Par Justinien Raymond et Marc Lagana
Né le 14 juin 1865 à Vilna (Russie), mort le 17 novembre 1941 à Cahors (Lot). Docteur en philosophie, publiciste socialiste puis communiste. Membre de la Fédération des socialistes indépendants de France, puis du Parti socialiste français. Rallié au guesdisme jusqu’en 1914. Opposant à la guerre, membre du Comité pour la reprise des relations internationales. Adhérent du Parti communiste dès sa fondation, membre du Comité directeur (1920-1922) ; quitte le PC en 1938 par opposition au stalinisme.
Fils de Sarah Hirsch et de Lipa Rappoport, Charles Rappoport naquit dans une famille juive aisée issue d’une bourgade juive « shtetl » de Lithuanie. L’obtention d’une bourse lui permit de terminer ses études secondaires à Vilnius et ainsi de rompre avec le shtetl et le judaïsme. En 1883, il rejoignit la Narodnaia Volia (Volonté du peuple) et milita désormais dans les rangs des populistes, où il se lia d’amitié avec des militants tels que Léo Jogiches et Liubov Axelrod. Après son baccalauréat, recherché dans le cadre d’une tentative d’attentat contre le tsar sous le nom d’Ossip (son pseudonyme à l’époque), il réussit à partir légalement à l’étranger. À Paris, de 1887 à 1891, il fréquenta le cercle de Pierre Lavrov et participa à l’Union des ouvriers russes, où il rencontra Ossip Zetkin (1851-1889) et Clara Zetkin (1857-1933). Il se rendit à Berne puis à Zurich où il poursuivit ses études à l’Université de Berne jusqu’au doctorat en philosophie, en 1897.
Pendant son long séjour en Suisse, Rappoport rencontra les dirigeants du socialisme russe, tels G. Plekhanov, L. Axelrod et V. Tchernov. En 1891, il créa avec quelques camarades l’Union des socialistes révolutionnaires russes. Ce petit groupe voulait faire la synthèse entre les différents courants du mouvement révolutionnaire russe, mais dès son origine il était nettement antimarxiste.
Poursuivant ses études à l’université de Zurich, Charles Rappoport suivit les cours du philosophe et psychologue Richard Avenarius. À l’université, il rencontra Fanny Rattner, qu’il épousa au printemps 1892 avant de quitter Zurich pour Berlin. Leurs études à l’Université de Berlin furent brèves car ils furent rapidement expulsés d’Allemagne, avec d’autres révolutionnaires russes. De retour à Berne, Rappoport fit son apprentissage comme journaliste militant au Berner Tagwacht. Sa vie durant, cette profession devait lui permettre de combiner travail intellectuel et militantisme politique.
Pendant un séjour à Londres en 1892, où Rappoport était allé faire des recherches au British Museum, il rencontra F. Engels à plusieurs reprises. Après des soirées de discussions, Rappoport continua à s’opposer au marxisme qu’il jugeait trop économiciste et déterministe. Il retourna à Londres en 1896 pour participer au IVe congrès de la IIe Internationale, mais il ne put y intervenir car son mandat de l’Union des socialistes révolutionnaires ne fut pas validé.
À l’Université de Berne, Charles et Fanny Rappoport préparèrent leurs thèses, qu’ils terminèrent en 1896-1897, lui sur la philosophie de l’histoire et elle sur l’économiste autrichien Carl (ou Karl) Menger. Dans la Philosophie de l’histoire comme science de l’évolution, qui fut publiée en allemand (1896) puis en français (1903), Rappoport affirma son idéalisme révolutionnaire : il expliquait l’évolution de la société comme résultant à la fois des forces matérielles et de la puissance des idéaux, mettant au cœur de la stratégie révolutionnaire l’intervention de militants conscients.
À la fin de 1897, les Rappoport s’installèrent à Paris, où Fanny mourut peu de temps après. Charles entra dans le mouvement socialiste français, où il ne cessa de militer, au moment de l’Affaire Dreyfus. Les amis de Jean Jaurès de la Revue socialiste furent les premiers à accueillir Rappoport, et pendant plusieurs années, il fut attaché non seulement au parti de Jaurès, mais à l’homme et à son idéalisme. La culture, les talents intellectuels, la profonde connaissance de la philosophie, et notamment du marxisme, de Rappoport furent autant d’apports au socialisme français. Homme d’action, militant dans l’âme, il participa étroitement à la vie du mouvement, à sa presse et à sa propagande, ainsi qu’aux congrès socialistes et aux batailles électorales. Ses interventions publiques étaient pleines de mots d’esprit. Son engagement politique fut facilité par l’acquisition de la citoyenneté française en 1899 (décret du 11 novembre).
À la même époque, Rappoport renoua avec Sophie Oguse, qu’il avait connue autrefois à Vilnius. Cependant, entre 1899 et 1904, ne pouvant exercer la médecine en France, elle l’exerça en Russie et ce fut pendant les courts séjours de Sophie à Paris qu’ils se marièrent, le 26 février 1901. De leur union naquirent leur fils Léon et leur fille Fanny. À partir de 1901, il dirigea la Bibliothèque russe de Paris. Ce n’est qu’en 1904 que Sophie Rappoport devint une des rares femmes médecins en France. La famille Rappoport s’installa dans le petit village de Souancé (Eure-et-Loir) de 1904 à 1908, puis habita définitivement Paris.
Les architectes de l’unité socialiste, et tout particulièrement Jaurès, attirèrent Rappoport à la Fédération des socialistes indépendants de France, puis le cooptèrent à son comité central. Durant l’été 1899, le « millerandisme » fit de Rappoport un dissident parmi les ministérialistes. Délégué du Cercle d’études de Carmaux au congrès de Japy (décembre 1899), Rappoport intervint contre toute participation socialiste. Au second congrès général des organisations socialistes françaises à Paris, salle Wagram (1900), Rappoport représentait le cercle de l’Union sociale de Blaye-les-Mines (Tarn). Il représenta les ouvriers israélites de Paris au congrès socialiste de Lyon (1901). Malgré sa position sans équivoque, il fut membre du comité général du Parti socialiste français comme représentant de la Fédération de l’Ain, qui le délégua au congrès de Tours (mars 1902). Ce fut à ce moment qu’advint sa rupture avec le parti de Jaurès. Rappoport se retrouva dans les rangs des guesdistes et il participa à leur congrès de Lille en 1904. Il fut délégué du Parti socialiste de France au congrès de la IIe Internationale à Amsterdam. Au congrès d’unité à Paris (avril 1905) et aux trois congrès suivants de la SFIO, il fut délégué de l’Hérault. Il représenta la Fédération du Nord aux congrès nationaux de 1908 à 1913. De 1905 à la scission de 1920, Rappoport, membre de la XIIIe section socialiste de Paris, appartint à la commission exécutive de la Fédération de la Seine et au comité d’éducation de la jeunesse socialiste.
Sa critique du révisionnisme et du socialisme réformiste, sa lutte contre le ministérialisme, conduisirent Rappoport au marxisme et déterminèrent son passage du parti de Jaurès à celui de Guesde et de Vaillant. La longue pratique philosophique de Rappoport, sa connaissance du marxisme, de Pierre Lavrov à Antonio Labriola et Georges Sorel, firent de lui un des principaux marxistes français. Mais il reconnut l’autorité politique et idéologique de la social-démocratie allemande et, en particulier, celle de Karl Kautsky. Il devint la voix du marxisme de la IIe Internationale et de la social-démocratie allemande en France. Dans ses interventions et dans ses écrits, Rappoport se révéla un marxiste révolutionnaire. Désormais il mit ses connaissances et sa conviction au service du socialisme guesdiste puis du mouvement communiste, et devint un journaliste et publiciste intarissable, un conférencier infatigable, et un propagandiste de grande envergure. Il diffusa son marxisme dans de nombreuses publications, notamment dans le Petit sou à partir de 1902, puis dans la revue de Karl Kautsky, la Neue Zeit (1903), dans l’hebdomadaire guesdiste le Socialisme (1905), dans le Berner Tagwacht, et aussi dans le journal de Clara Zetkin, die Gleichheit (1913). Avant la Première Guerre mondiale, Rappoport publia des ouvrages qui témoignent de son érudition, notamment Socialisme de gouvernement et socialisme révolutionnaire (1902), brochure qui marqua le début de sa collaboration avec Guesde et le Parti socialiste de France, et dans l’Encyclopédie socialiste de Compère-Morel*, il écrivit Un peu d’histoire : origines, doctrines et méthodes socialistes (en 1912 avec Compère-Morel*), puis La révolution sociale (1912), et Pourquoi nous sommes socialistes (écrit en 1914 mais paru en 1919). Rappoport mit au cœur de sa démarche intellectuelle les exigences d’un marxisme critique, tels que l’impératif de préciser la méthode, d’élucider les concepts, de chercher à comprendre et à expliquer les idées adverses, et de reconnaître à l’individu son rôle dans l’histoire.
Avec les guesdistes, Rappoport choisit le militantisme par la plume et par la parole, et adapta son érudition et son expérience aux besoins du mouvement. Il lutta contre l’anarchisme et contribua à la critique du syndicalisme révolutionnaire auquel il opposa le modèle du syndicalisme allemand. Aux congrès, dans la presse socialiste, Charles Rappoport combattit toujours le réformisme, dans son « idéologie », dans ses manifestations quotidiennes, mais les anarchistes n’avaient pas de plus vigilant adversaire que ce révolutionnaire ennemi de la « phraséologie ». Au congrès national de Toulouse (1908), il affirma que le sens et la valeur d’une réforme n’apparaissent qu’à l’usage. Il reprocha aux réformistes de ne pas parler des réformes en socialistes, d’attendre le socialisme d’une addition de réformes, tout en reprochant aux anarchistes, aux syndicalistes révolutionnaires, aux amis d’Hervé d’ériger en dogme l’action directe. « La bourgeoisie a besoin de l’ordre pour nous exploiter ; nous avons besoin de l’ordre pour organiser, pour éduquer la classe ouvrière [...] et nous ne voulons pas à chaque moment être dérangés par l’action directe, par l’action anarchiste qui provoque la réaction. » (Compte rendu, p. 245). Trois jours plus tard, dans Le Socialisme, revue de tendance guesdiste (n° du 19 novembre 1908), Charles Rappoport dénonça la fausse réforme qu’une partie de la SFIO représentait comme une conquête ouvrière : le rachat de la compagnie ferroviaire de l’Ouest. Il y voyait, lui, une bonne affaire pour les capitalistes. Les actionnaires continueront à toucher leurs dividendes, écrivait-il en substance, mais n’auront plus à redouter les risques liés à l’entreprise. Il appela à un travail de propagande et d’éducation révolutionnaire.
Avant 1914, Rappoport maintint ses liens avec la diaspora politique russe. Il fit partie de l’équipe de la Bibliothèque russo-juive ouvrière de la rue des Écouffes et il rencontra la plupart des sociaux-démocrates russes, dont beaucoup participèrent à la révolution en 1917. Il agit pour le compte de G. Plekhanov à Paris, notamment auprès de Lénine en 1909-1911. C’est ainsi qu’il enseigna jusqu’en 1911 à l’école du POSDR, créée par Lénine à Longjumeau (Seine-et-Oise). Cependant, convaincu que les bolcheviks ruineraient la révolution socialiste, Rappoport garda ses distances et, en janvier 1914, dans Contre la guerre, il avoua avoir « acquis, pendant de longues années, la conviction douloureuse que le triomphe de Lénine était le plus grand danger pour la révolution russe ».
Profondément internationaliste, Charles Rappoport lutta pour la paix et dès 1912 lança le journal Contre la guerre. Il collabora également avec la gauche de la IIe Internationale, notamment au sein du Bureau socialiste international. Il fit partie de la délégation de la SFIO au congrès socialiste international de Bâle (novembre 1912). En juillet 1914, il se rangea auprès de Jaurès, singulièrement en défendant la grève générale au congrès de Paris, rompant ainsi définitivement avec les guesdistes. Son opposition à la guerre l’amena à collaborer, à la fin de 1914, avec les internationalistes russes, qui publièrent à Paris Golos, puis Nache Slovo et Natchalo. À partir de 1915, il évolua vers la gauche du mouvement zimmerwaldien. Par ailleurs, il milita dans la minorité qui s’organisa contre la politique d’union sacrée de la SFIO et fit partie du Comité pour la reprise des relations internationales (janvier 1916), qui se transforma après la guerre en Comité de la IIIe Internationale. À partir de 1917, il fut membre de la rédaction du Journal du peuple, le quotidien d’Henri Fabre* et écrivit pour la Vérité de Paul Meunier*.
Rappoport accueillit la Révolution de février 1917 avec un grand enthousiasme, car elle était une source d’inspiration et un nouveau point de départ, mais il restait critique à l’égard de Lénine et du bolchevisme. Il dénonça la suppression de l’Assemblée constituante, dans le Journal du peuple, comme étant du « blanquisme à la sauce tartare » et « le suicide de la Révolution ». Cependant il changea radicalement d’optique en prenant la défense de la Révolution bolchevique. À l’été 1919, il participa à l’organisation d’une Société des Amis du peuple russe. En 1918, il faisait partie de la Société d’études documentaires et critiques sur la guerre et il fut un des fondateurs de l’École socialiste marxiste. Il avait passé presque trois mois en prison (de mars à juin 1918) avant d’être condamné à six mois de prison avec sursis et 200 F d’amende par le 3e conseil de guerre de Paris pour « propos défaitistes ». Il était suppléant à la CAP du Parti socialiste comme ex-minoritaire et devint titulaire en février 1920.
Aux élections législatives du 16 novembre 1919, dans une SFIO déjà secouée par la Révolution d’octobre, Rappoport fut candidat sur la liste Paul-Boncour-Léon Blum* dans le 2e secteur de la Seine où il recueillit 46 897 voix sur 221 132 inscrits, sur une moyenne de 48 707 voix pour l’ensemble de la liste.
Délégué de la Seine au congrès de Strasbourg, en février 1920, il signa la motion Loriot d’adhésion à la IIIe Internationale. Il affirma que la crise était incontournable et profonde dans la société d’après-guerre et appela à un travail sérieux de propagande révolutionnaire auprès des masses.
Au congrès de Tours (décembre 1920), où il fut délégué de la Seine, Rappoport défendit les vingt et une conditions et l’adhésion à la IIIe Internationale, se prononçant pour la motion du Comité de la IIIe Internationale, dite « Cachin*-Frossard* ». Dans sa longue intervention du 27 décembre, Rappoport appela à la rupture avec le socialisme de la IIe Internationale et le réformisme, condamna la collaboration des socialistes pendant la guerre, et loua le rôle fondamental d’un parti organisé et discipliné, ayant la confiance des masses : les socialistes français devaient apprendre de la victoire bolchevique afin de faire la révolution. Trois faits justifiaient, selon lui, l’orientation nouvelle proposée au socialisme français : la guerre qui « a une fois pour toutes enterré l’idéologie de la défense nationale » (Compte rendu, p. 281) ; la faillite de la IIe Internationale qui est celle de l’opportunisme ; le caractère de la Révolution russe « internationale par ses origines, par son caractère, par ses conséquences » (ibid., p. 285). Il exalta le rôle de Lénine et sa conception de l’action révolutionnaire. Remontant aux origines du Parti bolchévik, il déclara : « Depuis 1903, ce parti n’a pas cessé de combattre l’opportunisme, en Russie comme ailleurs [...] À ce moment, j’étais unitaire et je combattais Lénine quand il déclarait qu’il fallait se séparer de Martoff. Lénine a fait scission. Trotsky se leva avec moi pour protester contre cette tactique. Mais je dois déclarer, c’est un cas de conscience, que Lénine avait raison » (ibid., p. 286). « La Révolution russe nous est un grand enseignement, poursuivit-il, et c’est notre devoir d’en tirer toutes les leçons possibles. Cette révolution nous a démontré que, même dans un pays agraire, dans un pays où le prolétariat était relativement faible, où la civilisation générale n’était pas développée, il suffit d’avoir un parti organisé, discipliné, fidèle au communisme pour pouvoir profiter des circonstances et faire la révolution de demain. Il ne faut pas oublier que, tout en prêchant la révolution, les camarades bolchéviks ont su attendre depuis 1903 jusqu’à la fin de 1917 » (ibid., p. 287). « La révolution, vous le savez bien, c’est une économie de violence », ajouta-t-il et, apostrophant la minorité, il s’étonna « que ce soit ceux qui ont approuvé la guerre, qui ont soutenu la politique des gouvernements de guerre, et qui parlent encore aujourd’hui de défense nationale, qui s’apitoient sur les victimes de la révolution » (ibid., p. 290).
Élu membre titulaire du premier Comité directeur du Parti communiste, réélu en décembre 1921 à l’issue du premier congrès national tenu à Marseille, Rappoport n’en fit plus partie à partir du IIe congrès national qui eut lieu à Paris en octobre 1922. À l’été de cette même année, après trente-cinq ans d’exil de Russie, il participa aux travaux de l’exécutif de l’Internationale communiste à Moscou. À l’époque il s’opposait farouchement à Boris Souvarine. Par ailleurs, il intervint à l’intérieur du parti dans les grands débats, tel celui sur la défense nationale, dont il devait être rapporteur au congrès de Marseille en 1921, celui sur le Front unique et particulièrement à propos de la formation de militants communistes. Dans ce contexte, Rappoport poursuivit son travail intellectuel en tant que journaliste, propagandiste et enseignant. Cependant, isolé, minoritaire sur le plan des idées, Rappoport se heurtait à l’appareil naissant du Parti communiste dans ses efforts pour faire pénétrer un marxisme vivant et créateur.
Rappoport rédigea énormément, et publia en 1921 un recueil d’articles tirés du Journal du peuple, la Révolution mondiale et une brochure à grande diffusion, Précis du communisme. Si dans les premiers temps du parti, il dirigea la Revue communiste, jusqu’à sa disparition en 1922, puis l’Humanité de Strasbourg en langue allemande de 1923 à 1925, sa fonction se trouva ensuite confinée à celle d’un journaliste occasionnel. En 1929-1930 il dirigea, avec la collaboration notamment d’Henri Lefebvre*, Paul Nizan*, Georges Friedman et Norbert Guterman*, la Revue marxiste, qui disparut dans des conditions rocambolesques en 1930. Après, il resta uniquement correspondant des Izvestia jusqu’en 1938. Son activité étant extrêmement réduite, il publia ses Brochures populaires, en 1934-1935, qui furent financées par des particuliers et qui eurent une diffusion très restreinte.
Au début de 1919, il créa l’école marxiste-communiste, qu’il dirigea pendant cinq ans, et enseigna dans l’école de propagandiste, fondée par la Fédération de la Seine en janvier 1921, ce qui donna lieu à la publication de plusieurs brochures sur l’histoire du socialisme et de la pensée socialiste. Il contribua ainsi à la propagation d’une culture marxiste et à la formation de militants communistes. Rappoport était convaincu que les membres du nouveau parti avaient besoin de « guides sûrs et éprouvés », et que, de plus, « la doctrine marxiste, sans étroitesse ni sectarisme, fournit à tous des moyens d’orientation et de documentation large et précise ».
À cette époque, Rappoport subit des épreuves personnelles. La même année 1923, il perdit sa femme, Sophie Oguse, écrasée par un train, puis sa fille Fanny fut victime d’une tentative d’assassinat.
À partir du 1er mai 1923, il fut chargé de la direction de l’édition en allemand de l’Humanité à Strasbourg qu’il quitta au début de 1925. En tant que militant communiste, Rappoport prônait des rapports d’égalité et de confiance entre les partis communistes qui devaient, par ailleurs, avoir des rapports similaires avec l’Internationale communiste : « Pas de monologue avec Moscou, mais un dialogue », avait-il l’habitude de dire. Dans différentes instances du parti, et notamment aux congrès de Clichy (janvier 1925) et de Lille (juin 1926), il critiqua la politique de « bolchevisation » ainsi que les orientations du parti. En fait, Rappoport garda un esprit indépendant. Aussi il devint de plus en plus marginal dans le parti et, en 1926, il se plaignit au Bureau politique d’être « systématiquement évincé de toutes les positions qui lui auraient permis de faire son travail d’écrivain politique ». Malgré sa mise à l’écart dans le parti, il participa à la célébration du Xe anniversaire de la Révolution d’octobre à Moscou. Aux élections législatives du 16 novembre 1919, dans un Parti socialiste encore uni, mais déjà porté par la houle de la révolution d’octobre, il avait figuré au douzième et dernier rang des candidats aux élections législatives sur la liste Paul-Boncour-Léon Blum* dans le deuxième secteur de la Seine où il recueillit 46 897 voix sur 221 132 inscrits et une moyenne de 48 707 voix pour l’ensemble de la liste. Charles Rappoport n’avait jamais ambitionné de mandats électoraux. Ce fut tardivement, en 1932, qu’il fut candidat communiste dans le IVe arr. de Paris où il obtint aux deux tours de scrutin, respectivement 2 224 et 1 212 voix.
Dans les années trente, Rappoport continua d’avoir une vie active et de nombreuses relations. Il jouissait, en effet, d’un bon accueil à l’ambassade soviétique, et ceci dès la nomination du premier ambassadeur en 1925, son ami Christian Rakovsky. Par ailleurs, dès son arrivée à Paris au siècle dernier, Rappoport avait fréquenté les cafés, où il recherchait une ambiance chaleureuse. En 1930, il faisait véritablement partie du monde de Montparnasse.
Au moment des grandes purges, où il vit décimer les anciens bolchéviques, dont beaucoup étaient ses amis comme N. Boukharine, il démissionna du Parti communiste français. Dans la revue Que faire ? (avril 1938), Rappoport dénonça le stalinisme : « Staline peut se vanter d’avoir démontré par le fait, sur un sixième du globe, que le socialisme, sans liberté, aboutit à la tyrannie la plus abjecte, et ajoutons, la plus formidable, car elle s’étend non seulement sur le domaine politique, intellectuel et moral, mais aussi sur le domaine économique, car l’État devient le maître absolu de tous les moyens d’existence. »
Rappoport mourut trois ans plus tard près de Cahors où il avait trouvé refuge et où il s’était consacré à la rédaction de ses mémoires. En 1920, Charles Rappoport avait été rédacteur en chef de la Revue communiste. Jusqu’en mars 1938, il fut le correspondant parisien des Izvestia.
Par Justinien Raymond et Marc Lagana
ŒUVRE : (cotes de la Bibliothèque Nationale) : Ch. Rappoport collabora à la Petite République, à l’Humanité, au Journal du Peuple, à la Revue marxiste en 1929 (pseudonyme Arnold Félix) et aux organes qu’il dirigea : La Revue communiste, 1920-1921 (8° R 31 972), La Brochure populaire, La Critique marxiste. Avant la première guerre mondiale et à ses débuts, il fut le correspondant à Paris de la Berner Tagwacht.
Il a publié : Die sociale Frage und die Ethik, Berne, 1895, 48 p. — Zur Charakteristik der Methode und Hauptrichtungen der Philosophie der Geschichte, Berne, 1897. — Le matérialisme de Marx et l’idéalisme de Kant, Suresnes, 1900. — La philosophie sociale de Pierre Lavroff, 1901. — Socialisme de gouvernement et socialisme révolutionnaire, Bibliothèque du POF (Préf. d’Édouard Vaillant), 1902. — La philosophie de l’histoire comme science de l’évolution, La Librairie G. Jacques, Bibliothèque d’études socialistes, 1903 (réédition, Marcel Rivière, 1925). — Dans L’Encyclopédie socialiste de Compère-Morel*, C. Rappoport est l’auteur de : Un peu d’histoire : origines, doctrines et méthodes socialistes, en coll. avec Compère-Morel*, 1912 ; La Révolution sociale, 1912 ; Pourquoi nous sommes socialistes, 1919. — Jean Jaurès*, l’homme, le penseur, le socialiste, 1915 (rééd., Marcel Rivière, 1925 ; Anthropos, 1984). — Défense légitime contre une attaque brusquée de Renaudel, 1915. — La crise socialiste et sa solution, 1918. — Déclaration de C. Rappoport devant le conseil de guerre de Paris, le 3 juin 1918, s.l.n.d. [1918]. — La Révolution mondiale, Paris, Éd. de la Revue communiste, 1921. — Précis du communisme, Paris, Librairie de l’Humanité, 1921, réédité en français en 1922, 1924, 1929 et 1935 ; (en allemand, Was ist der Kommunismus ? en 1924 ; en italien, Il communismo spiegato ai lavorati, 1930). — Causes occasionnelles et permanentes de guerre, Paris, 1921, 40 p. — Le marxisme est-il périmé ? 1935. — « Pourquoi j’ai quitté le parti communiste », Que faire ? , n° 40, avril 1938. — PJ. Proudhon et le socialisme scientifique, Éd. du socialisme, s.d.
SOURCES : Arch. PPo., non versées. — État civil de la mairie de Cahors. — Comptes rendus des congrès socialistes. — Hubert-Rouger, Les Fédérations socialistes III, op. cit. p. 212. — Arch. Charles Rappoport, Institut international d’histoire sociale, Amsterdam. — Collection Vogein-Rappoport, Paris, Centre d’études sur l’URSS et l’Europe orientale, École des hautes études en sciences sociales, Paris. — Fonds Charles Rappoport, Bibliothèque nationale, Paris. — Dict., t. 14, pp. 341-342. — H. Goldberg, « Jaurès et Rappoport », Le Mouvement social, n° 75, octobre-décembre 1970. — H. Goldberg, « Charles Rappoport ou la crise du marxisme en France », L’Homme et la société, n° 24-25, avril-septembre 1972. — « Charles Rappoport [...] le coup manqué du congrès de Saint-Quentin (avril 1911) », par J. Rabaut, Bulletin de la société d’études jauresiennes, n° 37, avril-juin 1970. — Une vie révolutionnaire, 1883-1940 : Les mémoires de Charles Rappoport , Éd. de la Maison des sciences de l’homme, 1991, édition par Harvey Golberg, Georges Haupt et Marc Lagana. — Julien Chuzeville, Fernand Loriot, le fondateur oublié du Parti communiste, 2012.