RABIER Philippe, Clotaire, Henri.

Par Alain Dalançon

Né le 5 octobre 1907 à Ménars (Loir-et-Cher), mort le 21 mai 1987 à La Verrière (Yvelines) ; professeur de l’enseignement technique ; militant syndicaliste du SPET, secrétaire de la section A (1936-1938) puis secrétaire général en 1939 , militant du SNET, secrétaire général (1945-1949), secrétaire général adjoint (1950-1954), puis du SNES (classique, moderne, technique), membre de la CA et du bureau national (1966-1979), secrétaire de la catégorie des retraités (1973-1979) ; militant communiste.

Philippe Rabier
Philippe Rabier
Photo d’identité vers 1936 (Coll. familiale)

Fils d’Henri Rabier et de Marie Julia, agriculteurs qui prirent un petit commerce (débit de tabac et épicerie) à la suite de l’amputation d’une jambe de son père, Philippe Rabier fut reçu au concours d’entrée à l’École normale d’instituteurs de Blois (Loir-et-Cher) en 1923. Son frère cadet André, né en 1911, fut également normalien à Blois. Mais son troisième frère (de la « tribu Rabier », comme il la désignait), reçu dans un bon rang, fut refusé à la visite médicale, bel exemple « de discrimination politique pour aller dans les EN », commentait-il.

Philippe Rabier devint instituteur stagiaire en 1926 à l’école primaire supérieure de Saint-Aignan (Loir-et-Cher) où il faisait fonction de surveillant général de l’internat. Être logé et nourri lui permit de « mettre de l’argent de côté ». Reçu au concours, il effectua en 1927-1928 une quatrième année d’école normale à Versailles (Seine-et-Oise), puis entra à l’École normale de l’enseignement technique dans la section A1, mathématiques-sciences physiques (promotion 1928-1930). Il obtint le certificat d’aptitude au professorat industriel en sciences en 1928 et 1929. Au cours de cette période, il noua de solides amitiés avec des condisciples de l’ENET, parmi lesquels Georges Lauré, son aîné d’une année, qui faisait partie de la promotion 1927-1929.

Philippe Rabier fit partie des « Groupes de jeunes » de l’Union fédérale des étudiants dont il devint un des responsables nationaux à l’ENET. Il participa aux luttes syndicales pour la reconnaissance de droits nouveaux aux normaliens en 1928. Membre du Syndicat national des instituteurs en 1927-1928, il adhéra au Syndicat du personnel de l’enseignement technique et en même temps à la Fédération unitaire CGT-U. Il rejoignit en mai 1929 le Parti communiste, auquel il resta fidèle jusqu’à la fin de sa vie, comme son femme, épousée le 7 août 1929 à Chambon (Loir-et-Cher), Gisèle, Marcelle Oury, fille d’émigré russe, institutrice, ancienne élève de l’École normale de jeunes filles de Blois ; ils n’eurent pas d’enfant.

Au retour du service militaire (1930-1931) qu’il termina comme sous-lieutenant, Philippe Rabier entama à la rentrée 1931 une carrière de professeur de mathématiques à l’école pratique de commerce et d’industrie Edmond Labbé de Douai (Nord), son épouse étant institutrice dans diverses communes du bassin minier. Puis il fut muté en 1937 à l’EPCI Jules Ferry de Versailles. Membre du syndicat unitaire dans le Nord depuis le printemps 1932, il militait aussi parmi les mineurs et les mariniers. Il s’affirma au cours de cette période comme militant syndicaliste favorable à l’unité syndicale structurelle et à l’unité d’action pour lutter plus efficacement contre les dangers du fascisme et les politiques d’austérité budgétaire qui commencèrent à se mettre en place en 1932. Il fut un des rares grévistes de son établissement le 12 février 1934.

Jusqu’à l’unification en 1935 de la Fédération générale de l’enseignement-CGT et de la Fédération unitaire de l’enseignement, il conserva sa double affiliation. N’ayant pas apprécié les débats houleux du congrès de Marseille d’août 1930 de la FUE, ni la conduite de ses camarades de la « minorité oppositionnelle révolutionnaire » (MOR), il milita pour le « Front uni » aussi bien dans la FU que dans la commission administrative du SPET où il entra en février 1933, en se faisant un chaud propagandiste de la première grève unitaire du 20 février 1933. Au congrès du syndicat, en avril de la même année, membre du bureau national du SPET, il fut de ceux qui soutinrent victorieusement le secrétaire général André Dubois, pour la poursuite du « Front uni » avec l’ensemble de la classe ouvrière et pour l’adhésion au Congrès international d’unité du corps enseignant.

En décembre 1934, il fit la proposition de l’unification de tous les syndicats nationaux du second degré, alors que se profilait la réunification fédérale et confédérale. Dans cet esprit, il participa activement à la fusion entre le syndicat de l’enseignement général de l’enseignement technique et celui des ateliers, dont il fut le rapporteur au congrès des 5 et 6 avril 1936 : ainsi naquit le nouveau Syndicat du personnel des établissements publics d’enseignement technique de France et des colonies avec Le Travailleur de l’enseignement technique pour organe. Il en devint tout de suite le secrétaire de la section A (enseignement général), tandis qu’André Ducourneau fut secrétaire de la section B (ateliers) et que Dubois resta secrétaire général. Il siégea, au titre des écoles pratiques, dans la commission créée par Jean Zay* pour la coordination des programmes de mathématiques dans les établissements secondaires.

À la suite de l’échec de la grève du 30 novembre 1938, à laquelle le SPET avait appelé, comme la FGE, Dubois se sentit désavoué et démissionna : Rabier fut le seul ayant suffisamment d’autorité pour le remplacer et fut élu secrétaire général au congrès des 3 et 4 avril 1939, à l’unanimité moins 25 mandats. Il eut comme premier souci de préserver l’unité du syndicat pour la défense de l’enseignement technique et, soutenu par le bureau unanime, il refusa d’appliquer les directives confédérales de septembre 1939, visant à exclure de toute responsabilité syndicale les militants communistes, à la suite de la signature du pacte germano-soviétique.

Mobilisé le 26 août 1939 comme officier dans l’infanterie à Cambrai (Nord), fait prisonnier le 31 mai 1940 à Lille, il passa plus de quatre ans en captivité dans l’Oflag IV D, camp d’officiers situé près d’Hoyerswerda en Saxe, où il participa au maintien de l’esprit de résistance.

Son frère André, membre également du Parti communiste. instituteur à Lanthenay (Loir-et-Cher), fut arrêté le 15 décembre 1943, porteur de fausses cartes d’identité et de travail portant le cachet de la mairie de Sassay où il était secrétaire. Déporté à Mauthausen, il revint, et fut pensionné à 100 %.

Fin avril 1945, Philippe Rabier rentra en France et put participer au défilé du 8 mai 1945 à Paris. Il retrouva son épouse, ses camarades de parti et de l’enseignement technique (René Girard et Joseph Cartailler) qui avaient reconstitué clandestinement un nouveau syndicat, le SNET (Syndicat national de l’enseignement technique) affilié à la FGE-CGT, et qui lui demandèrent de reprendre son poste de secrétaire général. Dans son premier éditorial du TET, daté du 9 juin 1945, il lança un appel à l’unité et la responsabilité : deux tâches attendaient les enseignants comme les autres travailleurs, il fallait « nettoyer la maison (…) extirper les dernières traces du fascisme » et surtout « s’unir pour reconstruire le pays ».

Philippe Rabier, déchargé de service, s’employa d’abord à réaliser l’unité syndicale structurelle du SNET qui s’ouvrit, le 26 mai 1945, aux personnels des centres de formation professionnelle transformés bientôt en centres d’apprentissage publics. En réalité la branche des centres du SNET, dont son camarade communiste Charles Artus devint le secrétaire, conserva son autonomie et sa propre publication. Il milita en même temps pour que l’Entente des syndicats du second degré (Syndicat national de l’enseignement secondaire, Syndicat national des collèges modernes et SNET) créée dans la FGE, débouche rapidement sur la création d’un syndicat unifié du second degré, comme il en avait émis le vœu en 1934. Les discussions furent longues et difficiles notamment à cause des préventions du SNCM vis-à-vis de la branche des centres d’apprentissage du SNET, si bien que l’Union des trois syndicats ne se concrétisa pas par la création d’un syndicat unique avant la scission confédérale.

Cet engagement de Rabier pour l’unification des structures syndicales répondait à sa conviction de la nécessité d’unifier les enseignements de second degré et de faire sortir ainsi l’enseignement technique de sa situation marginale : il devait avoir la même dignité que l’enseignement secondaire classique, d’autant que de son développement dépendaient pour une large part la reconstruction du pays et son avenir. Il insistait aussi sur le rôle de l’enseignement technique, pour permettre à tous les enfants du peuple d’avoir droit à l’enseignement du second degré. Ces convictions étaient partagées unanimement par les personnels de l’enseignement technique. Il rédigea en 1946 une plaquette, « Cri d’alarme de l’enseignement technique », dans laquelle il présentait les propositions du SNET, qu’il défendit tant à l’intérieur de la FGE, devenue FEN (Fédération de l’Education nationale) cette année-là, qu’à la CGT, ainsi qu’aux Comité consultatif temporaire de l’Enseignement technique (nommé par arrêté du 25 avril 1947), Conseil de l’enseignement technique et Conseil supérieur de l’Education nationale dont il fut membre de 1946 à 1964. Il estimait aussi, en 1947, que la fédération avait consacré trop de temps dans des négociations internes à la CGT et avec le gouvernement sur les parités du reclassement, tandis que les créations de postes et la revalorisation des traitements se faisaient attendre.

Dans les débats sur le choix de l’affiliation du SNET, à la suite de la scission de Force ouvrière, Philippe Rabier défendit le maintien à la CGT en qualifiant l’autonomie de « premier pas vers FO ». Mais il resta avant tout soucieux de maintenir l’unité du syndicat et s’inclina devant le verdict du référendum syndical qui donna une faible majorité à l’autonomie (49,6%, contre 43,4% au maintien à la CGT et 9,7% au passage à la CGT-FO). Il en voulut beaucoup à Artus d’avoir refusé d’organiser le référendum dans le syndicat des centres, ce qui aurait donné la possibilité de maintenir une majorité cégétiste dans le SNET unifié. Au congrès de mars 1948 du SNET (écoles et services), le rapport d’activité du bureau national fut approuvé à l’unanimité et une charte d’unité du syndicat fut également votée, ce qui permit à Rabier de rester secrétaire général avec Georges Lauré comme secrétaire général adjoint. Les personnalités des deux militants facilitèrent probablement cette entente dans un exécutif partagé entre « cégétistes » et « autonomes », ce qui était une originalité dans la fédération. Les deux militants portèrent d’ailleurs tous les mandats du syndicat contre le principe de l’homogénéité des exécutifs, qui fut pourtant adopté au congrès de la FEN de 1949. La règle qui prévalut alors dans le SNET fut la répartition des responsabilités en tenant compte de la représentativité de chaque courant au référendum pour l’élection des membres de la CA nationale. Philippe Rabier, par ailleurs membre du bureau national de la FEN-CGT, conduisait chaque année une liste « cégétiste » dénommée « Unité et Action » à partir de 1952, qui perdit progressivement du terrain par rapport à celle des « autonomes » conduite par Lauré. Si bien que l’équilibre dans la répartition des responsabilités au bureau national s’en trouva modifié : dès 1949, Lauré devint co-secrétaire général, puis, à partir de 1951, secrétaire général, tandis que Rabier n’était plus que secrétaire général adjoint puis co-secrétaire général adjoint avec Jean Alric, à partir de 1952.

Philippe Rabier estima fondée la fin de la double affiliation en 1954, préconisée par le bureau politique du PCF à l’intention des instituteurs. En 1955, sa liste prit le nom d’ « Union pour une action syndicale efficace » mais ne progressa pas. En 1956, au moment où Lauré s’apprêtait à quitter la direction du SNET pour succéder à Adrien Lavergne comme secrétaire général de la FEN, les « autonomes » décidèrent de rompre l’entente et d’imposer l’homogénéité de l’exécutif. Rabier appela cependant ses camarades à « taire leurs rancœurs voire leur colère et l’ensemble des syndiqués à faire en sorte que le SNET puisse rester la maison de tous ». Tout en restant membre du bureau national sans responsabilité particulière, il passa alors le témoin de la conduite de la liste UASE à Etienne Camy-Peyret, un militant non communiste qu’il avait contribué à former. Sans jamais chercher l’opposition systématique à la direction, il défendait l’orientation qu’il avait toujours pratiquée, celle de l’unité des personnels dans l’action à la base, pour faire progresser concrètement la situation de l’enseignement technique et de ses personnels ; il favorisa les compromis, de sorte que les décisions furent souvent prises à l’unanimité dans le bureau national.

Sa grande autorité morale et son expérience le rendaient aussi incontournable au Parti communiste français. Il faisait partie du comité de rédaction de L’Ecole et la Nation depuis sa création. Il avait accompagné son épouse, licenciée de russe depuis 1945, en Union soviétique, qui écrivit seule ou participa à la rédaction de plusieurs ouvrages réédités aux éditions France-URSS (Problèmes actuels de l’enseignement en U.R.S.S, Panorama actuel de l’école en Union Soviétique, Les portes de la vie. U. R. S. S. Le chemin de la vie…). Il faisait partie à partir d’avril 1957 du petit groupe de responsables communistes qui examinait, à la demande du secrétariat du PCF, les questions qui se posaient à la veille des congrès des syndicats de la FEN. En juin 1961, quand le secrétariat du PCF créa les structures internes chargées du « travail du Parti parmi les instituteurs et les enseignants », Rabier fit partie de la commission chargée de préparer le travail dans la FEN sous la responsabilité de Léon Mauvais et de Georges Fournial, avec Léo Figuères et Roland Leroy, qui comprenait aussi Alfred Sorel, André Rustin, Victor Blot, Maurice Loi, et Charles Ravaux. Il ne fut cependant pas associé aux groupes mis en place en 1964.

La fusion du SNES et du SNET en 1966 combla ses vœux, un an avant qu’il ne prenne sa retraite au collège technique de Puteaux où il avait été muté le 1er novembre 1949. Sa carrière syndicale n’était pourtant pas terminée. Il fut élu à la CA nationale du nouveau SNES de 1966 à 1979. Il ne réussit cependant à se faire élire au secrétariat de catégorie des retraités qu’en 1973, face à son ancien camarade de la direction du SNET, Gaston Langlois ; il conserva jusqu’en 1979 cette responsabilité qui revint ensuite à Cyprien Bocquet. Au cours de ce mandat, il s’occupa beaucoup du règlement des affaires personnelles auxquelles il avait toujours apporté une grande attention, considérant que c’était une des bases fondamentales du syndicalisme. Il habitait 6, square Vauban à Viroflay (Yvelines).

En 1983, Philippe Rabier fut victime d’une hémiplégie qui le condamna au fauteuil roulant et à la perte de l’usage de la parole ; il s’éteignit à la Maison de la MGEN à La Verrière. Il était chevalier de la Légion d’honneur depuis 1947.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article127881, notice RABIER Philippe, Clotaire, Henri. par Alain Dalançon , version mise en ligne le 30 novembre 2010, dernière modification le 12 octobre 2022.

Par Alain Dalançon

Philippe Rabier
Philippe Rabier
Photo d’identité vers 1936 (Coll. familiale)
Congrès SNES 1977 (coll. IRHSES)

SOURCES : Arch. Nat., F17 29016, F60/1554. — Arch. FEN, ANMT Roubaix. — APPO GA, A5, 702270 (dossier Astre). — Arch. IRHSES (dont fonds Rabier, l’Ecole technique, le Travailleur de l’enseignement technique, l’Université syndicaliste, l’Enseignement public). — Arch. comité national du PCF. — RGASPI, Moscou, 495 270 8424 : fiche de synthèse en russe datée du 23 janvier 1950 (sans doute dans le cadre de la préparation du XIIe congrès tenu à Gennevilliers, 2-6 avril 1950 et de la réflexion sur le renouvellement des organismes de direction). — Renseignements fournis à Jacques Girault en1975. — État civil de Ménars. — DBMOF (Etienne Camy-Peyret et Claude Pennetier). — Notice biographique dans Points de Repères n° 7, mai-juin 1991, par E. Camy-Peyret et Alain Dalançon. — Laurent Frajerman, L’interaction entre la fédération de l’Education nationale et sa principale minorité, le courant « unitaire », 1944-1959, thèse, 2003. — Julien Veyret, « L’intégration progressive de la logique fédérale : le Syndicat national de l’enseignement technique et la FEN » in La Fédération de l’Education nationale (1928-1992) Histoire et archives en débat, Septentrion, 2009, p. 71-80. — Notes de E. Camy-Peyret, J. Girault, Cl. Pennetier, J. Veyret.

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