saint-Maurice-d’Ibie à Saint-Privat) désignés pour le travail obligatoire. Avec l’aide de Ramon Mateu, secrétaire au sein du GTE, et Ildefonso Martinez, chargé des relations entre la direction et les ouvriers, il parvint à soustraire de nombreux camarades au travail obligatoire. En liaison avec les chefs de la Résistance française non-communiste, les réfractaires furent dirigés sur des chantiers forestiers clandestins. Au début de l’année 1943, pas moins d’une cinquantaine de réfugiés espagnols étaient ainsi cachés chez des exploitants du Bas-Vivarais.

Le poids croissant des résistants espagnols trouva sa traduction directe au niveau du commandement de la Résistance française : en effet, en 1943, Juan Pujadas fut nommé adjoint de Michel Bancilhon ("commandant Bernard"), chef de l’AS dans la région d’Aubenas (secteur D). Jusqu’en août 1944, il occupa ce poste ; il ne le quitterait qu’après le basculement des formations AS de la région d’Aubenas vers les FTPF. Acceptant au besoin de collaborer avec les communistes, il s’opposait cependant fermement à toute forme d’emprise communiste. À partir de 1943, Juan Pujadas devint un organisateur influent de la Résistance française en Basse-Ardèche. L’une de ses fonctions a même été celle de chef de la Section Atterrissage Parachutage (SAP), sous les ordres directs du chef régional André Charlot. Au-delà de son sens exceptionnel de l’organisation, Juan Pujadas devait se montrer l’un des plus ardents défenseurs de la guerre de guérilla.

Au mois de mars 1943, Juan Pujadas fut informé par Denis Barbe, responsable des JC et Fernand Cayron, responsable local du PCF et du FN, qu’un mouvement de Résistance composé exclusivement d’Espagnols se formait. L’anarcho-syndicaliste se méfiait des communistes espagnols qui, lui dit-on, en était à l’origine. Après une première prise de contact infructueuse, Cristino Garcia, responsable militaire de la résistance espagnole en Cévennes, se rendit à Aubenas pour lui expliquer les objectifs de ce mouvement. L’une des ambitions de l’"Agrupacion de Guerrilleros Españoles" (AGE), branche armée de l’"Union Nacional Española" (UNE), était de rassembler toutes les forces républicaines espagnoles présentes en France non seulement pour contribuer à la Libération de la France, mais aussi pour préparer la reconquête de l’Espagne et renverser la dictature franquiste. Juan Pujadas adhérait à cet objectif de guerre qui n’était porté par aucun mouvement de résistance en France.

Au début de l’année 1944, Juan Pujadas devint donc le chef de la 19e brigade de "Guerrilleros españoles" (GE) destinée à rassembler tous les républicains espagnols qui s’étaient engagés collectivement ou individuellement dans la Résistance ardéchoise. Cette formation était rattachée à la 3e division qui englobait — outre la brigade de l’Ardèche — les brigades de la Lozère et du Gard. Cristino Garcia en était le chef militaire ; son poste de commandement se trouvait dans le secteur de La Grand-Combe. L’existence de la 19e brigade ne fut toutefois que théorique jusqu’au 6 juin 1944. Les réfugiés espagnols entrèrent dans les maquis, participèrent à des coups de main et des sabotages, réceptionnèrent des parachutages dans le cadre de l’AS. La double casquette de Juan Pujadas favorisa le recrutement et l’affectation de résistants espagnols.

Après le 6 juin 1944, Juan Pujadas et Cristino Garcia rassemblèrent un groupe de 60 "guérilleros espagnols" à Ailhon (près d’Aubenas). La plupart étaient issus du 133e GTE. Le 6 juin, à l’entrée d’Aubenas, Juan Pujadas échappa de peu à l’arrestation, forçant un barrage des troupes d’occupation alors que le coffre de sa traction-avant Citroën était bondé d’armes. Les combattants espagnols jouèrent un rôle important dans les combats du sud de l’Ardèche, mettant en œuvre une véritable "guerre de guérilla" contre les troupes d’occupation qui cherchaient à se frayer un chemin vers le Nord. La brigade dépassa les 120 membres courant août 1944 ; les postes de commandement de la 3e division et de la 19e brigade se trouvaient alors réunis à Beaumont.

À la mi-juin 1944, Juan Pujadas avait mis fin à ses fonctions à la tête de la 19e brigade de GE, en raison de l’activité débordante de l’AS et de la SAP. L’emprise du PCE sur le maquis espagnol d’Ardèche ne cessa alors de s’accroître : au mois d’août 1944, l’état-major était entièrement "communisé". Après la Libération de l’Ardèche, Juan Pujadas reprit la tête de la brigade pour gagner la frontière pyrénéenne. L’état-major général de l’AGE - largement dominé par les staliniens - prit la décision de dissoudre la brigade basée à Foix et écarta Juan Pujadas de toute responsabilité opérationnelle. Au mois d’octobre 1944, Juan Pujadas participa néanmoins à l’opération du Val d’Aran et à une incursion en Espagne comme chef d’un groupe spécial de sabotage (quatre ou cinq hommes).

Après son retour, en novembre 1944 il s’installa définitivement dans la région d’Aubenas. L’homme fut un ardent défenseur de la mémoire de la Résistance française et espagnole. À la fin de sa vie, il se réclamait du socialisme démocratique et était sympathisant du PSOE. Juan Pujadas s’éteignit le 26 décembre 1990. A Aubenas, une plaque évoque son rôle dans la Résistance française du département de l’Ardèche.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article127627, notice PUJADAS CAROLA Juan [dit "Jean l'Espagnol"] [Dictionnaire des anarchistes] par Hervé Mauran, version mise en ligne le 30 novembre 2010, dernière modification le 4 avril 2014.

Par Hervé Mauran

ŒUVRE : La Résistance espagnole en Ardèche, texte dactylographié, Cassis, 1979, 5 p. — « Datos para la historia de Blanes », Els Piteus, revue éditée par l’association culturelle de Blanes, juillet-août 1984, n°27-28, p. 8-13.

SOURCES : Arch. Dép. Ardèche : 72 W 574 — Renseignements recueillis auprès de Juan Pujadas (Aubenas, 1988-1990) et de plusieurs témoins de son action (enregistrés de 1988 à 1995) — Adolphe Demontes, L’Ardèche martyre (Histoire de l’Ardèche de 1939 à 1945), Largentière, sans éditeur, 1946, 255 p. — Hervé Mauran, "La Résistance oubliée (Des républicains espagnols dans la Résistance ardéchoise)", Mémoire d’Ardèche et Temps Présent, 15 août 1994, n°43, p. 15-18. — Hervé Mauran, Espagnols Rouges, un maquis de républicains espagnols en Cévennes (1939-1946), Nîmes, Ed. Lacour-Ollé, 1995, 260 p. — Eduardo Pons Prades, Republicanos españoles en la Segunda Guerra mundial, Barcelona, Planeta, 1975, 593 p.

ICONOGRAPHIE : Collection Hervé Mauran (5 photographies et plusieurs reproductions de documents).

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