RANC Robert, Adolphe

Par Jean-Louis Panné, mise à jour par Marie-Cécile Bouju

Né le 20 février 1905 à Paris (XVIe arr.), mort le 16 avril 1984 à Boissy-sous-Saint-Yon (Loiret) ; syndicaliste, communiste puis oppositionnel ; typographe puis correcteur ; directeur de l’Ecole Estienne (1948-1969).

Fils de petits commerçants, Robert Ranc fut élève à Janson-de-Sailly puis au Quartier latin. Adhérent des Jeunesses communistes, il abandonna ses études et devint apprenti typographe à l’âge de dix-huit ans. Syndicaliste CGTU et membre du comité du VIe rayon, il se livrait à une intense activité, s’occupant de nombreux journaux d’usines. Le 1er janvier 1926, il fut admis au syndicat des correcteurs dont il fut membre du comité syndical en 1932, 1934, 1937, 1939, 1942, et 1943. En 1929, Robert Ranc fut délégué par son syndicat au congrès de la CGT (Paris, 17-20 septembre) pour y défendre les positions des minoritaires opposés à la ligne confédérale. En 1934, il fut secrétaire du syndicat ; il le redevint en 1943.

Dès 1923-1924, il était en relation avec Pierre Monatte et Alfred Rosmer. Ce fut ainsi qu’au cours de l’assemblée de la Fédération communiste de la Seine du 17 août 1924, il demanda s’il existait ou non un "testament" de Lénine dont il connaissait l’existence par A. Rosmer.
Se rapprochant de l’opposition, il signa en 1929 (de ses initiales) quelques articles dans la Vérité, organe de l’Opposition communiste. Ami des Rosmer, il fut introduit par eux auprès de Léon Trotsky et se rendit quatre mois à Prinkipo pour y travailler comme secrétaire. De retour à la fin janvier 1930, il prit ses distances avec le courant trotskyste naissant. Alfred Rosmer écrivait à Léon Trotsky, le 7 février 1930 : "Ainsi Ranc nous est revenu syndicaliste ! C’était un étonnement général. On le savait un des rares et des plus obstinés "souvariniens", et, d’après ce qu’on savait, on s’attendait à le voir revenir tel qu’il était parti. Et le voilà qui bifurque brusquement vers le syndicalisme. Ce n’est pas un grand succès pour vous !" Selon Rosmer, c’est parce que Trotsky avait refusé de discuter ses idées que Ranc rompit avec Trotsky (lettre de Rosmer, 3 juillet 1930). Ensuite, sous l’influence des articles de Fernand Loriot publiés dans la Révolution prolétarienne, il se rapprocha du groupe animé par Pierre Monatte. Néanmoins, Ranc demeura en relations amicales avec Léon Sedov et les Rosmer. Il aurait demandé sa réintégration au Parti communiste lorsque M. Thorez lança le mot d’ordre "Que les bouches s’ouvrent !" (21 août 1931).

En 1931, Ranc entra au conseil d’administration de la Librairie du Travail (voir Hasfeld). En 1932, il participa au congrès européen antifasciste à Amsterdam, certainement en tant que syndicaliste du Livre. Il était en effet membre de l’Opposition syndicale révolutionnaire dans cette branche et collaborait régulièrement à l’Imprimerie française. Début 1933, il polémiqua avec Simone Weil à propos du mouvement communiste allemand dans la revue l’École émancipée, prenant la défense du Parti communiste d’Allemagne dont Simone Weil avait mis en doute les capacités à s’opposer au nazisme.

En 1933-1934, Robert Ranc suivit les cours de l’Université ouvrière où il rencontra certainement Victor Fay. Les événements ultérieurs lui firent abandonner toute sympathie pour l’Union soviétique et le communisme officiel puisqu’il participa en août 1935 à la conférence contre l’Union sacrée organisée à Saint-Denis. Un an plus tard, il s’associa au lancement de la coopérative d’éditions "les Amis de l’École émancipée". Il s’occupa à partir de 1936 de l’édition, à la Librairie du Travail, des Lectures prolétariennes, revue de documentation et de bibliographie qui ne compta que trois numéros.

Son expérience militante et ses relations avec les instituteurs l’avaient convaincu de la nécessité de relancer une école de formation destinée aux ouvriers. Fin 1937-1938, il créa et anima une École ouvrière marxiste (appelée aussi École ouvrière des sciences sociales) avec l’aide de V. Fay. Parallèlement, il participa aux activités du Cercle syndicaliste "Luttes de classes" dont il était membre. À la veille de la Seconde Guerre mondiale, il était responsable du Comité intersyndical du Livre pour le secteur XVIIIe arr.-Saint-Ouen.

Ce fut sans doute à la demande des Rosmer qu’il témoigna en faveur de Léon Trotsky dans le conflit qui opposa ce dernier à Jeanne Martin* des Pallières pour la garde du fils de Léon Sedov*. Il accepta ensuite de s’occuper de l’édition chez Grasset de la biographie de Staline par Léon Trotsky, à la demande de Gérard Rosenthal*, mobilisé. Mais l’ouvrage ne put paraître qu’après la Seconde Guerre mondiale.

Mobilisé à son tour, fait prisonnier, Robert Ranc fut rapatrié d’Allemagne dans un convoi de blessés et malades. Il semble avoir bénéficié de l’intervention de syndicalistes ralliés au régime. En 1942, il collabora avec Jean Bernier* alors secrétaire de l’organisation de guerre en zone occupée. Il participa également à des réunions du Comité d’information ouvrière et sociale.

Après la Seconde Guerre mondiale, ami de B. Souvarine, il rencontrait régulièrement ce dernier en compagnie de Maurice Coquet et André Lejard. Surtout il devint en 1948 le nouveau directeur de l’Ecole Estienne.

Robert Ranc entra probablement à l’Ecole Estienne par défaut. Alors qu’il avait combattu l’existence de cette école à la fin des années trente, il s’inscrivit en 1939 comme élève libre pour y suivre des cours de photogravure et de chromolithographie. En 1943 ou 1944 il accepta le poste de directeur du centre de formation professionnelle de l’école Estienne. Il devint maître auxiliaire technique attaché à la direction, c’est-à-dire chef des travaux, le 1er octobre 1944. En 1948, il succéda au directeur de l’école, Sylvain Sauvage, qui venait de décéder. Si Sylvain Sauvage joua un rôle déterminant pour améliorer le niveau artistique de l’école, Robert Ranc réussit la gageure de maintenir Estienne comme école de premier plan sans heurter la profession pour qui cette école avait toujours posé problèmes. Il bénéficia certes d’une conjoncture économique et budgétaire beaucoup plus favorable que ses prédécesseurs, mais il donna aussi une impulsion décisive : création d’une section supérieure en 1957, admission des élèves après la classe de 3e en 1957, premier brevets de technicien en 1962 qui annonçaient les premiers BTS en 1970, développement des éditions de l’Ecole Estienne (Inédits). Il vécut extrêmement mal les manifestations des élèves en mai 1968 et quitta ses fonctions en 1969. André Barre lui succéda.

Robert Ranc fut l’un des fondateurs des Rencontres internationales de Lure en 1952.

Il avait épousé Marie-Blanche Carrat, professeure de français à l’Ecole Estienne.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article128074, notice RANC Robert, Adolphe par Jean-Louis Panné, mise à jour par Marie-Cécile Bouju, version mise en ligne le 30 novembre 2010, dernière modification le 30 mai 2020.

Par Jean-Louis Panné, mise à jour par Marie-Cécile Bouju

SOURCES : Arch. Paris Ecole Estienne, registre des professeurs. — Notes de Y. Blondeau. — Léon Trotsky, A. Rosmer et Marguerite Rosmer, Correspondance, 1929-1939, Gallimard, 1982 (lettres des 3 et 11 octobre 1929). — Marie-Christine Bardouillet, La Librairie du Travail (1917-1939), F. Maspéro, 1977. — Marie-Cécile Bouju, L’Ecole Estienne, 1889-1949 : La Question de l’apprentissage dans les industries du livre, Thèse de l’Ecole nationale des chartes, 1998 [en ligne : HAL-SHS]. — C. Gras, Alfred Rosmer* et le mouvement révolutionnaire international, Maspero, 1971. — Syndicalisme révolutionnaire et communisme, op. cit., p. 401. — Les Animaux de la ferme, 1986 (lettre de G. Davoust). — Journaux cités. — Entretiens avec l’intéressé, 1983-1984.

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