Par Yves Le Maner
Né le 22 décembre 1897 à Fouquières-lès-Lens (Pas-de-Calais), mort en déportation le 2 décembre 1944 à Hersbruck (Allemagne). Ouvrier mineur ; secrétaire du syndicat CGTU des mineurs du Pas-de-Calais (1929-1931) ; secrétaire de la Fédération nationale CGTU des travailleurs du Sous-sol (1931-1935) ; membre de la commission exécutive de la CGTU ; secrétaire administratif du syndicat réunifié des mineurs du Pas-de-Calais (1936-1939) ; conseiller général du canton de Carvin (1935-1939) ; député du Pas-de-Calais (1936-1939) ; membre du bureau de la Région Nord du Parti communiste puis de la Région communiste du Pas-de-Calais (1936-1939) ; membre suppléant du comité central du Parti communiste.
Aîné d’une famille ouvrière de deux enfants, fils d’un mineur et d’une ménagère, Cyprien Quinet fréquenta l’école primaire jusqu’à onze ans et obtint le CEP. Il descendit pour la première fois à la mine en 1909, à l’âge de douze ans. Fait prisonnier civil au début de la Première Guerre mondiale, il subit sept mois de captivité dans un camp allemand avant de pouvoir rentrer à Fouquières, sa commune natale. La localité ayant été libérée à l’issue d’une offensive française, il fut incorporé dans un régiment d’infanterie en janvier 1916 et partit au front en septembre de la même année.
Démobilisé, il s’installa à Carvin où il devait résider jusqu’en 1940 à la cité de la fosse 4 des mines d’Ostricourt. Il reprit son métier de houilleur et, pendant la grève de 1919, il donna son adhésion au syndicat des mineurs et au Parti socialiste SFIO. Rangé sous la bannière du Parti communiste et de la CGTU lors des scissions de 1921-1922, Cyprien Quinet entama, comme la quasi totalité des dirigeants communistes du bassin minier, une double carrière militante, politique et syndicale.
Secrétaire de la section syndicale unitaire des mineurs de la fosse 4 d’Ostricourt depuis la scission, délégué mineur suppléant de son puits de travail à partir de 1925 (mandat qu’il détint jusqu’en 1939), il entra au comité exécutif du syndicat CGTU des mineurs du Pas-de-Calais dont il fut le représentant aux congrès de la Fédération du Sous-sol à Saint-Étienne (octobre 1928) et à Lens (octobre 1929). À l’issue du dernier congrès, il abandonna le secrétariat de sa section pour prendre les fonctions de secrétaire permanent du syndicat unitaire des mineurs du Pas-de-Calais qu’il détint nominalement jusqu’en 1931 malgré un voyage de près d’un an en URSS (juin 1930-juillet 1931) où il fut élève à l’École léniniste internationale de Moscou. Dans son autobiographie rédigée en 1932 à Moscou, il disait avoir lu "de nombreux livres de Marx Engels Lénine".
À son retour, il fut nommé secrétaire de la Fédération CGTU des travailleurs du Sous-sol, responsabilité qu’il partageait avec Henri Thiébaut et Henri Darguesse, ce qui le contraignit à résider à Paris plusieurs mois de l’année. Cette importante fonction lui valut d’accéder à la commission exécutive de la CGTU en 1934. Cependant, pour éviter d’être coupé de la base, et malgré la fatigue provoquée par les réunions répétées il assuma, aux côtés de Mattez et de Fernand Leblond, le secrétariat de l’Union locale unitaire d’Hénin-Liétard jusqu’à la fusion de 1935. Quinet joua d’ailleurs un rôle important dans la réalisation de celle-ci en multipliant les réunions communes avec les confédérés et en faisant paraître dans l’Enchaîné, organe régional du PC, une série d’articles sur la réalisation du front unique à la base. S’il n’obtint aucun poste au sein des organismes dirigeants de la Fédération du Sous-sol, après la réunification de 1935, il fut par contre le seul militant unitaire à entrer au bureau du syndicat réunifié du Pas-de-Calais lors du congrès d’unité de 1936 ; il y exerça les fonctions de secrétaire administratif avec deux ex-confédérés (voir Henri Cadot*) jusqu’en 1939, collaborant régulièrement à la Tribune des mineurs.
Quinet fut sans conteste le plus populaire des leaders communistes de la partie orientale du bassin minier du Pas-de-Calais. Secrétaire de la cellule de la fosse n° 4 à Ostricourt (Carvin), rattaché au rayon d’Hénin-Liétard (voir Henri Darras*), il se montra souvent partisan de l’action violente lors des grèves et surtout pendant la période de chômage qui s’abattit sur le bassin au début des années trente. Cette action de rues était le plus souvent dirigée contre les agents des compagnies minières : ainsi, en avril 1930, Quinet incita les anciens à « ... faire des descentes dans la rue... [et] s’y rendre nombreux et se montrer énergiques ». Mais, elle prit également parfois un sens antisocialiste dans le contexte de haine politique qui caractérisa les rapports entre le PC et le Parti socialiste SFIO dans la région lensoise à la fin des années vingt et au début des années trente. Nulle part ailleurs sans doute les consignes « classe contre classe » du PC ne furent appliquées avec autant de rigueur ainsi qu’en témoignent les multiples heurts dont la ville de Lens fut le théâtre en 1929, 1930 et 1931. Il semblerait en particulier que Cyprien Quinet ait été, avec Arthur Ramette* l’instigateur de la contre-manifestation communiste du 30 mars 1930 qui dégénéra en véritables combats de rues avec les militants socialistes. S’il échappa à cette occasion aux poursuites judiciaires, il devait par la suite être condamné à un mois de prison par le tribunal correctionnel de Béthune lors de la campagne menée contre les ligues fascistes, en 1934.
Membre du bureau de la région Nord (1re région) du Parti communiste, il fut élu membre suppléant du comité central lors du congrès national tenu à Paris, en mars 1932 (VIIe congrès), fonction qu’il perdit en 1936.
Cyprien Quinet représenta le PC à de multiples consultations électorales. Battu aux cantonales de 1928 à Carvin et aux municipales de 1929 (toujours à Carvin), il subit un nouvel échec à son retour d’URSS en 1931 lors de la consultation pour le conseil général. Après un revers aux législatives de 1932 dans la 5e circonscription de Béthune, il bénéficia largement de la tactique du front commun avec le Parti socialiste qui lui permit de représenter le canton de Carvin au conseil général après le scrutin d’avril 1935. Enfin, lors des législatives de 1936, il fut élu député dans la 5e circonscription de Béthune (Carvin et ses environs) : après avoir devancé le député socialiste sortant Raoul Évrard* au 1er tour, il distança largement le candidat de droite avec 10 169 voix contre 5 892. Il fut, à cette occasion, le seul représentant communiste du bassin minier du Pas-de-Calais à entrer à la Chambre des députés. Il fut vice-président de la commission des Mines et de la Force motrice et fut à l’origine de plusieurs propositions de loi visant à l’amélioration de la condition minière. Membre du bureau de la Région communiste du Pas-de-Calais dès sa constitution en 1936, Cyprien Quinet se trouva brutalement confronté à la difficile situation engendrée par le Pacte germano-soviétique de 1939.
Dès le début de septembre, il signa avec ses camarades du bureau régional, A. Lecœur, R. Camphin et H. Thiébaut* un tract saluant le Pacte germano-soviétique ce qui lui valut une condamnation à trois mois de prison prononcée par le tribunal d’Arras le 6 septembre 1939 pour infraction au décret du 26 juin 1939. Interné administrativement au camp de Roybon (Isère) avec plusieurs dirigeants communistes du Pas-de-Calais dont Nestor Calonne*, il fut déchu de ses mandats électifs le 20 février 1940. Libéré peu après cette date, il fut alors mobilisé à Cambrai (Nord) le 15 mars 1940 et affecté le mois suivant à la 4e compagnie spéciale des travailleurs, unité disciplinaire. À sa démobilisation, le 31 juillet 1940, il subit une nouvelle arrestation et un nouvel internement politique décrété par le gouvernement de Vichy au camp de Bras-d’Asse (Basses-Alpes). Transféré après quelques semaines au centre de séjour surveillé de Chaffaut (près de Digne), il fut ensuite dirigé sur le camp de Saint-Sulpice-la-Pointe (Tarn) le 8 février 1941. Cyprien Quinet devait s’évader de ce camp dans la nuit du 11 au 12 juillet 1943. Il semblerait qu’il ait alors rejoint le Pas-de-Calais pour participer à la lutte clandestine des mineurs mais, le 25 novembre suivant, il fut arrêté par la police française alors qu’il rendait visite à sa mère dans l’appartement d’un ami, au 93 de la rue Belliard à Paris (XVIIIe arr.).
Condamné à un mois de prison pour son évasion de Saint-Sulpice-la-Pointe, par un jugement du tribunal correctionnel de Paris en date du 5 janvier 1944, il avait déjà, à cette date, purgé sa peine à la prison de la Santé où il était détenu depuis son arrestation. Malgré ce fait, il fut pour la troisième fois placé en internement administratif aux Tourelles dès le 6 janvier. Ce fut là, que le 15 du même mois, deux policiers allemands vinrent le chercher pour l’emmener à Fresnes où il fut vraisemblablement torturé. Il fut après quelques jours transféré au centre de transit de Royallieu près de Compiègne (Oise), antichambre des camps de concentration allemands. Il quitta Compiègne le 2 juillet 1944 pour Dachau où il ne resta que quelques jours avant d’être dirigé sur le camp d’Allach ; il fut alors contraint de travailler pendant plusieurs semaines aux usines de la BMW situées à proximité de son lieu de détention puis connut un dernier transfert vers le camp d’Hersbruck. Cyprien Quinet devait y mourir le 2 décembre 1944, quelques jours après son arrivée, dans des circonstances particulièrement atroces : tombé d’épuisement à l’appel, il fut roué de coups par les gardes SS et littéralement mis en pièces par leurs chiens.
L’attitude de Cyprien Quinet vis-à-vis du PC pendant l’Occupation fit l’objet d’une polémique qui prit naissance en 1944, alors qu’il était détenu à Compiègne et qui se poursuivit à la Libération. L’origine fut un démenti public, attribué à Quinet, apporté à un tract publié par la Fédération clandestine du PC du Pas-de-Calais en 1943 et qui portait les signatures de Cyprien Quinet et Nestor Calonne* au nom du bureau illégal du syndicat des mineurs. Selon ce démenti, repris par les journaux collaborationnistes le Cri du peuple du 28 avril 1944 et le Petit Parisien du 2 mai 1944, Quinet aurait déclaré qu’il n’avait « ... plus aucune attache avec le Parti communiste depuis septembre 1939 et [demandait] aux mineurs de se servir exclusivement des moyens légaux dont ils [disposaient] pour arriver à une amélioration de leurs conditions de travail notamment par des discussions loyales avec le patronat et les autorités occupantes ». S’il est vraisemblable que Quinet ait émis des critiques sur la politique de son parti pendant l’année 1940, il semble que ce véritable appel à la collaboration ait été une provocation des milieux collaborateurs parisiens qui coïncida avec le passage de Cyprien Quinet entre les mains des tortionnaires de la Gestapo. À la Libération, il prit place parmi les martyrs du Parti communiste et victimes du nazisme.
Par Yves Le Maner
SOURCES : RGASPI, 495 270 1684, autobiographie, 23/03/1932. — Arch. Dép. Pas-de-Calais, M 179, M 182, M 2396, M 5142, M 5221, M 5304. — J.-M. Lemaire, MM, op. cit. — Y.-M. Hilaire et coll. , Atlas électoral Nord-Pas-de-Calais, 1876-1936, Lille, 1977. — J. Jolly, Dict. parl., op. cit.— J.-M. Fossier, op. cit. — Rens. fournis par la mairie de Carvin.