REBIÈRE Pierre [REBIÈRE Philippe, Pierre] [Pseudonymes dans la Résistance : Émile RÉGNIER, ANDRÉ]

Par Claude Pennetier

Né le 20 février 1909 à Villac (Dordogne), fusillé après condamnation le 5 octobre 1942 à Paris (XVe arr.) ; employé de restaurant, forgeron ; commissaire politique des Brigades internationales ; membre suppléant du comité central du Parti communiste (1937) ; résistant.

Pierre Rebière
Pierre Rebière
Musée de la résistance nationale

Fils d’un forgeron et d’une ménagère (une bigote dans la mémoire familiale), Pierre Rebière fut employé de restaurant avant d’être embauché dans la Résistance aux usines Renault comme forgeron. Il adhéra en 1934 à la cellule communiste de l’entreprise et fut licencié à la fin de 1934. Il avait été blessé en avril au cours d’une bagarre entre membres de Front commun contre le fascisme et des militants d’extrême droite.
En février 1935, membre du comité des chômeurs du XVIe arrondissement de Paris, où il demeurait (boulevard Exelmans), il fut appréhendé alors qu’il collait des affiches de l’Union des comités de chômeurs de la région parisienne.
En octobre 1936, Pierre Rebière appartient à la délégation française qui négocia avec le ministre espagnol Diego Martínez Barrio la constitution des Brigades internationales, création officiellement approuvée par le gouvernement républicain le 22 octobre 1936. Commissaire du bataillon Commune-de-Paris de la 11e brigade, il participa aux combats de Madrid, puis fut blessé en février 1937 durant la bataille du Jarama. Rentré en France, il participa à l’organisation de l’aide à l’Espagne républicaine et, dès 1938, fut l’un des membres fondateurs et le trésorier de l’Amicale des volontaires en Espagne républicaine (AVER), dont le siège était situé à son domicile, 33 rue Poliveau (Ve arr.).
Lors du IXe congrès du Parti communiste (Arles, 25-29 décembre 1937), il fut élu suppléant du comité central.
Mobilisé en octobre 1939, démobilisé en Dordogne en juin 1940, Pierre Rebière regagna Paris et entra dans la Résistance en novembre. Il participa à la formation de l’Organisation spéciale du Parti communiste et en entraîna les premiers groupes. Fin octobre 1941, trois jours après l’exécution des otages à Châteaubriant (Loire-Inférieure, Loire-Atlantique), il abattit à Bordeaux (Gironde), avec deux camarades espagnols, un officier allemand et en blessa un autre. Il était alors chargé de créer l’état-major local de ce qui deviendra en janvier 1942 les Francs-tireurs et partisans français (FTPF). Il était également responsable de la propagande pour le grand Sud-Ouest. Arrêté le 15 décembre 1941 par les Brigades spéciales, il fut torturé puis remis aux autorités allemandes le 10 janvier 1942, à nouveau torturé, et incarcéré à la prison de la Santé (Paris, XIVe arr.). Condamné à mort par le tribunal militaire allemand le 9 septembre, il a été fusillé le 5 octobre suivant au stand de tir de la place Balard. Il fut après la Libération homologué avec le grade de lieutenant-colonel des FTPF.
En 1955, son nom fut donné à une rue du XVIIe arrondissement. Une plaque commémorative a été apposée au 59 rue Chardon-Lagache (Paris, XVIe arr.), où Pierre Rebière vécut dans les années 1930.
Sa compagne (ils s’étaient connus pendant l’exode et n’avaient pas pu se marier) éleva son fils, prénommé également Pierre, né d’une précédente liaison. Celui-ci devint président de l’Association des parents de fusillés et responsable des Amis des combattants de l’Espagne républicaine (ACER). Il fut proviseur à Clichy, avant qu’il ne passe au lycée Voltaire et au rectorat de Paris.

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Dernières lettres
 
[Extraits de ses dernières lettres] .
15 février 1942 .
 
Les soldats allemands laissent entendre qu’aucun ne sortira des mains de la Gestapo. II y a de pauvres gars que cela affole et parfois, la nuit, ou entend de longs hurlements comme des bêtes ce sont des malheureux qui hurlent à la mort...
 
28 mars 1942
 
Ce qu’il faut que tout le monde sache, c’est que la prison avec les Allemands, c’est pire que tout ce qu’on a dit sur la Bastille. Pour nos camarades, les menottes jour et nuit, certains doivent ronger leur pain sans être détachés. La nuit, ils ne peuvent pas dormir, les poignets sont entamés par le fer La vermine fait partie de ce convoi de toitures raffinées, il y en a qui sont devenus fous, d’autres tentent de se suicider et beaucoup ont réussi. De plus, pour couronner cet édifice, de barbarie, les prisonniers sont battus, non seulement à l’interrogatoire, mais dans leurs cellules pour des enfreintes au règlement...
 
[Sans date]
Mon p’tit Chos’,
 
Encore ce petit mot pour remplir utilement tout Je veux penser que tu auras suivi mes indications à la lettre, car c’est très important. Informe vite si tu le peux, qu’en ce moment il y a un jeune auquel ils ont cassé les deux jambes et les deux bras, et ils le traînent comme une loque ; ce sont des tortures terribles Il y a des fous, d’autres tentent de se suicider, c’est affreux...
 
13 septembre 1942
Avec calme, je vois les dernières heures de mon existence, car ma conscience est tranquille. J’ai fait mon devoir jusqu’au bout.
Quant à mon attitude, si elle a pu paraître courageuse à certains, elle n’est que le reflet des exemples doués par mes camarades bolcheviks et, je le dis aussi, .par les jeunes que j’ai vus passer ici.
J’ai vu « partir » au début d’avril, Pozzi (Félix Pozzi) et douze de ses compagnons. Il fut le chef jusqu’au bout, avec tout ce que cela comporte (le responsabilité et d’abnégation. Glorifiez-le. J’ai vu partir Gumbert Isidore, 19 ans [en fait Isidore Grinberg). Quel cran, quelle foi dans son idéal ; Feld Maurice, dix-sept ans et demi, un vrai bolchevik Haucoeur (en fait Fernand Haudecoeur,du C.C. des Jeunes, un vrai chef ; Politzer, si courageux et si beau.
Pourrais-je, avec ces exemples, être un pleutre ?...
...Je demande à mes camarades de veiller sur mon fils. Ma compagne et ma sœur. Elise seront ses éducatrices.
P.R.
 
[Sans date]
 
Il n’est pas facile d’écrire les mains enchaînées mais pour un communiste il n’est rien de tout à fait impossible.
Je me suis bien rendu compte que nous étions le 14 septembre, et j’ai cru comprendre que la situation avait changé à notre avantage. II y a neuf mois que je suis arrêté. Ce jour-là, je ne pensais pas vivre si longtemps , j’ai vu des choses sublimes qui prouvent la force de notre idéal J’ai vu des héros de tous âges, des savants authentiques et allant à la mort avec un courage indescriptible.
Madelise, rappelez-vous toujours ces choses-là. Merci de vos marques d’affection qui m’ont si bien soutenu.
Je vous embrasse encore une fois, vous dis bon courage, travaillez ferme Inspirez-vous bien du matérialisme dialectique, c’est la boussole infaillible...-
 
Baisers, mes chéris.
P.R.
 
20 septembre 1942
Mon amour, -
Écrire c’est encore te parler ; comme tu n’auras ce papier que dans quelques jours, je peux dire que c’est à titre posthume... J’ai quelques raisons d’être inquiet pour toi, car un camarade. nouvellement arrêté, avec lequel j’ai pu correspondre m’a parlé de nombreuses arrestations parmi tes collègues... Les amoureux sont d’éternels inquiets et je suis, très amoureux de toi...
Tu sais, mes bourreaux ne m’ont pas seulement torturé physiquement, mais depuis le 23 avril jusqu’au 16 juillet, et encore après cette date, ils m’ont dit que tu étais arrêtée. Cela m’était très douloureux, car, ne recevant pas de colis de toi, il ne m’était pas possible de déduire le contraire. J’espère que tu n’étais pas au courant de ma situation, car tu aurais plus souffert que moi, mon bijou chéri...
Des camarades te diront ce que j’ai subi pour avoir voulu m’évader et parce que les ourlets de ma serviette étaient pleins de.papiers que je te destinais. J’ai bien tenu et je, suis content d’avoir tenté ma chance, de ne pas m’être’ laissé assassiner sans essayer de me. sortir de là, armé des principes que tu sais ; j’ai, dès l’écrasement de mon projet, songé à un autre, et, s’il m’était donné de. vivre quelques semaines de plus, peut-être .que je réussirais...
Je crois qu’il reste plus d’heures que de semaines à vivre à mes bourreaux et je suis certain que ces pygmées seront le piédestal sur lequel sera érigé le monument à la mémoire de leurs victimes. Ils seront,. sans l’avoir voulu, les « exhausseurs » supportant le poids de notre gloire. De la gloire du grand Parti qui les écrase Je sais qu’aujourd’hui doit avoir lieu une manifestation du Front National, puisse-t-elle être le prélude d’une série qui obligera les attentistes à prendre une position plus conforme aux intérêts de la France..
Je comprends bien que va s’ouvrir une période de lutte, dont les formes . neuves ne manqueront pas d’étonner certains Il faudra avoir le cœur solide et beaucoup de courage. Et dire que je vais me coucher et dormir...
Allons, tu vois, malgré mes chaînes, je suis lisible, et malgré mon inaction, je respecte un peu l’orthographe (cinq mois sans lire ni écrire, les mains et les pieds enchaînés)
Ton amour, notre amour, not(e idéal m’ont soutenu et me. soutiennent ; je te souhaite d’avoir de tels appuis dans la vie ardente qui est devant toi ; le sacrifice que tu fais en venant, me voir est magnifique et ton grand cœur doit battre bien fort...
Tu seras toujours courageuse, Que mon influence caressante et bienfaisante soit un baume à ta douleur.
Aime bien mon fils, Elise et les siens, Louis et Marguerite, c’est encore un peu de moi. Salut à tous les amis, que mes derniers baisers sèchent tes larmes,et te soient très doux, très doux...
Ma petite chérie, vive mon idéal, vive le communisme. En avant toujours, les temps sont proches.
P.R.
 
30 septembre 1942
A vrai dire, les chances de réussite étaient minces... Mais il y en avait peut-être une sur cent II fallait donc tenter, puisque l’inaction (toujours coupable) c’était la politique du bœuf vers l’abattoir A la cellule 29, dans des conditions très dures, J’avais entrepris le barreau du haut (de droite à gauche), quand brusquement et sans avoir le temps de reprendre mes lames de scie à métaux, on me fit monter à l’étage au-dessus, cellule 61 Je me trouvais donc avec deux jeunes voleurs pris en possession de revolvers et qui, par la suite, furent condamnés a cinq ans de réclusion chacun. Je les étudiai et les préparai a une tentative Nous réalisames l’accord quoique ce ne fût pas, pour l’un d’eux, égoïste et faux, sans espoir d’éluder les risques. Nous trouvâmes les lames de scie à métaux et en avants. Les deux jeunes gars étant jugés furent transférés au Central et je restai seul plusieurs jours. Les beaux jours étaient venus et les nuits moins froides, les fenêtres des cellules restaient ouvertes et le moindre bruit pouvait s’entendre et s’entendit. J’avais eu de nouveaux compagnons, le Dr Neusser et un type nommé B..., habitant Bagnolet et travaillant en Allemagne. Ce gars était très peu sûr, mais je devais me dépêcher et je n’aurais pas cru qu’il vendrait la mèche, car il voulait bien s’évader (je lui avais parlé des otages).
Malgré mes précautions, le bruit s’entendit et j’attribue la première dénonciation à un Polonais de la cellule 63 (il faudrait voir) Quoi qu’il en soit, le mercredi 22 avril, pour une gamelle de soupe, B... fut appelé à part et interrogé, ainsi qu’un jeune Luxembourgeois, et je fus enfermé dans une cellule,  :..’
mis à nu, mes vêtements, déchirés, frappé, etc..,.
B.... indiqua que les ourlets de ma serviette renfermaient des messages Je fus privé de nourriture du 22 au30 et puni de cinq jours de cachot. Le matin où je descendis au cachot, le commissaire allemand de la Gestapo (le balafré) vint me dire que ma compagne était arrêtée, que j’étais le chef de l’O.S. avec Politzer avec lequel je parlais et dont il était question dans des messages trouvés dans ma serviette. Comme il me demandait pourquoi je parlais à Politzer et pourquoi je voulais m’évader, je lui répondis seulement : « Je suis communiste, et en prison... ». Vite au cachots !
Un copain m’a raconté comment il avait fait rentrer des scies à métaux Son frère lui envoya un colis où des lames étaient encastrées dans une plaque de chocolat et malgré les recommandations du copain qui voulait que les lames fussent les seuls objets clandestins, il y avait en plus une lettre, du fil, de la mine de crayon Le copain me dit que c’était une veine que le sous-officier n’ait pas découvert. un de ces objets, car c’était le plus pointilleux des inspecteurs de police.
Le copain qui savait que les lames « venaient » n’était pas rassuré, mais quand il vit le reste, dit-il, il fut sidéré...- Il avait de quoi... Quelle imprudence, mais, quelle habileté pour cacher tout !C’était un bon souvenir pour le copain qui me le confia.
P.R.
 
1er octobre 1942, 11 h 30
A vous tous,
Cette fois je crois que, C’est sérieux car mon tortionnaire, l’adjudant-chef, m’a apporté une cigarette , je la l’ai refusée , il en a donné à quelques-uns. Or, comme il n’est pas habituellement dans cet état d’esprit à mon égard, j’en conclus que sa liste cii main est révélatrice C’est très bien ainsi, et soyez assurés que je saurai leur montrer comment tombent les communistes.
P. Ri
 
1er octobre 1942, 12 heures
A tort ou à raison, j’attends que l’on vienne me chercher, car un petit fait : la cigarette du condamné, m’a laissé supposer que mon tour est arrivé...
J’ai déjà dit ce que je voulais pour ma famille, et ce n’est pas la peine de broder, car ceux qui restent les dépositaires de mes volontés sauront bien les interpréter.
A mon Parti, je dois compte de mes dernières actions. J’ai écrit ce que j’ai pu pour que ceux qui prendront ma place sur la « Grande Barricade » puissent disposer de mes armes et de quelques munitions, afin que ma mort ne soit pas tout à fait la fin de ma lutte Même ici, J’ai fait mon devoir et mon travail. Le Parti l’apprendra par des camarades à qui j’ai parlé ou qui m’ont vu à l’œuvre...
Je répète que si je. veux garder toutes mes facultés sans excitation morbide ni abattement, je le dois à ma confiance, à ma certitude dans le Parti Communiste, dans le marxisme développé par l’action de Lénine et de Staline, et je peux penser avec compassion à tous ceux qui sont tombés sans idéal ou sans avoir eu confiance absolue en celui-ci. Ils ont dû bien souffrir...
Pour nous, c’est tellement plus facile... 1.]
 
5 octobre 1942
-
Ma chère Lisette,
Ma petite Madelisette. à vous tous.
 
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Et voici le dernier jour, nous sommes rassemblés pour le départ.... [censuré] ...,. en revue....[censuré] .... les tâches particulières que je : réclame des miens, c’est de reporter sur mon fils et sur ma compagne la douce affection qu’ils me portaient. Veillez à ce que les enfants.................... .. [censuré]....................... que ma famille entière sache, et sois digne........... . . . . [censuré] .......................
J’ai vécu la moyenne normale d’un homme et je n’ai pas .. . . [censuré] .... je suis très heureux....[censuré] .. de pouvoir au seuil de la mort l’affirmer d’ajouter que j’ai ... [censuré] .... ce que.... [censuré] ............toujours..........
....[un paragraphe censuré] ............
A mes nombreux camarades et amis je,.... [censuré] .......la .... [censuré] ................... et cela eut un .... [censuré] .... pour . . .. [censuré] nous en disant .... [censuré] ......je pense que
[censuré] . .......................
A vous mes parents, à toi Madelisette, ma petite sœur, je t’envoie mes plus ardents baisers et formule les meilleurs souhaits de bonheur que vous avez bien mérités. Baisers passionnés à ces enfants qui sont notre plus doux espoir.
Madelisette, ma petite, quelle joie tu me procures ! Je sais ton courage et suis sûr que tu veilleras à ce que mes désirs, pour ce qu’ils ont de compatible avec le reste, soient satisfaits ... [censuré]...
Ma petite soeur, je te prie de prendre mes affaires, vêtements, portefeuille, argent, stylo, stylo-mine, pardessus, veston, caleçon, chemises, mouchoirs
J’ai tellement de choses à vous dire qu’il y en a trop pour tenter d’en commencer la narration
Je vous embrasse tous très fort
P.R.
 
Salut aux ...[censuré]... de Villac, Terrasson, et d’ailleurs, Gustave, Fernand, tous ceux que j’aime

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Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article128316, notice REBIÈRE Pierre [REBIÈRE Philippe, Pierre] [Pseudonymes dans la Résistance : Émile RÉGNIER, ANDRÉ] par Claude Pennetier, version mise en ligne le 30 novembre 2010, dernière modification le 19 avril 2022.

Par Claude Pennetier

Pierre Rebière
Pierre Rebière
Musée de la résistance nationale
Cliché fourni par Pierre Cardon.
 59 rue Chardon-Lagache (Paris, XVIe arr.)
59 rue Chardon-Lagache (Paris, XVIe arr.)

SOURCES : RGASPI, 495 270 1886. – Arch. Jean Maitron (fiche Batal). – Arch. AVER. – Paloma Fernandez, Le retour et l’action des anciens volontaires français des Brigades internationales en région parisienne de 1937 à 1945, MM, Paris-I, 1984. – Des Français en qui la France peut avoir confiance, s.d. – Rapports du comité central pour le Xe congrès national du Parti communiste, 1945. — Lettres de fusillés, Éditions France d’abord, 1946, p. 159-170.

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